Rapport n° 501 (2018-2019) de M. Michel LAUGIER , fait au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, déposé le 15 mai 2019

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N° 501

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2018-2019

Enregistré à la Présidence du Sénat le 15 mai 2019

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication (1) sur le projet de loi (procédure accélérée) relatif à la modernisation de la distribution de la presse ,

Par M. Michel LAUGIER,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : Mme Catherine Morin-Desailly , présidente ; M. Max Brisson, Mme Catherine Dumas, MM. Jacques Grosperrin, Antoine Karam, Mme Françoise Laborde, MM. Jean-Pierre Leleux, Jacques-Bernard Magner, Mme Colette Mélot, M. Pierre Ouzoulias, Mme Sylvie Robert , vice-présidents ; MM. Alain Dufaut, Claude Kern, Mme Claudine Lepage, M. Michel Savin , secrétaires ; MM. Maurice Antiste, David Assouline, Mmes Annick Billon, Maryvonne Blondin, Céline Boulay-Espéronnier, Marie-Thérèse Bruguière, Céline Brulin, M. Joseph Castelli, Mmes Laure Darcos, Nicole Duranton, M. André Gattolin, Mme Samia Ghali, MM. Abdallah Hassani, Jean-Raymond Hugonet, Mmes Mireille Jouve, Claudine Kauffmann, MM. Guy-Dominique Kennel, Laurent Lafon, Michel Laugier, Mme Vivette Lopez, MM. Jean-Jacques Lozach, Claude Malhuret, Christian Manable, Jean-Marie Mizzon, Mme Marie-Pierre Monier, MM. Philippe Nachbar, Olivier Paccaud, Stéphane Piednoir, Mme Sonia de la Provôté, MM. Damien Regnard, Bruno Retailleau, Jean-Yves Roux, Alain Schmitz, Mme Dominique Vérien .

Voir les numéros :

Sénat :

451 et 502 (2018-2019)

LISTE DES PRINCIPALES PROPOSITIONS
DE VOTRE COMMISSION

Une régulation plus efficace et transparente

Ø Extension des pouvoirs de l'ARCEP en cas de non-conformité de l'accord interprofessionnel aux principes posés par la loi, au moment de sa conclusion ou en cours d'exécution.

Ø Possibilité pour les commissions parlementaires de saisir l'ARCEP sur la question de la distribution de la presse.

Réaffirmer la place des diffuseurs de presse au centre du système
et garantir leur présence sur le territoire

Ø Droit de présentation des éditeurs de presse auprès des diffuseurs.

Ø Obligation pour les diffuseurs de presse de mettre à disposition de leurs clients les titres de presse « CPPAP » qui leur sont livrés.

Ø Consultation des organisations professionnelles des diffuseurs de presse pour fixer leur rémunération.

Ø Consultation du maire de la commune concernée avant toute décision d'implantation.

Une sécurisation des conditions de diffusion

Ø Rétablissement de l'obligation de réunir trois entreprises de presse pour former une coopérative.

Ø Sécurisation de l'agrément par une mention dans le cahier des charges des fonctions logistiques et financières que doivent respecter les sociétés agréées.

Ø Meilleure visibilité donnée aux acteurs historiques sur le schéma territorial.

Ø Garantie sur la continuité de la distribution à l'issue de la période de transition.

AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

Attendu depuis la fin d'une année 2017 qui a vu le principal opérateur de la distribution de la presse, Presstalis, menacer de s'effondrer, le présent projet de loi, déposé en premier lieu sur le Bureau du Sénat , propose une réforme complète de la loi « Bichet » du 2 avril 1947.

Adoptée au lendemain de la Libération, cette loi a créé un cadre unique au monde, qui a permis à la presse française de s'épanouir et de participer pleinement au débat démocratique. La crise qui secoue le secteur depuis plus de 10 ans, une gestion peu efficace et un manque de confiance global ont cependant sapé les fondements du système. Dès lors, et en dépit des révisions de 2011 et 2015, il est apparu nécessaire de faire évoluer le schéma de la distribution de la presse en France.

Cette véritable « révolution » ne doit pas pour autant remettre en cause la spécificité et la place éminente de la presse dans notre pays , qui justifie une attention particulière des pouvoirs publics. Votre Rapporteur a donc tenu, dans le cadre de son analyse du texte, à adopter une approche pragmatique , visant à prévenir de futurs déboires industriels et financiers du secteur, mais également respectueuse des acquis incontestables de la loi de 1947.

Le projet de loi répond dans l'ensemble à cette préoccupation, ce dont on ne peut que se féliciter. Cependant, son adoption ne règlera pas l'ensemble des difficultés du secteur, à commencer par l'indispensable adossement de Presstalis à un opérateur d'envergure nationale .

I. UN RÉGIME DE LA DISTRIBUTION DE LA PRESSE UNIQUE DANS LE MONDE

A. LA LOI « BICHET » DU 2 AVRIL 1947 : UN HÉRITAGE DU CONSEIL NATIONAL DE LA RÉSISTANCE

1. La spécificité de la distribution de la presse en France

La spécificité du circuit de la distribution de la presse en France, unique au monde sous cette forme, s'explique par la combinaison de deux facteurs .

Le premier est le statut juridique dont la presse bénéficie en France, comme condition nécessaire au débat démocratique, reconnu à l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, confirmé par la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. Dans une décision de 1984 , le Conseil constitutionnel a ainsi précisé : « Considérant que le pluralisme des quotidiens d'information politique et générale auquel sont consacrées les dispositions du titre II de la loi est en lui-même un objectif de valeur constitutionnelle ; qu'en effet la libre communication des pensées et des opinions, garantie par l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, ne serait pas effective si le public auquel s'adressent ces quotidiens n'était pas à même de disposer d'un nombre suffisant de publications de tendances et de caractères différents ; qu'en définitive l'objectif à réaliser est que les lecteurs qui sont au nombre des destinataires essentiels de la liberté proclamée par l'article 11 de la Déclaration de 1789 soient à même d'exercer leur libre choix sans que ni les intérêts privés ni les pouvoirs publics puissent y substituer leurs propres décisions ni qu'on puisse en faire l'objet d'un marché ».

Le second facteur est le caractère éphémère de la publication de presse . À la différence des livres, la presse, notamment la presse quotidienne, a une durée de vie très courte, cette brièveté étant encore renforcée par le développement d'Internet. Dès lors, et comme corollaire de la place de la presse comme garante d'un débat pluraliste, il est apparu nécessaire d'organiser un circuit à même de fournir les quotidiens sur l'ensemble du territoire dans des délais extrêmement brefs entre l'impression et la présentation au lecteur.

La distribution de la presse à l'étranger

La France est le seul pays qui dispose d'un système et de règles spécifiques pour la distribution de la presse. Partout ailleurs, elle est considérée au même titre que les autres biens, distribuée selon les règles contractuelles usuelles. Cela a pour conséquence la liberté d'ouverture des points de vente et la possibilité de la part des vendeurs de refuser certains titres, deux éléments qui font l'objet d'un encadrement très strict en France.

2. Une loi fondatrice à la genèse difficile

La loi n° 47-585 du 2 avril 1947 relative au statut des entreprises de groupage et de distribution des journaux et publications périodiques organise depuis plus de 70 ans la distribution de la presse en France.

Elle est une des grandes lois issue des travaux du Conseil national de la Résistance . Adoptée alors que Paul Ramadier est président du Conseil du dernier gouvernement d'Union Nationale à rassembler toutes les forces politiques issues de la Libération, elle est le fruit d'un compromis entre les intérêts divergents des éditeurs, des partis politiques et de l'opérateur historique d'avant-guerre, le groupe Hachette.

L'objectif de la loi est de créer un cadre permettant la distribution sans discrimination de la presse sur l'ensemble du territoire, à une époque où elle constitue le principal canal d'information.

3. À l'origine de la loi « Bichet » du 2 avril 1947

A la veille de la seconde guerre mondiale 1 ( * ) , les Messageries Hachette sont l'acteur dominant de la distribution de presse en France. Plus de 80 000 vendeurs et 20 000 dépositaires dépendent directement d'elles. Aucun concurrent n'a pu émerger, en dépit de quelques tentatives.

Cette prééminence ne va pas sans susciter des critiques, de la part des éditeurs, d'une part, qui dénoncent régulièrement le pouvoir de censure dont jouiraient les Messageries, d'autre part du monde politique, qui s'inquiète de la puissance financière et de l'influence de la « pieuvre verte » Hachette.

Ces critiques vont ressurgir à l'issue du conflit en 1945. Les Messageries Hachette, qui ont adopté pendant la guerre une attitude « conciliante » que d'aucun assimilent à de la collaboration avec les allemands, sont menacées de nationalisation dès la Libération. Fernand Grenier, président de la commission de l'Information de l'Assemblée consultative d'Alger et proche du général de Gaulle, élabore un projet en ce sens, qui fait alors l'unanimité des gaullistes, des démocrates-chrétiens, des communistes et des socialistes.

Dans un premier temps, les Messageries Hachette sont ainsi quasiment nationalisées et remplacées par les Messageries françaises de presse (MFP).

Cette nouvelle société souffre cependant d'une gestion peu rigoureuse et rencontre très vite de graves difficultés financières. En 1946, après avoir recouru aux avances bancaires et mis le matériel sous hypothèque, les MFP retardent les versements aux éditeurs, signe que l'activité n'est en l'état pas rentable.

De son côté, Hachette investit son savoir-faire et ses considérables ressources financières dans une nouvelle société, l'Expéditive, qui concurrence directement les MFP et débauche les principaux journaux. La lutte entre ces deux acteurs sera dénoncée par Fernand Grenier, qui soulignera l'absurdité de maintenir deux systèmes de distribution parallèle , indiquant dans une intervention à l'Assemblée nationale le 27 mars 1947 le danger que cela faisait de plus peser sur « la santé des chauffeurs ».

Le 11 février 1947, contre l'avis d'un parti communiste pourtant considéré comme influent, les ouvriers du livre déclenchent une grève qui durera plus d'un mois et conduira à la fin des MFP . Au côté de Daniel Mayeur, qui, pour la SFIO, déclarera le 19 février à propos des grévistes : « Ils ne font pas du syndicalisme, mais du corporatisme », le ministre du travail communiste de l'époque, Ambroise Croizat, fera publiquement état le 25 janvier 1947 de son opposition, alors que la grève vient d'être annoncée : « ces ouvriers reçoivent des salaires supérieurs à ceux de leurs camarades des autres professions et ils font souvent deux services, soit un double salaire ».

C'est dans ce contexte de crise que le député MRP Robert Bichet dépose, le 20 février 1947, une proposition de loi.

Son objet est de concilier tout à la fois les exigences de la liberté de la presse, qui passent par un système de distribution efficace que seules les Messageries Hachette semblent en mesure d'assurer, l'exigence d'impartialité et de neutralité et la méfiance d'une grande partie de la classe politique vis-à-vis d'Hachette. L'auteur de la proposition déclare ainsi « Je ne veux pas qu'à la tyrannie de l'argent se substitue la tyrannie d'un parti ou d'une majorité. ».

Dès le 16 avril 1947, soit deux semaines après l'adoption de la loi, sont ainsi créées les Nouvelles messageries de la presse parisienne (NMPP), détenue à 51 % par les éditeurs et à 49 % par le groupe Hachette.

Les grands principes de la loi Bichet, encore d'actualité 70 ans après son adoption, sont hérités de ce contexte historique.

B. LA LOI BICHET DU 2 AVRIL 1947 : LA MISE EN PLACE DES GRANDS PRINCIPES QUI GOUVERNENT LA DISTRIBUTION DE LA PRESSE

La mise en oeuvre de ces objectifs ambitieux repose sur trois grands principes , organisés autour d'une séparation entre : le pouvoir décisionnel , confié aux éditeurs et l'organisation matérielle , qui reviendra jusqu'en 2011 au groupe Hachette.

Ces grands principes, inchangés depuis, sont la liberté de diffusion , avec le choix par l'éditeur de son mode de distribution, l' impartialité dans la distribution des journaux et la solidarité coopérative entre éditeurs. Ils se comprennent comme des garants de la liberté de la presse, et ont été renforcés par la décision QPC du 7 janvier 2016 par laquelle le Conseil constitutionnel a rappelé que le système de distribution de la presse « concourt à garantir le pluralisme et l'indépendance des quotidiens d'information politique et générale », soit « des objectifs de valeur constitutionnelle ».

1. La liberté de distribution

L'article 1 er de la loi Bichet dispose que « La diffusion de la presse imprimée est libre ». L'article précise de plus que « Toute entreprise de presse est libre d'assurer elle-même la distribution de ses propres journaux et publications périodiques par les moyens qu'elle jugera les plus convenables à cet effet ».

Cette liberté est une conséquence directe de l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 et qui participe de la liberté d'expression et de communication des idées.

Elle s'étend à tous les modes de distribution : abonnement, portage, ou vente au numéro. Les éditeurs ont donc la pleine maitrise de leurs canaux de distribution .

La presse régionale et départementale, qui représente la plus grosse partie des ventes en France, a choisi d'assurer elle-même sa distribution .

Cette liberté n'est cependant pas absolue. Un tempérament lui est immédiatement apporté par l'article 2 de la loi précitée, qui impose dans certains cas le statut coopératif de la distribution .

2. Le principe coopératif et ses conséquences
a) Un principe au coeur des équilibres de la loi Bichet

Si les éditeurs sont, en application de l'article 1 er , libres de choisir leur mode de distribution, cette liberté est encadrée . Ainsi, l'article 2 de la loi précitée tempère cette capacité en précisant que « le groupage et la distribution de plusieurs journaux et publications périodiques ne peuvent être assurés que par des sociétés coopératives de messageries de presse soumises aux dispositions de la présente loi . »

Le principe coopératif , qui est l'objet principal de la loi Bichet, impose donc aux éditeurs qui souhaiteraient mutualiser les opérations une forme juridique spécifique, la coopérative . Le statut des sociétés coopératives a été défini six mois après l'adoption de la loi Bichet, par la loi du 10 septembre 1947 portant statut de la coopération. Son adoption par une société emporte un certain nombre d'obligations, en particulier l'égalité des voix entre actionnaires ou associés , quel que soit leur participation au capital de l'entreprise (article 1 de la loi du 10 septembre 1947) ou leur date d'entrée (article 4 de la loi de cette même loi). Adoptée préalablement, la loi Bichet dispose en son article 10 que « Quel que soit le nombre des parts sociales dont il est titulaire, chaque sociétaire ne pourra disposer, à titre personnel, dans les assemblées générales, que d'une seule voix . » Il existe donc une égalité absolue entre les associés, sans considération de l'importance relative de la publication .

Le cadre coopératif qui s'impose aux opérations de groupage et de distribution, et ses conséquences pour la société, adopté à l'époque pour éviter la reconstitution du monopole d'Hachette, est décliné de l'article 2 à l'article 16 de la loi Bichet . Les dispositions les plus significatives sont les suivantes :

- la limitation des opérations des messageries aux « seules opérations de distribution et de groupage des journaux et publications périodiques » ( article 4 ) ;

- la limitation de l'accès au capital de la messagerie aux seuls propriétaires de journaux et périodiques qui auront pris l'engagement de conclure un contrat avec elle (article 5) et, corrélativement, l'obligation d'accueillir au capital tout propriétaire de journaux ou périodiques qui désirerait bénéficier des services de la messagerie (article 6). Ces deux articles offrent à chaque éditeur la possibilité d'accéder au réseau de distribution .

Cet accès au réseau pour tous repose sur une idée générale de non-discrimination par les prix ou par l'accès aux services de la messagerie . L'article 12 de la loi pose en effet le principe de la solidarité entre les coopérants . Les tarifs appliqués aux éditeurs sont approuvés par l'Assemblée générale - où chacun dispose d'une seule voix-, et les barèmes sont établis « dans le respect des principes de solidarité entre coopératives et au sein d'une coopérative et de préservation des équilibres économiques du système collectif de distribution de la presse ». L'objectif est donc d'assurer « l'égalité des éditeurs face au système de distribution » et de « répartir entre toutes les entreprises de presse adhérant aux coopératives, de façon objective, transparente et non discriminatoire, la couverture des coûts de la distribution, y compris des surcoûts spécifiques induits par la distribution des quotidiens et qui ne peuvent être évités . »

Ces dispositions président à la création d'un cadre unifié de la distribution. Ainsi, les barèmes ont vocation à s'appliquer de manière identique à toutes les publications, la répartition des coûts entre éditeurs permettant d'assurer cette égalité. L'article mentionne explicitement les « surcoûts spécifiques » de la distribution de la presse quotidienne, qui ont vocation à être couverts par les autres publications.

b) Une « exception commerciale » devenue la norme

Si la distribution de la presse au numéro ne peut être assurée que par des sociétés coopératives détenues par les propriétaires de journaux, une exception importante à ce principe prévu à l'article 4 est devenue rapidement la norme . Il est ainsi précisé que « Si les sociétés coopératives décident de confier l'exécution de certaines opérations matérielles à des entreprises commerciales, elles devront s'assurer une participation majoritaire dans la direction de ces entreprises, leur garantissant l'impartialité de cette gestion et la surveillance de leurs comptabilités . ».

Adoptée dans un esprit pragmatique, afin de permettre des coopérations avec le secteur privé sans dénaturer le principe coopératif, cette exception a trouvé à s'appliquer dès le 16 avril 1947, soit deux semaines après l'adoption de la loi, avec la création des Nouvelles messageries de la presse parisienne (NMPP) , dont le capital est alors détenu à 51 % par les éditeurs et à 49 % par Hachette.

Ce retour de la « pieuvre verte » est jugé à l'époque comme un « moindre mal », le contrôle de la majorité du capital restant acquis aux éditeurs, mais surtout comme le moyen de continuer à bénéficier de l'infrastructure logistique préexistante, dont il aurait été difficile et très coûteux de se passer .

Cette organisation a perduré jusqu'en 2011 , suite à une évolution en trois étapes :

- au terme d'une réorganisation interne, les NMPP changent de nom et deviennent Presstalis le 10 décembre 2009 ;

- le groupe Lagardère cède fin mai 2011, pour un euro symbolique, sa participation dans la société, mettant fin à la présence historique du groupe dans la distribution de presse ;

- Presstalis devient, le 1 er juillet 2011, une société par actions simplifiées (SAS), détenue à 75 % par une coopérative de magazines (CDM) et à 25 % par une coopérative de quotidiens (CDQ).

Les NMPP, devenues Presstalis, sont confrontées dès l'origine à une contradiction. D'une part, elles sont l'héritière d'un groupe monopolistique , dénoncé à la fois pour son emprise sur le secteur et pour son positionnement ambigu durant l'Occupation. D'autre part, le syndicat CGT du Livre y joue dès l'origine un rôle dominant , obtenant pour les salariés des conditions de travail et de rémunération particulièrement favorables.

Considéré comme un monopole naturel en raison de coûts d'infrastructure que rend nécessaire l'acheminement chaque jour des quotidiens dans les milliers de point de distribution, l'équilibre économique de la société a longtemps été profondément dépendant d'un marché en forte croissance .

3. Une distribution solidaire

La forme coopérative et les dispositions de la loi Bichet permettent de garantir l'égalité de traitement entre les journaux .

D'une part, l'accès au réseau pour tous les journaux est explicitement protégé. Les débats parlementaires de 1947 montrent toute l'attention portée aux équilibres. Ainsi, c'est à l'initiative de René Thuillier, du groupe communiste, qu'il est fait interdiction aux coopératives de refuser de distribuer des journau x, interdiction qui figure à l'article 6 de la loi. Comme le déclarait Robert Bichet à la tribune de l'Assemblée national : « Une des conditions nécessaires de la véritable liberté de la presse est donc la garantie donnée à tous les journaux, à tous les périodiques, d'équitables et justes conditions de transport et de diffusion ».

D'autre part, l'article 12 de la loi prévoit de manière plus large la solidarité coopérative entre les éditeurs, qui s'étend à la fixation des prix . Il y est précisé que « Ils [les barèmes] sont fixés dans le respect des principes de solidarité entre coopératives et au sein d'une coopérative et de préservation des équilibres économiques du système collectif de distribution de la presse. Ces principes permettent d'assurer l'égalité des éditeurs face au système de distribution grâce à une gestion démocratique, efficiente et désintéressée des moyens mis en commun. Ils permettent également de répartir entre toutes les entreprises de presse adhérant aux coopératives, de façon objective, transparente et non discriminatoire, la couverture des coûts de la distribution , y compris des surcoûts spécifiques induits par la distribution des quotidiens et qui ne peuvent être évité, que ce soit en termes de tarifs, fixés par des barèmes adoptés en assemblée générale, d'accès au réseau, mais également dans la diffusion, qui ne peut être restreinte ».

Enfin, l'égalité entre sociétaires , qui constitue le propre de la gestion coopérative, est fixée à l'article 10, qui dispose que chaque associé, quel que soit le nombre de parts sociales qu'il détient, ne dispose que d'une seule voix 2 ( * ) .

Les grands principes définis par la loi Bichet de 1947 organisent un système conçu pour assurer, avec la meilleure efficacité possible et au bénéfice de tous la distribution des journaux sur l'ensemble du territoire. Deux grands circuits sont donc possibles pour la diffusion des journaux :

- ou bien l'éditeur choisit d'utiliser ses propres moyens pour assurer la diffusion de ses titres, ce qui est la pratique de la presse quotidienne régionale ;

- ou bien l'éditeur choisit de mutualiser les moyens , et dans ce cas, il ne peut recourir qu'à une messagerie soumise aux règles définies par la loi d'avril 1947.

C. L'ORGANISATION DE LA DISTRIBUTION DE LA PRESSE EN FRANCE

1. Un réseau de vente minoritaire dans la diffusion de la presse

Selon les données rassemblées par l'Alliance pour les chiffres de la presse et des médias (ACPM), la diffusion totale de la presse payée en France s'établit en 2017 à 3,2 milliards d'exemplaires . Depuis 2012, les ventes totales baissent en moyenne de plus de 3 % par an.

Le réseau des vendeurs représente un peu moins de 35,11 % du total, avec 1,122 milliard d'exemplaires vendus en 2017. Le portage représente le deuxième vecteur de diffusion, avec 32,7 %, suivi de l'abonnement avec 19,58 %.

Depuis 2006, les ventes au numéro ont diminué de plus de 52 % en volume et de 37 % en valeur . Comme votre Rapporteur l'a souligné dans son rapport pour avis sur le projet de loi de finances pour 2019, les ventes sur support numérique ont juste compensé en volume la baisse combinée du portage et de l'abonnement.

La presse quotidienne nationale vendue en kiosque représente 156 millions d'exemplaires vendus en France selon le CSMP, soit un peu moins de 25 % des ventes en volume et 20 % en valeur .

Source : APCM

L'ensemble de la presse quotidienne s'est écoulée à 1,680 milliard d'exemplaires payés , dont 74 % de presse quotidienne régionale .

Ventes de presse par type et évolution 2016-2017

Magazines

40,67 %

- 4,4 %

Presse quotidienne régionale (PQR)

38,87 %

- 2,4 %

Presse quotidienne nationale

12,09 %

+ 0,5 %

Presse quotidienne 7 ème jour

5,83 %

- 2,7 %

Source : d'après données ACPM

2. Trois niveaux complémentaires de distribution

L'organisation de la distribution de la presse nationale en France repose sur trois niveaux. Les journaux passent des éditeurs aux lecteurs en empruntant les niveaux un à trois , alors que les flux financiers empruntent le chemin inverse, de l'acquéreur de la parution aux éditeurs via les niveaux trois à un.

La définition de la presse

Il n'y a pas d'unité dans la définition de ce que l'on entend par « presse ». Le rapport de Marc Schwartz et Fabien Terraillot de juin 2018 liste plusieurs occurrences du terme dans le corpus réglementaire et législatif :

- la loi n° 86-897 du 1 er août 1986 portant réforme du régime juridique de la presse qui désigne la publication de presse comme « tout service utilisant un mode écrit de diffusion de la pensée mis à la disposition du public en général ou de catégories de publics et paraissant à intervalles réguliers » ;

- la décision n° 2013-01 du Conseil Supérieur des Messageries de Presse (CSMP) , qui définit les publications pouvant être distribuées par les coopératives de la manière suivante : « le produit de presse se caractérise par la régularité de sa périodicité, le rythme de parution n'étant pas inférieur à quatre fois par an. Principalement consacré à l'écrit, sous un titre défini permettant de l'identifier, il est présenté sur support papier et son contenu est tel qu'il appelle la succession de parutions dans le temps, numéros ordinaires et spéciaux, sans que sa fin soit envisagée . »

- la commission paritaire des publications et agences de presse (CPPAP) , qui donne accès au « régime économique de la presse », se réfère à l'article 72 de l'annexe III du code général des impôts et à l'article D.18 du code des postes et communications électroniques , qui disposent que « les journaux et écrits périodiques présentant un lien direct avec l'actualité, apprécié au regard de l'objet de la publication et présentant un apport éditorial significatif (...), s'ils remplissent les conditions suivantes : avoir un caractère d'intérêt général quant à la diffusion de la pensée : instruction, éducation, information, récréation du public ; satisfaire aux obligations de la loi du 29 juillet 1881 ; paraître régulièrement au moins une fois par trimestre ; faire l'objet d'une vente effective au public ; avoir au plus les deux tiers de leur surface consacrée à la publicité et aux annonces classées ; ne pas être assimilable à des publications commerciales ; n'être pas susceptible de choquer le lecteur par une présentation dégradante de la personne humaine ».

Le niveau un est composé des deux messageries sous statut coopératif, Presstalis et les Messageries lyonnaises de presse (MLP), qui représentent respectivement 75 % et 25 % du marché. Les éditeurs leur confient les journaux une fois imprimés. Seul Presstalis distribue les neuf quotidiens nationaux.

Presstalis et les MLP

En 2017, Presstalis représente environ 75 % (ventes en montants forts ie somme des ventes réalisées chez les marchands de journaux avant défalcation des commissions des agents de la vente et des messageries) de la vente au numéro de la presse magazine (51 % des titres), et 100 % de la vente au numéro de la presse quotidienne nationale.

Pour cette même année, Presstalis a réalisé 1,416 Md€ de chiffre d'affaires en vente en montants forts, dont 329,4 M€ pour les quotidiens et 1 086,6 M€ pour les magazines. Elle met en circulation plus de 2 400 titres en France mais aussi dans une centaine de pays, et emploie environ 1 200 personnes. Elle distribue les titres de 331 sociétés éditrices adhérentes au 30 juin 2018.

Les MLP ont assuré la distribution de 49 % des références de titres magazines (environ 25 % en CA) et de 50,5 % des références hors presse en 2017. Pour cette même année, les MLP ont réalisé 366 M€ de chiffre d'affaires, dont 322 M€ pour les magazines. Elles mettent en circulation plus de 3 000 titres et regroupaient 570 éditeurs sociétaires à fin 2017. Les MLP emploient environ 310 personnes.

Source : étude d'impact annexée au présent projet de loi

Les messageries répartissent les exemplaires aux 63 mandats de dépositaires centraux, qui constituent le niveau deux , chacun en situation de monopole sur sa zone géographique.

Les dépositaires centraux livrent l'assortiment de presse chez les diffuseurs, qui constituent le niveau trois .

Les contrats types du dépositaire et du diffuseur de presse précisent que les publications restent la propriété de l'éditeur jusqu'à la vente . Le dépositaire et le marchand n'en sont jamais propriétaires et sont considérés comme des commissionnaires ducroire , c'est-à-dire qu'ils sont garants de la bonne exécution de l'opération réalisée pour le compte des éditeurs . Les diffuseurs de presse, les déposants et les messageries se rémunèrent par le prélèvement d'une commission sur le prix de vente, dont le montant est arrêté par le Conseil supérieur des messageries de presse (CSMP). Les flux monétaires « remontent » donc, en passant de l'acheteur au diffuseur au déposant, à la messagerie, et in fine à l'éditeur. Ce système explique que de fortes sommes d'argent circulent en permanence dans les comptes des différents intervenants, en particulier des Messageries.

Le schéma suivant synthétise le système de distribution de la presse en France.

3. Le statut des agents de vente

Les agents de vente, principalement les dépositaires centraux (niveau 2) et les diffuseurs de presse (niveau 3), sont soumis à un statut et à des règles particulières, qui doivent leur permettre de respecter l'impartialité et la neutralité de la diffusion .

