B. UNE ADAPTATION LIMITÉE DU RÉGIME DE LA RÉTENTION ADMINISTRATIVE

Le placement en rétention d'un étranger en situation irrégulière peut être prononcé sous certaines conditions, notamment lorsque ce dernier ne présente pas de garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de soustraction à l'éloignement.

La rétention administrative : un outil juridique et des infrastructures
destinés à faciliter l'éloignement des étrangers en situation irrégulière

La rétention administrative est le dispositif juridique permettant à l'administration de maintenir dans des locaux dont elle a la charge, pour une durée limitée et sous le contrôle du juge des libertés et de la détention (JLD), les étrangers faisant l'objet d'une procédure d'éloignement du territoire français qui ne peuvent le quitter immédiatement.

La rétention se distingue de la détention : elle constitue une mesure administrative, et non une sanction prononcée par l'autorité judiciaire, et elle est exécutée dans des locaux et grâce au personnel placés sous l'autorité du ministre de l'intérieur et non de l'administration pénitentiaire. Son régime et les critères de recours à cette mesure figurent ainsi au titre V du livre V du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA).

Le parc des centres de rétention administrative (CRA) était constitué à la mi-2018, de 25 centres (21 en métropole et 4 outre-mer) avec une capacité totale d'environ 1 800 places .

À Mayotte , un nouveau centre de rétention administrative (CRA) est entré en service depuis septembre 2015 à Pamandzi sur la partie sud de l'île de Petite-Terre. Il compte 136 places et emploie une centaine d'agents. Il comporte un module dédié aux familles et dispose de moyens de visioconférence afin d'assurer la tenue d'audiences devant le JLD. 15 441 personnes y ont été accueillies en 2017 (dont 2 493 mineurs accompagnants), pour une durée moyenne de rétention inférieure à un jour. Au 1 er semestre 2018, son taux moyen d'occupation était de 47 %.

La rétention s'articule en plusieurs phases : une phase administrative, sur décision du préfet (mesure prise au titre de la police administrative des étrangers), qui ne peut ensuite être prolongée, à sa demande, pour une ou plusieurs autres périodes, que sur autorisation du juge des libertés et de la détention (la mesure portant une restriction suffisante à la liberté des personnes pour justifier un contrôle de l'autorité judiciaire).

La loi n° 2018-778 du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie a modifié le régime de la rétention administrative en allongeant sa durée maximale et en remaniant son séquençage, à compter du 1 er janvier 2019.

Le législateur a porté de 45 à 90 jours la durée maximale de rétention, dans le cas ordinaire, en adoptant le séquençage suivant :

- le placement initial 8 ( * ) en rétention est décidé par le préfet, pour une durée ne pouvant excéder 48 heures ;

- la première prolongation 9 ( * ) de la rétention, au-delà de ces 48 heures, ne peut être autorisée que par le juge des libertés et de la rétention ( JLD ), saisie par l'autorité administrative, et pour une durée ne pouvant excéder 28 jours ;

- une deuxième prolongation 10 ( * ) peut, en sus, être autorisée pour 30 jours , sous strictes conditions ;

- enfin, deux prolongations supplémentaires 11 ( * ) de 15 jours chacune ont été introduites en vue de faire échec à certains comportements dilatoires.

Dans ce cadre, le délai d'intervention du JLD pour contrôler la mesure administrative de placement en rétention (à l'initiative du retenu) ou pour autoriser sa prolongation (à la demande du préfet) est resté fixé, comme auparavant, à 48 heures au maximum.

À Mayotte , cependant, pour tenir compte de la très forte pression migratoire à destination de l'île, le législateur a ménagé depuis longtemps plusieurs dérogations spécifiques en droit des étrangers (figurant pour la plupart au sein de l'article L. 832-1 du CESEDA). À ce titre, concernant la durée de la rétention administrative, le délai d'intervention du JLD à l'issue de la première phase administrative avait été porté depuis 2017 à 5 jours , au lieu du délai de 48 heures applicable sur le reste du territoire français 12 ( * ) .

C'est ce délai dérogatoire spécifique à Mayotte qui pourrait être remis en cause à compter du 1 er mars 2019 par une erreur de coordination figurant dans la récente loi « Immigration, asile, intégration » du 10 septembre 2018 et que la présente proposition de loi se propose de préserver.

L'application et l'adaptation du CESEDA à Mayotte : un processus progressif

Le statut juridique de Mayotte a considérablement évolué avec, d'une part, son accession au rang de département d'outre-mer à compter du 1 er avril 2011 et, d'autre part, sa transformation en région ultrapériphérique de l'Union européenne (RUP) à compter du 1 er janvier 2014.

La départementalisation a ainsi entraîné l'application du régime de l' identité législative, marqué par une assimilation normative entre la métropole et la collectivité ultramarine concernée (en application de l'article 73 de la Constitution, les lois et règlements s'y appliquent de plein droit, sous réserve, dans certaines conditions, des adaptations prévues par le législateur ou le pouvoir règlementaire).

