II. UNE PROPOSITION DE LOI EN RÉACTION À LA JURISPRUDENCE DU CONSEIL D'ÉTAT QUI CONÇOIT DE MANIÈRE RESTRICTIVE LE LIEN DE COMPATIBILITÉ ENTRE LES COMPÉTENCES DES ACTIONNAIRES ET L'OBJET D'UNE SPL

A. L'ÉMERGENCE D'UNE JURISPRUDENCE LIMITANT LA LIBERTÉ D'ACTION DES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES

Par une décision rendue en cassation le 14 novembre 2018 41 ( * ) , le Conseil d'État a précisé la nature du lien de compatibilité devant exister entre les compétences des collectivités territoriales ou de leurs groupements actionnaires de la SPL et l'objet social de cette dernière . En effet, l'article L. 1531-1 du CGCT se contente d'énoncer que les SPL peuvent être créées par les collectivités territoriales et leurs groupements « dans le cadre des compétences qui leur sont attribuées par la loi » .

Devant le caractère sibyllin des dispositions en cause, deux options d'interprétation étaient possibles. Le choix de la souplesse a prévalu pour les juges de première instance et d'appel, pour qui les SPL ne sont qu'un outil au service des collectivités et groupements actionnaires (1). À l'inverse, le juge de cassation semble considérer les SPL comme le prolongement organique des collectivités qui en sont actionnaires. Il a opéré un virage rigoriste pour rejoindre une ligne d'interprétation déjà présente dans la jurisprudence administrative (2).

1. Une analyse fonctionnelle des SPL conduisant à l'interprétation souple des juges de première instance et d'appel

Le tribunal administratif de Clermont-Ferrand était saisi d'une demande du préfet du Puy-de-Dôme tendant à annuler la décision du 29 mai 2013 par laquelle le syndicat mixte pour l'aménagement et le développement des Combrailles (SMADC) avait accepté la transformation de la société d'économie mixte pour l'exploitation des réseaux d'eau potable et d'assainissement en société publique locale dénommée « société d'exploitation mutualisée pour l'eau, l'environnement, les réseaux, l'assainissement dans l'intérêt du public » (SEMERAP) et a approuvé le projet de statuts de la société.

Afin d'interpréter le lien de compatibilité devant exister entre l'objet social de la SPL et les compétences des collectivités et groupements actionnaires, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand saisi en première instance a considéré que « si les collectivités territoriales et leurs groupements ne peuvent être actionnaires d'une société publique locale dont l'objet social ne comporterait aucune des compétences attribuées à ceux-ci, en revanche, il ne résulte pas des dispositions précitées de l'article L. 1531-1 du code général des collectivités territoriales que les actionnaires d'une société publique locale doivent être attributaires de l'ensemble des compétences regroupées dans l'objet social de la société publique locale » 42 ( * ) .

Le juge administratif présentait son raisonnement comme la conséquence logique des dispositions applicables, éclairées des débats parlementaires qui ont précédé l'adoption de la loi du 28 mai 2010 précitée. En ce sens, il considérait que « les sociétés publiques locales, qui revêtent la forme de société anonyme, ne constituent pas des établissements publics de coopération intercommunale à qui les membres adhérents transféreraient leurs compétences » , mais que ces sociétés sont « de simples outils d'intervention économique mis à la disposition des collectivités publiques afin qu'elles puissent assurer, le cas échéant et sous certaines conditions, la réalisation d'opérations dites de ?"prestations intégrées", non soumises aux procédures de passation des marchés publics ».

La cour administrative d'appel de Lyon traduisait cette acception souple en des termes différents, en considérant que le droit applicable fait « obstacle à ce qu'une [...] personne publique puisse être membre d'une société publique locale dont la partie prépondérante des missions outrepasserait son domaine de compétence » 43 ( * ) . Le juge d'appel a estimé que son considérant de principe était la conséquence directe des dispositions du CGCT lues à la lumière du droit européen de la commande publique.

Il privilégiait, lui aussi, une analyse fonctionnelle des SPL en considérant qu'il ne s'agit que d'un moyen donné aux collectivités territoriales et à leurs groupements pour éviter d'être soumis au droit de la commande publique .

Pour résumer cette logique, l'objet de la SPL ne peut pas être plus large que la somme des compétences des collectivités et des groupements qui en sont actionnaires et chaque actionnaire peut ne détenir que certaines des compétences en lien avec l'objet de la SPL pour justifier la détention de ses parts. Une fois cette condition préalable remplie, chaque actionnaire qui respecte les critères fixés par le droit européen, dont celui du contrôle analogue sur la SPL, peut exercer ses propres compétences au travers de la SPL.

Cette conception n'a toutefois pas été partagée par le Conseil d'État, juge de cassation.