Le préambule du contrat-type entre le dépositaire central et le diffuseur de presse, homologué par le CSMP en 1972 et inchangé depuis, précise « Les éditeurs déterminent eux-mêmes le nombre d'exemplaires à fournir. [...] Les agents de vente - dépositaires centraux et diffuseurs - ont l'obligation d'apporter la plus stricte impartialité dans la présentation des journaux et publications, quelle que soit l'origine de la fourniture. Ils sont tenus de recevoir tous les titres que les éditeurs décident de leur confier . »

Initialement, et afin de garantir l'impartialité de la distribution, la rémunération des agents de vente était fixée de manière uniforme . La loi du 20 juillet 2011 a confié la mission de déterminer les modalités de rémunération des agents de vente au Conseil supérieur des Messageries de Presse ( CSMP) , qui a pris une première décision n° 2011-01 validée par l'Autorité de Régulation de la Distribution de la Presse (ARDP) le 10 décembre 2011 avec des pourcentages différenciés selon le niveau, le type de publication et le lieu d'implantation du marchand . La rémunération varie ainsi de 23 % à 31 % du prix de vente pour les dépositaires centraux, et 15 % à 30 % pour les diffuseurs de presse.

En pratique, cette commission prélevée sur le produit des ventes au numéro de la presse est composée de deux parties : une commission de base et des compléments de commission.

En 2013, le CSMP a engagé un certain nombre de chantiers portant sur l'amélioration des conditions de travail des diffuseurs (quantité des titres distribués, flux de trésorerie, etc.). Dans ce cadre, il a décidé le maintien de la rémunération du réseau en cas de baisse promotionnelle du prix de vente d'un titre. Cette mesure doit permettre aux diffuseurs de bénéficier à plein de l'augmentation des ventes en exemplaires liée à une baisse de prix promotionnelle.

Des décisions sont prises régulièrement pour actualiser cette première décision aux nouveaux usages et aux nouveaux besoins de la profession, la dernière en date validée le 5 février 2018 pour la rémunération des points de vente implantés dans les supérettes d'une surface de vente inférieure à 400 m² situées dans les grandes métropoles.

Les diffuseurs de presse connaissent une situation économique extrêmement dégradée - voir infra - qui rend nécessaire l'évolution de la législation.

4. L'offre de presse

Conçue comme absolue à l'origine, l'égalité d'accès au réseau a été limitée suite à l'adoption de la loi du 20 juillet 2011.

Il est en effet apparu que la facilité avec laquelle les éditeurs pouvaient distribuer leurs publications, en profitant d'une organisation particulièrement efficace et non discriminante, aboutissait à une situation sous optimale, à une saturation du réseau et des points de vente , finalement sans bénéfice supplémentaire dans un contexte de baisse global de la diffusion. L'article 18-6 de la loi Bichet, introduit en 2011, distingue deux types de presse :

- « la presse d'information politique et générale » (IPG), qui doit faire l'objet d'une distribution « optimale » sous le contrôle du CSMP. De facto , la presse IPG est protégée par des dispositions constitutionnelles , et a donc vocation à être disponible dans tous les points de vente si les éditeurs le souhaitent ;

La presse d'information politique et générale

La qualification de presse « d'information politique générale » est accordée par la Commission paritaire des publications et des agences de presse (CPPAP). La publication doit être au minimum hebdomadaire. Les trois critères, définis à l'article D. 19-2 du code des postes et des communications électroniques sont :

1° Apporter de façon permanente sur l'actualité politique et générale, locale, nationale ou internationale, des informations et des commentaires tendant à éclairer le jugement des citoyens ;

2° Consacrer la majorité de leur surface rédactionnelle à cet objet ;

3° Présenter un intérêt dépassant d'une façon manifeste les préoccupations d'une catégorie de lecteurs.

408 journaux bénéficient de cette qualification au 7 mars 2019, dont 101 titres nationaux distribués par les messageries, le solde relevant de la presse régionale, qui assure elle-même sa diffusion.

- « les autres catégories de presse », qui doivent être distribuées « selon des critères objectifs et non discriminatoires définis dans un cahier des charges, les conditions d'assortiment des titres et de plafonnement des quantités servis aux points de vente », sous le contrôle du CSMP.

Titres distribués par les messageries de presse

Source : Rapport « Dix propositions pour moderniser la distribution de la presse, Marc Schwartz et Fabien Terraillot, juin 2018

La décision du CSMP du 22 décembre 2011 définit « l'offre de presse » et précise que l'assortiment servi à chaque vendeur est le fruit d'un « dialogue commercial instauré avec le diffuseur de presse et sur des critères objectifs qui tiennent compte des caractéristiques du point de vente, en particulier de son linéaire développé, et des attentes de la clientèle ». La décision rappelle que le diffuseur est tenu d'accepter, en plus de la presse IPG, les quotidiens et les publications nouvelles , le dialogue commercial ne s'exerçant en réalité que sur ce qui ne rentre dans aucune de ces catégories .

D. UN SECTEUR LARGEMENT AUTORÉGULÉ

1. Un organe d'autorégulation : le Conseil supérieur des messageries de presse

Historiquement, la régulation du secteur de la distribution de la presse et le respect des grands principes était confiée, par l'article 17 de la loi Bichet, au Conseil supérieur des messageries de presse (CSMP) . Initialement composé de 27 membres représentants toutes les parties prenantes, le CSMP n'était qu'un organe consultatif, doté de faibles prérogatives. Il a cependant acquis au fil du temps une réelle crédibilité comme interlocuteur principal du gouvernement et « interprète » de la loi Bichet.

2. Une régulation désormais bicéphale

L'absence de réels pouvoirs normatifs au-delà de sa faculté à porter la voix de la profession, sa faible expertise juridique, mais également ses liens jugés trop appuyés avec la profession, et singulièrement les NMPP, ont conduit, alors que la distribution de la presse en France commençait à subir de plein fouet les effets de la crise plus vaste de la presse, à une modification du rôle du CSMP par la loi du 20 juillet 2011 relative à la régulation du système de distribution de la presse et par la loi du 17 avril 2015 portant diverses dispositions tendant à la modernisation du secteur de la presse.

Le respect des principes établis par la loi Bichet est maintenant assuré par un mécanisme de régulation bicéphale. A été adjointe au CSMP, désormais composé de 20 membres , une Autorité de régulation de la distribution de la presse (ARDP) où siègent trois magistrats issu du conseil d'État, de la Cour des comptes et de la Cour de cassation et une personnalité qualifiée. La loi lui reconnait le statut d'autorité administrative indépendante (AAI), la plus limitée de toutes en taille puisqu'elle ne dispose que d'un collège qui siège à temps partiel et de l'aide d'un magistrat du Conseil d'État, également à temps partiel.

Cette dualité constitue un cas unique dans le droit français. Ainsi, l'article 17-2 de la loi Bichet, tel que modifié par la loi du 17 avril 2015 portant diverses dispositions tendant à la modernisation du secteur de la presse, dispose : « Ils [le CSMP et l'ARDP] veillent au respect de la concurrence et des principes de liberté et d'impartialité de la distribution et sont garants du respect du principe de solidarité coopérative et des équilibres économiques du système collectif de distribution de la presse ».

3. Le CSMP dispose de compétences nombreuses...

Comme l'a noté l'Autorité de la concurrence, l'activité normative des deux entités « doit être appréhendé de façon globale, c'est-à-dire en tant que produit de l'activité conjointe et combinée du CSMP et de l'ARDP ».

La répartition des rôles entre les deux entités est complexe, et réserve de facto la validation des décisions les plus importantes du CSMP à l'ARDP, qui leur donne force exécutoire .

L'article 18-6 de la loi Bichet définit les pouvoirs normatifs généraux du CSMP , qui en font le garant de l'organisation du système de distribution. Ses missions peuvent être synthétisées de la manière suivante :

• une fonction générale de régulation économique du secteur, définie au 1° : il « détermine les conditions et les moyens propres à garantir une distribution optimale de la presse d'information politique et générale » ;

• la fixation des conditions d'assortiment dans les points de vente (2°) ;

• le contrôle des exceptions prévues à l'obligation pour les éditeurs de recourir au système coopératif, par un recours direct aux dépositaires centraux (exception introduite par la loi du 20 juillet 2011) et par les réseaux locaux (introduite par la loi du 17 avril 2015).

• l'organisation générale du réseau des dépositaires centraux ;

• l'établissement du cahier des charges du système d'information « garantissant à tout éditeur, quelle que soit sa messagerie, l'accès aux informations relatives à l'historique des ventes et des fournitures pour chacun de ses titres, au niveau de chaque point de vente » (5°) ;

• l'agrément des dépositaires et les diffuseurs de presse octroyé par la Commission du Réseau (CDR) (6°) ;

• l'homologation des contrats types des agents de vente et de leurs conditions de rémunération ;

• le contrôle comptable sur les messageries de presse ;

• le contrôle sur les décisions des Messageries susceptibles « d'altérer le caractère coopératif ou de compromettre l'équilibre financier du système collectif de distribution de la presse ».

Selon la classification établie par Éléonore Cadou 3 ( * ) , les compétences du CSMP peuvent se diviser en un pouvoir normatif réglementaire , comme la rémunération des agents ou le cahier des charges des systèmes d'exploitation, un pouvoir de décision individuelle , par le biais de la Commission du Réseau, et un pouvoir de médiation obligatoire sur tous les litiges susceptibles d'altérer le fonctionnement du système de distribution de la presse.

4. .. strictement encadrées par l'ARDP

Les compétences du CSMP sont cependant strictement encadrées par l'ARDP.

L'Autorité a pour principale fonction, en application de l'article 18-13 de la loi du 2 avril 1947, de donner force exécutoire aux « décisions de portée générale prises par le Conseil supérieur des messageries de presse dans le cadre de sa mission générale visant à assurer le bon fonctionnement du système coopératif de distribution de la presse et de son réseau », soit l'ensemble des compétences générales du CSMP. La loi du 17 avril 2015 , qui avait pour objet de renforcer ses pouvoirs, lui a de plus permis, en cas de désaccord avec le CSMP, non seulement de s'opposer à ses décisions, mais en plus de les réformer (article 18-13).

Par ailleurs, l'Autorité intervient en règlement des différends n'ayant pu faire l'objet d'une conciliation devant le CSMP, a la possibilité de saisir le juge afin de faire respecter les décisions du CSMP qu'elle a rendues exécutoires.

5. La validation des barèmes des messageries

Le CSMP et l'ARDP valident conjointement les barèmes proposés par les messageries, ce qui constitue une compétence fondamentale dans ce type d'économie régulée . L'article 12 précise ainsi que les barèmes, arrêtés par les messageries « sont transmis au président du Conseil supérieur des messageries de presse et à l'Autorité de régulation de la distribution de la presse dans un délai de quinze jours suivant leur approbation . Le président du Conseil supérieur des messageries de presse transmet, dans un délai de quatre semaines à compter de la réception des barèmes, un avis motivé à l'Autorité de régulation de la distribution de la presse, qui se prononce sur ces barèmes dans un délai de six semaines à compter de leur réception. L'autorité peut refuser d'homologuer les barèmes si elle estime qu'ils ne respectent pas les principes mentionnés au premier alinéa. De nouveaux barèmes, tenant compte de ses observations, lui sont alors transmis en vue de leur homologation, dans le délai prévu au deuxième alinéa . »

L'analyse des décisions prises conjointement par les deux instances illustre cependant la difficulté d'un exercice qui nécessite la définition d'une doctrine claire, mais également une expertise économique très spécifique et qui leur fait défaut .

La réforme des barèmes des messageries a constitué la priorité des autorités de régulation en 2016. Elle représente un sujet de tension et d'inquiétude pour des éditeurs majoritairement en difficulté financière. Ainsi, l'ARDP, sur la base d'un avis défavorable du CSMP, n'a pas été en mesure, le 1 er juillet 2016, d'homologuer les premiers barèmes présentés par Presstalis pour les quotidiens, qui, au-delà d'un vice de forme constaté, ne permettaient nullement de couvrir les coûts de la messagerie.

S'agissant des MLP, la demande d'homologation des nouveaux barèmes a été transmise aux régulateurs le 21 octobre 2016. A l'occasion de l'examen de cette proposition, l'ARDP et le CSMP ont pris connaissance de l'existence, au sein de cette messagerie comme de Presstalis, d'accords privilégiés permettant à certains éditeurs d'obtenir des tarifs plus favorables que ceux votés par l'assemblée générale de la coopérative. Les pratiques ont été déclarées illicites et, pour la première fois, le Conseil supérieur a fait usage de son droit d'opposition. Au 30 juin 2017, les deux messageries ont confirmé au Conseil supérieur, qu'il n'était plus fait application de conditions tarifaires non prévues au tarif public des prestations de groupage et de distribution.

Un second projet de barèmes, à la baisse, a été transmis le 16 février 2017. Dans son avis au président de l'ARDP, celui du CSMP a émis les plus grandes réserves sur les montants envisagés , notamment parce qu'extrêmement agressifs au profit des magazines les plus diffusés , ils faisaient craindre une fuite des éditeurs de cette catégorie vers les MLP, ce qui aurait contribué à déstabiliser un peu plus Presstalis. Malgré cela, l'ARDP a homologué, le 24 mars 2017, les nouveaux tarifs de MLP, qui ont immédiatement conduit certains éditeurs à annoncer leur volonté de rejoindre la messagerie.

Au cours de sa séance du 17 juillet 2017, l'ARDP a, en revanche, rendu exécutoires deux décisions du CSMP en date du 1 er juin 2017 visant à encadrer les pratiques tarifaires des messageries de presse. La première (n° 2017-01) prévoit que le Conseil supérieur fasse obligation aux coopératives et aux entreprises commerciales de messageries de presse de confier à leurs commissaires aux comptes une mission de contrôle de l'application effective des barèmes coopératifs, dont tout éditeur pourra demander communication des conclusions. Il s'agit de s'assurer que les barèmes prévus par la loi Bichet sont effectivement appliqués et qu'ils ne font plus l'objet, comme par le passé, de dérogations occultes. La seconde (n° 2017-02) modifie, pour les assouplir, les critères d'accès des hors-séries aux conditions de distribution des produits « presse ».

À cette occasion, l'ARDP a indiqué, s'agissant de l'évolution des conditions tarifaires des sociétés coopératives de messagerie de presse, qu'« il serait illusoire de considérer que les évolutions des barèmes permettront, à elles seules, de résoudre les difficultés actuelles de la distribution de la presse, qui, compte tenu de la baisse constante de la diffusion, sont durables et structurelles . L'Autorité est convaincue que la construction d'un nouvel équilibre économique de la filière ne peut résulter que d'une mobilisation de l'ensemble des acteurs, et notamment des actionnaires des coopératives ».

II. UN SYSTÈME À BOUT DE SOUFFLE

À l'exception de la réforme de la régulation par les lois de 2011 et 2015, les grands principes inscrits dans la loi Bichet continuent d'être appliqués pour l'essentiel . La chute des ventes de journaux a cependant révélé les faiblesses structurelles dont souffre le secteur, dont l'élément le plus frappant aujourd'hui est la situation de quasi faillite de Presstalis . Le système en place n'a pas plus permis d'améliorer la situation des vendeurs de presse , ce qui marque l'échec de l'autorégulation pensée par les lois de 2011 et 2015.

A. PRESSTALIS PROCHE DE LA FAILLITE

1. La crise de décembre 2017

Alors que Presstalis envisageait un bénéfice avant intérêt et impôt de 5,4 millions d'euros pour 2017, le résultat d'exploitation a finalement été déficitaire de 1,9 million d'euros , « découvert » par les commissaires aux comptes, ce qui avait amené le Conseil supérieur des messageries de presse (CSMP) à pointer le coût des plans sociaux. Les fonds propres de la messagerie étaient pour leur part de - 306 millions d'euros à fin 2016 , soit 241 millions d'euros de moins que le résultat déjà négatif de 2010 .

Les premiers éléments sur les comptes 2017 ont fait apparaitre un résultat d'exploitation déficitaire de 15 millions d'euros et un déficit de trésorerie de 37 millions d'euros . Dans l'urgence, le Conseil d'administration a demandé l'ouverture d'une procédure de conciliation auprès du tribunal de commerce, qui a nommé une administratrice judicaire au mois de décembre 2017.

À l'occasion de son assemblée du 20 décembre 2017, le CSMP a pris connaissance de l'avis de sa commission de suivi de la situation économique et financière des Messageries. Cette dernière indique alors que les derniers événements lui paraissent « alarmants, car ils montrent que les mesures prises au cours des cinq dernières années n'ont pas produit les résultats escomptés » .

2. Des mesures de dernière extrémité

Face à cette situation, la nouvelle Présidente directrice générale de Presstalis a pris des mesures d'urgence pour assurer la continuité du service. Elle a ainsi décidé de retenir le quart du chiffre d'affaires issu des ventes que Presstalis aurait dû verser aux éditeurs jusqu'à fin janvier 2018 . Qualifié de « mesure de protection de la liquidité », cela représente a minima un différé de paiement de 37 millions d'euros pour les éditeurs, dont certains se trouvaient déjà en situation difficile.

Cette décision a logiquement provoqué une vive inquiétude des éditeurs et de l'ensemble de l'écosystème de la presse. Ainsi, le Syndicat de l'Association des éditeurs de presse (SAEP) a rendu public un premier courrier à l'attention du ministre de l'économie et des finances le 8 janvier 2018, et un second pour le Premier ministre le 22 janvier, dénonçant cette situation et appelant à la création d'un fonds d'urgence de 100 millions d'euros pour la filière.

Face à cette situation, et comme cela avait été annoncé le 14 février 2018 devant la commission lors de l'audition 4 ( * ) de M. Jean-Pierre Roger et de Mme Elisabeth Flury-Herard, Présidente de ARDP, le CSMP a transmis à l'ARDP le 22 février 2018 trois décisions destinées à prévenir la cessation de paiement de Presstalis .

En application de l'article 18-13 de la loi du 2 avril 1947, telle que modifiée en 2011 et 2015, l'ARDP a délibéré afin d'examiner s'il convenait de rendre ces décisions exécutoires, y compris en les amendant.

Par sa décision unique du 2 mars 2018, l'ARPD a validé pour l'essentiel les décisions prises dans l'urgence du CSMP . Cette validation a permis la tenue de l'audition devant le tribunal de commerce le 6 mars 2018.

Prises ensemble, les trois décisions constituent un tournant qui marque la volonté de la profession de sauver, coûte que coûte, la messagerie .

En particulier, la décision 2018-2 instituant une contribution exceptionnelle des éditeurs pour le financement des mesures de redressement du système collectif de distribution de la presse a mis en place une contribution exceptionnelle pour les éditeurs clients des messageries destinés à reconstituer leurs fonds propres.

Cette contribution :

- est fixée à 2,25 % pour les éditeurs distribués par Presstalis et 1 % pour les éditeurs distribués par les MLP ;

- devrait durer 9 semestres pour MLP et 10 semestres pour Presstalis. Sur demande du Gouvernement, l'ARDP a décidé de différencier les délais en les allongeant pour Presstalis compte tenu de sa situation - ce qui laisse à penser que la situation réelle de la messagerie serait encore plus dégradée qu'évoqué jusqu'à présent ;

- sera due y compris si, durant la période, un éditeur décide de changer de messagerie ;

- pourra être remboursée aux éditeurs en cas de retour à « meilleure fortune » à l'issue du dernier exercice.

L'ARDP a estimé que ces mesures ne lui paraissaient pas « porter une atteinte grave à la situation économique des éditeurs [...] compte tenu des difficultés plus graves encore encourues en cas de défaillance de la principale messagerie ».

3. Des faiblesses structurelles et anciennes connues

Votre Rapporteur pour avis a cherché à comprendre les raisons profondes de cette crise, que l'on ne peut attribuer exclusivement à la baisse des ventes. Il rappelle ici les principales conclusions de son avis 5 ( * ) sur le projet de loi de finances pour 2019.

En 2010, Presstalis affichait des fonds propres négatifs à hauteur de 65 M€ , montant inquiétant qui avait justifié une aide massive de l'État et une modification de la loi « Bichet » en 2011, puis en 2015.

En 2017, ces mêmes fonds propres sont négatifs à hauteur de 358,8 M€ , soit un creusement de plus de 40 M€ par an . Les réponses apportées tant au niveau législatif qu'industriel se sont donc avérées des échecs . Presstalis bénéficie pourtant d'une aide de l'État, d'un montant de 18,8 M€ par an avant les mesures de sauvegarde décrites supra , et de la péréquation versée par les MLP d'un montant de 4,6 M€ pour compenser le surcoût de la distribution des quotidiens. Ces dotations ne sont cependant pas suffisantes pour lui permettre d'afficher un compte de résultat positif.

En réalité, Presstalis a mené depuis 2010 une politique faite de choix audacieux, qui n'ont pas produit les résultats escomptés et se sont finalement traduits par des échecs coûteux .

• Des pertes concentrées au niveau 2

L'essentiel des pertes provient du « niveau 2 », soit les dépositaires, dont la moitié est alors propriété de Presstalis.

Ce niveau concentre aujourd'hui les pertes d'exploitation de la société . Entre 2013 et 2016, le déficit d'exploitation de ces filiales de niveau 2 se creuse, passant de - 22,8 M€ à - 31,6 M€, signe que les réformes menées n'ont pas porté leur fruit.

À l'opposé, les dépôts indépendants affichent tous une rentabilité positive et ont pu mener des investissements qui les autorisent à diversifier leur activité en distribuant, pour certains, la presse quotidienne régionale.

La cause principale de ce décrochage réside dans une masse salariale très supérieure dans les dépôts « Presstalis » et une activité plus faible. De ce point de vue, la baisse des charges de personnel entre 2013 et 2016 (49 M€) ne couvre pas la baisse du chiffre d'affaires (66,2 M€) et ce en dépit du plan social qui a conduit à une division par deux des effectifs.

• Des barèmes qui ne semblent pas couvrir les coûts

Les barèmes adoptés par Presstalis, avec l'accord du CSMP, ont eu pour objectif de préserver, voire d'accroître ses parts de marché, dans un contexte de baisse généralisée du marché de la presse. Le chiffre d'affaires global diminue ainsi moins sur la période que la tendance. Le Président des MLP a pu indiquer devant votre commission de la culture le 23 mai dernier que Presstalis avait « récupéré » des clients pour un montant global de 115 M€ 6 ( * ) .

En dépit de cette « course aux volumes », la rentabilité est toujours négative, signe d'une structure de coût initialement mal évaluée, ou d'une politique commerciale trop agressive . Cette question n'est d'ailleurs pas nouvelle, et identifiée de longue date par le Sénat. En 2011, David Assouline, rapporteur de la commission de la culture, notait déjà que « la principale organisation syndicale du secteur de la distribution a indiqué à votre rapporteur que la logique tarifaire jusqu'ici mise en oeuvre par Presstalis consistait à fidéliser les clients les plus importants en leur appliquant des barèmes en deçà du prix de revient, complètement déconnectés de la péréquation des coûts ».

Presstalis subit parallèlement un « effet de ciseau », fruit du contrat passé avec les dépositaires : la messagerie les rémunère en fonction du montant des ventes réalisées dans la zone du mandat, mais facture ses prestations aux éditeurs en « unité d'oeuvre », soit en fonction de la quantité de journaux et publications distribués . La hausse des prix pratiquée par les éditeurs a ainsi augmenté ses charges sans faire évoluer sa rémunération.

Cette différence de comptabilisation représente un coût de 5,7 M€ en 2016 et de près de 8 M€ en 2017 . Il convient de noter que les MLP ne pratiquent pas ce système.

Point positif, les remises sur le barème offertes à certains éditeurs jusqu'à début 2017 ont depuis lors été supprimés .

• Le coût des plans sociaux

Le coût des plans sociaux, qui s'est élevé à 150 M€ entre 2012 et 2016, pèse constamment sur les comptes, même si Presstalis a été accompagné par l'État, qui en a pris une partie à sa charge, et a consenti des prêts dont l'échéance de remboursement est sans cesse repoussée.

• Des choix stratégiques hasardeux

L'ancienne direction a cherché à répondre à la crise rencontrée par Presstalis en 2010. Ses choix stratégiques se sont cependant avérés hasardeux , n'ont pas connu le succès espéré et contribuent lourdement à la situation présente. En particulier, la refonte des systèmes d'information a coûté 32 M€ et n'a pas été mise en place, la politique de diversification dans le numérique s'est avérée hasardeuse et la refonte de l'organisation logistique a conduit à une hausse des coûts.

L'ensemble des investissements conclus par un échec s'élève en première analyse à 58,8 M€, auquel il faudrait ajouter le coût du plan social de 100 M€ sur cinq ans, soit un total supérieur à 158 M€ « perdus » .

4. Une situation financière critique

La situation financière de Presstalis est très dégradée, avec un résultat net négatif de plus de 38,3 M€ en 2015 et 48,8 M€ en 2016. L'absence structurelle de trésorerie de Presstalis la contraint à recourir de manière de plus en plus affirmée à l'affacturage , solution coûteuse, et qui semble avoir trouvé ses limites avec un montant de créances concédées en constante progression, passant de 134 M€ en 2015 à 237 M€ en 2016, pour un coût de 7,3 M€ en 2017, 7,2 M€ en 2016, contre 2,3 M€ en 2015. A fin 2017, les lignes d'affacturage s'élèvent à 162,5m€ et l'encours de financement d'affacturage à 150,7M€.

De ce point de vue, la crise de décembre 2017 semble plus un problème de trésorerie qu'une dégradation brutale de l'activité , les facilités permises par l'affacturage et par la détention en permanence d'un flux de cash ayant manifestement atteint leurs limites.

5. Un plan de redressement à haut risque
a) Les soutiens des éditeurs et des pouvoirs publics

À la fin de l'année 2017, Presstalis a sollicité l'ouverture d'une procédure de conciliation . Conduite sous l'égide d'une conciliatrice désignée par le président du Tribunal de commerce, celle-ci a permis d'aboutir à la signature d'un protocole de conciliation entre Presstalis, ses coopératives (magazines et quotidiens) et l'Éta t, qui a été homologué par le Tribunal de commerce de Paris le 14 mars 2018.

Les éditeurs ont honoré la majorité de leurs engagements, actés par les trois décisions précitées du CSMP de février 2018.

Le protocole s'appuie sur un plan de redressement du groupe Presstalis , qui a été proposé par ses dirigeants et validé par son Conseil d'administration. Ce plan prévoit notamment une diminution des coûts de fonctionnement de Presstalis et une restructuration de son activité, en particulier une réorganisation des dépositaires régionaux gérés par Presstalis.

Presstalis est aujourd'hui le seul bénéficiaire de 27,9 M€ d'aide au titre de la distribution des quotidiens, dont 9 M€ en provenance du FSDP. Ce montant doit demeurer inchangé dans les années à venir.

La société bénéficie d'un prêt déblocable en plusieurs tranches du Fonds de développement économique et social (FDES) de 90 M€ et les éditeurs ont contribué à hauteur de 50 M€ .

Tous les éléments financiers, publics comme privés, ont donc été mobilisés pour permettre à la messagerie de poursuivre son activité.

b) Des incertitudes sur le chiffre d'affaires

Un plan social a été menée en 2018 et 2019, qui a conduit à se séparer de 230 à 240 personnels, pour un montant d'économies de 20 M€. Il convient de saluer la responsabilité des employés et des syndicats qui, face à l'ampleur des risques, ont maintenu leurs exigences dans une épure raisonnable .

11 dépôts ont été vendus à des indépendants sur les 17 que possédait la société. Le montant des économies, conformément au plan, s'élève donc à 60 M€ par an à compter de 2019 .

Si la réduction des coûts paraît bien engagée, des incertitudes demeurent sur la progression, voire le maintien du chiffre d'affaires . Dans un contexte de baisse des ventes au numéro , de méfiance généralisée des éditeurs , de lutte avec les Messageries lyonnaises de presse (MLP) et de contraintes imposées par les règles en vigueur , il est difficile de structurer un réel développement commercial, seul à même de garantir l'avenir de la société. La question posée par la « quasi chute » de l'opérateur dominant pose la question de l'avenir du développement de la presse. Doit-on encore croire en la presse « papier » ? Dans quels endroits faut-il la distribuer ? Comment améliorer la situation des diffuseurs de presse, qui demeurent les grands oubliés ?