Toutefois, le Conseil d'État a estimé 13 ( * ) que la départementalisation n'entraînait pas automatiquement le remplacement « en bloc » et immédiat la législation spéciale alors propre à Mayotte par l'ensemble du droit métropolitain en vigueur à cette date. Elle impliquait seulement l'applicabilité de plein droit des textes édictés à compter de cette date , sous réserve d'adaptations éventuelles.

Dès lors, toute la législation spéciale relative à l'entrée et au séjour des étrangers à Mayotte 14 ( * ) a été maintenue en vigueur dans l'île pendant les premières années de la départementalisation.

Ce n'est qu'en 2014, avec l'adoption d'une ordonnance puis d'un décret en ce sens 15 ( * ) , qu'a été fait le choix de rendre applicable à Mayotte les parties législative puis réglementaire du CESEDA.

Cette application de plein droit du CESEDA s'est cependant accompagnée de plusieurs dispositions d'adaptation dudit code aux spécificités propres à Mayotte , pour tenir compte des « caractéristiques et contraintes particulières » de l'île, au sens de l'article 73 de la Constitution (essentiellement en vue de lutter plus efficacement contre l'immigration irrégulière 16 ( * ) ).


* 8 Article L. 551-1 du CESEDA.

* 9 Elle vise l'étranger sous le coup d'une décision d'éloignement qui ne présente pas de garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque qu'il s'y soustraie (articles L. 552-1 à L. 552-6 du CESEDA).

* 10 « En cas d'urgence absolue ou de menace d'une particulière gravité pour l'ordre public », ou « lorsque l'impossibilité d'exécuter la mesure d'éloignement résulte de la perte ou de la destruction des documents de voyage de l'intéressé, de la dissimulation par celui-ci de son identité ou de l'obstruction volontaire faite à son éloignement », ou encore « lorsque la mesure d'éloignement n'a pu être exécutée en raison du défaut de délivrance des documents de voyage par le consulat dont relève l'intéressé ou de l'absence de moyens de transport », ou enfin « lorsque la délivrance des documents de voyage est intervenue trop tardivement pour procéder à l'exécution de la mesure d'éloignement » (article L. 552-7 du CESEDA).

* 11 Dans trois hypothèses et à titre exceptionnel : si l'étranger a fait obstruction à l'exécution d'office de la mesure d'éloignement ; s'il a présenté une demande de protection contre l'éloignement en raison de son état de santé ; s'il a présenté une demande d'asile. Dans ces deux dernières hypothèses, la demande doit avoir été présentée dans le seul but de faire échec à la mesure d'éloignement.

* 12 Pour être exhaustif, la durée de la première phase de la rétention administrative a été :

- d'abord portée de 48 heures à 5 jours sur l'ensemble du territoire, par la loi n° 2011-672 du 16 juin 2011 relative à l'immigration, à l'intégration et à la nationalité (article 44) ;

- puis ramenée à 48 heures sur l'ensemble du territoire, par la loi du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France (article 36) ;

- et, enfin, rétablie à 5 jours, uniquement pour Mayotte , par la loi du 28 février 2017 relative à l'égalité réelle outremer (article 31).

* 13 Conseil d'État, Assemblée générale, avis n° 383887, 20 mai 2010 (avis consultatif rendu à la demande du Premier ministre) ; Conseil d'État, 5 juillet 2012, Mme B..., n° 358266 (au contentieux).

* 14 Ordonnance n° 2000-373 du 26 avril 2000 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers à Mayotte ; décrets n° 2001-635 du 17 juillet 2001 et n° 2010-1435 du 19 novembre 2010, pour les dispositions réglementaires.

* 15 Ordonnance n° 2014-464 du 7 mai 2014 portant extension et adaptation à Mayotte du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (partie législative) ; Décret n° 2014-527 du 23 mai 2014 portant modification du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (partie réglementaire) en ce qui concerne Mayotte, Wallis-et-Futuna, la Polynésie française et la Nouvelle-Calédonie.

* 16 L'ordonnance précitée prévoyait ainsi, notamment : que les décisions portant refus d'entrée ne donnent pas droit au « jour franc » lors de leur mise à exécution ; que les titres de séjours délivrés par le représentant de l'État à Mayotte ne soient, sauf exception, valables que pour le territoire de l'île ; que les dispositions relatives à l'aide au retour et à l'intégration dans la société française ne soient pas applicables à Mayotte (mais un dispositif spécifique d'aide exceptionnelle à la réinsertion économique était prévu) ; que la séparation des zones d'attente et des zones de rétention administrative n'y soit pas applicable ; l'absence de commission du titre de séjour ; pour le droit au séjour, que le candidat ait l'obligation de justifier non seulement de l'état civil des parents mais aussi du titre de séjour d'un des parents.

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