C. LE STATUT DES DÉPUTÉS EUROPÉENS SUPPLÉMENTAIRES

1. Un statut de suivant de liste

La situation des cinq députés européens supplémentaires est « particulièrement singulière » : elle « entraîne une entrée en fonction différée pour une durée indéterminée » 37 ( * ) , qui dépendra de l'évolution des négociations entre l'Union européenne et le Royaume-Uni.

Le projet de loi initial reprenait les termes de la décision du Conseil européen du 28 juin 2018 38 ( * ) : il prévoyait que ces députés européens supplémentaires entreraient en fonction à la « date à laquelle le retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne produir[a] ses effets juridiques ».

Pour plus de clarté, nos collègues députés ont privilégié une formulation plus ramassée mentionnant uniquement « la date de retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne ». Cette formulation s'inspire directement de la loi n° 2019-30 du 19 janvier 2019 39 ( * ) .

Lors de leur entrée en fonction, les cinq députés européens supplémentaires devraient respecter les critères d'éligibilité fixés par l'article 5 de la loi n° 77-729 du 7 juillet 1977 précitée. À titre d'exemple, des citoyens placés sous tutelle ou curatelle seraient dans l'incapacité d'intégrer le Parlement européen.

Dans l'attente du retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne, les cinq députés européens supplémentaires seraient assimilés à des suivants de liste , ce qui implique deux conséquences.

D'une part, les droits et obligations attachés à la qualité de membre du Parlement européen ne leur seraient pas opposables avant leur entrée en fonction . Ainsi, ils ne bénéficieraient d'aucune indemnité ni d'aucune immunité parlementaire.

D'autre part, ces cinq députés européens supplémentaires pourraient être appelés à siéger au Parlement européen avant le Brexit , pour pourvoir un siège devenu vacant pour quelque cause que ce soit 40 ( * ) . Dans cette hypothèse, « le siège de représentant en attente d'entrée en fonction serait [...] pourvu par le premier suivant de liste non élu ».

Entrée en fonction des représentants français au Parlement européen

Source : Commission des lois du Sénat

2. Les précisions apportées concernant les incompatibilités

Dans son avis sur le projet de loi, le Conseil d'État a précisé que les incompatibilités ne seraient pas applicables aux cinq députés européens supplémentaires « avant qu'ils n'exercent effectivement leur mandat » 41 ( * ) .

Le régime des incompatibilités

Les incompatibilités correspondent à l'interdiction de cumuler un mandat électif, d'une part, et un autre mandat ou une autre fonction, d'autre part. Elles visent à garantir l'indépendance des élus et à prévenir les conflits d'intérêts.

Certaines incompatibilités sont directement fixées par l'acte électoral du 20 septembre 1976 42 ( * ) . À titre d'exemple, les représentants au Parlement européen ne peuvent pas exercer de fonction gouvernementale ni être membres de la Commission européenne.

En complément, les États membres peuvent astreindre leurs représentants à d'autres incompatibilités. La loi n° 77-729 du 7 juillet 1977 précitée prévoit ainsi quatre catégories d'incompatibilité pour les représentants français.

- Les incompatibilités avec des fonctions publiques non électives

Une activité de fonctionnaire est incompatible avec le mandat de député européen. En pratique, les fonctionnaires sont placés en disponibilité d'office et sont réintégrés dans leur administration à l'issue de leur mandat.

- Les incompatibilités avec des activités professionnelles dans le secteur privé

Un représentant français au Parlement européen a l'interdiction d'exercer certaines professions dans le secteur privé. À titre d'exemple, il ne peut pas être le directeur général d'une entreprise nationale.

- Les incompatibilités patrimoniales

De même, un représentant français n'est pas autorisé à détenir le contrôle capitalistique de certaines entreprises, notamment lorsqu'il s'agit de sociétés de conseil.