En plus de ses difficultés de trésorerie, Presstalis va devoir faire face à des échéances importantes :

- à court terme , mener à bien le plan d'économies, en préservant un climat de paix sociale qui a singulièrement fait défaut jusqu'à présent ;

- à moyen terme , trouver les voies d'un développement commercial à même de freiner ou d'inverser la baisse continue des ventes et restaurer la confiance avec les marchands de presse ;

- à plus long terme , et tel est peut-être le principal défi, résoudre la question alarmante du « mur de dette » qui obère la capacité de projection de la société.

B. LA SITUATION ALARMANTE DES DIFFUSEURS DE PRESSE

1. Un réseau fragilisé par la baisse des ventes

Entre 2007 et 2017, les ventes ont diminué de 56 % pour les quotidiens. Cette évolution devrait se poursuivre tendanciellement sur les prochaines années, voire s'accélérer du fait de la stratégie de hausse des prix des quotidiens nationaux et de la bascule sur support numérique.

Les principales victimes de cette baisse du marché sont les diffuseurs de presse.

Entre 2011 et 2017, 5 300 points de vente ont été fermés, soit une baisse de - 19 %. La filière estime que le réseau devrait se réduire à 21 000 points de vente en 2020, contre 23 217 fin 2017.

La province concentre encore la majorité de ces disparitions et représente 75 % des pertes (691 points de vente perdus en 2017, 578 en 2016), alors que l'Île-de-France enregistre une perte de 199 points de vente.

Les fermetures engendrent un effet de concentration du réseau , et par voie de conséquence sa fragilisation et sa précarisation . En 2015, les 1 000 premiers diffuseurs, soit 2,5 % du réseau, réalisaient le quart du chiffre d'affaires du secteur, et les 5 000 premiers, soit 20 % du réseau, 70 % des ventes.

Les créations récentes de points de ventes ont surtout concerné les « points de vente complémentaires » (PVC) à offre réduite (entre 50 et 150 titres), présents notamment dans les grandes surfaces alimentaires, ce qui contribue à concurrencer le réseau traditionnel, à offre plus large. Cette reconfiguration au détriment des spécialistes conduit mécaniquement à une réduction du chiffre d'affaires moyen de la filière. En effet, alors qu'un point de vente spécialisé réalise un chiffre d'affaires annuel moyen de 150 000 €, le chiffre d'affaires « presse » d'un PVC est près de dix fois inférieur .

2. Les efforts pour redynamiser le réseau de diffusion

Les conditions de travail dans les points de vente sont extrêmement difficiles. Ils sont ouverts en moyenne 13,5 heures par jour et 80 heures par semaine . Les tâches sont caractérisées par leur pénibilité : un diffuseur spécialisé consacre quotidiennement 4 à 6 heures aux seules opérations de mise en place des produits et de gestion des stocks . Le fort accroissement du nombre de produits à traiter, lié notamment au développement des produits hors presse (DVD, multimédias, livres, encyclopédies, etc.) et l'accroissement de forts taux d'invendus engendrent un encombrement croissant des linéaires , ce qui contribue largement à la dégradation des conditions de travail tout en nuisant à la bonne exposition des titres, et donc à leur vente.

Le Livre vert des États généraux de la presse recommandait en 2009 de « donner au point de vente la capacité d'intervenir dans le choix des titres et des quantités ».

Concernant les quantités distribuées , et afin d'assurer l'efficience du réseau collectif de distribution, le Conseil supérieur des messageries de presse (CSMP) a institué un dispositif de plafonnement des volumes distribués, calculé selon des tranches de volumes de diffusion auxquelles s'appliquent un taux de plafonnement. Cependant, une part importante des volumes n'est pas concernée par cette décision qui ne concerne ni la presse IPG ni les hebdomadaires vendus à plus de 400 000 exemplaires (une quinzaine de titres, principalement de presse TV).

Au sujet de l'assortiment, qui permet d'adapter le nombre de titres à l'espace disponible en magasin, la décision initialement prise par le CSMP de réguler le nombre de titres proposés aux diffuseurs n'est en pratique pas appliquée en raison d'un système informatique obsolète, comme on a pu le voir supra .

3. Des perspectives d'amélioration pour assurer la pérennité de ce réseau

La revalorisation de la rémunération des diffuseurs s'imposait aux acteurs de la filière du fait d'un taux de commission bien inférieur aux autres pays européens . Après un premier plan en 2001 qui avait permis de passer la commission moyenne de 15 % à 17 % du produit des ventes, un deuxième plan interprofessionnel signé en juin 2007 et appliqué depuis le 1 er janvier 2009 a conduit à une hausse relative de la rémunération des diffuseurs de presse. Les États généraux de la presse avaient fait dès 2009 de l'augmentation de la rémunération une priorité, mais il aura fallu l'intervention du Gouvernement en juillet 2013 lors de l'Assemblée générale du CSMP pour que le sujet soit pleinement porté à l'ordre du jour.

Fin 2013, le CSMP a lancé une consultation publique sur l'évolution de la rémunération des diffuseurs de presse, donnant lieu à la décision n° 2014-03 en date du 1 er juillet 2014 qui définit une nouvelle grille de rémunération simplifiée fondée sur une revalorisation de la commission moyenne perçue par le diffuseur de presse sur ses ventes .

La situation matérielle et les conditions de travail des diffuseurs restent cependant particulièrement difficiles .

C. UN SYSTÈME QUI N'A PAS SU INSPIRER LA CONFIANCE ET SE RÉINVENTER

1. Des réformes trop partielles pour restaurer la confiance

La régulation bicéphale introduite par la loi de juillet 2011 visait à concilier la représentation des intérêts de la profession avec la sécurité juridique des décisions prises . Cette réforme devait restaurer la confiance au sein de la profession et contribuer à améliorer la situation de tous les acteurs de la chaîne.

Force est de constater que ces objectifs n'ont pas été atteints . Le CSMP a échoué à apparaitre comme une instance impartiale, notamment aux yeux des petits éditeurs. La taille de l'ARDP, plus petite AAI de France dénuée de personnel permanent et d'expertise économique, ne lui a pas permis de s'affirmer pleinement. En réponse à une question de votre Rapporteur à l'occasion de son audition devant la commission le 14 février 2018, sa présidente, Mme Élisabeth Flüry-Hérard, le reconnaissait explicitement : « Quant à savoir si nos moyens humains et juridiques sont suffisants, tout dépend de l'objet de notre mission. Si elle consiste à faire un contrôle de légalité par temps calme sur les décisions de l'instance en charge de la régulation sectorielle, qu'est le CSMP, [...], l'institution ne me paraissait pas sous-dimensionnée. Mais l'accroissement des missions lié à la mise en place de la loi de 2015 est un vrai sujet, notamment s'agissant de l'homologation des barèmes qui nécessite une expertise très poussée ».

Le rapport commandé à Bruno Lasserre « Propositions pour une réforme du Conseil supérieur des Messageries de Presse » remis en 2009 dans le cadre des États généraux de la presse, militait pour la création d'une structure proche d'une autorité administrative indépendante , composée d'un nombre réduit de membres, dont l'indépendance serait garantie . La profession aurait été représentée par des comités professionnels consultatifs .

Dix ans après la remise de ce rapport, et à la lumière des événements survenus depuis, votre Rapporteur croit utile d'en citer quelques passages .

« Au nom du contrôle que les éditeurs devraient conserver sur tout le système de distribution de la presse, organisé en une suite descendante du contrat de mandataires, certains acteurs ont plaidé pour qu'au sein du Conseil supérieur, le pouvoir de décision reste entre les mains des représentants des éditeurs. Mais outre que l'intérêt des éditeurs ne saurait être le seul à prendre en compte en matière de pluralisme et de diffusion de l'information, on ne pourrait échapper que très difficilement à une internalisation des conflits entre les différentes familles de presse, et la position dominante des NMPP donnerait naturellement une coloration à la composition du Conseil supérieur . [...]

« Cette garantie absolue d'indépendance que requièrent à la fois une mission de régulation efficace et une mission de règlement des différends incontestable ne peut être assurée que par le statut d'autorité indépendante . »

La solution finalement retenue par la loi du 20 juillet 2011 n'a pas été si radicale, face à l'opposition des éditeurs de se voir dessaisis de leur place au CSMP. Il est aujourd'hui permis de penser que, en dépit du travail considérable et reconnu du CSMP, ce dernier n'a jamais été en mesure d'écarter les soupçons de partialité , et de restaurer une atmosphère sereine dans la profession, comme peuvent en témoigner non seulement la teneur de certains échanges que votre Rapporteur a pu avoir avec les parties prenantes, mais également les réactions publiques à son plan de sauvetage de Presstalis et les recours judiciaires déposés par des éditeurs .

2. Trois exemples de limites de l'auto régulation

Le CSMP et l'ARDP n'ont pas été pleinement en mesure de faire respecter les grands principes de la loi Bichet. De manière générale, le CSMP, quel que soit la qualité et l'engagement de ses membres, n'a jamais été en mesure d'écarter les soupçons de partialité qui pèsent sur lui, au profit des « grands éditeurs » et de Presstalis. De son côté, l'ARDP ne dispose que de moyens très réduits pour mener à bien sa mission et n'a pas de capacité d'expertise économique.

La composition croisée du Conseil d'administration de Presstalis
et du Bureau du CSMP

Cette suspicion est renforcée par la comparaison de la composition respective du Conseil d'administration de Presstalis et du Bureau du CSMP. Il est courant qu'un tiers des membres soit commun aux deux instances (soit entre deux et quatre), alors que souvent, les autres ont été ou seront eux-mêmes membres.

Ces administrateurs se retrouvent donc avec une triple casquette : éditeurs , et donc attachés à représenter leur profession et leurs publications, actionnaires de Presstalis , donc chargés de préserver l'équilibre économique de la distribution, membre du CSMP, et à ce titre garant de l'impartialité de la distribution et du pluralisme de la presse .

Pour autant, la participation à ce type d'instance nécessite une grande disponibilité, ce qui peut justifier la prégnance des représentants des grands éditeurs et des groupes de presse les plus importants.

Les trois exemples suivants permettent d'illustrer cette faiblesse de la régulation.

a) Une saturation des points de vente non enrayée

Votre Rapporteur a pu mesurer, à l'occasion des auditions tenues ces derniers mois, la difficulté du « dialogue commercial » qui doit exister entre la messagerie, le dépositaire et le diffuseur de presse, notamment suite à l'adoption de la loi de 2011. Ce dialogue, qui permet au marchand d'ajuster les quantités à la demande qu'il constate, fait pourtant partie intégrante du contrat type homologué par le CSMP.

Il n'a cependant pas empêché la saturation des points de vente.

Plusieurs raisons ont été évoqués pour expliquer cet échec de la volonté pourtant claire du législateur en 2011.

D'une part, l'ancienneté et la faiblesse du système informatique , singulièrement celui de Presstalis, a rendu difficile la remontée des demandes des diffuseurs de presse auprès de la messagerie.

D'autre part, des comportements que l'on peut qualifier d'opportunistes de certains éditeurs, qui ont multiplié les « faux numéros un », quitte à imprimer ultérieurement, sous un autre titre, une suite également estampillée « n° 1 », afin de bénéficier de l'accès au réseau.

Enfin, et de manière générale, la mauvaise volonté des Messageries comme des éditeurs , qui ont vu dans ce « dialogue commercial » une remise en cause d'un accès général au réseau considéré comme l'un des piliers de la loi Bichet. En tout état de cause, ces dispositions ont été peu ou mal appliquées, et n'ont pas contribué à améliorer la vente de la presse.

b) Un principe coopératif partiellement appliqué

Une entorse a été apportée au principe d'égalité des associés au sein de la coopérative, qui pèse aujourd'hui sur les relations entre les membres. En effet, le rapport remis le 2 avril 2010 par Bruno Mettling et David Lubek, dans le cadre de la sortie alors prévue du groupe Hachette du capital de Presstalis, dans un contexte de crise du secteur de la presse, recommandait de mettre fin, de manière détournée, à l'égalité des coopérateurs. Le rapport indique ainsi que « pour chaque coopérative, une majorité d'administrateurs devraient être issus de titres représentant un pourcentage minimal (à déterminer » des volumes et du chiffre d'affaires de la société ». La contrepartie du soutien de l'Etat à la nouvelle structure a été une modification en 2012 de l'article 14 des statuts de Presstalis, qui précise désormais que « la majorité d'entre eux [les administrateurs] doit être issue d'entreprises de presse se plaçant, au jour de la désignation des administrateurs, parmi les dix premiers, tant en volumes qu'en chiffres d'affaires de chaque coopérative ».

Cette modification peut se comprendre en termes financiers et économiques. Il semblait légitime que les plus grands groupes, qui assurent l'essentiel du flux de journaux, et sont à ce titre les premiers clients et les premiers contributeurs du système de distribution, soient mieux associés aux décisions. À ceci s'ajoute le fait que les « petits » éditeurs peuvent avoir des difficultés à trouver des ressources humaines disponibles pour gérer les affaires courantes de la filière. Ainsi, aujourd'hui, les six administrateurs représentant la CDM et les trois administrateurs représentant la CDQ sont issus des plus grands groupes . Cet élément a cependant fortement contribué à un sentiment de méfiance et d'amertume des « petits » éditeurs , qui estiment ne plus avoir été associés aux décisions, et font grief aux « grands » éditeurs, également représentés au CSMP, de ne pas avoir su prendre les décisions industrielles adéquates pour assurer l'avenir de la filière.

Cette opposition entrer « grands » et « petits » éditeurs est symbolisée par les relations très dégradées entre Presstalis et son unique concurrent, les MLP . À bon droit, le Président des MLP peut souligner que la situation financière de sa messagerie est bien meilleure que celle de Presstalis - même si les MLP ne supportent pas les mêmes contraintes de livraison des quotidiens -, alors que le principe coopératif est y pleinement appliqué. Les efforts déployés par le CSMP et les pouvoirs publics pour sauver Presstalis n'ont fait que conforter l'image d'une société mal gérée, car assurée in fine de bénéficier d'un soutien public en raison de sa nature systémique .

c) La responsabilisation des actionnaires des messageries de presse

Le 13 février 2018, en pleine crise de trésorerie de Presstalis, le CSMP a consulté les parties prenantes sur un projet de décision visant à responsabiliser les actionnaires des messageries de presse. La question, essentiellement comptable, rappelait une lecture stricte de l'article L. 225-248 du code du commerce, qui contraint les actionnaires d'une société dont les capitaux propres deviennent inférieurs à la moitié du capital social à reconstituer le capital . En réalité, cela revenait à obliger les actionnaires de Presstalis, soit les éditeurs, à intégrer dans leurs comptes les 350 millions d'euros de fonds propres négatifs.

Au-delà des difficultés d'interprétation juridiques qui peuvent se poser, et de l'impossibilité manifeste où se seraient trouvés les éditeurs d'honorer cette créance, cette décision, avortée suite aux réactions très négatives des principaux intéressés, illustre l'absence presque totale de responsabilité qui semble présider à la gestion de Presstalis , et que n'a pas permis de corriger le CSMP. La situation a contribué à fracturer la profession, suivant les lignes de partage que l'on peut schématiser de la manière suivante.

D'un côté, les « grands » éditeurs auraient déjà pour beaucoup d'entre eux basculé sur le numérique et n'accorderaient donc pas d'attention aux messageries. Après la réforme de 2012, ils auraient accaparé la gestion de Presstalis, sans jamais exercer un quelconque pouvoir sur la direction, qui aurait pu librement prendre des décisions lourdes qui ont débouché sur de coûteux échecs. À ce titre, l'audition 7 ( * ) par votre commission le 16 mai 2018 de M. Nicolas Sauzay, président de la Coopérative des magazines (CDM), actionnaire à 75 % de Presstalis, n'a pas permis de répondre à toutes les questions posées ;

Extrait de l'audition de M. Nicolas Sauzay, président de la CDM, le 16 mai 2018

Interrogé par votre Rapporteur, M. Nicolas Sauzay - dont il faut préciser qu'il exerçait ses fonctions depuis moins d'un an - n'a pas été en mesure de répondre pleinement à la question des responsabilités dans la situation de Presstalis.

M. Nicolas Sauzay . - Ma conviction, c'est que ces difficultés datent de 2011, époque à laquelle un plan avait déjà été mis en oeuvre, [..]

L'État, les éditeurs et les coopératives se sont alors réunis pour mettre en oeuvre une restructuration sociale et un vaste plan d'économies. Un médiateur a été désigné. De 2 500, le nombre d'employés a, depuis, été réduit à 1 200. Mais les coûts de restructuration individuelle se sont révélés particulièrement élevés. En particulier, la convention collective dont bénéficient un certain nombre de salariés, qui date de l'après-guerre, est très avantageuse.

Cela étant, je n'entends pas me défausser.

Le conseil d'administration a estimé que le travail mené par l'équipe dirigeante, notamment par Anne-Marie Couderc, alors présidente de Presstalis, avait atteint ses limites. D'autres, toutefois, ont émis un avis différent ; la situation est particulièrement complexe.

Le cas échéant, les responsabilités devraient être cherchées, avant tout, au sein de la direction de l'entreprise, mais on a fait le choix de regarder avant tout vers l'avenir. Contrairement à ce que vous suggérez, le conseil d'administration a pleinement assumé son rôle.

[...]

J'insiste : la direction de Presstalis a fait de son mieux. Les grands éditeurs ont eu un rôle essentiel, ils n'ont jamais faibli, et je tiens à leur rendre hommage. Cet hiver encore, ils se sont mobilisés pour apporter, en compte courant, d'importantes liquidités, qu'ils risquent de ne jamais revoir... Sans eux, le système s'écroulait, les imprimeurs et les marchands de journaux basculaient avec la filière tout entière. Les petits éditeurs n'auraient pu accomplir un tel effort.

De l'autre côté, les « petits » éditeurs profiteraient de conditions d'accès très libérales au réseau pour produire de grandes quantités de magazines de faible qualité éditoriale, essentiellement destinés à contenir des pages de publicité. L'audition le même jour de M. Eric Fottorino, directeur de l'hebdomadaire « Le 1 » et ancien directeur du journal Le Monde , en parallèle de celle de Nicolas Sauzay, souligne les divergences d'interprétation entre éditeurs.

Extrait de l'audition de M. Eric Fottorino, directeur de l'hebdomadaire « Le 1 »,
le 16 mai 2018

M. Eric Fottorino. - La presse indépendante est aujourd'hui marginalisée. Désormais, quelques grands industriels possèdent les grands journaux et les chaînes de télévision. Or, la presse qu'ils détiennent perçoit l'essentiel des aides publiques. Ces grands industriels partagent l'idée que le numérique est voué à remplacer la presse papier et n'investissent par conséquent plus dans cette filière.

[..] Dans ces grands journaux, les journalistes ne sont pas aimés et sont astreints à exprimer la pensée des industriels dont ils ne sont que les salariés. Les administrateurs de Presstalis et les grands éditeurs présentent également une forme d'entre soi. D'ailleurs, ce que ces industriels font peser sur le système représente davantage que leur contribution. Au final, ces centaines de petits éditeurs se voient appliquer des barèmes sans commune mesure avec ceux dont bénéficient les grands industriels. Ce système est relativement opaque : le montant des prestations hors-barème recréditées sur les comptes des grands éditeurs n'est jamais rendu public.

De manière incidente, votre Rapporteur rappelle les propos tenus devant la CSMP 8 ( * ) lors de l'examen des barèmes par le Président de l'époque de la CDQ, qui avait indiqué que le barème proposé « se limitait aux seules charges d'exploitation de Presstalis et n'intégrait pas les besoins financiers (charge de la dette, besoins en fonds propres..) [...] Les coûts exceptionnels de Presstalis devaient être couverts, si nécessaire, par les coopératives en leur qualité d'actionnaires ». Cela illustre l'ambiguïté de l'attitude des éditeurs, actionnaires des messageries, mais également clients, et qui ne semblent pas avoir su concilier ces deux objectifs.

La Cour des comptes, dans son rapport public annuel de 2018, a été conduite à formuler le même constat : « entre les tarifs auxquels les éditeurs doivent consentir pour la diffusion de leurs journaux et leur responsabilité au regard des fonds propres des coopératives, voire de leur rentabilité, l'arbitrage qui s'opère depuis longtemps penche en faveur de leurs intérêts de clients renvoyant à l'Etat le soin de couvrir les déficits qui en résultent 9 ( * ) ».

D. LE CONSTAT ET LES PROPOSITIONS DE RÉFORME DU « RAPPORT SCHWARTZ »

1. Trop de titres de presse ?

Le ministre de l'économie et des finances et la ministre de la culture ont confié à Marc Schwartz, conseiller maître à la Cour des comptes, une mission visant à coordonner les services de l'État sur le protocole de redressement de Presstalis, mais également « proposer des évolutions souhaitables de la loi « Bichet » du 2 avril 1947 dans le sens d'une modernisation et d'une amélioration de l'efficacité économique de la distribution de la presse ».

Le « rapport Schwartz », réalisé avec le concours de Fabien Terraillot, a été remis aux ministres en mai 2018 . Il devait servir de base à l'élaboration du présent projet de loi.

Au-delà d'un diagnostic complet de la situation, le rapport a proposé une réforme extrêmement ambitieuse de la distribution de la presse, réforme qui revenait en fait à abroger la loi du 2 avril 1947 tout en conservant ses grands principes.

L'un des grands apports du travail de Marc Schwartz consiste à replacer la loi Bichet dans le contexte historique qui l'a vue naitre , et à suivre son évolution sur près de 70 ans. Ainsi, le système coopératif mis en place par la loi a contribué à la richesse de l'offre éditoriale française, avec 4 400 titres de presse magazine, soit trois fois plus qu'en Allemagne et deux fois plus qu'au Royaume-Uni. Cette offre abondante ne se traduit cependant pas par des niveaux de vente significativement supérieurs par habitant, la France se situant juste dans la moyenne européenne .

Indicateurs comparés de diffusion de la presse magazine

Source : dix propositions pour moderniser la distribution de la presse, rapport présenté par Marc Schwartz et Fabien Terraillot, juin 2018

Si on ne peut que se féliciter de la richesse de l'offre française, elle se traduit cependant par des niveaux de vente au numéro parfois faibles, les rapporteurs de la mission notent cependant : « Mais le nombre absolu de titres diffusés ne peut être considéré, en tant que tel, comme un garant de la diversité rédactionnelle. Dans un marché financé par la publicité, la recherche de budgets d'annonceurs peut, au contraire, inciter à un mimétisme des contenus ». Si cela n'est pas explicitement formulé, le rapport pointe donc la question du « trop plein » de la production de presse, jugée de qualité inégale, et qui entraine la saturation des points de vente.

Il s'agit là d'un sujet très complexe qui divise les différents acteurs.

D'un côté, on peut faire état du taux d'invendus , de l'ordre de 51 % , en progression de neuf points depuis 2007 et qui touche toutes les familles de presse. La justification serait que des éditeurs « inonderaient » le réseau avec des publications de faible qualité , dans une optique essentiellement publicitaire, profitant indument d'un système performant pensé pour la distribution de la presse quotidienne nationale dont ils n'assument qu'une fraction des coûts.

De l'autre, on met en avant le poids économique que ces invendus représentent également pour les éditeurs, comme le caractère éphémère des journaux par rapport aux livres, caractère qui rend inévitable la présence d'invendus dans le circuit pour permettre à chacun d'acquérir un exemplaire.

Votre Rapporteur a pu entendre des arguments convaincants de part et d'autre. Aucune étude n'a pas jusqu'à présent pu établir un constat objectif de la situation. La source du problème semble résider dans l'évaluation de l'avantage économique réel retiré d'une participation au système de distribution par les Messageries, qui pourrait rendre rentable par la publicité l'impression à perte de nombreux numéros. En conséquence, la solution réside finalement dans une forme de « vérité des coûts » de distribution et de traitement par les diffuseurs de presse.

2. Des propositions d'évolution maximalistes

Le rapport de Marc Schwartz proposait dix pistes , pour une réforme radicale .

Les principes fondateurs de la loi Bichet, soit la liberté de diffusion, l'impartialité, la distribution générale de la presse dite IPG et le droit à distribution seraient maintenus, mais selon un schéma sensiblement différent.

- Tout d'abord, la distribution ne s'opérerait plus par l'intermédiaire de messageries sous statut coopératif, mais par celui de « sociétés agréées » . Ces sociétés, dont la forme juridique n'est pas fixée a priori , seraient soumises à un cahier des charges dont le respect serait contrôlé par une autorité de régulation indépendante.

- Le statut coopératif , accusé d'être à l'origine d'un conflit d'intérêt entre éditeurs-actionnaires et éditeurs-clients, ne serait donc plus une obligation , mettant ainsi un terme à la grande singularité de la distribution de la presse en France.

- La régulation ne serait plus laissée à l'appréciation de la profession, par le biais du Conseil supérieur des messageries de presse (CSMP), mais par l'Autorité de régulation des communications électroniques et des Postes ( ARCEP ) - dont la dénomination serait alors appelée à évoluer, tout comme les moyens pour assurer cette nouvelle mission. Un comité consultatif de la distribution de la presse serait placé auprès de l'ARCEP pour faire entendre la voix de la profession. Il serait donc mis un terme à l'autorégulation du secteur .

- L'obligation pour les sociétés coopératives d'accepter de nouveaux membres, qui emporte dans le système actuel l'accès au réseau, serait remplacée par un « droit à être distribué » au profit des éditeurs . Les sociétés agréées, dans les conditions fixées par le cahier des charges, et sous le contrôle du régulateur, seraient tenues de distribuer les produits presse des éditeurs.

- Cependant, le champ de cette obligation pourrait être plus limité qu'actuellement . La définition de ces « produits presse », large, peu claire et dispersée dans plusieurs textes, serait précisée afin d'éviter ce que les auteurs du rapport considèrent comme un « abus » qui sature le réseau, contribue à la multiplication des invendus et encombre les étals des kiosques, à savoir le recours à un système pensé pour la presse par un ensemble de productions parfois fort éloignées de l'image que l'on peut s'en faire (encyclopédies, cadeaux divers et variés, jouets etc..). Les auteurs du rapport préconisent donc de resserrer la définition à la presse disposant d'un numéro de commission paritaire des publications et des agences de presse (CPPAP) .

- L'assortiment des points de vente ferait l'objet d'une concertation plus approfondie avec les vendeurs , qui ne seraient plus contraints d'accepter les produits livrés. La presse d'information politique et générale (IPG) serait par principe distribuée dans tous les points de vente, mais le reste ferait l'objet d'accords négociés avec les kiosques.

- La mission proposait d'alléger les contraintes qui pèsent sur l'ouverture des points de vente , sans toutefois trancher entre la liberté totale d'installation et le respect de certaines conditions.

- L'organisation générale du réseau , actuellement divisé en trois niveaux (messageries, grossistes régionaux, diffuseurs) pourrait être amenée à évoluer , dans la logique d'une distribution libéralisée. Ainsi, la possibilité de mutualiser les flux avec d'autres flux logistiques ne serait pas écartée.

Si toutes les propositions du rapport Schwartz n'ont finalement pas été retenues par le gouvernement dans son projet de loi, le schéma envisagé a servi de pivot à l'élaboration du présent projet de loi , en sollicitant les réactions des acteurs sur une base de travail radicale. Les réactions recueillies à cette occasion ont donc été utilisées pour positionner la réforme dans une zone acceptable, soit un point « moyen ».

III. LES PRINCIPALES DISPOSITIONS DU PROJET DE LOI

A. LA PRÉSERVATION DES GRANDS ÉQUILIBRES

1. Le triple échec de la loi du 2 avril 1947

Le présent projet de loi, évoqué depuis plus d'un an et examiné en première lecture au Sénat, marque une importante évolution du paradigme de la distribution de la presse.

