B. LA LOI BICHET DU 2 AVRIL 1947 : LA MISE EN PLACE DES GRANDS PRINCIPES QUI GOUVERNENT LA DISTRIBUTION DE LA PRESSE

La mise en oeuvre de ces objectifs ambitieux repose sur trois grands principes , organisés autour d'une séparation entre : le pouvoir décisionnel , confié aux éditeurs et l'organisation matérielle , qui reviendra jusqu'en 2011 au groupe Hachette.

Ces grands principes, inchangés depuis, sont la liberté de diffusion , avec le choix par l'éditeur de son mode de distribution, l' impartialité dans la distribution des journaux et la solidarité coopérative entre éditeurs. Ils se comprennent comme des garants de la liberté de la presse, et ont été renforcés par la décision QPC du 7 janvier 2016 par laquelle le Conseil constitutionnel a rappelé que le système de distribution de la presse « concourt à garantir le pluralisme et l'indépendance des quotidiens d'information politique et générale », soit « des objectifs de valeur constitutionnelle ».

1. La liberté de distribution

L'article 1 er de la loi Bichet dispose que « La diffusion de la presse imprimée est libre ». L'article précise de plus que « Toute entreprise de presse est libre d'assurer elle-même la distribution de ses propres journaux et publications périodiques par les moyens qu'elle jugera les plus convenables à cet effet ».

Cette liberté est une conséquence directe de l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 et qui participe de la liberté d'expression et de communication des idées.

Elle s'étend à tous les modes de distribution : abonnement, portage, ou vente au numéro. Les éditeurs ont donc la pleine maitrise de leurs canaux de distribution .

La presse régionale et départementale, qui représente la plus grosse partie des ventes en France, a choisi d'assurer elle-même sa distribution .

Cette liberté n'est cependant pas absolue. Un tempérament lui est immédiatement apporté par l'article 2 de la loi précitée, qui impose dans certains cas le statut coopératif de la distribution .

2. Le principe coopératif et ses conséquences
a) Un principe au coeur des équilibres de la loi Bichet

Si les éditeurs sont, en application de l'article 1 er , libres de choisir leur mode de distribution, cette liberté est encadrée . Ainsi, l'article 2 de la loi précitée tempère cette capacité en précisant que « le groupage et la distribution de plusieurs journaux et publications périodiques ne peuvent être assurés que par des sociétés coopératives de messageries de presse soumises aux dispositions de la présente loi . »

Le principe coopératif , qui est l'objet principal de la loi Bichet, impose donc aux éditeurs qui souhaiteraient mutualiser les opérations une forme juridique spécifique, la coopérative . Le statut des sociétés coopératives a été défini six mois après l'adoption de la loi Bichet, par la loi du 10 septembre 1947 portant statut de la coopération. Son adoption par une société emporte un certain nombre d'obligations, en particulier l'égalité des voix entre actionnaires ou associés , quel que soit leur participation au capital de l'entreprise (article 1 de la loi du 10 septembre 1947) ou leur date d'entrée (article 4 de la loi de cette même loi). Adoptée préalablement, la loi Bichet dispose en son article 10 que « Quel que soit le nombre des parts sociales dont il est titulaire, chaque sociétaire ne pourra disposer, à titre personnel, dans les assemblées générales, que d'une seule voix . » Il existe donc une égalité absolue entre les associés, sans considération de l'importance relative de la publication .

Le cadre coopératif qui s'impose aux opérations de groupage et de distribution, et ses conséquences pour la société, adopté à l'époque pour éviter la reconstitution du monopole d'Hachette, est décliné de l'article 2 à l'article 16 de la loi Bichet . Les dispositions les plus significatives sont les suivantes :

- la limitation des opérations des messageries aux « seules opérations de distribution et de groupage des journaux et publications périodiques » ( article 4 ) ;

- la limitation de l'accès au capital de la messagerie aux seuls propriétaires de journaux et périodiques qui auront pris l'engagement de conclure un contrat avec elle (article 5) et, corrélativement, l'obligation d'accueillir au capital tout propriétaire de journaux ou périodiques qui désirerait bénéficier des services de la messagerie (article 6). Ces deux articles offrent à chaque éditeur la possibilité d'accéder au réseau de distribution .

Cet accès au réseau pour tous repose sur une idée générale de non-discrimination par les prix ou par l'accès aux services de la messagerie . L'article 12 de la loi pose en effet le principe de la solidarité entre les coopérants . Les tarifs appliqués aux éditeurs sont approuvés par l'Assemblée générale - où chacun dispose d'une seule voix-, et les barèmes sont établis « dans le respect des principes de solidarité entre coopératives et au sein d'une coopérative et de préservation des équilibres économiques du système collectif de distribution de la presse ». L'objectif est donc d'assurer « l'égalité des éditeurs face au système de distribution » et de « répartir entre toutes les entreprises de presse adhérant aux coopératives, de façon objective, transparente et non discriminatoire, la couverture des coûts de la distribution, y compris des surcoûts spécifiques induits par la distribution des quotidiens et qui ne peuvent être évités . »

Ces dispositions président à la création d'un cadre unifié de la distribution. Ainsi, les barèmes ont vocation à s'appliquer de manière identique à toutes les publications, la répartition des coûts entre éditeurs permettant d'assurer cette égalité. L'article mentionne explicitement les « surcoûts spécifiques » de la distribution de la presse quotidienne, qui ont vocation à être couverts par les autres publications.

b) Une « exception commerciale » devenue la norme

Si la distribution de la presse au numéro ne peut être assurée que par des sociétés coopératives détenues par les propriétaires de journaux, une exception importante à ce principe prévu à l'article 4 est devenue rapidement la norme . Il est ainsi précisé que « Si les sociétés coopératives décident de confier l'exécution de certaines opérations matérielles à des entreprises commerciales, elles devront s'assurer une participation majoritaire dans la direction de ces entreprises, leur garantissant l'impartialité de cette gestion et la surveillance de leurs comptabilités . ».

