II. DES RÉGIMES SPÉCIAUX « OUVERTS » EN VOIE DE « BANALISATION », DES PERSPECTIVES DE RÉDUCTION DES DÉFICITS À MOYEN ET À LONG TERME BOULEVERSÉES PAR LE PASSAGE DU RÉGIME DE LA SNCF AU STATUT DE RÉGIME FERMÉ

Les régimes spéciaux ont fait l'objet de réformes successives depuis 2008 tendant à atténuer leurs spécificités dans un environnement législatif marqué par la succession de plusieurs réformes des retraites.

Si l'impact des modifications intervenues en 2008 a suscité des estimations qui en soulignent le poids tout en faisant valoir l'incidence des mesures d'accompagnement alors décidées, pour les réformes ultérieures, leurs effets, hors ceux liés à la hausse des cotisations, ne sont encore que partiellement saisis.

Les projections disponibles laissent présager un impact favorable des modifications paramétriques apportées aux régimes spéciaux concernés par les réformes qui devrait soulager fortement la mission dans les exercices budgétaires à venir.

Toutefois, à législation courante, un besoin de financement, même réduit, subsisterait, obligeant la solidarité nationale à continuer de s'exprimer en faveur des régimes spéciaux.

Sur ce point, une évolution majeure est intervenue en cours d'année avec l'adoption de la réforme ferroviaire. Elle devrait se traduire par un alourdissement transitoire des besoins de financement du nouveau régime fermé qu'elle a institué.

A. UN RAPPROCHEMENT AVEC LES RÈGLES DE DROIT COMMUN QUI LAISSE DES DIFFÉRENCES SIGNIFICATIVES AUXQUELLES IL FAUT NÉANMOINS APPORTER DES NUANCES

Les réformes des régimes spéciaux 6 ( * ) ont tendu à les faire converger vers les règles de droit commun mais moyennant des nuances marquées.

Certains régimes ont été exclus d'une partie des réformes pour des raisons tenant à leur situation particulière. Il en est allé ainsi des régimes fermés et du régime des marins.

En outre, l'entrée en vigueur des réformes les plus récentes a été décalée et devait être progressive si bien que les réformes n'étaient appelées à exercer leurs effets que dans le temps.

Ce n'est qu'à partir de 2017 que s'est appliquée la réforme de 2010 marquée par le relèvement progressif de 2 ans de l'âge de départ en retraite (selon un rythme de quatre mois par génération).

Ses effets sont difficilement perceptibles dans le présent projet de loi mais ils monteront en puissance à moyen terme à mesure que les relèvements annuels des bornes d'âge se cumuleront.

À l'horizon 2024, l'âge de départ à la retraite aura été relevé de deux ans dans tous les régimes spéciaux.

Quant à la réforme de 2014 , si ses dispositions financières ont été appliquées immédiatement, l'autre volet important, concernant la durée de cotisations nécessaires pour disposer d'une retraite à taux plein , ne rentre en application qu'à partir de cette année.

En bref, pour les deux réformes de 2010 et de 2014, les mesures entrées en vigueur à ce jour portent essentiellement sur les variables financières des régimes - que ce soit du côté des recettes avec le relèvement des taux de cotisation ou, du côté des dépenses, avec des modifications apportées au mécanisme d'indexation - tandis que leur dimension paramétrique (âge de la retraite, durée de cotisation) entreront en vigueur successivement en 2017 et 2019 et selon un calendrier progressif.

Enfin, il faut rappeler ce qui a déjà été indiqué sur le maintien pour certaines situations de conditions préférentielles généralement liées à l'âge de départ à la retraite.

1. Même si elle n'a pas modifié les conditions d'âge pour liquider une retraite spécifiques aux régimes spéciaux, la réforme de 2008 a poursuivi un objectif principal de prolongation de la durée d'activité en introduisant de nouveaux paramètres de liquidation

La réforme de 2008 des régimes spéciaux a été inspirée par le principe d'une harmonisation progressive de leur réglementation avec celle de la fonction publique d'État (les principes de la décote et la surcote, l'allongement de la durée de cotisation, l'indexation des pensions sur les prix et non plus sur les salaires, la suppression de la mise à la retraite d'office, la possibilité de rachat d'années d'études, de départ pour les agents handicapés, etc.), tout en maintenant pour chacun le principe d'un régime spécifique ainsi que les conditions d'âge permettant de liquider une retraite.