Tout d'abord, votre Rapporteur relève que le caractère spécifique de la distribution de la presse en France est lié à la nature singulière de la publication . Comme le Conseil constitutionnel le souligne, « le pluralisme des quotidiens d'information politique et générale auquel sont consacrées les dispositions [...] est en lui-même un objectif de valeur constitutionnelle ». L'exigence démocratique, qui dans notre pays s'appuie sur des citoyens informés, justifie l'intervention et le soutien public, via les aides à la presse ou le soutien à la distribution. Dès lors, le premier objectif de la loi du 2 avril 1947 a été de garantir une diffusion sur l'ensemble du territoire dans des conditions non discriminante, qui permettent à chacun, quel que soit son lieu d'habitation, de recevoir la presse IPG, et singulièrement les quotidiens, dans une temporalité proche à défaut d'être identique.

Or cet édifice ambitieux a été remis en cause ces dernières années par les crises successives qui ont frappé la presse ces dernières années.

De ce point de vue, le projet de loi acte un triple échec :

- celui de la régulation telle qu'issue des lois de 2011 et 2015, qui n'est pas parvenue, en dépit d'efforts très réels, à restaurer l'équilibre économique du secteur ;

- celui de Presstalis , qui n'a jamais semblé en mesure de se réformer suffisamment pour faire face à la baisse des ventes, et dont les directions successives ont principalement chargé un consensus social finalement obtenu grâce à un engagement important et non anticipé de l'Etat ;

- celui enfin des éditeurs , en particulier les membres successifs du conseil d'administration de Presstalis, qui n'ont jamais semblé en mesure de proposer des solutions de long terme dépassant le cadre de leur strict intérêt, sauf dans des situations d'urgence absolue où la distribution de la presse aurait pu s'effondrer brutalement.

2. Les objectifs que doit se fixer une modernisation de la législation

Votre Rapporteur avait défini dans son rapport pour avis sur le projet de loi de finances pour 2019 précité quatre objectifs que devait remplir une réforme de la loi Bichet :

- préserver un système à même d'assurer une distribution sur l'ensemble du territoire de la presse IPG ;

- créer les conditions d'un équilibre économique durable qui ne nécessiterait pas à intervalle régulier un soutien public ;

- préserver et développer le réseau des marchands de presse dans les territoires , en tenant compte des évolutions des habitudes de lecture ;

- enfin prendre en compte les nouveaux acteurs de la distribution numérique de la presse .

Le projet de loi relatif à la modernisation de la distribution de la presse cherche à préserver le sens premier de la loi adoptée le 2 avril 1947, qui est de garantir la distribution de la presse, spécifiquement IPG, en France, afin de permettre aux publications de remplir leur mission constitutionnelle.

Le schéma retenu passe par une réécriture complète de la loi de 1947, seules quelques dispositions du texte original étant préservées.

Pour autant, compte tenu de la place symbolique de cette grande loi issue des travaux du CNR et du maintien de son sens premier, votre Rapporteur estime important de rester dans ce cadre spécifique et de ne pas avoir inclus ces dispositions législatives, comme cela était envisagé par le rapport Schwartz, dans le code des postes et des communications électroniques. Ainsi, l'article 1 er du projet de loi contient une nouvelle « loi Bichet du 2 avril 1947 » de 26 articles.

La loi Bichet telle que conçue en 1947, révisée en 2011 et 2015, serait cependant très largement abrogée.

B. UNE RÉPONSE PRAGMATIQUE À LA CRISE DE LA DISTRIBUTION

1. La préservation de l'obligation du statut coopératif

Entre la volonté de certains acteurs de ne faire évoluer la loi Bichet qu'à minima et les évolutions très radicales proposées par l'avant-projet de loi de Marc Schwartz et Fabien Terraillot, le projet de loi du gouvernement constitue une réponse moyenne. En particulier, il ne serait pas donné suite à la proposition la plus contestée du rapport, qui consistait à revenir sur l'obligation de statut coopératif pour les éditeurs. Le nouvel article 3 de la loi du 2 avril 1947 reprendrait en effet les dispositions de l'article 2 actuellement en vigueur, qui oblige les éditeurs qui souhaitent grouper la distribution à se constituer en coopérative.

2. La fin de la participation majoritaire au capital des sociétés de distribution

Il serait par contre mis fin à l'obligation de participation majoritaire des coopératives au capital des sociétés en charge des opérations matérielles de groupage. L'histoire de la loi Bichet montre que cette disposition a été initialement introduite sous forme « d'exception commerciale » afin de concilier efficacité de la distribution qui nécessitait l'intervention de sociétés privées, et méfiance vis-à-vis de l'entreprise Hachette.

Désormais, l'article 3 préciserait que la distribution pourrait être confiée à des sociétés « agréées », qui pourraient n'entretenir aucun lien capitalistique avec les coopératives, qui leur confieraient, par contrat, la distribution des publications de leurs membres. Ces sociétés seraient sélectionnées sur la base d'un cahier des charges et devront prendre des engagements en matière de distribution de nature à préserver l'universalité d'accès à la presse, notamment IPG.

Il n'y a donc pas de libéralisation absolue du marché, sur le modèle des autres pays européens, mais une libéralisation encadrée . L'idée sous-jacente est de permettre la mutualisation des flux logistiques. Ainsi, les sociétés agréées pourrraient emprunter leur propre réseau déjà existant pour distribuer la presse, de la même manière que Presstalis, les MLP et le niveau 2 seront incités à utiliser leurs infrastructures pour d'autres produits .

3. Une régulation totalement repensée

Le CSMP et l'ARDP seraient dissous, et leurs pouvoirs transférés en grande partie à une Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse , soit une Autorité de régulation des communications électroniques et des Postes (ARCEP) aux compétences élargies à ce nouveau secteur. Son rôle est précisé aux articles 15 à 25 de la loi du 2 avril 1947 dans sa nouvelle version.

La nouvelle Autorité serait chargée de faire respecter « les principes énoncés par la loi », et de veiller à « la continuité, la neutralité, l'efficacité économique de la distribution de la presse ainsi qu'à une couverture large et équilibrée du réseau des points de vente » (article 15 de la loi du 2 avril 1947 dans sa version envisagée par le projet de loi).

La nouvelle Autorité exercerait trois types de fonctions, certaines reprises du CSMP et de l'ARDP, listées à l'article 17 :

- en amont, elle proposerait au gouvernement le cahier des charges auxquels les sociétés agréées devraient se soumettre et accorderait l'agrément aux sociétés candidates, suivant une procédure définie à l'article 18 ;

- elle établirait un schéma directeur de la distribution de la presse cohérent avec les objectifs du projet de loi ;

- elle exercerait une régulation en continu de l'ensemble du secteur, se substituant très largement au CSMP.

La fin de l'autorégulation du secteur et l'absence d'un comité consultatif de la presse placé auprès de l'ARCEP « nouvelle version » tel qu'imaginé dans le rapport Schwartz marquent la perte d'influence, pour ne pas dire la défiance, vis-à-vis des éditeurs . Le choix de l'ARCEP, autorité administrative indépendante reconnue pour son expertise des réseaux et des marchés, souligne également la volonté clairement établie de refonder le secteur de la distribution sur un principe général d'efficacité économique .

Il convient cependant de noter que l'article 25 proposé par l'article premier du présent projet de loi pour la loi du 2 avril 1947 transfère l'essentiel des attributions de la Commission du Réseau du CSMP à une nouvelle « commission du réseau de la diffusion de la presse », composée d'éditeurs et de personnalités qualifiées .

4. La prise en compte de la distribution numérique

L'article 14 intègre les fournisseurs de contenu de presse en ligne dans le système de la loi Bichet.

Votre Rapporteur avait consacré aux kiosques numériques un chapitre de son rapport pour avis précité sur le projet de loi de finances pour 2019. S'il n'avait relevé ni de la part des éditeurs, ni des kiosques, de volonté de limiter l'accès de la presse IPG aux kiosques, il ne peut que se réjouir de l'inscription formelle dans la loi de l'obligation de ces sites d'accueillir sur demande la presse IPG.

Le cas des agrégateurs de contenus est plus complexe. Le II de l'article 14 complète leurs obligations d'information des internautes par des précisions sur l'utilisation qui est faite de leurs données personnelles dans le cadre du traitement algorithmique des contenus proposés à chacun . Cette démarche va largement dans le sens des travaux de votre commission de la culture, en particulier de sa Présidente qui a déposé une proposition de résolution européenne, adoptée par le Sénat le 30 novembre 2018, sur la responsabilisation partielle des hébergeurs 10 ( * ) , et de notre collègue David Assouline, qui a déposé une proposition de loi tendant à créer un droit voisin au profit des agences de presse et des éditeurs de presse 11 ( * ) , adoptée par le Sénat le 24 janvier 2019.

Les dispositions proposées s'inscrivent donc dans un contexte plus général qui tend faire peser plus de responsabilités sur les grands acteurs de l'Internet.

5. La réforme du statut des vendeurs-colporteurs de presse

Le gouvernement profite du dépôt de ce projet de loi pour proposer une évolution du statut des vendeurs-colporteurs de presse (VCP), suggérée par deux rapports d'inspection de 2014 et 2017 et réclamées par la profession.

Cette réforme est destinée, d'une part, à simplifier leur statut devenu très complexe, d'autre part, à soutenir le portage de presse , doublement fragilisé dans la dernière loi de finances, en dépit des mises en garde de votre Rapporteur, par la baisse des dotations et la non compensation de la fin du CICE .

6. Une entrée en application progressive

Les articles 7 et 8 du présent projet de loi proposent une entrée en vigueur échelonnée jusqu'au 1 er janvier 2023. La transition serait relativement rapide pour la régulation, le CSMP étant dissous dans les six mois suivant la promulgation, plus lente pour les messageries. Les MLP et Presstalis pourront en effet continuer à exercer pendant trois ans sans agrément. Ce dernier ne pourra être délivrée que tardivement, le texte prévoyant simplement que le cahier des charges doit être publié « au plus tard le 1 er janvier 2023 ».

Ce délai, qui peut sembler long, obéit à trois impératifs.

D'une part, il correspond à la durée théorique de sortie de Presstalis de son plan de redressement . Il permettrait donc à l'opérateur historique de parvenir à l'équilibre pour pouvoir affronter la concurrence.

D'autre part, le délai offre également aux futures sociétés candidates le temps nécessaire à la préparation de leurs offres . Le marché de la distribution de la presse est en effet très spécifique et lourd de contraintes, la connaissance des territoires et la structure logistique doivent donc être conçus en conséquence.

Enfin, il devrait également permettre à l'Autorité de régulation d'acquérir les compétences nécessaires à assurer ses activités dans un secteur nouveau pour elle.

Pour autant, à ce stade, les trois années pendant lesquels l'ancien système devrait continuer à perdurer ne sont pas sans risques pour Presstalis, qui doit convaincre ses clients de sa pérennité et de la pertinence de son offre commerciale, alors qu'ils pourraient être incités à quitter la société ou à ne s'engager que sur peu de temps. Ce serait alors un échec pour le plan de redressement, dans lequel l'Etat s'est beaucoup engagé et qui commence à porter ses fruits.

C. LES ANGLES MORTS DE LA RÉFORME

Si votre Rapporteur approuve assez largement les grands axes d'une réforme qu'il a appelée de ses voeux , il tient à mettre en avant les « angles morts » de la réforme, qui représentent cependant des clés de son succès.

1. La dette de Presstalis et son avenir

Tout d'abord, le projet de loi ne traite pas de la situation financière de Presstalis , dont les comptes sont fortement grevés par plus de 400 millions d'euros de dettes. Il offre un cadre stabilisé qui, à compter de 2023, devrait permettre une distribution économiquement efficace sans renier les principes de la loi Bichet. Mais il reste un passif à purger, l'absence de solution durable de long terme mettant en danger non seulement Presstalis et ses personnels, mais également les sommes déjà investies par l'Etat et les éditeurs et toute la chaîne de la presse en France.

Dès lors, votre Rapporteur souhaite que la discussion au Parlement de ce projet de loi soit l'occasion pour le ministre de faire valoir ses options pour un redressement de la société, qui pourra éventuellement se concrétiser lors de la présentation du prochain projet de loi de finances ou par des mesures réglementaires .

2. Le futur des diffuseurs de presse : comment faire respecter les décisions d'assortiment ?

L'une des grandes justifications du projet de loi est la situation économique dégradée et les conditions de travail des marchands de presse . De ce point de vue, on ne peut que se réjouir de l'attention toute particulière qui leur est accordée dans le texte examiné.

Pour autant, la liberté qu'ils devraient trouver avec les dispositions relatives à l'assortiment ne trouveront à s'appliquer que si elles sont matériellement réalistes. Or, en l'état actuel, le système informatique n'est pas en capacité de donner satisfaction sur ce point, et de très loin .

Il faudra donc un effort important pour que la loi puisse réellement entrer en vigueur .

3. La place des collectivités locales dans les décisions d'implantation des diffuseurs

Votre Rapporteur connait la place centrale des diffuseurs de presse dans la vie locale. Sur l'ensemble des territoires, il s'agit non seulement d'un commerce, mais également, et peut-être surtout, d'un lieu de vie et de construction de l'identité démocratique et républicaine.

Dans ce contexte, votre Rapporteur a souhaité donner une place aux maires en les associant aux décisions d'implantation sur leur commune des diffuseurs de presse afin que les élus locaux soient associés aux décisions les concernant directement .

EXAMEN DES ARTICLES

Article 1 er
(loi n° 47-585 du 2 avril 1947 relative au statut des entreprises de groupage
et de distribution des journaux et publications périodiques)

Refonte de la loi « Bichet » du 2 avril 1947

Objet : cet article propose une nouvelle rédaction complète de la loi du 2 avril 1947 .

I. Le droit en vigueur

L'exposé général a présenté en détail l'origine et les principes de la loi « Bichet ». Il a également décrit l'organisation du système de distribution de la presse en France et les difficultés rencontrées depuis plusieurs années.

II. Le dispositif proposé par le projet de loi

L'article premier du présent projet de loi procède à une réécriture presque totale des 38 articles, dont cinq abrogés, de la loi Bichet du 2 avril 1947.

Afin de faciliter la compréhension du nouveau système, votre Rapporteur a choisi de présenter les nouveaux articles dans l'ordre du texte proposé, en précisant pour chacun d'entre eux les dispositions du texte en vigueur reprise, modifiés, ou supprimées .

A. ARTICLE 1ER : RÉAFFIRMATION DU PRINCIPE DE LIBERTÉ DE LA DIFFUSION DE LA PRESSE

Le premier alinéa de l'article premier de la loi Bichet du 2 avril 1947 dans sa version en vigueur débute par l'énoncé du principe absolu de liberté de la diffusion de la presse , qui constitue l'un des piliers, plus de 70 ans après l'adoption de la loi, de la distribution de la presse.

L'article 1 er proposé par l'article 1 er du présent projet de loi conserverait cette liberté, ce qui conforte sa pérennité. Cependant, le texte serait actualisé par la suppression du mot « imprimé », le cadre général étant désormais celui de la liberté de la diffusion de la presse dans son ensemble . Cela permet de tenir compte de l'évolution des techniques, en particulier l'Internet. Un titre II nouveau, comportant un unique article 14, serait introduit pour traiter « La diffusion numérique de la presse ».

Au sein de l'article premier, la phrase « Toute entreprise de presse est libre d'assurer elle-même la distribution de ses propres journaux et publications périodiques par les moyens qu'elle jugera les plus convenables à cet effet », qui contribue à donner une effectivité à la liberté de diffusion, serait supprimée mais reproduite presque à l'identique dans le nouvel article 2.

A la suite de l'article 1 er , un titre I er consacré à la « Distribution de la presse imprimée » serait inséré par le projet de loi. Il serait divisé en un chapitre I er intitulé « Dispositions générales » (articles 2 à 5), un chapitre II « Le groupage par des coopératives » (articles 6 à 10), un chapitre III « La distribution groupée par des sociétés agréées » (articles 11 et 12) et un chapitre IV « La diffusion de la presse imprimée » (articles 13).

B. ARTICLE 2 : DÉFINITION DE LA PRESSE AU SENS DE LA PRÉSENTE LOI

L'article 2 de la loi du 2 avril 1947, qui rend obligatoire le recours à des coopératives pour le groupage et la distribution de plusieurs journaux et publications périodiques, sauf dans le cas des abonnements, serait remplacé par 4 articles (de 2 à 5).

Le nouvel article 2 inclurait dans la loi la définition des journaux ou publications périodiques qui n'y figurait pas. Il serait renvoyé de manière explicite à l'article 1 er de la loi du 1 er août 1986 portant réforme du régime juridique de la presse, soit « tout service utilisant un mode écrit de diffusion de la pensée mis à la disposition du public en général ou de catégories de publics et paraissant à intervalles réguliers ».

Cette définition est considérée comme la plus large possible pour la presse. Il convient au passage de souligner qu'une partie des publications considérées jusqu'à présent en « hors presse », comme les encyclopédies (par exemple, cinq numéros sur le Moyen Âge..) intègreront la catégorie « presse », et participeront de ce fait à la péréquation.

Le traitement au regard de la distribution de chacune de ses composantes est précisé à l'article 5. Le choix de retenir une définition très englobante permet de plus de maintenir la presse dite « hors CPPAP » (jeux par exemple), dont l'exclusion aurait fragilisé la péréquation (voir commentaire de l'article 17).

C. ARTICLE 3 : PRINCIPES GÉNÉRAUX DE LA DISTRIBUTION DE LA PRESSE PAR DES SOCIÉTÉS AGRÉÉES

L'article 3 présente le schéma général de distribution de la presse tel qu'envisagé dans le présent projet de loi.

1. La réaffirmation de la liberté de choix des éditeurs

Le premier alinéa est issu de l'article premier de la loi actuellement en vigueur, et affirme que toute « toute entreprise de presse est libre d'assurer elle-même la distribution de ses propres journaux et publications périodiques par les moyens qu'elle jugera les plus appropriés à cet effet ». La seule différence par rapport à la rédaction antérieure est la substitution du mot « convenable » par le mot « approprié », ce qui relève de l'actualisation sémantique. Le grand principe de liberté de choix pour les entreprises de presse est donc conforté, en combinaison avec l'article premier.

L'entreprise de presse garde la maitrise de ses modalités de distribution : par elle-même , comme la presse régionale, ou bien de manière groupée , cas évoqué par le second alinéa.

2. Le maintien de l'obligation de regroupement des éditeurs en coopératives

Le deuxième alinéa de l'article 3 reprend les dispositions de l'article 2 de la loi en vigueur. Il se présente comme une exception au principe général de liberté de choix de la distribution . Ainsi, si deux entreprises de presse décident de grouper la distribution, elles ont l'obligation de créer une société coopérative de groupage de presse .

Cela signifie le maintien le système coopératif sur lequel s'est construite la loi Bichet depuis 70 ans, et qu'aucune de ses modifications n'a remis en cause. Serait donc écartée l'une des principales préconisations du rapport Schwartz , qui proposait de mettre fin à l'obligation de regroupement au sein de coopératives. La concertation lancée autour de ce rapport avait révélé le fort attachement à ce statut. Au fil du temps, il a en effet contribué à l'identité et aux valeurs du secteur et est largement vécu par les éditeurs comme une protection et une garantie de traitement équitable.

Il convient enfin de relever une évolution sémantique : alors que la loi en vigueur définit les « sociétés coopératives de messageries de presse », le nouvel intitulé serait « société coopérative de groupage de presse ».

3. La fin de l'exception commerciale et les nouvelles sociétés agréées

Si le deuxième alinéa permettait à la distribution de la presse de préserver sa spécificité coopérative , le troisième alinéa ouvre la voie à un partage des fonctions .

Comme l'exposé général l'a rappelé, les sociétés coopératives assurent directement , en application de l'article 4 de la loi en vigueur, les opérations de groupage. Tel fut jusqu'en 2015 le cas des MLP.

Cet article 4 permet cependant de confier les opérations matérielles de groupage à des sociétés commerciales, à la condition que les coopératives disposent d'une participation majoritaire dans leur capital. Cette « exception commerciale », devenue en réalité la norme dès 1947, a permis à la société Hachette de constituer une société commune avec les éditeurs, les NMPP, jusqu'à son départ en 2011 . Depuis cette date, le capital de Presstalis, qui a succédé aux NMPP, appartient pour 75 % à la Coopérative des magazines (CDM) et à 25 % à la Coopérative des quotidiens (CDQ).

Cette obligation de participation majoritaire contenue dans l'article 4 de la loi en vigueur serait supprimée .

Dès lors, les sociétés agréées qui assureraient la distribution et dont la sélection et les modalités d'exercice sont définies aux articles 11, 17 et 18, n'auraient pas à être détenues à majorité par les coopératives. La fin de l'obligation n'emporte cependant pas une interdiction : les coopératives peuvent parfaitement conserver une majorité au capital.

La fin de l'obligation de détention majoritaire du capital se comprend comme une nouvelle possibilité de distribution pour les éditeurs, destinée à leur permettre de disposer de canaux plus nombreux.

De manière symétrique, elle met également fin au monopole de fait exercé par les deux messageries historiques, Presstalis et les MLP .

A l'initiative de votre Rapporteur, la commission a adopté un amendement (COM-8) qui lève une ambiguïté concernant les sociétés agréées : seules peuvent recourir à leur service les entreprises de presse qui auront adhéré à une coopérative.

4. Le maintien de l'exception pour les abonnements

Le dernier alinéa de cet article 3 reprend à l'identique les dispositions contenues dans l'article 2 de la loi en vigueur, qui garantissent un circuit à part pour les abonnés - essentiellement La Poste et le portage de presse .

D. ARTICLE 4 : REPRISE DE LA DÉFINITION DE LA PRESSE D'INFORMATION POLITIQUE ET GÉNÉRALE

L'article 4 permet, d'une part, d'affirmer les grands principes de distribution de la presse d'information politique et générale (IPG), d'autre part, de donner une valeur législative à sa définition.

1. Les garanties données à la distribution de la presse IPG

Alors que la presse IPG est au centre de toutes les préoccupations en matière de distribution, elle n'est paradoxalement mentionnée qu'à deux reprises dans la loi en vigueur :

- d'une part, au de l'article 18-6, qui précise que le CSMP, pour l'exécution de ses missions, « détermine les conditions et les moyens propres à garantir une distribution optimale de la presse d'information politique et générale » ;

- d'autre part, au 10° du même article 18-6, afin de marquer l'obligation pour les sociétés qui assurent la distribution de cette presse IPG de tenir une comptabilité séparée.

Dans une décision de 1984 précitée, le Conseil constitutionnel a par ailleurs établi que « le pluralisme des quotidiens d'information politique et générale auquel sont consacrées les dispositions du titre II de la loi est en lui-même un objectif de valeur constitutionnelle ».

Dès lors, le premier alinéa de l'article 4 proposé par le projet de loi affirme de manière claire que la presse IPG est « distribuée selon des modalités permettant d'en garantir l'indépendance et le pluralisme ainsi que le libre choix des lecteurs ». Sans faire évoluer un état du droit désormais fixé par une norme constitutionnelle, cette insertion dans la loi dans un article dédié clarifie la place privilégiée de la presse IPG dans la distribution.

2. Une définition de la presse IPG élevée au rang législatif

Alors que la distribution de la presse IPG est un objectif à valeur constitutionnelle, sa définition relève actuellement d'un décret , codifié à l'article D. 19-2 du code des postes et des communications électroniques. L'article 4 propose d'élever au niveau législatif la définition de cette catégorie de presse, sans la modifier . Comme cela a été vu dans l'exposé général, la presse IPG se définit par trois caractéristiques :

- apporter de façon permanente sur l'actualité politique et générale, locale, nationale ou internationale, des informations et des commentaires tendant à éclairer le jugement des citoyens ;

- consacrer la majorité de leur surface rédactionnelle à cet objet ;

- présenter un intérêt dépassant d'une façon manifeste les préoccupations d'une catégorie de lecteurs.

L'article 4 précise par ailleurs qu'un décret en Conseil d'Etat désignera l'autorité compétente pour établir la liste de ces publications . Il y a tout lieu de penser que, comme c'est actuellement le cas, cette mission reviendra à la Commission paritaire des publications et des agences de presse (CPPAP).

E. ARTICLE 5 : OBLIGATIONS DES SOCIÉTÉS AGRÉÉES ET CONDITIONS D'ASSORTIMENT

L'article 5 établit les obligations des sociétés agréées et définit les modalités d'assortiment qu'elles devront assurer dans les points de vente.

1. Des obligations de distribution étendues

Le premier alinéa de l'article 5 établit une double obligation pour les sociétés agréées.

a) Le devoir d'accepter les nouveaux entrants

D'une part, ces sociétés doivent accepter les demandes de distribution des publications de toutes les entreprises de presse qui les solliciteraient . Les entreprises disposeraient donc d'un véritable « droit à être distribuées », cette idée étant au coeur du rapport Schwartz.

Il existe cependant une ambiguïté quant à l'obligation, définie à l'article 3, de regroupement des éditeurs au sein d'une coopérative, ambiguïté qui peut occasionner deux lectures opposées :

- première lecture , pris isolément, l'article 5 laisse à penser que n'importe quelle entreprise de presse peut, de sa propre initiative, demander à être distribuée par une société agréée, sans obligation aucune d'adhérer à une coopérative. Dès lors, l'obligation d'adhésion serait une simple incitation, liée par exemple à la capacité de la coopérative à obtenir des conditions tarifaires plus avantageuses qu'une entreprise seule ;

- seconde lecture , l'article 5 peut également se comprendre par combinaison avec les articles 3 et 8. Une entreprise de presse qui solliciterait une société agréée pour sa distribution entrerait naturellement dans un mécanisme de distribution groupée, et aurait donc l'obligation d'adhérer à une société coopérative (article 3 ), cette dernière n'ayant pas le droit de lui refuser cet accès (article 8). Le 4° de l'article 17, qui prévoit précisément des exceptions au principe coopératif plaide pour cette seconde interprétation.

Afin de lever les doutes exprimés durant les auditions, votre Rapporteur a fait adopter par la commission un amendement à l'article 3 qui lève cette ambiguïté .

b) L'absence de discrimination

Les sociétés agréées ne pourraient pas pratiquer de sélection des nouveaux entrants par les prix ou la qualité du service. Le premier alinéa précise en effet que l'accueil de l'entreprise de presse se fait « dans des conditions objectives, transparentes, efficaces et non discriminatoires ».

Le choix des termes fait référence au champ de la régulation économique . On retrouve ainsi un vocable quasiment identique dans le code des postes et des communications électroniques - on peut rappeler à cette occasion que l'idée d'une intégration de la loi Bichet dans ce code était évoquée par le rapport de Marc Schwartz.

Ainsi, l'article L. 42-1 indique que « L'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes attribue les autorisations d'utilisation des fréquences radioélectriques dans des conditions objectives, transparentes et non discriminatoires tenant compte des besoins d'aménagement du territoire ». L'article L. 34-8-1 utilise les mêmes termes : « La prestation d'itinérance locale est assurée dans des conditions objectives, transparentes et non discriminatoires ». Enfin, l'article L. 32-1 combine comme le présent article 5 les conditions objectives et transparentes avec l'efficacité : « Dans le cadre de ses attributions et, le cas échéant, conjointement avec le ministre chargé des communications électroniques, l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes prend, dans des conditions objectives et transparentes , [...] 5° L'utilisation et la gestion efficaces des fréquences radioélectriques et des ressources de numérotation ».

Le choix de ces mots rattache donc l'examen du traitement des entreprises de presse par l'Autorité de Régulation défini à l'article 15 proposé par le présent projet de loi au corpus du droit économique, du droit de la concurrence et de l'accès au réseau dans des marchés qui présentent le caractère d'un monopole ou d'un oligopole . L'idée sous-jacente est que les entreprises agréées pourraient disposer d'une forme d'exclusivité sur une partie du territoire, et seraient susceptibles, à ce titre, de priver une publication de l'accès au point de vente - soit les craintes exprimées en 1947 et qui ont conduit à l'adoption de la loi Bichet.

Dès lors, la garantie posée par le premier alinéa de l'article 5 se comprend comme constituée de deux parties indissociables . La première interdit à une société agréée de refuser formellement la distribution d'un titre , la seconde veut éviter une discrimination fondée sur des conditions tarifaires ou matérielles sans lien avec la réalité économique.

Concrètement, la coopérative passera donc un accord avec une ou plusieurs sociétés agréées, puis ses membres contracteront directement avec elles.