Adoptée dans un esprit pragmatique, afin de permettre des coopérations avec le secteur privé sans dénaturer le principe coopératif, cette exception a trouvé à s'appliquer dès le 16 avril 1947, soit deux semaines après l'adoption de la loi, avec la création des Nouvelles messageries de la presse parisienne (NMPP) , dont le capital est alors détenu à 51 % par les éditeurs et à 49 % par Hachette.

Ce retour de la « pieuvre verte » est jugé à l'époque comme un « moindre mal », le contrôle de la majorité du capital restant acquis aux éditeurs, mais surtout comme le moyen de continuer à bénéficier de l'infrastructure logistique préexistante, dont il aurait été difficile et très coûteux de se passer .

Cette organisation a perduré jusqu'en 2011 , suite à une évolution en trois étapes :

- au terme d'une réorganisation interne, les NMPP changent de nom et deviennent Presstalis le 10 décembre 2009 ;

- le groupe Lagardère cède fin mai 2011, pour un euro symbolique, sa participation dans la société, mettant fin à la présence historique du groupe dans la distribution de presse ;

- Presstalis devient, le 1 er juillet 2011, une société par actions simplifiées (SAS), détenue à 75 % par une coopérative de magazines (CDM) et à 25 % par une coopérative de quotidiens (CDQ).

Les NMPP, devenues Presstalis, sont confrontées dès l'origine à une contradiction. D'une part, elles sont l'héritière d'un groupe monopolistique , dénoncé à la fois pour son emprise sur le secteur et pour son positionnement ambigu durant l'Occupation. D'autre part, le syndicat CGT du Livre y joue dès l'origine un rôle dominant , obtenant pour les salariés des conditions de travail et de rémunération particulièrement favorables.

Considéré comme un monopole naturel en raison de coûts d'infrastructure que rend nécessaire l'acheminement chaque jour des quotidiens dans les milliers de point de distribution, l'équilibre économique de la société a longtemps été profondément dépendant d'un marché en forte croissance .

3. Une distribution solidaire

La forme coopérative et les dispositions de la loi Bichet permettent de garantir l'égalité de traitement entre les journaux .

D'une part, l'accès au réseau pour tous les journaux est explicitement protégé. Les débats parlementaires de 1947 montrent toute l'attention portée aux équilibres. Ainsi, c'est à l'initiative de René Thuillier, du groupe communiste, qu'il est fait interdiction aux coopératives de refuser de distribuer des journau x, interdiction qui figure à l'article 6 de la loi. Comme le déclarait Robert Bichet à la tribune de l'Assemblée national : « Une des conditions nécessaires de la véritable liberté de la presse est donc la garantie donnée à tous les journaux, à tous les périodiques, d'équitables et justes conditions de transport et de diffusion ».

D'autre part, l'article 12 de la loi prévoit de manière plus large la solidarité coopérative entre les éditeurs, qui s'étend à la fixation des prix . Il y est précisé que « Ils [les barèmes] sont fixés dans le respect des principes de solidarité entre coopératives et au sein d'une coopérative et de préservation des équilibres économiques du système collectif de distribution de la presse. Ces principes permettent d'assurer l'égalité des éditeurs face au système de distribution grâce à une gestion démocratique, efficiente et désintéressée des moyens mis en commun. Ils permettent également de répartir entre toutes les entreprises de presse adhérant aux coopératives, de façon objective, transparente et non discriminatoire, la couverture des coûts de la distribution , y compris des surcoûts spécifiques induits par la distribution des quotidiens et qui ne peuvent être évité, que ce soit en termes de tarifs, fixés par des barèmes adoptés en assemblée générale, d'accès au réseau, mais également dans la diffusion, qui ne peut être restreinte ».

Enfin, l'égalité entre sociétaires , qui constitue le propre de la gestion coopérative, est fixée à l'article 10, qui dispose que chaque associé, quel que soit le nombre de parts sociales qu'il détient, ne dispose que d'une seule voix 2 ( * ) .

Les grands principes définis par la loi Bichet de 1947 organisent un système conçu pour assurer, avec la meilleure efficacité possible et au bénéfice de tous la distribution des journaux sur l'ensemble du territoire. Deux grands circuits sont donc possibles pour la diffusion des journaux :

- ou bien l'éditeur choisit d'utiliser ses propres moyens pour assurer la diffusion de ses titres, ce qui est la pratique de la presse quotidienne régionale ;

- ou bien l'éditeur choisit de mutualiser les moyens , et dans ce cas, il ne peut recourir qu'à une messagerie soumise aux règles définies par la loi d'avril 1947.


* 2 En dépit de son inscription dans la loi, ce principe sera remis en cause chez Presstalis, voir supra .

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