Les contreparties salariales négociées accompagnant la réforme de 2008 des régimes spéciaux de retraite se sont concrétisées à la SNCF et à la RATP par les mesures suivantes : création d'un échelon supplémentaire pour les agents prolongeant leur activité, élargissement de l'assiette du salaire brut liquidable, majorations de traitement liées à la prolongation d'activité, diverses mesures d'accompagnement de fin de carrière et prise en compte de la pénibilité. Coûteuses d'un point de vue salariale, elles compensent, au moins partiellement, l'effet de la réforme pour les personnels appelés à en bénéficier et infléchit, mais à terme seulement, l'ampleur des économies attendues.

Les principaux droits des assurés avant et après la réforme des régimes spéciaux de retraite de la SNCF et de la RATP de 2008 figurent ci-après.

Principales composantes de la réforme des régimes spéciaux de 2008

La durée de cotisation

La durée de cotisation nécessaire pour atteindre un taux plein de liquidation a été augmentée si bien que le rendement des cotisations a, toutes choses égales par ailleurs, été réduit. Cette mesure est appelée à entrer en vigueur progressivement.

- Avant réforme : 37 ans et demi

- Après réforme : augmentation progressive de la durée de cotisation pour une pension à taux plein (75 % du salaire de référence) depuis le 1 er juillet 2008 pour passer de 150 à 166 trimestres en 2018 (suppression des bonifications). Le nombre de trimestres varie selon la date de naissance et la nature de l'emploi, sédentaire ou agent de conduite. La bonification de 5 ans d'annuités maximum est supprimée pour les agents d'exploitation et de maintenance recrutés après le 1 er janvier 2009.

Le choix de l'âge de départ en retraite

- Avant réforme : à l'initiative de l'agent ou de l'entreprise.

- Après réforme : à l'initiative de l'agent seulement (la clause « couperet » autorisant l'employeur à recourir à la mise à la retraite d'office a été supprimée).

L'instauration d'une décote et d'une surcote

- Avant réforme : ni décote si surcote.

- Après réforme : décote à partir du 1 er juillet 2010 et surcote à partir du 1 er juillet 2008 ; les assurés qui cotiseront au-delà de la durée nécessaire pour obtenir le taux plein de 75 % verront leur pension majorée et, à l'inverse, ceux qui cesseront leurs fonctions avant de remplir ces conditions verront leur pension minorée.

L'indexation des pensions

- Avant réforme : les pensions évoluent comme les salaires.

- Après réforme : les pensions évoluent comme l'indice des prix à la consommation hors tabac à compter du 1 er janvier 2009.

2. Les réformes de 2010 et 2014 ont à nouveau modifié les paramètres des régimes spéciaux concernés
a) L'application à compter de 2017 du relèvement de l'âge de départ à la retraite prévu par la réforme de 2010

Les régimes de retraite des mines, de la SEITA ainsi que les autres régimes de retraite « fermés » ont été exclus des récentes réformes des retraites dans la mesure où la réforme des droits des affiliés cotisants aurait eu un impact très faible voire nul. Le régime de retraite des marins est également resté, globalement, à l'écart de cette réforme, compte tenu de la forte pénibilité d'une large part des professions affiliées et des difficultés économiques touchant particulièrement le secteur de la pêche.

La loi du 9 novembre 2010 portant réforme des retraites, transposée par voie réglementaire aux régimes spéciaux de retraite de la SNCF et de la RATP 7 ( * ) , met en oeuvre un processus de convergence avec le régime de la fonction publique.

À partir de 2017 , l'âge légal de départ à la retraite est progressivement relevé de quatre mois par an.

Pour la RATP , il sera de 52 ans pour le personnel roulant de catégorie B et de 57 ans (catégorie A active) ou de 62 ans pour les autres catégories de personnel à l'horizon 2024.