2. Un assortiment divisé en trois catégories

Les conditions posées par le premier alinéa ne visent cependant pas à recréer, sous une autre forme et avec d'autres acteurs économiques, un accès sans conditions au réseau . Comme l'exposé général a pu le souligner, il a été jugé que l'abondance de titres comme le taux d'invendus de près de 50 % avaient contribué à fragiliser le réseau de distribution et à nuire à l'attractivité commerciale des points de vente.

Les titres seraient divisés en trois catégories , dont les conditions de livraison seraient différenciées.

• La première catégorie comprend les titres d'information politique et générale .

L'article 4 a élevé au rang législatif la définition qu'en donnait l'article D. 19-2 du code des postes et des communications électroniques. Cette presse bénéficierait de quatre garanties :

- l'entreprise de presse détermine les points de vente ;

- elle détermine les quantités servies ;

- la continuité de la distribution est garantie ;

- le point de vente ne peut pas refuser de diffuser les titres de presse IPG qui lui sont adressés.

- Extrêmement fortes et protectrices, ces garanties ne font cependant que perpétrer une pratique en vigueur depuis 1947 , juridiquement confortée par la décision de 1984 du Conseil constitutionnel et qui fonde en grande partie la singularité du système de diffusion en France.

• La deuxième catégorie comporte les titres de presse « CPPAP ».

Cette catégorie fait référence à l'application des tarifs de presse prévus à l'article L. 4 du code des postes et des communications électroniques, en dehors de la presse IPG qui fait l'objet d'un traitement distinct et avantageux. Il s'agit en l'occurrence de la presse dite « CPPAP ». Sa liste est élaborée par la Commission paritaire des publications et agences de presse (CPPAP).

Comme cela a été indiqué dans l'exposé général, la presse « CPPAP » se réfère à l'article D.18 du code des postes et communications électroniques, qui la définit de la manière suivante : « les journaux et écrits périodiques présentant un lien direct avec l'actualité, apprécié au regard de l'objet de la publication et présentant un apport éditorial significatif (...) , s'ils remplissent les conditions suivantes : avoir un caractère d'intérêt général quant à la diffusion de la pensée : instruction, éducation, information, récréation du public ; satisfaire aux obligations de la loi du 29 juillet 1881 ; paraître régulièrement au moins une fois par trimestre ; faire l'objet d'une vente effective au public ; avoir au plus les deux tiers de leur surface consacrée à la publicité et aux annonces classées ; ne pas être assimilable à des publications commerciales ; n'être pas susceptible de choquer le lecteur par une présentation dégradante de la personne humaine ».

La presse CPPAP

Au 1 er mars 2018, 7 244 publications de presse bénéficient de cette qualification, dont 2 178 empruntent le circuit des messageries- le reste est composé de presse régionale. Elles se divisent en 20 % de presse ciblée et d'information générale, 36 % de presse technique et professionnelle, 32 % de presse magazines, divertissement et loisirs et 12 % de presse culturelle, scientifique et de jeunesse.

Le rapport d'activité 12 ( * ) 2017 de la CPPAP précise que le refus d'inscription est attribué essentiellement sous les motifs de défaut de lien avec l'actualité , qui renvoie à l'obligation de comporter un contenu renouvelé d'un numéro à l'autre en fonction de l'actualité, et le défaut d'intérêt général , qui fait référence au manque d'apport éditorial hors publicité et modèle.

Cette catégorie de presse ne serait pas distribuée à la volonté de l'entreprise de presse, comme pour l'IPG, mais à l'issue d'un accord interprofessionnel entre les organisations représentatives des sociétés des éditeurs, les sociétés agréées de distribution et des diffuseurs de presse, suivant des règles d'assortiment .

A l'initiative de votre Rapporteur, la commission a adopté un amendement de précision COM-9 qui prévoit que les sociétés agréées, et non pas leurs organisations professionnelles, en leur absence, participent à la négociation.

L'accord passé doit tenir compte « des caractéristiques physiques et commerciales des points de vente ».

Ces dispositions ont pour objet d'élever au niveau législatif la question, récurrente et cruciale, de l'assortiment de presse . Votre Rapporteur a été, comme chacun, saisi par la quantité de titres de presse présentée dans l'espace réduit des kiosques, ou bien par l'encombrement des rayonnages des maisons de la presse. Comme cela a été dit, cette « sur présentation » est en grande partie la conséquence de la liberté presque totale d'accès au réseau qui, pour certains, a permis la diversité de la presse en France, avec un nombre de titres record par habitant, pour d'autres, a perverti un système conçu à l'origine pour la diffusion de la presse IPG.

Pour autant, ce constat n'est pas nouveau , et l'assortiment est supposé exister depuis 2011. En effet, le 2° de l'article 18-6 de la loi Bichet, qui précise les compétences du CSMP, indique que ce dernier « fixe pour les autres catégories de presse, selon des critères objectifs et non discriminatoires définis dans un cahier des charges, les conditions d'assortiment des titres et de plafonnement des quantités servis aux points de vente ».

Le CSMP a cherché à donner une consistance à cette mission, par sa décision du 22 décembre 2011. Elle définit « l'offre de presse » et précise que l'assortiment servi à chaque vendeur est le fruit d'un « dialogue commercial instauré avec le diffuseur de presse et sur des critères objectifs qui tiennent compte des caractéristiques du point de vente, en particulier de son linéaire développé, et des attentes de la clientèle ». La décision rappelle que le diffuseur est tenu d'accepter, en plus de la presse IPG, les quotidiens et les publications nouvelles, le dialogue commercial ne s'exerçant en réalité que sur ce qui ne rentre dans aucune de ces catégories.

En réalité, cette décision n'a été appliquée que de manière très imparfaite , principalement en raison des réticences des éditeurs et de problèmes informatiques qui ont rendu la « mise à zéro » et la remontée d'informations presque impossibles.

Dès lors, l'assortiment tel que défini par le présent article reposera sur la double condition d'un accord entre les différentes parties prenantes et sur la capacité des acteurs de la chaîne de distribution à adapter leurs infrastructures informatiques et logistiques . Il n'en constitue pas moins pour votre Rapporteur une nécessité et la clé du succès commercial de la réforme proposée par le présent projet de loi. On peut imaginer un accord permettant de distinguer les marchands de presse suivant leurs linéaires disponibles, leur emplacement, les ventes des mois précédents, la saisonnalité etc...

Par rapport à la décision de 2011 du CSMP, les premiers numéros ne seraient plus considérés comme devant être diffusés au même titre que la presse IPG. Les accords interprofessionnels devront cependant veiller, selon votre Rapporteur, à permettre une bonne exposition des nouveautés qui participent à la diversité de la presse en France, en évitant l'écueil, maints fois soulignés, des « faux numéros un », jamais suivis de numéros deux.

A l'initiative de votre Rapporteur, la commission a adopté un amendement COM-10 qui précise que les diffuseurs de presse sont tenus de proposer à leurs clientèles les titres de presse « CPPAP » qui leur auront été fournis en application de l'accord interprofessionnel.

• La troisième catégorie : les « autres journaux et publications périodiques ».

Les publications de presse « hors CPPAP » ne seraient distribuées que sous réserve de l'adoption d'une convention entre les parties intéressées. L'objectif est de transférer ce pouvoir de décision aux diffuseurs de presse, en mesure de mieux anticiper le succès et donc le niveau des ventes de telle ou telle publication .

Cette presse, qui comprend notamment les jeux, représente 1 842 titres environ, et demeure très populaire.

La logique de segmentation des publications aboutit à une gradation, avec en son sommet la presse IPG, qui bénéficierait d'un accès illimité au réseau, puis la presse « CPPAP », dont la distribution serait actée par un accord interprofessionnel, enfin la presse « hors CPPAP » qui devrait pour sa part passer par des conventions .

Votre Rapporteur a été sensible à l'inquiétude exprimée à la fois par la presse « CPPAP » - qui craint de perdre de la visibilité au profit de la presse « hors CPPAP » - et cette même presse « hors CPPAP », qui craint de disparaitre des linéaires. La symétrie de ces inquiétudes souligne a contrario l'importance de la place qui sera laissée aux organisations professionnelles au moment de la négociation de l'assortiment , et des diffuseurs de presse, dont la capacité de choix et le côté entrepreneurial est ainsi mis en avant, ce à quoi la profession est légitimement sensible.

À l'initiative de notre collègue Jean-Pierre Leleux, votre commission a adopté un amendement COM-3 qui prévoit un droit de « présentation » pour deux catégories de titre : la presse « CPPAP » non retenue dans l'assortiment, et la presse « non CPPAP ». Les intermédiaires (sociétés agréées par exemple) pourront présenter les titres des éditeurs aux diffuseurs de presse, qui choisiront alors les titres qu'ils souhaitent recevoir en plus de la presse IPG et de l'assortiment. Cette disposition est essentielle aux yeux de votre Rapporteur : elle permet, d'une part, de ne pas rompre trop brutalement avec la facilité d'accès au réseau dont bénéficient actuellement les éditeurs, d'autre part, elle donne une place centrale aux diffuseurs, enfin, elle est de nature à encourager une offre éditoriale riche et renouvelée, qui constitue l'une des forces du système français .

F. ARTICLE 6 : FORME JURIDIQUE DES SOCIÉTÉS COOPÉRATIVES

L'article 6 est le premier du chapitre II « Le groupage par des coopératives » du titre I de la loi.

Il reprend les dispositions de l'article 3 de la loi du 2 avril 1947 en vigueur, qui fixe par renvoi au code de commerce les règles applicables aux coopératives. Si ces références ne sont pas modifiées, l'article évolue sur deux points .

D'une part, il insère une condition de deux associés au moins pour constituer une société de groupage de presse. L'article 9 de la loi actuellement en vigueur, abrogé par le présent projet de loi, avait fixé le nombre minimal à trois . L'abaissement de ce seuil, qui n'est accompagné d'aucune justification, parait cependant porteur de risques à votre Rapporteur . Il pourrait inciter deux « gros » éditeurs à se rassembler au détriment de l'esprit coopératif. Dans un cas extrême où une coopérative aurait seulement deux associés, leur désaccord entrainerait un blocage complet. Dès lors, il pourrait paraitre prudent de conserver le seuil de trois entreprises de presse.

Votre commission a donc adopté, à l'initiative de notre collègue André Gattolin, un amendement COM-6 revenant au texte initial de la loi Bichet, qui prévoit que trois associés sont nécessaires pour former une coopérative.

D'autre part, il actualise la dénomination des « sociétés coopératives de messageries de presse » en « société coopérative de groupage de presse ».

G. ABROGATION DE L'ARTICLE 4 DE LA LOI EN VIGUEUR

Le VII de l'article 1 er du présent projet de loi propose la suppression de l'article 4 de la loi du 2 avril 1947 actuellement en vigueur.

Cet article 4 circonscrit l'activité des messageries aux opérations de distribution et de groupage des journaux édités par les associés, ce qui correspond au cas où la coopérative mène directement et pour son propre compte ces activités.

L'article comporte également la disposition dite « d'exception commerciale », qui permet de confier à un tiers les opérations matérielles, sous réserve que la coopérative dispose d'une participation majoritaire au capital.

Dans la nouvelle architecture prévue par le présent projet de loi, les opérations matérielles seront exercées par des sociétés agréées. Dès lors :

- ou bien les coopératives confient à de telles sociétés la gestion matérielle des opérations, dès lors, il n'y aurait pas de logique économique à limiter l'activité de ces dernières à ces seules opérations, au détriment d'éventuelles synergies ;

- ou bien les coopératives souhaitent se constituer elles-mêmes en sociétés agréées , et il n'y pas de raison de les handicaper par rapport à des sociétés qui pourraient étendre leur activité.

Cette suppression est donc logique par rapport à la structure proposée par le présent projet de loi .

H. ARTICLE 7 : DÉTENTION DU CAPITAL SOCIAL DES COOPÉRATIVES

L'article 7 reprendrait les dispositions de l'article 5 de la loi actuellement en vigueur, qui fixe les règles de détention du capital des sociétés coopératives.

La nouvelle rédaction actualise la terminologie utilisée pour désigner les messageries, devenues sociétés coopératives de groupage de presse . L'objet de l'article 5 en vigueur, qui est de prévoir que le capital social des coopératives ne peut être détenu que par des personnes physiques ou morales propriétaires de journaux et périodiques, est inchangé.

Les sanctions prévues en cas de manquement à ces obligations, sont également sans changement.

I. ARTICLE 8 : OBLIGATION D'ADMETTRE UN NOUVEAU SOCIÉTAIRE DANS LES COOPÉRATIVES

L'article 8 reprend les dispositions de l'article 6 de la loi actuellement en vigueur.

Il garantit que tout journal ou périodique qui en fait la demande pourra adhérer à la coopérative de son choix, sous réserve de conclure avec elle un contrat de groupage.

Cette adhésion, qui était déjà le principe de base dans la loi Bichet du 2 avril 1947, est soumise à l'acceptation par la publication à l'origine de la demande des « conditions générales et du barème des tarifs d'une ou plusieurs sociétés agréées assurant la distribution du titre qu'elle groupe ».

On peut exciper de cette formule trois éléments :

- tout d'abord, il est clairement indiqué qu'une société coopérative peut avoir recours à plusieurs sociétés agréées . Elle aura donc la possibilité, dans le cadre d'une relation commerciale de droit commun, de privilégier telle ou telle société sur une zone donnée ou pour une famille de presse donnée ;

- ensuite, l'article 6 en vigueur subordonne l'adhésion à l'acceptation des barèmes, fixés par la coopérative elle-même avec l'accord des deux régulateurs. Cette condition serait remplacée par l'acceptation du barème des tarifs de la ou des sociétés agréées . En effet, l'article 17 proposé par le présent projet de loi confie la fixation des barèmes non plus à la coopérative, mais à la société agréé, sous le contrôle du régulateur ;

- enfin, l'obligation pour une coopérative d'accepter un titre de presse constitue une nouvelle garantie d'accès au réseau . Elle doit cependant se combiner avec les conditions d'assortiment pour permettre aux publications d'être portées à la connaissance du public.

J. ABROGATION DE L'ARTICLE 9 DE LA LOI EN VIGUEUR

L'article 9 de la loi du 2 avril 1947 fixe un nombre minimal de trois associés pour constituer une coopérative. Cette obligation serait maintenue suite à l'adoption par la commission de l'amendement d'André Gattolin à l'article 6.

K. ARTICLE 9 : ADMINISTRATION DES SOCIÉTÉS COOPÉRATIVES

L'article 9, qui reprend l'article 10 du texte de loi en vigueur, prévoit que la disposition des biens des sociétés de groupage appartient à l'assemblée générale, et que chaque sociétaire, quel que soit le nombre de parts sociales dont il est titulaire, dispose du même nombre de voix .

Le présent projet de loi actualise juste la dénomination « société coopérative de messagerie de presse » en « société coopérative de groupage de presse ».

Le principe coopératif, dont le fondement est l'égalité des actionnaires dans la prise de décision, est maintenu dans le projet de loi. Comme l'a montré l'exposé général, il n'a cependant pas évité une forte prégnance des « grands » éditeurs sur l'administration de Presstalis .

L. ARTICLE 10 : PRÉVENTION DES CONFLITS D'INTÉRÊT DANS L'ADMINISTRATION DES COOPÉRATIVES

L'article 10 proposé pour la loi du 2 avril 1947 vise à prémunir les nouvelles sociétés coopératives contre les conflits d'intérêt qui pourraient naître entre les coopérateurs.

Pour ce faire, l'article organise une série d'incompatibilités de fonctions . Il fait référence à l'article 6 de la loi n° 47-1775 du 10 septembre 1947 portant statut de la coopération, qui définit le statut des coopératives auxquels se sont rattachées les messageries dès l'origine. Ainsi :

- il ne sera pas possible de cumuler dans une société coopérative de groupage une fonction de mandataire , de membre du conseil d'administration ou de membre du conseil de surveillance , soit les fonctions mentionnées à l'article 6 de la loi du 10 septembre 1947 précitée, avec de semblables fonctions dans une autre société coopérative de groupag e. Dès lors, une même personne ne pourra exercer de responsabilités que dans une seule société coopérative ;

- il ne sera pas plus possible à une société d'employer des personnes physiques exerçant ces fonctions d'autorité dans plusieurs coopératives . Le cas visé est celui d'un groupe contrôlant plusieurs entreprises de presse, qui pourrait être tenté de positionner des mandataires, des membres du conseil d'administration ou du conseil de surveillance dans plusieurs coopératives.

Le principe de l'incompatibilité serait le même si les mandats étaient confiés à des personnes morales.

Il serait donc constitué un principe général d'incompatibilité des fonctions, qui est qu'une personne, physique et morale, ne peut exercer de fonctions de direction ou d'influence que dans une seule coopérative.

M. ARTICLE 11 : DÉFINITION DE L'AGRÉMENT

L'article 11 est le premier du chapitre III du titre I, intitulé « La distribution groupée par des sociétés agréées ». L'intégralité de la loi du 2 avril 1947 à partir de l'article 11 serait remplacée par de nouvelles dispositions, numérotées jusqu'à l'article 26 .

1. Les garanties offertes par l'agrément

Le nouvel article 11 définit l'agrément accordé aux sociétés qui assureront les opérations matérielles de distribution. Les conditions de sa délivrance seront précisées aux articles 17 et 18 .

L'article 11 indique tout d'abord de ce que l'agrément « atteste » et que l'on peut classer en trois catégories :

- « la capacité de la société à assurer la distribution des journaux ou publications périodiques qu'elle se propose d'acheminer.. ». L'agrément garantit que la société dispose des moyens matériels lui permettant de remplir sa mission de distribution ;

- « ... selon un schéma territorial sur lequel elle s'engage » . La société s'engage sur une zone géographique donnée . Ses obligations de distribution ne s'appliquent donc que sur ce territoire défini au moment de la délivrance de l'agrément ;

- « Ce schéma peut couvrir la totalité du territoire ou des parties homogènes de celui-ci . Le choix est laissé aux sociétés de s'engager pour tout ou partie du territoire . On peut penser que les sociétés comme Presstalis ou les MLP seront en mesure et en capacité de couvrir l'ensemble du pays, quand d'autres pourraient privilégier telle ou telle zone. Ces parties doit cependant être homogènes , ce qui semble écarter l'idée, économiquement rationnelle mais contraire à la volonté d'un large accès à la presse, d'une sélection au sein des territoires des endroits les plus peuplés.

Il est enfin précisé que « dans son périmètre, il assure une desserte non discriminatoire des points de vente ». La société agréée n'a donc pas le choix des points de vente qu'elle doit desservir , qui sont définis par le régulateur suivant des modalités exposées à l'article 18. Dès lors, à partir du moment où des coopératives lui confient la distribution de leurs produits sur une zone donnée, elle a l'obligation de livrer la presse IPG dans tous les points de vente, et l'assortiment suivant les conditions définies par l'accord interprofessionnel. Ce point constitue une garantie forte pour les marchands de presse, qui n'apparaissait pas de manière explicite dans la loi du 2 avril 1947.

À l'initiative de Laurent Lafon, votre commission a adopté un amendement COM-1 de reformulation permettant de mieux définir le rôle du schéma territorial.

2. Un agrément subordonné au respect d'un cahier des charges

La délivrance de l'agrément, dans des conditions définies aux articles 17 et 18, est subordonnée au respect d'un cahier des charges pris par décret « au vu d'une proposition de l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse ».

Le rôle donné au cahier des charges, tout comme les notions introduites à l'article 5 , rapproche un peu plus le secteur de la distribution de la presse du droit économique. La définition des « obligations auxquelles doivent satisfaire les sociétés candidates » sera du ressort de ce document, qui de surcroit « détermine les types de prestations et les niveaux de servie attendus ».

La sélection des sociétés candidates à l'agrément relèverait de l'Autorité de Régulation, en application de l'article 18 proposé par le présent projet de loi.

De facto , le contenu de ce cahier des charges sera d'une importance cruciale pour l'ensemble du secteur . Il devra établir un équilibre délicat entre les obligations de « quasi service public » que constitue la bonne marche de la distribution de la presse, et un cadre suffisamment attractif pour inciter des sociétés à demeurer sur le secteur, ou bien à l'investir .

À ce stade, il est laissé une grande marge de manoeuvre dans ce que ce cahier des charges pourra contenir, ce qui correspond à la volonté de donner le plus de place possible à la logique économique du régulateur.

Votre Rapporteur tient cependant à rappeler, au-delà de la fonction logistique, la complexité de la mise en place d'un réseau financier efficace et fiable, en mesure de « faire remonter » les flux financiers des diffuseurs aux éditeurs. A son initiative, votre commission a donc adopté un amendement COM-11 qui précise que le cahier des charges doit également préciser les mécanismes envisagés pour assurer non seulement les flux logistiques, mais également financiers .

Comme cela sera évoqué par la suite, l'activité des sociétés sera logiquement entourée de nombreuses garanties.

N. ARTICLE 12 : NON CESSIBILITÉ DE L'AGRÉMENT

Cet article précise que l'agrément n'est pas cessible . Il ne constitue donc pas un « actif » de la société de distribution, mais est relié à sa capacité à en honorer les conditions d'exercice.

O. ARTICLE 13 : RÉSEAU DES POINTS DE VENTE

L'article 13 est le premier et le seul du chapitre IV du titre I intitulé « La diffusion de la presse imprimée ».

Cet article pose trois grands principes qui doivent guider l'organisation du réseau des points de vente :

- une « large couverture du territoire », ce qui se rattache à l'égalité d'accès des citoyens à l'information délivrée par la presse , quel que soit leur lieu de résidence. Cet impératif est d'autant plus prégnant que les dernières années ont vu des fermetures massives de points de vente, en particulier dans les zones rurales ;

- une « proximité d'accès du public », ce qui semble être une condition plus forte que la précédente, puisqu'elle implique un maillage de proximité ;

- un « objectif de diversité et d'efficacité des modalités commerciales de la diffusion ». Ce dernier élément s'éloigne des deux premiers, puisqu'il évoque tout à la fois la diversité et l'efficacité de l'offre commerciale. Il se situerait dans le mouvement ancien initié par le CSMP d'ouvertures de points de vente dans d'autres lieux de vente, comme les supérettes ou les supermarchés - ce qui pose la question de l'assortiment qui y serait proposé et d'une éventuelle concurrence avec les marchands de presse installés.

Cette définition, relativement large, doit servir de cadre pour l'autorité en charge des autorisations d'implantatio n, soit la commission du réseau de la diffusion de la presse définie à l'article 25.

L'article prévoir la prise d'un décret afin de fixer « les règles générales relatives aux conditions d'implantation de ces points de vente ».

*

* *

Le titre II « La diffusion numérique de la presse » comporte un article 14 unique.

P. ARTICLE 14 : DIFFUSION DE LA PRESSE NUMÉRIQUE

1. Une progression constante de la part du numérique dans la distribution de la presse

Les informations transmises par l'Alliance de la Presse quotidienne nationale et régionale montrent que, dans un marché en baisse constante, la part relative de la distribution numérique a été multipliée par plus de 10 entre 2011 et 2017 , passant de 12,2 millions d'exemplaires à 130,3 millions et de 0,6 % de l'ensemble à 7,6 %. Sur la période, la diffusion totale a perdu 346 millions d'exemplaires, et la vente au numéro 337 millions. Les ventes en format numérique se sont accrues de 118 millions d'exemplaires, compensant presque la baisse combinée du portage et de l'abonnement postal (- 127 millions) . Il convient cependant de relativiser ces chiffres, qui ne tiennent pas compte d'une éventuelle substitution entre les ventes numériques et les abonnements ou le portage.

Évolution des modes de distribution
de la presse quotidienne nationale et régionale

Sources : données Alliance, traitement commission de la culture du Sénat

La nouvelle loi du 2 avril 1947 comporterait un nouveau titre II consacré à « La diffusion numérique de la presse », composé d'un unique article 14.

Votre Rapporteur se félicite tout particulièrement de cet ajout, qu'il considère comme un apport majeur du présent projet de loi . À l'occasion de son rapport sur le projet de loi de finances pour 2019, il écrivait ainsi : « si la loi Bichet de 1947 a créé un cadre pour le réseau de distribution physique, tel n'est pas le cas dans le domaine du numérique » .

L'article 14 impose de nouvelles obligations à deux acteurs très différents : les kiosques numériques et les agrégateurs de contenus .

2. Les kiosques numériques
a) Un mode de diffusion innovant et en progression

Votre Rapporteur a consacré de larges développements dans son rapport pour avis sur le projet de loi de finances pour 2019 13 ( * ) aux kiosques numériques. Il avait en particulier réuni le 11 octobre 2018 les représentants des trois grands kiosques pour une table ronde au Sénat.

Comme il le notait, face à la baisse continue des ventes d'exemplaires physiques et à la crise que traverse la diffusion à l'unité dans les points de vente, les offres proposées par les grands kiosques numériques apparaissent comme des alternatives séduisantes, à la fois pour les lecteurs, mais également pour les éditeurs , qui peuvent élargir leur lectorat pour un coût de distribution quasiment nul.

Pour autant, le développement des offres illimitées n'est pas sans poser des questions de principe , qui tiennent pour partie au manque de données disponibles et à la nouveauté qu'elles constituent dans le paysage non seulement français, mais également mondial.

Actuellement, trois grands acteurs dominent ce marché :

- ePresse , édité par la société Toutabo, à l'origine spécialisée dans la distribution physique. ePresse opère en partenariat avec Orange , qui propose une offre promotionnelle limitée dans le temps pour ses clients (1 € par mois pendant trois mois), puis 9,99 € par mois pour accéder à plus de 350 titres de manière illimitée et 500 de plus à l'unité. Il est également possible d'acquérir des « crédits » à partir de 5 € par mois pour consulter un certain nombre de titres de presse quotidienne ou magazines ;

- SFR Presse , appartenant au groupe Altice ( SFR ). SFR Presse est conçu et opéré par la société miLibris, également en charge de la plateforme ePresse. Une soixantaine de titres sont accessibles - une centaine à la fin de l'année -, dont L'Équipe , pour 5 € par mois pour les clients de SFR, et 10 € par mois pour tout autre client. Le groupe Altice est également éditeur de presse ( Libération , L'Express ...) ;

- LeKiosk , qui propose 1 200 titres pour 9,99 € par mois, et 800 de plus à l'unité. Un partenariat a été signé avec Bouygues Telecom , qui propose l'accès à l'application en option dans certains forfaits, gratuitement pour une durée limitée à un an ou sans limitation de durée pour le forfait le plus onéreux.

Ces trois kiosques proposent tous une offre autour de 10 € pour une sélection de titres allant de 60 à 1 200. Les données ne sont pas disponibles pour le nombre d'utilisateurs de chacun de ces services. Pour autant, on peut estimer la totalité des utilisateurs à un peu plus d'un million de personnes en France en 2018.

Votre Rapporteur s'était en particulier posé la question d'une éventuelle « cannibalisation » des points de vente par les kiosques numériques. Selon les éléments fournis, le numérique payant aurait presque totalement compensé en volume les pertes dans le portage et l'abonnement. On reconnait en général que la baisse des ventes est particulièrement marquée dans la presse quotidienne et moindre pour les magazines, qui constituent un autre mode de lecture et de consommation de la presse.

Les études transmises montrent qu'un usager de kiosque lit en moyenne 20 journaux par mois, contre sept pour un lecteur qui n'y recourt pas . L'utilisation d'un kiosque est donc associée à un quasi triplement de la consommation de presse .

Le mode de diffusion des kiosques est très proche de celui des plateformes de streaming (Spotify, Deezer), ou des diffuseurs délinéarisés (Netflix, Amazon Prime). Pour prix d'un forfait acquitté mensuellement, l'usager a droit à une consommation illimitée. Cette révolution des usages semble largement inéluctable et s'étend à tous les secteurs de l'économie, le numérique ayant permis d'abaisser drastiquement les coûts liés à la diffusion.

Dans le cas des kiosques, le coût de diffusion est quasi nul , puisqu'il consiste simplement à adresser à la plateforme le fichier de sa parution. Les éditeurs n'encourent pas de frais d'entretien et de développement d'un site Internet, de frais d'impression, de distribution, pas plus que de campagnes de communication propre. Le coût marginal est donc très faible, et la marge nette peut donc être importante , le journal étant déjà conçu et ne nécessitant pas une mise en forme particulière.