2. Une interprétation organique des SPL justifiant le virage rigoriste du Conseil d'État

Dans sa décision du 14 novembre 2018, le Conseil d'État a pris le contre-pied des décisions de première instance et d'appel en considérant que « la participation d'une collectivité territoriale ou d'un groupement de collectivités territoriales à une société publique locale, qui lui confère un siège au conseil d'administration ou au conseil de surveillance et a nécessairement pour effet de lui ouvrir droit à participer au vote des décisions prises par ces organes, est exclue lorsque cette collectivité territoriale ou ce groupement de collectivités territoriales n'exerce pas l'ensemble des compétences sur lesquelles porte l'objet social de la société ».

La référence à la participation de la collectivité ou du groupement actionnaire aux instances de contrôle de la SPL montre que le juge de cassation n'aborde plus la SPL comme un outil au service de ses actionnaires mais comme leur prolongement organique. Le Conseil d'État semble ici considérer que si le représentant d'une collectivité participe à la gouvernance d'une société dont l'objet dépasse ses propres compétences, alors cette collectivité pourra, de fait, exercer des compétences qui ne lui sont pas attribuées par la loi. La conséquence de ce raisonnement est que chaque collectivité ou groupement actionnaire doit posséder l'ensemble des compétences correspondant à l'objet de la SPL, nonobstant les exceptions explicitement prévues par la loi 44 ( * ) .

Bien que différente de celles exprimées par les juges de première instance et d'appel statuant en l'espèce, la position prise par le Conseil d'État avait déjà été exprimée par plusieurs juridictions administratives de niveau inférieur à l'occasion d'affaires antérieures 45 ( * ) .

Le principe de cette jurisprudence paraît difficilement contournable pour les collectivités territoriales ou leurs groupements car le droit applicable ne semble pas leur permettre de renoncer à leurs prérogatives de gouvernance de la SPL au profit d'une simple capitalisation. Le code général des collectivités territoriales garantit au contraire leur représentation au conseil d'administration ou au conseil de surveillance de la SPL, même lorsqu'une collectivité ne détient qu'une faible fraction du capital social 46 ( * ) . Ces garanties sont d'ailleurs rappelées par le Conseil d'État pour justifier son considérant de principe. En outre, un apport libéré dans de telles conditions pourrait être requalifié de subvention et soumis aux règles applicables en matière d'aide publique aux entreprises.

Comme le souligne la doctrine, la problématique relative au lien de compatibilité entre compétences des collectivités et groupements actionnaires et objet social de la SPL est indépendante de celle des règles européennes applicables en matière d'« in house » , puisque « aucune restriction n'apparaît, dans la jurisprudence européenne, quant à l'objet susceptible d'être confié à une telle société. Les seuls véritables critères fixés au niveau européen tiennent au contrôle exercé par la collectivité territoriale » 47 ( * ) .

En conséquence, les travaux préparatoires de la loi du 28 mai 2010 précitée ne peuvent être mis à profit pour trancher le débat, puisqu'ils se focalisent principalement sur la soustraction des SPL aux règles de la commande publique 48 ( * ) . Ce point était d'ailleurs souligné dans le jugement du tribunal administratif de Clermont-Ferrand précité.


* 41 Conseil d'État, 14 novembre 2018, n° 405628.

* 42 TA Clermont-Ferrand, 1 er juillet 2014, n° 1301728.

* 43 Cour administrative d'appel de Lyon, chambres réunies, 4 octobre 2016, n° 14LY02753.

* 44 La décision du Conseil d'État fait référence au cas prévu par l'article L. 1521-1 du code général des collectivités territoriales qui vise les communes actionnaires de sociétés d'économie mixte locales, mais rendu applicable aux SPL par renvoi opéré par l'article L. 1531-1 du même code. Cet article dispose qu'une commune actionnaire d'une SEML dont l'objet social s'inscrit dans le cadre d'une compétence qu'elle a intégralement transférée à un établissement public de coopération intercommunale peut continuer à participer au capital de cette société à condition qu'elle cède à l'établissement public de coopération intercommunale plus des deux tiers des actions qu'elle détenait antérieurement au transfert de compétences.

* 45 Voir notamment, TA de Rennes, 11 avril 2013, n° 1203243, 1203244, 1203245, 1203246, 1203247, 1203248 et CAA Nantes, 19 septembre 2014, n° 13NT01683, Syndicat intercommunal de la Baie et autres.

* 46 Article L. 1524-5 du code général des collectivités territoriales rendu applicable aux SPL par renvoi opéré par l'article L. 1531-1 du même code.

* 47 Stéphanie Damarey, Quels actionnaires pour une société publique locale ? AJDA 2017, p. 62 et suivantes.

* 48 Voir notamment le rapport n° 430 (2008-2009) fait, en première lecture, au nom de la commission des lois du Sénat, par M. Jacques Mézard, rapporteur, disponible à l'adresse suivante :

http://www.senat.fr/rap/l08-430/l08-4301.pdf

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