Pour la SNCF , le relèvement des bornes d'âge laissera subsister un écart significatif avec le droit commun (52 ans pour les personnels roulants et 57 ans pour les sédentaires).

b) L'augmentation de la durée d'assurance conditionnant le « taux plein » à partir de 2019

Les principales mesures de la loi du 20 janvier 2014 garantissant l'avenir et la justice du système des retraites ont également été transposées par décret aux régimes spéciaux de retraite de la SNCF et de la RATP 8 ( * ) . Outre les mesures déjà mises en oeuvre, en particulier le relèvement des taux de cotisation et le décalage de la date de revalorisation des retraites, restent ainsi à entrer en application :

- l'augmentation progressive de la durée d'assurance requise pour bénéficier d'une pension de retraite à taux plein qui ne rentrera en vigueur qu'à compter du 1 er juillet 2019. Elle passera de 167 trimestres (soit 41 ans et trois trimestres) pour les agents de la SNCF nés entre 1964 et 1965 et pour ceux de la RATP nés entre 1959 et 1960, à 172 trimestres (43 ans) pour les assurés nés à partir du 1 er janvier 1978 à la SNCF et à partir du 1 er janvier 1973 à la RATP. La durée d'assurance sera ainsi identique à celle en vigueur dans le régime général, même si son application sera plus tardive dans le régime de la SNCF ;

- la poursuite de l'alignement des cotisations sur le régime général, dont les conditions pour 2017 ont été exposées, mais qui devrait conduire à des augmentations futures. Le taux de cotisation salariale à la SNCF passerait ainsi progressivement de 8,52 % en 2017 à 10,95 % en janvier 2026.

3. Des différences significatives demeurent

Les réformes des régimes de retraite spéciaux ont laissé subsister des écarts institutionnels significatifs.

C'est tout particulièrement le cas pour les agents de la SNCF, qui bénéficient d'un âge de départ nettement plus précoce que pour les autres régimes.

Contrairement aux conditions prévalant dans les régimes de retraite des salariés ou des fonctionnaires et à celles posées à la RATP, les personnels sédentaires continuent à bénéficier d'une possibilité de départ en retraite dès 57 ans. Ils peuvent même partir plus tôt (52 ans) à condition d'avoir exercé des métiers d'agents de conduite durant une certaine durée. Pour les agents de conduite, l'âge d'ouverture des droits y est uniformément de 52 ans.

Il faut toutefois convenir que ces limites d'âge vont devenir assez théoriques du fait des autres modifications apportées aux régimes et tout particulièrement de l'allongement progressif et très significatif des conditions tenant à la durée d'assurance requise pour bénéficier d'un taux sans décote.

Par ailleurs, l'existence de possibilités de départ plus précoces que l'âge de droit commun n'est pas propre aux personnels des régimes spéciaux. De telles dispositions sont prévues pour certaines catégories de personnel de la fonction publique, les catégories actives et superactives ou des salariés, en lien avec les mesures liées à la prise en compte de la pénibilité.

Au demeurant, la montée en charge des réformes a conduit à une augmentation progressive de l'âge moyen de départ à la retraite. L'âge moyen de départ qui était de 56 ans et 9 mois en 2015 à la SNCF est passé en 2017 à 57 ans et 5 mois, soit un décalage de 8 mois. Pour les agents sédentaires, l'âge de départ était en 2017 de 57 ans et 10 mois contre 57 ans et 1 mois en 2015. Pour la RATP, alors que les conditions générales sont plus rigoureuses, l'âge de départ moyen est plus précoce : 55 ans et un peu moins de cinq mois, mais il a augmenté depuis 2015 où il était de 54 ans et 9 mois. Cette situation vient d'un effet de composition, les personnels roulants de la RATP étant proportionnellement plus nombreux qu'à la SNCF.