À l'opposé, et hormis cette considération de coût, le revenu tiré par exemplaire est plus faible que pour un abonnement sur le site ou pour une vente par le réseau des marchands de presse. Selon des estimations, la somme versée à un éditeur sur le téléchargement d'un titre serait d'environ 20 à 25 % de la valeur faciale . Les éditeurs n'ont pas souhaité communiquer sur le bilan financier de l'opération - des coûts de diffusion élevés et un prix en conséquence contre des coûts de diffusion nuls et un prix plus faible.

b) De nouvelles obligations pour les kiosques
(1) La définition du champ d'application de la loi

Le I de l'article 14 établit un statut et des obligations pour les kiosques numériques.

Ils reçoivent tout d'abord une définition juridique : « Les personnes qui proposent, à titre professionnel, un service de communication au public en ligne assurant la diffusion numérique groupée de services de presse en ligne ou de versions numérisées de journaux ou publications périodiques ».

La notion de service de communication au public en ligne a été introduite par l'article 1 er de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique. Elle est la plus large pour désigner les opérateurs de plateforme.

Tous ne sont cependant pas concernés. En effet, seules les entités rassemblées sous le vocable de kiosques numériques , soit les services de communication au public en ligne qui assurent la diffusion de presse sous format numérique entrent dans le champ de la loi. De plus, trois conditions sont ajoutées :

- d'une part, le kiosque doit accueillir les publications d'au moins deux entreprises de presse - ce qui exclut les éventuels kiosques proposés pour son propre compte par un éditeur - ;

- d'autre part, le kiosque doit proposer la version numérique d'au moins un titre d'information politique et générale . En serait donc exclus les kiosques « thématiques » qui pourraient regrouper les publications dans un domaine précis - par exemple, le jardinage- hors IPG. Seraient concernées les 255 publications IPG en ligne, dont les 151 « pure players » comme Mediapart ;

- enfin, la dernière phrase du I indique que les obligations liées au I ne s'appliquent qu'aux kiosques dont le chiffre d'affaires dépasse un seuil déterminé par décret .

(2) L'obligation d'accueillir la presse IPG

Le I de l'article 14 indique que les kiosques numériques qui remplissent l'ensemble de ces conditions « ne peuvent s'opposer à la diffusion d'un service de presse en ligne d'information politique et générale ou de la version numérisée d'un titre d'information politique et générale ».

Il serait donc créé une nouvelle obligation pour les kiosques numériques, qui ne pourraient plus refuser de distribuer la presse IPG sur leurs plateformes . Cela se comprend comme une extension du « coeur » de la loi Bichet de 1947 aux kiosques numériques.

Les kiosques numériques ne sont cependant pas tenus d'accepter sans réserve toute la production éditoriale d'IPG. Le I précise en effet que cet accueil doit se réaliser dans « des conditions techniques et financières raisonnables et non discriminatoires ». Cet ajout vise à éviter, de la part des éditeurs, des demandes disproportionnées par rapport au modèle économique des kiosques - qui relève de la libre entreprise -, et de la part des kiosques des propositions techniques et tarifaires discriminatoires destinées à écarter certaines publications sur des critères qui ne seraient pas économiques. L'article 23 proposé par le présent projet de loi pour la loi du 2 avril 1947 confie à la nouvelle Autorité de régulation la charge de s'assurer du respect de ces conditions .

Votre Rapporteur avait évoqué dans son rapport précité le débat autour d'un élargissement aux kiosques numériques de l'obligation de diffusion de la presse IPG qui s'applique aux marchands de presse.

Votre Rapporteur notait que « l'introduction de cette obligation supposerait avérés deux points : le refus par les kiosques de distribuer certains titres, une action coordonnée de ces derniers pour ne pas accueillir des titres, ce qui effectivement interdirait l'accès ».

À ce stade, ce risque n'avait pas été relevé par les éditeurs de presse. En réalité, il n'existe pas de monopole ou d'acteur dominant sur ce marché, où la différenciation repose plutôt sur la richesse de l'offre . En conséquence, et à la connaissance de votre Rapporteur, aucun titre ne s'était vu refuser l'accès à un kiosque, ce qui serait contraire à leur intérêt.

Par contre, il apparaissait que des éditeurs pouvaient ou refuser les conditions de rémunération proposées par les kiosques, ou bien, comme Le Monde, ne pas souhaiter être distribués par ce cana l. Il s'agit donc essentiellement d'un choix opéré pour des raisons économiques et qui nécessiterait donc, soulignait votre Rapporteur, une régulation économique .

3. Les agrégateurs de contenus

Le II de l'article 14 s'intéresse à une autre catégorie d'acteurs numérique, qui sont les opérateurs de plateforme en ligne tels que définis à l'article 111-7 du code de la consomma t ion .

Les opérateurs de plateforme en ligne

La notion d'opérateur de plateforme en ligne a été introduite dans le code de la consommation par l'article 49 de la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016 pour une République numérique.

L'article L. 111-7 le définit de la manière suivante :

« I.-Est qualifiée d'opérateur de plateforme en ligne toute personne physique ou morale proposant, à titre professionnel, de manière rémunérée ou non, un service de communication au public en ligne reposant sur :

« 1° Le classement ou le référencement, au moyen d'algorithmes informatiques, de contenus, de biens ou de services proposés ou mis en ligne par des tiers ;

« 2° Ou la mise en relation de plusieurs parties en vue de la vente d'un bien, de la fourniture d'un service ou de l'échange ou du partage d'un contenu, d'un bien ou d'un service . »

Cet article met à la charge des plateformes un certain nombre d'obligations :

« I.-Tout opérateur de plateforme en ligne est tenu de délivrer au consommateur une information loyale, claire et transparente sur :

« 1° Les conditions générales d'utilisation du service d'intermédiation qu'il propose et sur les modalités de référencement, de classement et de déréférencement des contenus, des biens ou des services auxquels ce service permet d'accéder ;

« 2° L'existence d'une relation contractuelle, d'un lien capitalistique ou d'une rémunération à son profit, dès lors qu'ils influencent le classement ou le référencement des contenus, des biens ou des services proposés ou mis en ligne ;

« 3° La qualité de l'annonceur et les droits et obligations des parties en matière civile et fiscale, lorsque des consommateurs sont mis en relation avec des professionnels ou des non-professionnels .

Cette définition, très large, englobe les moteurs de recherche les comparateurs de prix, les sites de petites annonces et de mise en relation, les réseaux sociaux etc...

Les plateformes concernées par le II de l'article 14 seraient celles qui « proposent le classement ou le référencement de contenus extraits de publications de presse ou de services de presse en ligne d'information politique et générale », sous réserve de dépasser un seuil de connexion sur le territoire fixé » par décret.

Ces plateformes devraient fournir « à l'utilisateur, outre les informations mentionnées par cet article [ie : le II de l'article L. 111-7 du code de la consommation], une information loyale, claire et transparente sur l'utilisation de ses données personnelles dans le cadre de la mise en avant de ces contenus . »

Les termes posés par le II de l'article 14 évoquent les débats entourant la discussion de deux textes imposant de nouvelles responsabilités aux plateformes.

Le premier est la loi n° 2018-1202 du 22 décembre 2018 relative à la lutte contre la manipulation de l'information 14 ( * ) . Notre collègue Catherine Morin-Desailly, Présidente de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, avait présenté dans son rapport 15 ( * ) les enjeux liés au classement par des algorithmes des résultats de recherche sur Internet, qui contribuait à des « bulles de filtre ». Les plateformes utilisent en effet les données personnelles collectées durant la navigation de l'internaute pour lui proposer des contenus, et surtout des publicités susceptibles de retenir son attention. Le verrou européen de la directive « e-commerce » de juin 2000 interdit d'attribuer aux plateformes une responsabilité pour les contenus qu'elles ne font qu'héberger. La question peut cependant se poser au niveau du classement et de la hiérarchisation des résultats par algorithmes.

L'article 14 de la loi relative à la manipulation de l'information impose donc aux opérateurs de plateforme en ligne les plus importants 16 ( * ) qui publient des contenus d'information « se rattachant à un débat d'intérêt général » la publication de statistiques agrégées sur leur fonctionnement. Elles sont destinées à distinguer la part d'accès « direct , sans recours aux algorithmes de recommandation, classement ou référencement », et de l'accès « indirect » , imputable aux algorithmes.

La logique du II du présent article est très proche, tout d'abord dans la définition des plateformes concernées , qui sera vraisemblablement les mêmes, que dans les obligations imposées. L'objectif est en effet, dans chacun de ces textes, de fournir des données agrégées (loi relative à la lutte contre la manipulation de l'information) et individuelles (présent projet de loi), permettant d'apprécier la part des résultats de recherche qui proviennent d'un traitement par algorithme des données personnelles des usagers.

Le second texte est la proposition de loi tendant à créer un droit voisin au profit des agences de presse et des éditeurs de presse 17 ( * ) , déposée par notre collègue David Assouline et adoptée par le Sénat le 24 janvier 2019 à la quasi-unanimité 18 ( * ) . Cette proposition de loi vise à créer un droit « voisin » qu'acquitteraient les grandes plateformes qui utilisent les contenus produits par des organes de presse, notamment sous forme de « snippets » ou courts résumés qui apparaissent dans les résultats de recherche.

Ce texte, qui sert de base pour la France à la transposition de l'article 11 (depuis devenu article 15) de la directive sur les droits d'auteur, contraint les plateformes à établir une liste précise des publications de presse qu'elles auront mises à disposition du public, et à s'acquitter des droits correspondants. Cela constitue un début de réponse au constat très largement partagé que la véritable concurrence s'exerce non pas entre les circuits payants, mais entre les offres payantes et la masse des informations disponibles gratuitement en ligne via les moteurs de recherche et les hébergeurs. La dernière phrase du premier alinéa du II de l'article 14 proposé par le présent projet de loi pour la loi du 2 avril 1947 établit une obligation très proche : « Ils [les opérateurs de plateforme en ligne] établissent chaque année des éléments statistiques, qu'ils rendent publics, relatifs aux titres, aux éditeurs et au nombre de consultations de ces contenus » .

Il a été décidé de confier le contrôle du respect de cet alinéa à la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), déjà responsable du respect des obligations des plateformes dans le code du commerce.

Les dispositions de cet article 14 répondent pleinement aux préconisations exprimées de longue date par votre Rapporteur sur la nécessité d'étendre les dispositions de la loi Bichet au secteur numérique, ainsi qu'aux positions constantes et très largement partagées par votre commission d'un encadrement de l'activité des plateformes, pour lequel le II de l'article 14 constitue une nouvelle avancée .

*

Le titre III « La régulation de la distribution de la presse » comporte un chapitre I er « L'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de ma distribution de la presse » (articles 15 à 24) et un chapitre II « La commission du réseau de la diffusion de la presse » (article 25). L'article 26 comporte les dispositions finales .

Q. ARTICLE 15 : UNE RÉGULATION DE LA DISTRIBUTION DE LA PRESSE CONFIÉE À L'ARCEP

L'article 15 ouvre le chapitre premier « L'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de ma distribution de la presse », du titre III « La régulation de la distribution de la presse ». Ce nouveau titre vise à substituer à l'autorégulation bicéphale CSMP-ARDP mise en place par les lois de 2011 et 2015, une régulation exercée de manière indépendante par l'Autorité de régulation des communications électroniques et des Postes (ARCEP).

1. L'Autorité de régulation des communications électroniques et des Postes (ARCEP)

L'Autorité de régulation des télécommunications (ART) a été créée par l'article 36 de la loi n° 96-659 du 26 juillet 1996 de réglementation des télécommunications pour réguler le secteur des télécommunications, alors à la veille d'un profond bouleversement technologique 19 ( * ) . La création de cette nouvelle autorité administrative indépendante (AAI) résultait de deux impératifs : la prise en compte des règles internationales européennes en matière d'ouverture à la concurrence des réseaux de télécommunication, d'une part, la volonté d'encadrer le fonctionnement libre du marché par un pilotage public mais distinct du gouvernement, d'autre part.

La raison première qui a conduit à la création d'une autorité de régulation du secteur des télécommunications est le conflit d'intérêt s qu'induisaient pour l'État la détention de la majorité du capital de l'opérateur historique et la compétence réglementaire . L'ouverture à la concurrence exigeait en effet de prendre des mesures contraignant l'opérateur historique à laisser un espace économique pour l'émergence de la concurrence, mesures qui allaient évidemment contre les intérêts immédiats des actionnaires de France Télécom, au premier rang desquels l'État.

Dans ce contexte politique dominé par la nécessité de conserver à l'État une présence d'actionnaire majoritaire au capital de France Télécom et par la décision de recourir à une régulation indépendante, le véritable choix a surtout consisté à opter pour une autorité spécialisée plutôt que de confier la régulation au Conseil de la concurrence .

En effet, pour organiser la concurrence dans le secteur des télécommunications, le contrôle ponctuel et a posteriori de ces comportements par le Conseil de la concurrence est apparu insuffisant pour plusieurs raisons.

D'une part, il est apparu indispensable d'accompagner le passage d'une organisation monopolistique à une organisation concurrentielle par l'élaboration de normes spécifiques et a priori pour structurer le secteur - telle la fixation des conditions d'interconnexion entre réseaux - et par une surveillance rapprochée et permanente des évolutions concrètes du secteur.

D'autre part, pour que les citoyens puissent communiquer entre eux, l'interopérabilité doit être garantie par des normes techniques qui ne relèvent pas à proprement parler du droit de la concurrence. En outre, la rapidité des évolutions technologiques dans le domaine des télécommunications exige à la fois une expertise et une réactivité que seul un régulateur sectoriel semblait en mesure d'offrir.

Enfin, le choix de créer une autorité dédiée au secteur révèle aussi l'ambition du législateur de promouvoir une forme de « régulation à la française », dont les finalités dépassent le seul droit de la concurrence et ne négligent pas la problématique du service public. La régulation s'entend ainsi comme la recherche d'un équilibre entre l'organisation de la concurrence et la préservation de certains intérêts publics : la fonction première de la régulation est de permettre l'accès aux réseaux et aux infrastructures essentielles, alors monopolisées par l'opérateur historique, tout en assurant la mise en oeuvre et le financement des obligations de service public sans nuire à la loyauté de la concurrence.

• La composition de l'ARCEP

L'ARCEP est composée d'un collège de sept membres dans le respect de la parité femmes-hommes. Les membres sont nommés par différentes autorités politiques, en raison de leur qualification économique, juridique et technique, dans les domaines des communications électroniques, des postes et de l'économie des territoires : le Président de la République nomme le président de l'ARCEP ainsi que deux autres membres, le Président de l'Assemblée nationale et le Président du Sénat nomment chacun deux membres.

Les membres du collège sont désignés pour 6 ans. Pour garantir leur indépendance, leur mandat n'est ni révocable et ni renouvelable. Ils sont également soumis à un régime d'incompatibilité des fonctions et à des obligations déontologiques.

L'ARCEP emploie 170 personnes , ce qui la place loin derrière la Haute autorité de santé (400 employés) ou le CSA (environ 300), mais à hauteur de la CNIL et devant la Commission de régulation de l'énergie (CRE). L'Autorité a développé une forte compétence économique dans l'analyse des réseaux de télécommunications et des comportements monopolistiques et oligopolistiques. Elle a de plus l'habitude de traiter avec des opérateurs importants, sur des enjeux financiers considérables .

L'autorité se qualifie elle-même « gendarme des télécoms ». Ses compétences se sont développées dans plusieurs domaines.

• Dans le secteur des communications électroniques, l'Autorité définit la réglementation applicable à tout ou partie des opérateurs .

Dans le cadre de cette régulation dite « asymétrique », l'ARCEP définit, dans une décision d'analyse de marché, les obligations pesant sur le ou les opérateurs (également appelés « opérateurs puissants ») qui sont désignés comme exerçant une influence significative sur un marché pertinent (article. L. 37-1 et suivants du Code des postes et des communications électroniques (CPCE)).

Dans le cadre de la régulation dite « symétrique », l'ARCEP définit les obligations générales qui s'appliquent de la même manière à tous les opérateurs (art. L. 36-6 et L. 36-7 du CPCE).

L'Autorité attribue également des ressources en fréquences ou en numérotation, veille au financement et à la fourniture du service universel, partage son expertise, au moyen des avis qu'elle rend à la demande du Gouvernement, du Parlement ou des autres autorités de régulation, édicter des actes de « droit souple », tels que des lignes directrices ou recommandations pour donner de la visibilité au secteur sur l'exercice de ses compétences ou orienter les comportements des acteurs ;

Les compétences de l'ARCEP en matière de régulation des opérateurs ont été accrues à la suite de l'adoption de la loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques du 6 août 2015, du règlement européen sur l'internet ouvert et l'itinérance mobile du 25 novembre 2015 et de la loi pour une République numérique du 7 octobre 2016.

Pour veiller au respect de leurs obligations par les opérateurs, l'ARCEP est dotée d'un pouvoir de sanction (art. L. 36-11 du CPCE) et d'un pouvoir d'enquête (art. L. 32-4 et L. 32-5 du CPCE). Le président de l'Arcep peut également saisir l'Autorité de la concurrence ou le procureur de la République (art. L. 36-10 du CPCE).

• Dans le secteur des postes

Dans le secteur postal , l'ARCEP mène différents travaux, qui consistent à délivrer les autorisations aux opérateurs de services postaux d'envoi de correspondance, calculer le coût de la mission de « service universel » de La Poste et contrôler la qualité du service rendu dans le cadre de cette mission. Elle exerce le contrôle comptable et tarifaire du prestataire du service universel et émet des avis publics sur les aspects économiques des tarifs des prestations offertes à la presse au titre du service public du transport et de distribution de la presse.

2. Le nouveau régulateur de la distribution de la presse

L'idée de confier à l'ARCEP la régulation de la distribution de la presse, en lieu et place du CSMP et de l'ARDP, qui figurait dans le rapport « Schwartz », a fini s'imposer . Votre Rapporteur note qu'elle fait l'unanimité des parties prenantes, ce qui traduit tout à la fois le constat, quel que soit ses mérites, de l'échec de l'autorégulation à moderniser la distribution de la presse et surtout à écarter définitivement toute forme de suspicion de connivences entre les « gros éditeurs » et la principale messagerie.

Confier à cette instance la régulation de la distribution de la presse marque enfin la volonté de « rationnaliser » le secteur, en lui appliquant une logique économique, encadrée par les garanties du présent projet de loi.

L'article 15 procède tout d'abord à un changement sémantique . L'Autorité de régulation des communications électroniques et des Postes serait dénommée l' Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse . L'article 2 du présent projet de loi effectue la coordination au sein du code des postes et des communications électroniques.

Cette nouvelle Autorité se verrait confier deux missions étroitement liées.

D'une part, elle est chargée de « faire respecter les principes énoncés par la présente loi » , soit la loi du 2 avril 1947 dans la rédaction qui résulterait de l'adoption du présent projet de loi. Cela donne à l'Autorité une compétence générale, exception faite du II de l'article 14 qui désigne la DGCCRF pour faire respecter les obligations des plateformes en ligne. Les principes essentiels relèvent du corpus « historique » de la loi Bichet, et se trouveraient définis à l'article 1 er à 5, soit la liberté des éditeurs dans la diffusion, le recours à la forme coopérative et la distribution sans limitation de la presse IPG. L'article 7 du présent projet de loi transfère à l'Autorité la responsabilité d'assumer, sauf décision contraire de sa part , l'ensemble des règles édictées par le CSMP et l'ARDP, soit un ensemble juridique cohérent qui se réfère explicitement à ces grands principes .

D'autre part, l'Autorité « veille à la continuité, la neutralité, l'efficacité économique de la distribution de la presse ainsi qu'à une couverture large et équilibrée du réseau des points de vente ».

Une comparaison avec les termes de l'article 17 de la loi Bichet qui établissait la compétence du CSMP et de l'ARDP permet de mesurer l'évolution des missions.

Article 17 de la loi Bichet
du 2 avril 1947 en vigueur

Article 15
proposé par le présent projet de loi

Ils [le CSMP et l'ARDP] veillent au respect de la concurrence et des principes de liberté et d'impartialité de la distribution et sont garants du respect du principe de solidarité coopérative et des équilibres économiques du système collectif de distribution de la presse.

Elle [L'Autorité] est chargée de faire respecter les principes énoncés par la présente loi. Elle veille à la continuité, la neutralité, l'efficacité économique de la distribution de la presse ainsi qu'à une couverture large et équilibrée du réseau des points de vente.

Elle concourt à la modernisation de la distribution de la presse.

Il est difficile de déterminer l'application que fera l'Autorité de ces compétences. À ce stade, on peut rapprocher entre les deux textes :

- le respect des équilibres économiques de l'efficacité économique , qui ont autorisé le CSMP à prendre des décisions d'organisation du réseau, et pourraient permettre à l'Autorité de prendre position sur le niveau des barèmes , dans une optique de soutenabilité du modèle économique . On peut également le lire en parallèle de l'article 13 proposé par le présent projet de loi qui définit pour le réseau des points de vente une « efficacité commerciale de la diffusion » ;

- la neutralité , de l'impartialité de la distribution , qui évoquent les grands principes de la loi Bichet, et que l'on peut comprendre en particulier par référence à l'article 5 proposé sur la distribution de la presse IPG et du 1° de l'article 18-6 de la loi en vigueur qui confie au CSMP la mission de déterminer les conditions propres à garantir une distribution optimale de la presse d'information politique et générale .

Apparaissent comme nouveaux les principes de :

- continuité , qui implique une absence de rupture dans la livraison des publications, qu'elle soit temporelle (elle doit avoir lieu chaque jour) ou spatiale (tout le territoire doit être couvert, obligation présente en creux dans la définition de l'agrément donné à l'article 11) ;

- couverture large et équilibrée du réseau des points de vent e , que l'on doit rapprocher de l'article 13 proposé par le présent projet de loi pour définir le réseau des points de vente.

Si le principe de solidarité coopérative n'est plus explicitement mentionné, il est cependant présent de manière implicite au 3° de l'article 17 proposé par le présent article pour la loi du 2 avril 1947, avec la reconnaissance des coûts spécifiques induits par la distribution des quotidiens .

L'Autorité est enfin chargée de concourir « à la modernisation de la distribution de la presse », ce qui lui donne une capacité d'orientation générale sur l'organisation de la filière de la distribution , qu'elle serait en mesure d'exercer en particulier dans la délivrance des agréments (article 17) et dans les avis qu'elle remettra sur l'ensemble de la filière (article 16), voire sur les mesures exceptionnelles qu'elle pourrait être amenée à prendre (article 21).

3. La question des moyens alloués à l'ARCEP

Rapportée aux masses financières des secteurs que régule actuellement l'ARCEP, la distribution de la presse représente un enjeu très mineur. L'Autorité est reconnue pour la qualité de ses analyses économiques et le haut niveau de ses experts , autant de domaines qui seront très utiles à la nouvelle régulation. Cependant, tant la complexité du secteur que les larges compétences accordées au régulateur par l'article 17 (voir infra ), qui s'assimilent par bien des aspects à de la « micro régulation », vont nécessiter des moyens et une technicité spécifiques.

L'exposé des motifs du présent projet de loi prévoit environ huit personnes supplémentaires pour exercer ces missions. Certaines pourraient d'ailleurs être recrutées parmi les cinq personnels du CSMP, l'ARCEP devant en tout état de cause leur proposer un contrat de droit public . Il faudra cependant que l'Autorité se mobilise très rapidement autour de cette question et prenne la mesure des nouvelles missions de son institution. Auditionné par votre commission le mardi 7 mai 2019, le Président de l'ARCEP a précisé qu'il était encore en discussion avec le gouvernement.

R. ARTICLE 16 : MODALITÉS DE CONSULTATION DE L'ARCEP

L'article 16 proposé par le présent projet de loi pour la loi du 2 avril 1947 prévoit deux types de consultations de la nouvelle Autorité :

- une saisine obligatoire sur les projets de loi et d'actes réglementaires relatifs à la distribution de la presse, soit des dispositions symétriques de celles de l'article L. 5 du code des postes et des communications électroniques, qui prévoit de même que « l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes est consultée sur les projets de loi ou de règlement relatifs aux services postaux » ;

- une s aisine facultative pour avis, par les ministres compétents, « de toute question concernant la distribution de la presse ». Cette disposition rappelle l'article 18-10 de la loi Bichet, qui prévoit que « Le Conseil supérieur des messageries de presse peut être saisi par le Gouvernement et par le Parlement de demandes d'avis ou d'études pour les activités relevant de sa compétence. ».

A l'initiative de votre Rapporteur, la commission a adopté un amendement COM-12 qui permet aux commissions parlementaires de solliciter l'avis du nouveau régulateur sur les propositions de loi relatives à la distribution de la presse ou sur toute question liée à ce secteur .

Ce dispositif s'inspire des saisines d'Autorités administratives indépendantes que peuvent déjà pratiquer les commissions parlementaires dans leurs champs de compétences respectifs. A titre d'exemple, l'article L. 462-1 du code de commerce prévoit ainsi la possibilité de consulter l'Autorité de la concurrence sur les propositions de loi. De manière plus large, cet amendement participe donc d'un rapprochement entre Parlement et Autorités Administratives.

Votre commission a également adopté à l'initiative du Rapporteur un amendement rédactionnel COM-13.

S. ARTICLE 17 : POUVOIRS DE L'ARCEP

L'article 17 définit les pouvoirs de la nouvelle Autorité dans le cadre des objectifs établis à l'article 15 . Il s'agit donc de la déclinaison concrète et opérationnelle de sa mission générale de régulation de la distribution de la presse.

1. L'agrément des sociétés en charge de la distribution

L'Autorité est chargée d'agréer les sociétés candidates à la distribution de la presse dans les conditions exposées à l'article 18 . Elles devront se soumettre au cahier des charges arrêté par décret sur proposition de l'Autorité en application de l'article 11.

Cette procédure d'agrément de sociétés privées par une Autorité Administrative Indépendante (AAI) se rapproche des autorisations délivrées aux opérateurs par l'Autorité de Régulation des Jeux en Ligne (ARJEL) ou bien de l'agrément donné par l'Autorité des Marchés Financiers (AMF) aux sociétés de gestion de portefeuille.

En cas de refus de l'ARCEP d'agréer une société, cette dernière aura la possibilité de contester cette décision devant le juge administratif.

2. Prise en compte des conditions techniques et tarifaires des sociétés agréées

Le 2° prévoit que la société agréée adresse à l'Autorité le détail « des conditions techniques, tarifaires et contractuelles de ses prestations » deux mois avant leur entrée en vigueur.

Cela emporte deux conséquences .

La première, a contrario , est que la société agréé n'a pas l'obligation de fournir ces informations à l'occasion de sa candidature . L'article 18, qui précise les éléments à apporter devant l'Autorité, ne mentionne en effet que la justification de ses « moyens humains et matériels ». Il est cependant probable que la société agréée, avant de lancer l'ensemble des procédures, se sera assurée de la compatibilité de sa structure de coûts, et donc de ses tarifs, avec le marché et les capacités de paiement des éditeurs.

La seconde conséquence, là encore a contrario , est la fin du pouvoir de la coopérative, actuellement prévu à l'article 12 de la loi en vigueur, de fixer elle-même ses barèmes .

Cet article 12 prévoit également que les tarifs sont établis « dans le respect des principes de solidarité entre coopératives et au sein d'une coopérative et de préservation des équilibres économiques du système collectif de distribution de la presse. Ces principes permettent d'assurer l'égalité des éditeurs face au système de distribution grâce à une gestion démocratique, efficiente et désintéressée des moyens mis en commun. » Si la plupart de ces principes sont repris à l'article 15 dans les missions de l'Autorité, ils ne transitent plus nécessairement pas les barèmes .

Votre Rapporteur note au demeurant les très grandes difficultés rencontrées par la CDM et la CDQ pour faire approuver les barèmes de Presstalis par les autorités de régulation , comme l'exposé général a pu le montrer. Les coopératives se retrouveraient désormais en position non plus de « donneur d'ordre » à la messagerie, dont elles sont par ailleurs, pour le compte des éditeurs, les actionnaires, mais comme clientes de sociétés agréées dont les offres tarifaires seront examinées sous le seul angle de la rationalité économique .

Votre Rapporteur est favorable à cette disposition, qui va mettre un terme au soupçon permanent, et pas toujours infondé, de conflit d'intérêt pour les éditeur s.