- Les incompatibilités avec d'autres mandats électifs

Depuis 2014 43 ( * ) , un représentant français au Parlement européen a l'interdiction d'exercer un mandat exécutif local (maire, président d'un conseil départemental, président du conseil d'administration d'un établissement public local, etc .).

En outre, il ne peut pas détenir plus d'un mandat non exécutif local (conseiller municipal dans une commune de 1 000 habitants et plus, conseiller départemental, etc .).

La plupart de ces incompatibilités ne soulèvent pas de difficultés pour les cinq députés européens supplémentaires. À compter de leur entrée en fonction, ils devraient y mettre fin 44 ( * ) :

- dans les trente jours, s'agissant des incompatibilités avec des fonctions publiques non électives et avec des activités professionnelles dans le secteur privé ;

- ou dans les trois mois, en ce qui concerne les incompatibilités patrimoniales.

L'application des incompatibilités avec les autres mandats électifs est plus délicate .

Conformément à l'article 6-3 de la loi n° 77-729 du 7  juillet 1977 précitée, les cinq députés européens supplémentaires devraient y mettre fin « au plus tard le trentième jour qui suit la proclamation des résultats ». À défaut, le mandat acquis à la date la plus ancienne prendrait fin de plein droit.

Or, les députés européens supplémentaires pourraient entrer en fonction plusieurs mois après le 30 mai 2019, date de proclamation des résultats .

L'incompatibilité avec d'autres mandats électifs : un exemple fictif

Un candidat aux élections européennes de 2019 est élu en tant que député européen supplémentaire . Il entrera en fonction à compter du retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne.

La commission nationale de recensement des votes proclame les résultats des élections européennes le 30 mai 2019.

Le retrait du Royaume-Uni étant de nouveau reporté, ce candidat se présente aux élections municipales de mars 2020 et est élu maire .

Le Royaume-Uni quitte finalement l'Union européenne au 1 er janvier 2021 . Le candidat est appelé à siéger au Parlement européen et doit donc démissionner de son mandat de maire , acquis antérieurement.

En l'état du droit 45 ( * ) , ce candidat devra mettre fin à l'incompatibilité dans un délai de trente jours à compter de la proclamation des résultats des élections européennes, soit jusqu'au 29 mai 2019. Cette disposition serait toutefois inapplicable , le candidat ayant acquis son mandat de maire postérieurement, en mars 2020.

L'Assemblée nationale a donc souhaité préciser les modalités d'application de cette incompatibilité aux cinq députés européens supplémentaires .

En concertation avec votre rapporteur, l'amendement de Mme Coralie Dubost, rapporteur de la commission des lois de l'Assemblée nationale, s'inspire de l'article 24 de la loi n° 77-729 du 7 juillet 1977 précitée, applicable aux suivants de liste appelés à pourvoir un siège vacant.

S'ils se trouvent dans une situation d'incompatibilité entre plusieurs mandats électifs, les députés européens supplémentaires disposeraient de trente jours à compter de leur entrée en fonction au Parlement européen pour y mettre fin 46 ( * ) .


* 37 Étude d'impact du projet de loi, p. 8.

* 38 Décision 2018/937 fixant la composition du Parlement européen.

* 39 Loi habilitant le Gouvernement à prendre par ordonnances les mesures de préparation au retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne.

* 40 Décès d'un député européen en fonction, démission, inéligibilité à la suite d'une condamnation pénale, etc .

* 41 Avis n° 397648 du 18 avril 2019 sur le projet de loi.

* 42 Acte du Conseil de l'Union européenne portant élection des membres du Parlement européen au suffrage universel direct.

* 43 Loi n° 2014-126 du 14 février 2014 interdisant le cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de représentant au Parlement européen.

* 44 Article 6 de la loi n° 77-729 du 7 juillet 1977 précitée.

* 45 Article 6-3 de la loi n° 77-729 du 7 juillet 1977 précitée.

* 46 À défaut, le mandat acquis à la date la plus ancienne prendrait fin de plein droit.

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