Proportion de conducteurs et des personnels roulants parmi les pensionnés de la SNCF et de la RATP

Entreprise

SNCF

RATP

Année

2015

2016

2015

2016

Proportion de conducteurs
et de personnel roulant
parmi les pensionnés (1)

13%

12 %

32,06%

31,82 %

(1) cette proportion est calculée par rapport aux pensions directes

Source : réponse au questionnaire de la rapporteure spéciale

Jusqu'à présent, le relèvement de l'âge effectif de départ en retraite est resté limité de sorte que l'âge de départ à la retraite observé dans les régimes spéciaux demeure significativement inférieur à celui observé dans le régime général ( 63,2 ans en moyenne en 2016 hors départs anticipés ; 62,4 ans tous départs) et dans la fonction publique de l'État ( 61,5 ans en moyenne en 2015 ; 62,53 ans pour les personnels sédentaires de la fonction publique de l'État).

Un grand nombre des nouveaux pensionnés des régimes spéciaux ayant liquidé leurs pensions en 2016 avaient moins de 56 ans.

Il faut relever néanmoins qu'il apparaît proche de l'âge de liquidation observé chez les fonctionnaires appartenant aux catégories dites « actives » de la fonction publique d'État ou relevant de la CNRACL (par exemple, les policiers, les surveillants de l'administration pénitentiaire, des douanes ou encore les infirmiers n'ayant pas opté pour la catégorie A) qui, en raison de leurs conditions spécifiques de travail, bénéficient de règles d'âge plus favorables. Ces derniers avaient liquidé en moyenne leur pension de retraite à 58,54 ans dans la fonction publique civile d'État en 2015.

Répartition des nouveaux retraités selon leur âge au 31 décembre 2016

Source : DREES, Panorama des pensions 2018

Ces écarts déterminent de fortes différences dans le nombre d'années de service des pensions.

Le nombre d'années de service moyen d'une pension étant de 24 ans et six mois pour les hommes, le nombre moyen de service d'une pension est de près de 29 ans à la SNCF. Il dépasse 40 ans à la RATP.

Les rapports entre la durée moyenne d'activité et la durée moyenne de service de la pension diffèrent également nettement entre ces deux régimes et avec les autres régimes. Il est de 1,13 à la SNCF mais n'atteint que 0,86 à la RATP. Aux différences portant sur les âges de liquidation s'ajoutent les effets des bonifications d'annuité. À la SNCF, l'écart entre les années cotisées et les années validées apporte moins d'un an de validation ; quant à la RATP il fait gagner plus de quatre années de validations.

Il fait peu de doute que l'entrée en vigueur progressive des réformes a limité les changements de comportement de départ en retraite. Le Conseil d'orientation des retraites a pu souligner qu'à ce jour la réforme de 2008, du fait de l'entrée en vigueur progressive des mécanismes de décote et de surcote qu'elle comportait, n'aurait exercé d'effet notable sur l'âge de la retraite qu'à raison des mesures d'accompagnement alors mises en oeuvre, qui, de fait, pour les agents de la SNCF, comportaient une forte incitation à demeurer en activité. 9 ( * )

Cependant, à l'avenir, la perspective d'une profonde dégradation des taux de remplacement en cas de comportement inchangé de départ en retraite suffira à déterminer un décalage de celui-ci, malgré le maintien de conditions d'âge favorables, devenues de fait assez théoriques .

Âge moyen au départ en retraite des sédentaires

Par ailleurs, les comportements de départ en retraite, pour être sans doute sensibles aux conditions paramétriques de liquidation, ou aux perspectives les concernant, sont également dépendants d'autres conditions plus fondamentales, d'ordre socioéconomique.


* 6 Voir l'annexe n° 1 pour une présentation détaillée des mesures concernant la RATP et la SNCF

* 7 Décrets n° 2011-292 relatif au régime spécial de retraite du personnel de la RATP et n° 2011-291 du 18 mars 2011 relatif au régime spécial de retraite du personnel de la SNCF.

* 8 Décret n° 2014-712 du 27 juin 2014 relatif au régime spécial de retraite du personnel de la SNCF et décret n° 2014-668 du 23 juin 2014 relatif au régime spécial de retraite du personnel de la RATP.

* 9 Document de travail n° 9 examiné lors de la séance plénière du conseil du 25 mai 2016.

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