À compter de la transmission, l'Autorité dispose de deux mois - soit la durée avant l'entrée en vigueur - ou pour rendre public un avis sur ces conditions, ou pour faire part de ses observations à la société. Dans le cadre de ces observations, elle a la capacité d'instaurer un dialogue avec la société, avec pour objectif de lui demander d'établir une nouvelle proposition, et, si nécessaire, « modifier ou suspendre les conditions tarifaires si elles ne respectent pas les conditions de non-discrimination, d'orientation vers les coûts d'un opérateur efficace et de concurrence loyale ».

L'Autorité dispose donc de trois motifs pour influer sur les conditions tarifaires, si elles ne respectent pas :

- d'une part, les conditions de non-discrimination , ce qui impose à la société de ne pas pratiquer un traitement différencié entre des publications différentes sur des motifs autres que purement économiques - ce qui revient à imposer, comme pour les vendeurs de presse et les sociétés coopératives, une condition de neutralité ;

- d'autre part, l'orientation vers les coûts d'un opérateur efficace . Le choix de ce terme se rapporte à un champ très développé dans l'analyse des réseaux et des monopoles, qui est l'une des spécialités de l'ARCEP.

L'orientation vers les coûts

Le rapport d'activité pour 2002 de l'autorité de la Concurrence expose que les directives européennes fixant le cadre de l'ouverture à la concurrence du secteur des télécommunications ont établi comme principe que les tarifs d'interconnexion aux infrastructures de réseau des opérateurs historiques devaient être orientés vers les coûts supportés pour la fourniture de ce service . L'injonction, faite à une entreprise d'orienter ses tarifs vers ses coûts déroge au principe de la libre détermination des prix par le jeu de la concurrence .

Dans sa décision n° 2007-0810 du 1 er novembre 2007, l'ARCEP indique que : « Cette obligation d'orientation des tarifs vers les coûts permet d'éviter que les opérateurs profitent d'une situation monopolistique pour en tirer une rente . La mise en oeuvre de cette obligation est associée à l'imposition de l'obligation de comptabilisation des coûts, qui, après spécification des règles, permet à l'Autorité de développer un référentiel de coûts robuste d'un opérateur et en se dotant d'un outil de modélisation complémentaire d'apprécier l'efficacité des opérateurs . »

Le type d'analyse mené par l'ARCEP prendra donc en compte la structure de coût des opérateurs, et pas uniquement leur pouvoir de marché . Il s'agit d'une garantie donnée pour obtenir des tarifs « raisonnables » pour la distribution. L'analyse fine des opérateurs que cela suppose est rendue possible par les pouvoirs donnés à l'ARCEP par l'article 19 prévu par le présent projet de loi ;

- enfin, le caractère loyal de la concurrence . Pris dans son sens économique, cela signifie que la société ne peut présenter une offre par exemple trop basse dans le but d'exclure les concurrents du marché, ce qui se rattache également à l'orientation vers les coûts d'un opérateur efficace.

Dans le cadre de son pouvoir général d'influence, l'Autorité peut enfin imposer à la société un encadrement pluriannuel du tarif de ses prestations.

3. Répartition des coûts spécifiques liés à la distribution des quotidiens

Le 3° de l'article 17 s'intéresse à la répartition des coûts supplémentaires liés à la distribution des quotidiens . Il s'agit de l'un des aspects de la solidarité coopérative , qui vise à permettre la distribution sur tout le territoire de cette catégorie de presse dans des délais particulièrement contraints.

Si la presse quotidienne nationale IPG est la plus représentative, et justifie à elle seule la mise en place d'un système spécifique, elle ne recouvre pas l'ensemble des quotidiens. Ainsi, le plus important tirage de la presse française, L'Equipe , est un quotidien non IPG, et la presse quotidienne régionale se distribue par ses propres moyens. Or la mise à disposition, tôt le matin, chaque jour, et partout en France de la presse quotidienne - dite « flux chaud » - nécessite une organisation logistique très complexe . La presse quotidienne perd en effet de sa valeur très rapidement après son impression, plus encore avec l'accès généralisé à Internet. Les titres de presse d'une autre périodicité ne nécessitent pour leur part pas une disponibilité si contraignante. Dès lors, il a été mis en place un système d'aide destiné à compenser le surcout de la distribution des quotidiens, évalué à 20,6 millions d'euros en 2016 et 17,5 millions d'euros en 2017.

Les aides prennent deux formes : une dotation de l'Etat de 18 millions d'euros en 2019 , auquel se sont ajoutés de manière exceptionnelle 9 millions d'euros de soutien à Presstalis pour les quatre prochaines années, et une péréquation , en pratique, en faveur de la seule Messagerie à assurer la distribution des quotidiens, Presstalis. Cette péréquation des MLP vers Presstalis s'est élevée à 4,6 millions d'euros en 2016 et 3,9 millions d'euros en 2017, conséquence de la baisse des ventes.

Le 3° reprend en partie les dispositions :

- de l'article 12 de la loi en vigueur, qui précise que : « Ils [les barèmes] permettent également de répartir entre toutes les entreprises de presse adhérant aux coopératives, de façon objective, transparente et non discriminatoire, la couverture des coûts de la distribution, y compris des surcoûts spécifiques induits par la distribution des quotidiens et qui ne peuvent être évités . » ;

- et du 10° de l'article 18-6 , qui indique que le CSMP doit s'assurer « en particulier que les sociétés coopératives de messageries de presse et les entreprises commerciales mentionnées à l'article 4 qui distribuent des quotidiens d'information politique et générale opèrent une distinction claire, le cas échéant dans le cadre d'une comptabilité par branche, entre la distribution de ces quotidiens et celle des autres publications . »

Il est prévu que la répartition des surcoûts soit déterminée au pro rata du chiffre d'affaires des entreprises de presse membres des sociétés coopératives . Dans la pratique, la péréquation pourra bénéficier à tous les opérateurs qui assureront, sur une zone géographique donnée, la distribution des quotidiens.

4. Dérogation pour certaines entreprises de presse

Le 4° reprend les disposisitions du 3° et du 3° bis de l'article 18-6 de la loi en vigueur. Il permet à l'ARCEP d'accorder une dérogation à l'obligation de se regrouper en coopérative pour utiliser la distribution groupée.

Initialement, ce système avait été introduit par les lois de 2011 et 2015 pour donner un peu de souplesse au système sous le contrôle du CSMP. Ce cas de figure ne s'est cependant jamais produit et aucune demande d'utilisation des articles 3 et 3 bis de la loi en vigueur n'a été formulée auprès du CSMP.

Le projet de loi prévoit cependant de conserver ces dispositions, en prévoyant qu'elles ne sont activées que sur dérogation de l'ARCEP et que les bénéficiaires contribueraient la péréquation .

5. Examen de l'accord interprofessionnel sur l'assortiment

Le 2° de l'article 5 proposé par le présent projet de loi pour la loi du 2 avril 1947 prévoit la conclusion d'un accord interprofessionnel entre les organisations professionnelles représentatives des entreprises de presse, des sociétés agréées de distribution de la presse et des diffuseurs de presse pour déterminer l'assortiment de titres de la presse « CPPAP » proposée dans les points de vente.

Le 5° de l'article 17 prévoit que l'Autorité est tenue informée de l'ouverture des négociations destinées à parvenir à un accord ou à un avenant, et émet un avis public une fois qu'il a été arrêté, au regard des grands principes de loi que l'Autorité a la charge de faire respecter en application de l'article 15.

L'Autorité intervient si les négociations échouent, ou bien au bout de six mois , ce qui fixe un délai maximal pour parvenir à l'accord. En cas d'incapacité des parties à s'entendre, l'Autorité a la possibilité de déterminer par elle-même l'assortiment et de l'imposer aux différents acteurs. Cet alinéa constitue donc une forme de « force de rappel » destiné à permettre à la distribution de s'opérer suivant les nouvelles règles en tout état de cause, y compris celui d'une volonté des parties de demeurer par défaut sur l'ancien système.

A l'initiative de Laurent Lafon, votre commission a adopté un amendement COM-2 visant à renforcer le pouvoir du nouveau régulateur . En effet, un simple avis public sur une éventuelle non-conformité de l'accord interprofessionnel mentionné à l'alinéa 16, sans pouvoir de réformation, apparait très insuffisant dans le cadre d'une régulation qui se veut renforcée. L'amendement COM-16 adopté à l'initiative de votre Rapporteur sur l'article 23 complète le dispositif de contrôle de l'ARCEP sur l'accord interprofessionnel.

L'ARCEP disposerait donc du pouvoir de déterminer l'intégralité des règles relevant de cet accord interprofessionnel, non seulement en cas de carence des parties, mais aussi dans le cas où l'accord ou l'un de ses avenants qui lui est communiqué ne serait pas conforme aux principes énoncés par la « loi Bichet » telle que modifiée par le présent projet de loi.

A l'initiative de Jean-Pierre Leleux, la commission a également adopté un amendement COM-4 de précision prévoyant que les règles de l'assortiment comprennent bien les quantités de titres adressés aux diffuseurs de presse.

6. Définition des règles d'implantation des points de vente et de rémunération des diffuseurs de presse

L'Autorité a la responsabilité de préciser les règles relatives aux conditions d'implantation des points de vente . Dans la loi en vigueur, ces règles sont de la compétence de la Commission du Réseau, constituée au sein du CSMP, qui accorde également les autorisations d'implantation. Les fonctions seraient ici séparées : l'Autorité définit les règles, que la Commission du réseau de la diffusion de la presse, constituée à l'article 25, appliquerait au quotidien pour autoriser les ouvertures.

L'Autorité exercerait également la compétence de fixation des conditions de rémunération des diffuseurs de presse dévolues par le 9° de l'article 18-6 de la loi actuelle au CSMP, concrètement, sous la forme d'une fraction du prix des publications . Cette disposition, qui fixe un cadre commun pour toute la profession, permet en particulier d'éviter une concurrence entre diffuseurs de presse.

A l'initiative de son Rapporteur, votrecommission a adopté un amendement COM-14 qui qui prévoit de maintenir la consultation des organisations professionnelles représentatives des diffuseurs de presse . Il s'agit d'une disposition essentielle alors que le projet de loi cherche à replacer ces acteurs au centre du dispositif.

7. Définition d'un schéma territorial d'orientation et rôle des dépositaires centraux

Le 7° de l'article 17 prévoit que l'Autorité établit et rend public un « schéma territorial d'orientation de la distribution de la presse ». Ce schéma évoque celui présenté par les sociétés agréées, aux termes de l'article 11 proposé par le présent projet de loi pour la loi du 2 avril 1947. L'objet de ce schéma est de permettre une couverture équilibrée du territoire.

Ce schéma mentionnerait les dépositaires centraux de presse, soit le niveau 2 de la distribution. Ils remplissent une triple fonction de répartition dans les points de vente des publications, de sécurisation des flux financiers remontant des marchands, et d'animation commerciale du réseau.

Comme l'a précisé l'exposé général, il existe 63 mandats, contre plus de 2 700 dans les années 90, détenus pour 45 d'entre eux par des indépendants et 18 par Presstalis - qui a procédé à de nombreuses ventes ces deux dernières années. Les dépôts gérés par les indépendants sont dans leur très grande majorité bénéficiaires , alors que ceux possédés en propre par Presstalis sont source de lourds déficits pour la société.

La loi Bichet précise le rôle de ces dépositaires de plusieurs manières :

- le 4° de l'article 18°6 précise que le CSMP « Fixe le schéma directeur, les règles d'organisation et les missions du réseau des dépositaires centraux de presse [...] répondant à l'efficience économique et à l'efficacité commerciale ». C'est en application de cet alinéa que le CSMP a rationalisé de manière très efficace le réseau des dépositaires en regroupant les mandats pour en faire diminuer le nombre ;

- le 6° du même article indique que la CSMP délègue à la commission du réseau « le soin de décider [...] des nominations et des mutations de dépositaires centraux de presse avec ou sans modification de la zone de desserte . [...] La commission fait application de critères objectifs et non discriminatoires visant [...] à contribuer à l'efficience économique et à l'efficacité commerciale du réseau des dépositaires ».

La situation des dépositaires centraux peut se résumer de la manière suivante.

Ils bénéficient d'une exclusivité géographique , ce qui signifie que les deux messageries utilisent obligatoirement leurs services, exclusivité qui ne repose pas sur la loi Bichet, ni sur un texte à valeur légale, mais uniquement sur les usages et les pratiques de la profession - usages qui justifient le prix d'acquisition d'un mandat . En dépit de cette absence, ils sont fortement régulés par le droit en vigueur.

Le niveau 2 indépendant a fait la preuve de son efficacité économique , et n'a jamais bénéficié de soutien public. Les dépositaires ont su se diversifier, et pour certains d'entre eux assurer une fonction commerciale de proximité appréciée des marchands ou bien assurer une partie de la distribution de la presse régionale.

Le projet de loi précise simplement que le schéma territorial les « mentionne », sans plus de détail, et la future commission du réseau n'a plus de pouvoir sur eux. En particulier, les sociétés agréées n'ont pas d'obligation de recourir à leurs services .

Le Conseil d'État a consacré une large partie de son avis rendu public sur le projet de loi à cette question, alors que le gouvernement semblait vouloir accorder une place plus importante aux dépositaires : « En revanche, un tel schéma ne saurait revêtir un caractère prescriptif qui imposerait aux sociétés de distribution agréées un passage obligé de leur circuit de distribution par certains dépôts . Une telle obligation, qui empêcherait les nouveaux entrants de pouvoir définir librement l'organisation de leur distribution aval, est contraire aux exigences constitutionnelles et conventionnelles. Elle entrave la liberté d'entreprendre en ne laissant pas aux nouveaux opérateurs la liberté de leur organisation industrielle. Elle porte également atteinte à la liberté contractuelle en imposant aux sociétés agréées le choix de leurs sous-traitants. Elle favorise les dépôts intégrés verticalement aux messageries dont les sociétés agréées entrantes seront concurrentes. Aucune de ces restrictions n'apparaît, dans le nouveau cadre d'organisation de la distribution, nécessaire et proportionnée, à l'objectif de pluralisme, seul susceptible de justifier une atteinte à ces libertés . »

Dès lors, deux cas de figure peuvent se présenter pour les dépositaires centraux :

- ou bien solliciter et obtenir un agrément pour assurer la distribution de la presse dans son ensemble, soit « monter au niveau 1 » , par exemple, en regroupant de manière cohérente géographiquement les mandats ;

- ou bien parier que leur efficacité logistique et leur connaissance du réseau les rendra de toute façon indispensables pour les futures sociétés agréées.

A l'initiative de votre Rapporteur, la commission a adopté un amendement COM-14 qui supprime le caractère « d'orientation » du schéma. Sans figer un mode de distribution de la presse ou créer un monopole territorial qui serait contraire à la liberté d'organisation, cette disposition est de nature, au moins dans un premier temps, à donner plus de visibilité aux acteurs historiques que sont les dépositaires centraux.

T. ARTICLE 18 : DEMANDE D'AGRÉMENT

L'article 18 fixe les délais et conditions d'examen et de délivrance de l'agrément aux sociétés candidates . L'Autorité s'appuie, pour examiner les demandes, sur le cahier des charges mentionné à l'article 11, pris sur sa proposition par décret.

La demande doit préciser les « moyens humains et matériels de la société candidate », et comporter « l'ensemble des informations comptables et financières de nature à attester sa capacité à assurer son activité dans des conditions conformes au cahier des charges . » L'examen par l'Autorité ne se limite pas à une simple question logistique, mais doit comprendre une analyse de la concordance entre ces moyens et le cahier des charges .

La société en charge de la distribution n'a plus, comme dans le droit en vigueur, l'obligation d'être possédée à plus de 50 % par les coopératives d'éditeurs- même si aucune disposition ne l'interdit -. Le deuxième aliéna indique que les détenteurs de plus de 5 % de son capital doivent être identifiés au moment du dépôt de la candidature , ainsi que les personnes physiques ou morales qui en assureraient le contrôle en application de l'article L. 233-16 du code du commerce.

Le refus d'agrément doit être motivé.

Les deux derniers alinéas indiquent la conduite à tenir en cas de modifications :

- de la situation de la société agréée , par rapport aux informations fournies au moment de la demande d'agrément, en particulier « tout changement significatif dans sa situation financière ». Elles doivent être notifiées le mois suivant à l'Autorité. Cette disposition doit permettre d'anticiper les éventuelles difficultés financières qui pourraient conduire à une rupture de la livraison des publications ;

- du cahier des charges établi en application de l'article 11. Le titulaire de l'agrément dispose alors d'un délai « raisonnable » pour s'y conformer, délai fonction de l'ampleur de l'évolution du cahier des charges.

Il est enfin prévu le cas des sociétés qui souhaiteraient distribuer des quotidiens , fonction assurée à l'heure actuelle par la seule entreprise Presstalis pour la presse nationale. La société aura l'obligation de tenir une comptabilité analytique séparée destinée à isoler le coût supplémentaire induit par cette distribution, de l'ordre de 20 millions d'euros par an . Cette comptabilité se comprend dans la double optique de la dotation de l'Etat destinée à compenser ce surcout, et par la péréquation réaffirmée par le 3° de l'article 17 au bénéfice des sociétés qui assurent cette activité.

U. ARTICLE 19 : INFORMATIONS DESTINÉES À L'ARCEP

L'article 19 organise un système de contrôle des sociétés agréées par l'Autorité en charge de la régulation . Il est en partie la reprise du 10° de l'article 18-6 de la loi en vigueur, qui indique que le CSMP « Exerce le contrôle comptable des sociétés coopératives de messageries de presse ».

Tout d'abord, les informations demandées sont proportionnées aux besoins, et motivées par l'Autorité. Elles ne visent pas à exercer une forme de tutelle sur la société mais à « s'assurer du respect par ces personnes des dispositions de la présente loi et des textes et décisions pris en application de ces dispositions ». Aucune limite n'est fixée sur la nature des documents, même si ceux relatifs à la comptabilité sont mentionnés.

Le contrôle de l'Autorité doit permettre de veiller « au caractère transparent, efficace et non discriminatoire de l'offre des sociétés agréées assurant la distribution groupée de la presse ». Dans ce cadre, il revient à l'Autorité la charge de définir « les règles de comptabilisation des coûts » et d'établir « les spécifications des systèmes de comptabilisation qu'elle s doivent mettre en oeuvre et utiliser ». Cela revient à créer un cadre unifié et cohérent pour l'ensemble des sociétés , dont le respect est vérifié par une société indépendante qui, aux frais de la société , s'assure de « la conformité des comptes aux règles qu'elle [l'Autorité] a établies ». Ce rapport vient en complément de celui du commissaire aux comptes que reçoit également l'Autorité.

Le caractère exhaustif et poussé des informations que peut demander l'Autorité s'explique par trois aspects .

D'une part, l'importance d'assurer la continuité de la distribution de la presse , qui pourrait être remise en cause de manière brutale, avec des conséquences pour toute la filière, si l'une des sociétés venait à cesser de manière on anticipée son activité. Il est permis de penser que les événements de ces dernières années autour de la comptabilité de Presstalis, dont l'état réel n'a été révélé que tardivement et a mis en danger toute la filière, ont contribué à l'intensité des contrôles envisagés.

D'autre part, le calcul des coûts pour la distribution des quotidiens, que doivent isoler les sociétés candidates, conditionne le versement d'une partie de péréquation et d'une dotation de l'Etat. Dès lors, il est nécessaire de disposer de moyens pour juger de l'exactitude des données fournies.

Enfin, l'Autorité de régulation est responsable, en application de l'article 15, de l'ensemble des équilibres de la loi du 2 avril 1947 . Dès lors, et comme la distribution sera réalisée par des sociétés privées, il lui est nécessaire, en tant que de besoin, de disposer d'un accès facilité aux données, en particulier dans le cadre de ses pouvoirs de conciliation de l'article 24 et de sanction de l'article 23.

V. ARTICLE 20 : CONSULTATIONS MENÉES PAR L'ARCEP

L'article 20 prévoit que lorsque l'Autorité envisage d'adopter « des mesures ayant une incidence importante sur le marché de la distribution de presse », elle doit se livrer à une procédure de consultation publique et émettre un avis sur les résultats de cette procédure.

Le type de mesures que l'Autorité peut être amenée à prendre n'est pas précisé, mais repose sur l'ensemble des pouvoirs qui lui sont conférés par le présent projet de loi , comme par exemple la mission générale de gardien des grands principes de la loi et de modernisation de la distribution de la presse (article 15).

Cette mesure constitue en partie une reprise d'une compétence du CSMP fixée de l'article 18-7 de la loi en vigueur , qui prévoit que « Lorsque, dans le cadre de la présente loi, le Conseil supérieur des messageries de presse envisage d'adopter des mesures ayant une incidence importante sur le marché de la distribution de la presse , il rend publiques les mesures envisagées dans un délai raisonnable avant leur adoption et recueille, dans le cadre d'une consultation publique d'une durée maximale d'un mois, les observations qui sont faites à leur sujet . Les résultats d'une consultation sont rendus publics par le Conseil supérieur des messageries de presse, à l'exclusion des informations couvertes par le secret des affaires . »

De fait, le CSMP se livre à une dizaine de consultation par an, les opinions émises par les parties prenantes étant disponibles sur le site, ainsi que la synthèse réalisée par les services. Cette procédure présente l'avantage incontestable de permettre à chacun de faire entendre sa voix, et au CSMP d'affiner ses décisions, voire d'y renoncer, comme ce fut le cas avec le projet de février 2018 sur la responsabilisation des éditeurs actionnaires de Presstalis.

W. ARTICLE 21 : POUVOIRS EXCEPTIONNELS DE L'ARCEP

L'article 21 prévoit de confier à l'Autorité des pouvoirs exceptionnels en cas de « menace grave et immédiate à la continuité de la distribution de la presse ».

Ces mesures sont cependant limitées dans le temps et dans leur champ.

Dans leur temps : elles ne peuvent être que « provisoires » , et leur durée ne peut donc excéder « six mois renouvelables une fois », soit une année.

Dans leur champ : elles s'entendent dans le respect des grands principes rappelés dans le titre I er . Les pouvoirs de l'ARCEP s'étendent à la suspension de la résiliation des contrats passés entre les éditeurs et les sociétés agréées et à la délivrance d'agréments provisoires , y compris en dehors du cadre fixé par le cahier des charges . Ce domaine de compétence n'est cependant pas limitatif, comme en atteste l'adverbe « notamment ».

Cette définition évoque les décisions que le CSMP a été amené à prendre en urgence en début d'année 2018 afin de préserver la continuité de l'exploitation de Presstalis. Il a ainsi acté le principe d'une prolongation du délai de préavis des éditeurs de six mois (décision 2018-01), d'une contribution exceptionnelle de 2,25 % du chiffre d'affaires des éditeurs (décision 2018-02) et d'un allongement de 15 jours du délai de paiement (décision 2018-03). Prises dans l'urgence, attaquées en justice, ces décisions ont probablement permis d'éviter la faillite de Presstalis et une crise systémique. Dès lors, l'Autorité se voit reconnue une compétence qui n'apparait pas explicitement dans la loi en vigueur, le CSMP ayant fondé ses décisions sur des articles qui ne font pas référence à une situation d'urgence.

Ces pouvoirs sont entourés de garanties procédurales , dont le respect sera vérifié par le juge. Les mesures doivent être « strictement nécessaires et proportionnées à l'objectif poursuivi », et doivent être motivées. Enfin, lorsqu'elles ont pour effet d'interférer dans l'exécution d'un contrat, les parties prenantes doivent être mises en mesure de présenter leurs observations.

X. ARTICLE 22 : RELATIONS ENTRE L'ARCEP ET L'AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE

L'article 22 constitue une reprise intégrale de l'article 18-8 de la loi en vigueur, qui régit les relations entre la régulation bicéphale en vigueur et l'Autorité de la Concurrence.

Le projet de loi transpose à l'ARCEP, nouveau régulateur sectoriel , l'obligation de transmettre à l'Autorité de la Concurrence les faits en lien avec sa mission générale de gardien du respect de la libre concurrence, dans les cas prévus au code du commerce, mais également pour toute question en lien avec cette compétence.

Une seule saisine, en 2012, a été effectuée par le CSMP autour de la question de la prise en compte des surcoûts historiques de Presstalis.

Symétriquement, l'Autorité de la Concurrence doit transmettre à l'ARCEP pour avis toute saisine entrant dans son champ de compétence et peut solliciter l'avis de l'ARCEP pour « toute question relative au secteur de la distribution de la presse ».

Ce lien entre régulateur, introduit à l'origine par la loi du 20 juillet 2011, est destiné à susciter une unité de pratique et une convergence de vues .

Y. ARTICLE 23 : POUVOIRS DE SANCTION DE L'ARCEP

L'article 23 détermine les pouvoirs de sanction qui seraient confiés à l'ARCEP par le présent projet de loi.

Le dispositif retenu s'inspire très largement de l'article L. 5-3 du code des postes et des communications électroniques , qui fixe les pouvoirs de sanction de l'ARCEP à l'encontre du prestataire du service universel postal , et de l'article L. 36-11 du même code qui fixe les sanctions à l'encontre des exploitants de réseau, des fournisseurs de services de communications électroniques, des fournisseurs de services de communication au public en ligne ou des gestionnaires d'infrastructures d'accueil .

Ce nouveau rapprochement entre la loi du 2 avril 1947 et ce code souligne une nouvelle fois la volonté d'établir une régulation économique sur des bases connues de l'ARCEP, autorité chargée de l'appliquer.

La saisine peut être demandée par :

- le ministre chargé de la communication ;

- une organisation professionnelle ou une personne physique ou morale concernée ;

- l'Autorité elle-même.

Ces sanctions s'exercent à l'encontre :

- d'une entreprise de presse ;

- d'une société coopérative de groupage de presse ;

- d'une société de distribution agréée. Implicitement, les sociétés bénéficiant d'un agrément provisoire au titre de l'article 21 sont comprises dans ce champ ;

- d'un kiosque numérique.

Le pouvoir de sanction s'applique en cas de manquement des personnes visées aux dispositions de la loi et aux décisions prises en application de ces dispositions, soit l'ensemble des actes normatifs que sera amené à prendre l'ARCEP.

A l'initiative de votre Rapporteur la commission a adopté un amendement COM-16 qui prévoit explicitement que les pouvoirs de l'ARCEP comprennent bien les accords passés en application de la loi, c'est-à-dire en particulier l'accord interprofessionnel fixant l'assortiment. Cet amendement se comprend en cohérence avec l'amendement COM-2 adopté à l'initiative de Laurent Lafon à l'article 17. Réunis, ces deux amendements assurent à l'ARCEP un « droit de regard » au moment de la conclusion de l'accord (COM-2), et dans le cadre de son exécution (COM-16).

La procédure prévue se déroule en plusieurs étapes, là encore suivant un schéma proche de celui déjà pratiqué par l'ARCEP dans le cadre de sa régulation du secteur des télécommunications.

La première étape est la mise en demeure , dans un délai qui ne peut être inférieur à un mois, sauf en cas de « manquement grave et répété ». Elle peut être assortie d'obligations intermédiaires et rendue publique - ce n'est cependant pas une obligation.

Si la personne concernée ne s'est pas conformée à la décision dans le délai imparti, ni aux obligations intermédiaires éventuellement mises en place, la deuxième étape prévoit une notification des griefs à la personne en cause et la transmission du dossier à sa formation restreinte .

La formation restreinte de l'ARCEP

Définie à l'article L. 130 du code des postes et des communications électroniques, la formation restreinte de l'ARCEP est composée des trois membres les plus récemment nommés à l'Autorité , à l'exception du président. Elle délibère sur les décisions de sanction ou de non-sanction prise par l'ARCEP.

Cette formation instruit le grief dans le cadre d'une procédure contradictoire, avec l'audition obligatoire du représentant de l'ARCEP et de la personne en cause, voire de toute personne utile.

Elle peut prononcer des sanctions :

- un avertissement pour tous, qui peut s'étendre, dans le cas des sociétés agréées, à la suspension ou au retrait de l'agrément ;

- une sanction pécuniaire proportionnée à la gravité des faits et qui ne peut excéder 3 % du chiffre d'affaires et 5 % en cas de nouvelle infraction, soit le même niveau de sanction que celui prévu à l'article L. 36-11 du code des postes et des communications électroniques et moins élevé qu'à l'article L. 5-3 consacré aux fournisseurs du service postal universel. Si aucune activité antérieure ne permet de déterminer ce montant - comme pour une société nouvellement créée -, le montant de la sanction ne peut excéder 150 000 €, portés à 375 000 € en cas de nouvelle violation.

