EXPOSÉ GÉNÉRAL

Madame, Monsieur,

La proposition de loi n° 85 (2018-2019) visant à assurer une plus juste représentation des petites communes au sein des conseils communautaires , présentée par nos collègues Jean-Pierre Sueur, Marc Daunis, Éric Kerrouche, Patrick Kanner et les membres du groupe socialiste et républicain, inscrite à l'ordre du jour du Sénat réservé à ce groupe, le jeudi 24 janvier 2019,
est le symptôme des dysfonctionnements de l'intercommunalité dans certains de nos départements à la suite des dernières réformes territoriales.

Nul ne se préoccuperait de renforcer le poids de certaines communes plutôt que d'autres au sein des instances intercommunales si le fonctionnement des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre était toujours harmonieux, et si le véritable esprit de coopération qui doit présider à leur fonctionnement n'avait pas été mis à mal par des regroupements forcés, par un agrandissement inconsidéré du périmètre de nombreux établissements et par la multiplication des transferts de compétences communales à leur profit, rendus obligatoires par la loi.

On n'accorderait peut-être pas non plus autant d'importance à ce que les conseillers municipaux qui ne sont pas membres de l'organe délibérant de l'EPCI à fiscalité propre auquel leur commune appartient soient correctement associés au fonctionnement quotidien de cet établissement, si la plupart des leviers de décision n'avaient pas été déplacés au niveau intercommunal et si certains conseils municipaux n'avaient pas le sentiment d'avoir été relégués au rang de « comités des fêtes », pour reprendre une expression entendue par votre rapporteur au cours de ses auditions.

Il ne faut évidemment pas noircir le trait. Les communes conservent des compétences de proximité essentielles, qui expliquent l'attachement que les Français continuent de leur témoigner. Beaucoup d'EPCI à fiscalité propre fonctionnent bien, dans la recherche de l'intérêt commun et du compromis, et la question de la représentativité de leurs organes ne se pose pas. Les « simples » conseillers municipaux sont souvent impliqués, d'une manière ou d'une autre, dans les affaires de la communauté.

Il n'en reste pas moins que cette proposition de loi soulève des questions auxquelles il est urgent d'apporter des réponses. Votre commission l'a examinée avec intérêt et, tout en estimant que certaines dispositions proposées se heurtaient à des difficultés juridiques ou présentaient plus d'inconvénients que d'avantages, elle s'est efforcée de les améliorer et de les compléter, avec l'accord de ses auteurs.

I. AMÉLIORER LA REPRÉSENTATIVITÉ DES CONSEILS COMMUNAUTAIRES

La proposition de loi a d'abord pour objet de corriger la sous-représentation de certaines communes au sein de l'organe délibérant des EPCI à fiscalité propre (conseils communautaires ou métropolitains).

Contrairement à ce qu'indiquent l'intitulé de la proposition de loi et son exposé des motifs, ce ne sont pas les plus petites communes qui souffrent, aujourd'hui, d'un déficit de représentation. Au contraire, la règle qui veut que chaque commune soit représentée au sein de l'organe délibérant d'un EPCI à fiscalité propre assure aux communes faiblement peuplées une forte, voire très forte surreprésentation. En revanche, les règles actuelles pénalisent les communes dont la population se situe autour de la moyenne communautaire - selon la configuration de l'EPCI à fiscalité propre, ces communes moyennes peuvent compter quelques centaines d'habitants, quelques milliers ou quelques dizaines de milliers.

A. UNE RÉPARTITION QUI OBÉIT À DES RÈGLES COMPLEXES ET PRODUIT DES ÉCARTS DE REPRÉSENTATION IMPORTANTS

Comme il sera rappelé au cours de l'examen des articles, le nombre et la répartition des sièges au sein de l'organe délibérant des EPCI à fiscalité propre est déterminé :

- soit, dans les seules communautés de communes et d'agglomération, par « accord local » d'une majorité qualifiée de conseils municipaux, dans le respect des conditions fixées par la loi ;

- soit, dans les communautés urbaines et métropoles et, à défaut d'accord local, dans les communautés de communes et d'agglomération, selon les règles de droit commun fixées aux III à VI de l'article L. 5211-6-1 du code général des collectivités territoriales, qui ne laissent qu'une faible latitude aux conseils municipaux.

La répartition des sièges de droit commun répond à quatre principes :

- les sièges doivent être répartis entre les communes sur une base essentiellement démographique ;

- toutefois, il est attribué au moins un siège à chaque commune, ce qui est la traduction du fait qu'un EPCI à fiscalité propre est un organisme de coopération entre communes qui exerce certaines de leurs compétences en leur lieu et place ;

- aucune commune ne peut détenir à elle seule plus de la moitié des sièges, conséquence du principe de non-tutelle d'une collectivité territoriale sur une autre ;

- aucune commune ne peut se voir attribuer plus de sièges qu'elle ne compte de conseillers municipaux.

Des règles complexes de répartition ont été mises au point par le législateur pour concilier, autant que faire se peut, ces quatre principes.

Or ces règles, en raison notamment de la place qui y est accordée à la représentation proportionnelle suivant la règle de la plus forte moyenne, d'une part, et de l'attribution d'un siège de droit à chaque commune, d'autre part, aboutissent à de très substantiels écarts de répartition entre les communes :

- les communes faiblement peuplées sont toujours surreprésentées par rapport à la moyenne, et elles peuvent l'être dans des proportions considérables (jusqu'à 20 000 % d'écart à la moyenne) ;

- les communes les plus peuplées sont, en général, correctement représentées, même si elles accusent souvent un léger déficit ;

- les communes de taille moyenne sont nettement sous-représentées, avec un écart à la moyenne qui dépasse parfois 70 %.

Par ailleurs, dans les communautés de communes et d'agglomération, il est devenu très difficile de corriger ces écarts de représentation par le biais de l'accord local de répartition des sièges. Par sa décision n° 2014-405 QPC du 20 juin 2014, Commune de Salbris , en effet, le Conseil constitutionnel a jugé que les dispositions légales relatives à l'accord local alors en vigueur, qui étaient extrêmement souples, méconnaissaient le principe constitutionnel d'égalité devant le suffrage. Par la suite, grâce à l'initiative de nos collègues Jean-Pierre Sueur et Alain Richard, le législateur a rétabli la possibilité de conclure un accord local de répartition des sièges dans ces mêmes communautés 1 ( * ) , mais les nouvelles règles qu'il a fixées pour se conformer à la jurisprudence constitutionnelle sont si contraignantes qu'il leur arrive d'être inapplicables.


* 1 Loi n° 2015-264 du 9 mars 2015 autorisant l'accord local de répartition des sièges de conseiller communautaire .

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