En cas d'infraction pénale, le montant de la sanction ne peut être supérieur au montant encouru pour cette dernière infraction.

La période de prescription est fixée à trois ans, et est interrompue par le lancement d'une procédure. Enfin, la décision prise par la formation restreinte peut être rendue publique - ce que l'ARCEP a toujours fait-, et être contestée devant le Conseil d'État, en application de l'article L. 521-1 du code de justice administrative - code qui fait l'objet d'une coordination à cet effet à l'article 3 du présent projet de loi.

Z. ARTICLE 24 : RÈGLEMENT DES DIFFÉRENDS

L'article 24 investit l'Autorité d'une mission de conciliation entre les parties. Elle reprend en partie une fonction exercée par le CSMP en application des articles 18-11 et 18-12 de la loi du 2 avril 1947. Cet article 18-11 rendait cependant cette phase de conciliation obligatoire avant tout recours contentieux.

L'Autorité peut être saisie de différends entre :

- d'une part, une entreprise de presse ou une société coopérative et, d'autre part, une société agréée , un diffuseur de presse , ou un kiosque numérique en cas essentiellement de refus de distribution ou de diffusion ou de désaccord sur l'interprétation à donner des clauses tirées de l'article 5 - qui définit le traitement des grands familles de presse ;

- entre une entreprise de presse et une société coopérative en cas de désaccord sur leurs obligations respectives.

- entre une société de distribution agréée et un diffuseur de presse , d'une part, en cas de désaccord sur les obligations liées à l'article 11, qui détaille le contenu de l'agrément et impose à la société de distribution le respect du schéma territorial.

Pour l'ensemble de ces cas, la décision de l'Autorité doit être prise dans un délai de quatre mois, porté à six mois en cas de circonstances exceptionnelles, être motivée et suffisamment explicite pour permettre de préciser « les conditions équitables et non discriminatoires, d'ordre technique et financier, dans lesquelles le groupage, la distribution ou la diffusion doivent être assurés », ce qui permettra d'établir une jurisprudence.

A l'initiative de votre Rapporteur, la commission a adopté un amendement COM-17 rédactionnel.

AA. ARTICLE 25 : RÔLE DE LA COMMISSION DU RÉSEAU DE LA DIFFUSION DE LA PRESSE

L'article 25 est l'article unique du chapitre II « La commission du réseau de la diffusion de la presse » du titre III.

Il définit le rôle de ladite commission, qui se substitue à la Commission du réseau , dont le rôle est défini au 6° de l'article 18-6 de la loi en vigueur.

1. Le seul lieu où siègent des éditeurs

Alors que la loi Bichet confiait la conduite opérationnelle des entreprises en charge de la distribution des publications de presse et la régulation de celle-ci aux éditeurs, force est de constater que leur influence est significativement amoindrie dans l'architecture envisagée par le présent projet de loi .

Entièrement confié à l'ARCEP, le schéma de régulation n'a en particulier pas retenu la proposition du rapport Schwartz d'un « Conseil des éditeurs » placé au côté de l'ARCEP.

La commission du réseau de la diffusion de la presse apparait en conséquence comme la dernière mission de régulation sectorielle confiée aux éditeurs. Le II de l'article 25 précise en effet qu'elle serait composée de « représentants des éditeurs de journaux et publications périodiques et des personnalités qualifiées en matière de distribution de la presse ». Le VI indique qu'un décret fixera les conditions d'application, notamment le nombre de membres de la commission, actuellement de 13, la durée de leur mandat, actuellement de deux ans , les modalités de leur désignation et de celle du président, ainsi que la procédure de conciliation. Une large marge de manoeuvre serait donc laissée au gouvernement pour la définition de son rôle.

2. Des pouvoirs limités aux agents de la vente de la presse

La commission reprendrait en grande partie les compétences de la commission du réseau actuelle sur les points de vente.

Ainsi, elle décide, « dans des conditions transparentes et non discriminatoires », de l'implantation des points de vente, au regard des principes définis à l'article 13 (large couverture du territoire etc..) et des règles édictées par l'ARCEP en application du 6° de l'article 17. Cela rapproche son rôle de la définition donnée par le 6° de l'article 18-6 de la loi en vigueur, qui indique que « la commission fait application de critères objectifs et non discriminatoires visant à garantir l'impartialité de la distribution de la presse ».

Il n'est cependant plus fait mention de son rôle de garantir « les équilibres économiques du système collectif de distribution, à limiter les coûts de distribution pour les entreprises de presse, à contribuer à l'efficience économique et à l'efficacité commerciale du réseau des dépositaires et des diffuseurs de presse et à assurer le respect, par ces agents de la vente, de leurs obligations définies par les décisions de portée générale du Conseil supérieur des messageries de presse qui sont devenues exécutoires ». Cette mission très large relève désormais non plus de la commission du réseau, mais de l'ARCEP, qui doit cependant offrir un cadre précis à la commission.

La commission perdrait également logiquement sa compétence sur les « nominations et mutations de dépositaires centraux de presse avec ou sans modification de la zone de desserte ». Comme on a pu l'indiquer dans le commentaire sur l'article 17, et notamment en raison de la position du Conseil d'Etat, les dépositaires centraux n'apparaissent plus que de manière brève dans la version proposée de la loi du 2 avril 1947.

La commission tiendrait à jour un fichier des implantations, ce qui est d'autant plus important que le statut de vendeur de presse ouvre droit à un régime fiscal particulier, en particulier au regard de la TVA.

La commission est également chargée d'une mission de conciliation entre agents de la vente.

3. Des inquiétudes sur ses moyens et son expertise

Actuellement, et en application du règlement intérieur du CSMP, la commission du réseau dispose pour ses travaux du Secrétariat permanent du CSMP, soit cinq personnes, dont trois spécifiquement dédiées.

L'article 25 prévoit que la commission recourt à des personnels et experts, soumis au secret professionnel. Les frais afférents sont à la charge des sociétés coopératives.

Il pourrait être utile, pour la bonne information de la commission, et dans l'optique d'une meilleure prise en compte de la réalité territoriale, d'associer les maires des communes concernés .

A l'initiative de votre Rapporteur, la commission a ainsi adopté un amendement COM-18 qui prévoit que le maire de la commune sera consulté par la commission du réseau avant toute décision. Il est en effet important que les élus locaux soient en mesure de faire valoir leur point de vue concernant une activité essentielle dans les territoires. Cet amendement s'inscrit d'ailleurs pleinement dans le cadre des réflexions initiées par le Sénat, notamment sur la revitalisation des centres-villes et des centre-bourgs .

BB. ARTICLE 26 : ENTRÉE EN APPLICATION DE LA LOI

L'article 26 prévoit qu'un décret fixe les conditions d'application de la loi du 2 avril 1947 dans sa version proposée par le présent projet de loi.

III. La position de votre commission

Votre commission a adopté 15 amendements aux articles de la loi de 1947 proposés par le présent projet de loi. Ils sont synthétisés ci-après.

Articles de la loi du 2 avril 1947 proposés par le projet de loi

Amendements

Objet

1

Pas de modification

2

Pas de modification

3

Amendement COM-8
du Rapporteur

Les entreprises de presse doivent adhérer à une coopérative pour recourir aux services d'une société agréée.

4

Pas de modification

5

Amendement COM-9
du Rapporteur

Les sociétés agréées participent aux négociations sur l'assortiment.

Amendement COM-3 de Jean-Pierre Leleux

Droit de première présentation pour la presse « CPPAP » non retenue dans l'assortiment et pour la presse « non-CPPAP ».

Amendement COM-10 du Rapporteur

Les diffuseurs de presse soivent obligatoirement proposer la presse CPPAP qui leur est délivrée dans la cadre de l'assortiment.

6

Amendement COM-6
d'André Gattolin

Trois entreprises de presse sont nécessaires pour créer une coopérative.

7

Pas de modification

8

Pas de modification

9

Pas de modification

10

Pas de modification

11

Amendement COM-1
de Laurent Lafon

Précision rédactionnelle sur le schéma territorial

Amendement COM-11 du Rapporteur

Le cahier des charges doit définir le type de prestations logistiques et financières attendues des sociétés agréées.

12

Pas de modification

13

Pas de modification

14

Pas de modification

15

Pas de modification

16

Amendement COM-12 du Rapporteur

Les commissions parlementaires peuvent saisir l'ARCEP.

Amendement COM-13
du Rapporteur

Amendement rédactionnel.

17

Amendement COM-2 de Laurent Lafon

Les pouvoirs de l'ARCEP sont étendus au cas de non-conformité de l'accord interprofessionnel aux principes de la loi.

Amendement COM-4 de Jean-Pierre Leleux

En cas de carence des parties, l'ACREP détermine les conditions de l'assortiment, y compris les quantités.

Amendement COM-14 du Rapporteur

L'ARCEP doit recueillir l'avis des organisations professionnelles des diffuseurs de presse pour fixer leurs conditions de rémunération.

Amendement COM-15 du Rapporteur

Meilleure prise en compte de la place des dépositaires centraux.

18

Pas de modification

19

Pas de modification

20

Pas de modification

21

Pas de modification

22

Pas de modification

23

Amendement COM-16 du Rapporteur

Les pouvoirs de l'ARCEP comprennent le contrôle de l'accord interprofessionnel

24

Amendement COM-17 du Rapporteur

Amendement rédactionnel

25

Amendement COM-18 du Rapporteur

La commission du réseau doit solliciter l'avis du maire de ma commune concernée avant de prendre ses décisions d'implantation.

26

Pas de modification

Votre commission a adopté cet article ainsi modifié.

Article 2
(Code des postes et des communications électroniques)

Coordination au sein du code des postes
et des communications électroniques

Objet : Le présent article assure la coordination des mesures proposées à l'article 1 er pour réformer la loi du 2 avril 1947 dans le code des postes et des communications électroniques.

I. Le dispositif proposé

Le présent article tire les conséquences formelles du changement de dénomination et de l'extension du domaine de compétences de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des Postes (ARCEP), auquel procède le présent projet de loi. Il est donc procédé à une série de coordination au titre II à IV du code des postes et des communications électroniques.

La nouvelle dénomination de l'autorité serait « Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse ». Le premier et le quatrième alinéas de l'article L. 130 et le premier et le deuxième alinéas de l'article L. 131 du code précité seraient modifiés en conséquence.

La liste des compétences requises pour justifier d'une nomination de membres du collège de l'ARCEP , actuellement définie comme une « qualification économique, juridique et technique, dans les domaines des communications électroniques, des postes et de l'économie des territoires » serait également complétée par une qualification dans le domaine de la distribution de la presse .

Le nouveau domaine de compétences de l'Autorité serait par ailleurs précisé dans le code des postes et des communications électroniques.

Le cinquième, le sixième aliénas et le septième alinéas de l'article L. 130, qui fixent les compétences et les conditions de délibération de la formation restreinte de l'Autorité, seraient modifiés pour prévoir le rôle que lui confie l'article 23 de la loi du 2 avril 1947, dans sa rédaction issue du présent projet de loi, soit les pouvoirs de sanction.

L'article L. 131 bénéficierait également de la coordination sur le changement de dénomination de l'Autorité.

Le présent article propose également de compléter l'article L.135, qui prévoit le contenu du rapport d'activité établi par l'Autorité. Il comporterait désormais un bilan des mesures relatives à la distribution de la presse mises en oeuvre en application de la loi du 2 avril 1947 dans sa rédaction issue du présent projet de loi, ainsi qu'un état de la distribution , en particulier de la tarification de celle-ci.

Enfin, l'Autorité aurait la capacité, comme dans les autres secteurs de sa compétence, de procéder à des expertises et mener des actions d'information en direction des sociétés agréées de distribution.

II. La position de votre commission

Votre commission a adopté trois amendements rédactionnels COM-19, COM-20 et COM21 sur cet article.

Votre commission a adopté cet article ainsi modifié.

Article 3
(article L. 311-4 du code de justice administrative)

Actualisation du code de justice administrative

Objet : le présent article propose d'actualiser l'article L. 311-4 du code de justice administrative.

I. Le dispositif proposé

Le présent article complète l'article L. 311-4 du code de justice administrative pour établir la compétence du Conseil d'Etat, en premier et dernier ressort, en matière de contentieux lié au pouvoir de sanction de la formation restreinte de l'Autorité tel que défini à l'article 23 de la loi du 2 avril 1947 dans sa rédaction issue du présent projet de loi.

II. L'avis de votre commission

Le présent article constitue une coordination utile au sein du code de justice administrative.

Votre commission a adopté le présent article sans modification.

Article 4
(article 298 undecies du code général des impôts)

Actualisation du code général des impôts

Objet : le présent article propose d'actualiser l'article 298 undecies du code général des impôts .

I. Le dispositif proposé

L'article 298 undecies du code général des impôts prévoit un régime fiscal spécifique pour les vendeurs de presse, dont la liste est tenue par le Conseil supérieur des messageries de presse (CSMP).

Le présent article remplace, au sein de l'article 298 undecies , la référence au CSMP par celle à la commission du réseau de la diffusion de la presse prévue à l'article 25 de la loi du 2 avril 1947 telle que modifiée par le présent projet de loi, à qui a été transférée la charge de l'établissement de la liste nationale des vendeurs de presse.

II. L'avis de votre commission

Le présent article procède à une coordination utile au sein du code général des impôts.

Votre commission a adopté le présent article sans modification.

Article 5
(Article L. 131-4 du code de la consommation)

Actualisation du code de la consommation

Objet : le présent article propose d'actualiser l'article L. 131-4 du code de la consommation .

I. Le dispositif proposé

Le présent article propose de tenir compte des modifications introduites par le II de l'article 14 proposé par l'article premier du présent projet de loi pour la loi du 2 avril 1947.

La coordination prévue permet d'inclure dans le régime de sanctions prévu à l'article L. 131-4 du code de la consommation pour manquement aux obligations d'informations de la part des opérateurs de plateforme en ligne les nouvelles obligations qui leur échoiraient en matière d'information des internautes sur l'usage qui est fait de leurs données personnelles dans la sélection algorithmique de publications qui leur est proposée.

II. L'avis de votre commission

Le présent article procède à une coordination utile au sein du code de la consommation.

Votre commission a adopté le présent article sans modification.

Article 6
(article 22 de la loi n° 91-1 du 3 janvier 1991 tendant au développement
de l'emploi par la formation dans les entreprises, l'aide à l'insertion sociale et professionnelle et l'aménagement du temps de travail, pour l'application du troisième plan pour l'emploi)

Réforme du statut des vendeurs-colporteurs de presse

Objet : le présent article réforme le statut des vendeurs-colporteurs de presse afin de favoriser le développement du portage de presse .

I. Le droit en vigueur

1. Le portage : un important dispositif de distribution de la presse

En 2017, 54 % des exemplaires de la presse quotidienne régionale et 13 % de la presse quotidienne nationale sont distribués par le biais du portage, soit 800 millions d'exemplaires par an . Dans un contexte général de baisse des ventes, le portage connaît une baisse beaucoup moins importante que l'abonnement et la vente au numéro. Il représente un enjeu crucial pour la presse, notamment locale, et pour la diffusion de l'information dans les territoires.

La part du portage dans la distribution des quotidiens est passée de 42,2 % en 2011 à 47,5 % en 2017 . La distribution par La Poste, qui reste le deuxième mode de diffusion après la vente au numéro, connait une érosion bien plus importante.

Votre Rapporteur avait dénoncé, à l'occasion de l'examen du projet de loi de finances pour 2019, une baisse de 5 M€ de l'aide au portage, soit 16 %, qui représentait la quasi-totalité de l'effort du programme . Elle faisait suite à une diminution de 4,5 M€ en 2018, soit près de 10 M€ sur deux ans, auquel il convenait d'ajouter pour 2019, la non compensation de la transformation du CICE en exonérations de charges, pour un coût de 4 M€.

La non compensation de la transformation du CICE

Comme tous les secteurs économiques, le portage a bénéficié du crédit d'impôt compétitivité emploi (CICE), qui lui a permis de recruter et d'investir dans des outils d'amélioration des performances (parc automobile, développements numériques d'organisation et de géolocalisation des tournées....).

L'article 8 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2018 a transformé le CICE en un allègement pérenne de 6 % des cotisations sociales des entreprises, pour les rémunérations n'excédant pas 2,5 SMIC.

Or la transformation du CICE en allègements de charges n'a pas bénéficié aux entreprises de portage de presse qui supportent donc depuis le 1 er janvier 2019 une hausse des coûts de quatre millions d'euros . En effet, les dispositions de l'article L241-13 du code de la sécurité sociale excluent la possibilité de cumuler le bénéfice de la réduction générale des cotisations patronales sur les bas salaires avec une autre exonération totale ou partielle de cotisations patronales ou l'application de taux spécifiques, d'assiettes ou de montants forfaitaires de cotisations . Cette interdiction ne permet donc pas, à ce jour, de faire application de la réduction générale des cotisations patronales sur les bas salaires à l'ensemble de la rémunération du porteur, y compris la part de rémunération qui n'est pourtant pas soumise à la base forfaitaire de cotisations.

Votre Rapporteur avait fait adopter par le Sénat un amendement à l'article 8 du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2019 afin d'assurer une équité de traitement entre le secteur du portage et les autres secteurs . Il n'a malheureusement pas été retenu en lecture définitive par l'Assemblée nationale.

2. Les vendeurs-colporteurs de presse

Le portage de presse prend deux formes différentes : le portage salarié et les vendeurs colporteurs de presse (VCP) , qui relèvent du I de l'article 22 de la loi du 3 janvier 1991. On compte 12 000 porteurs salariés et 10 000 vendeurs colporteurs de presse indépendants. Il s'agit d'une activité souvent à temps partiel - seuls un-quart l'exercent à temps plein - et rémunérée autour du SMIC.

La vente à la criée

Les VCP ne doivent pas être confondus avec l'activité de vente de presse à la criée, qui a pratiquement disparu depuis les années 50 et le développement des kiosques, en dépit de quelques expériences menées dans les gares en 2008.

La vente à la criée fait partie de l'histoire de la presse en France. Elle a cependant rapidement posé un problème d'ordre public, à tel point que la loi du 19 mars 1889 relative aux annonces sur la voie publique l'a limitée à l'annonce de « leur titre, leur prix, l'indication de leur opinion et les noms de leurs auteurs ou rédacteurs. [...] Aucun titre obscène ou contenant des imputations, diffamations ou expressions injurieuses pour une ou plusieurs personnes ne pourra être prononcé sur la voie publique ».

Les VCP sont des travailleurs indépendants qui agissent pour le compte d'un éditeur, d'un dépositaire ou d'un diffuseur de presse . Ils effectuent, sur la voie publique ou par portage à domicile, la vente des quotidiens et assimilés.

Les VCP ont également la qualité de mandataire commissionnaire. À ce titre, ils peuvent encaisser directement le prix des abonnements et sont garants en cas d'impayés. Dans la très grande majorité des cas, cependant, les abonnements sont réglés par prélèvement automatique et leur tâche se limite à la livraison des journaux.

Le II de l'article 22 de la loi du 3 janvier 1991 précitée limite le statut de VCP à au portage et à la vente de publications de presse quotidienne « CPPAP » .

Deux travaux ont souligné la nécessité de faire évoluer leur statut : le rapport conjoint de l'Inspection générale des affaires sociales et de l'Inspection générale des affaires culturelles d'octobre 2014 intitulé « La situation sociale des vendeurs colporteurs de presse et porteurs de presse », et le rapport des Inspections générales des finances et des affaires culturelles de 2017 intitulé « La réforme de l'aide au portage de presse ».

Un système de cotisations sociales complexe et éclaté

Les conditions de rémunération des VCP, considérés comme des agents de vente en application du dernier alinéa de l'article 18-6 de la loi du 2 avril 1947 en vigueur, devraient être homologuées par le CSMP, qui n'a cependant pris qu'une décision conservatoire en 2011. La presse quotidienne régionale a d'ailleurs régulièrement contesté cette compétence du Conseil Supérieur.

Travailleurs indépendants , les VCP sont inscrits au régime général de la sécurité sociale. Ils bénéficient de deux types d'aide :

- d'une part , depuis la loi du 3 janvier 1991 précitée, le calcul de leurs cotisations sociales se fait sur une assiette forfaitaire . Il en résulte un montant de cotisations plus faibles, mais des droits également minorés, notamment sur les pensions de retraite. La loi du 20 janvier 2014 garantissant l'avenir et la justice du système de retraite a cependant amélioré cette situation ;

- d'autre part , une exonération de cotisations patronales adoptée par la loi de finances rectificative du 20 avril 2009 , compensée par l'Etat sur le programme 180, qui représente 14,2 millions d'euros en 2019 - contre 21,1 millions en 2014.

Deux lettres ministérielles ont étendu le champ de l'exonération de cotisations sociales au portage :

- de la presse gratuite d'information politique et générale (IPG) en 2009, sans la faire bénéficier cependant de l'assiette forfaitaire ;

- de la presse magazine hebdomadaire d'IPG en 2014, avec cette fois-ci un calcul effectué sur l'assiette forfaitaire .

De plus, si le VCP distribue de la presse hors de ces catégories, il ne peut le faire sous ce statut, mais sous celui d'auto entrepreneur , au titre du régime des indépendants.

La complexité de leur statut est un facteur limitant le développement du portage et qui favorise, selon la mission de 2014, les comportements abusifs. Ainsi, le rapport indique que les éditeurs non compris à l'article 22 de la loi précitée du 3 janvier 1991 (comme les hebdomadaires de télévision) appliquent le régime des exonérations. Par ailleurs, il existe une forte insécurité juridique sur l'indépendance de leur activité, susceptible d'être requalifiée en contrat de travail .

De manière convergente, cette complexité et ces incertitudes limitent le développement du portage de presse, alors même que ce mode de distribution des journaux connait une baisse moindre que la vente au numéro et constitue une voie d'avenir .

II. Le dispositif proposé

Le présent article vise à tenir compte des préconisations des rapports d'inspection. Il propose, d'une part, de sécuriser les relations entre les VCP et leurs mandataires , notamment les éditeurs, d'autre part, de faciliter leur exercice professionnel en autorisant explicitement le portage de plusieurs titres .

Ainsi, les VCP seraient chargés de la vente ou du portage à domicile des publications quotidiennes ou hebdomadaires qui répondent à des conditions fixées par décret. En pratique, ils demeureront employés par un titre de presse, et seront dans ce cas habilités à percevoir le montant des abonnements.

Ils pourraient également assurer le portage de l'ensemble de la presse au sens de l'article 1 er de la loi du 1 er août 1986 précitée, mais « à titre accessoire », c'est-à-dire sans percevoir l'abonnement .

Leur qualité de travailleur indépendant serait par ailleurs fixée dans la loi, de même que celle de mandataire-commissionnaire.

Il serait enfin fait référence à l'article 25 de la loi du 2 avril 19847 dans sa version proposée par l'article 1 er du présent projet de loi. Les VCP recevraient donc une attestation comme agent de vente, remise par la commission du réseau de la diffusion de la presse - soit une compétence détenue, mais en pratique peu exercée, par le CSMP dans la loi en vigueur.

III. La position de votre commission

Votre commission est particulièrement favorable au développement du portage de presse, comme a pu le souligner sa position à l'occasion du projet de loi de finances pour 2019. Dans ce contexte, elle accueille favorablement cette évolution du statut des VCP, attendue depuis longtemps, qui devrait permettre de développer le portage multi-titre et de clarifier le statut juridique des VCP.

Votre commission a adopté le présent article sans modification.

Article 7

Dispositions transitoires pour la régulation
de la distribution de la presse

Objet : le présent article trace le cadre de la période de transition pour les organes en charge de la régulation.

I. Le dispositif proposé

Le présent article organise la transition entre la régulation actuellement menée par le CSMP et l'ARDP et celle qui sera exercée par la nouvelle Autorité en cas d'adoption du présent projet de loi.

Le I précise que le mandat en cours des membres du collègue de l'ARCEP ne serait pas interrompu par l'entrée en vigueur du présent projet de loi. Il faudra donc attendre les prochaines nominations, pour que les nouveaux membres doivent justifier de compétences dans le domaine de la distribution de la presse, en application de l'article 2 du présent projet de loi qui a complété le premier alinéa de l'article L. 130 du code des postes et des communications électroniques.

Les II à V du présent article construisent une dévolution des compétences échelonnée entre les régulateurs.

Le II prévoit une réunion de l'Autorité le mois suivant la date d'entrée en vigueur de la présente loi.

Le III prévoit que la première réunion de la commission du réseau de la diffusion de la presse , créée à l'article 25 de la loi du 2 avril 1947 telle que modifiée par le présent projet de loi, ait lieu dans les six mois suivant l'entrée en vigueur de la loi . Ce délai permettra à l'autorité de nomination, soit le ministre de la culture, de sélectionner les représentants des éditeurs et les personnalités qualifiées, dont le nombre sera déterminé par décret.

Le 1° du IV précise que, jusqu'à la date de la première réunion de la nouvelle Autorité, soit un mois après la promulgation de la loi en application du II , le CSMP et l'ARDP continuent d'exercer l'intégralité de leurs compétences .

À l'expiration de ce délai, le CSMP et sa commission du réseau (CDR) conservent une compétence en matière d'autorisation d'implantation et d'agrandissement des points de vente , et ce jusqu'à la première réunion de la nouvelle commission du réseau de la diffusion de presse, soit dans les six mois qui suivent l'entrée en vigueur de la loi .

Le V précise que les décisions prises par le CSMP et l'ARDP avant la première réunion de la nouvelle Autorité sont « maintenues de plein jusqu'à décision contraire » à compter de la première réunion de cette dernière. Cela permet d'assurer la continuité juridique entre les organes de régulation. La reprise par la nouvelle Autorité de l'ensemble des actes du CSMP et de l'ARDP sécurise le cadre juridique constitué depuis 2011 par ces deux entités, notamment en matière d'organisation du réseau. Il en est de même de la mention du 2°, qui indique que la validité des actes pris antérieurement à la nouvelle loi « s'apprécie au regard des dispositions législatives et réglementaires en vigueur à la date à laquelle ils ont été pris ou accomplis », ce qui signifie que le cadre de la loi actuellement en vigueur s'appliquerait pour les décisions prises avant l'entrée en vigueur de la loi.

Enfin, il est précisé que la poursuite des actions entreprises par l'ARDP devant la Cour d'Appel de Paris, en application de l'article 18-14 de la loi du 2 avril 1947, ainsi que la défense des décisions prises par elle et le CSMP et contestée, échoient à la nouvelle Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse.

L'article 18-14 de la « loi Bichet » prévoit, cependant, dans sa rédaction actuelle, que le président de l'ARDP ou le président du CSMP peuvent saisir le premier président de la cour d'appel de Paris lorsqu'ils constatent des manquements aux obligations résultant des décisions de portée générale ou à caractère individuel prises par le CSMP.

In fine , le VI organise la liquidation du CSMP à la date de la première réunion de la nouvelle Autorité . Cette dissolution, qui doit avoir lieu dans les six mois qui suivent la promulgation de la loi, est financée par les fonds du CSMP. Le CSMP compte actuellement cinq salariés à temps plein , auquel l'ARCEP devra, en application de l'article L. 1224-3 du code du travail, proposer un contrat de droit public.

Les sommes dues par les sociétés coopératives restent dues, et le solde leur sera reversé six mois à l'issue de de la liquidation au prorata de leur activité.

Les opérations de transition peuvent être synthétisées en suivant les trois bornes temporelles suivantes :

Entrée en vigueur de la loi

Ø Pas de modification des mandats en cours des membres de l'ARCEP ni des membres du CSMP et de l'ARDP.

Ø Le CSMP et l'ARDP continuent d'exercer leur mission.

Dans le mois suivant l'entrée en vigueur :
première réunion de l'Autorité

Ø Les décisions antérieures prises par le CSMP et l'ARDP sont maintenues par défaut jusqu'à décision contraire.

Ø Les actions en justice sont transférées à la nouvelle Autorité.

Ø Début des opérations de dissolution du CSMP.

Dans les six mois suivant l'entrée en vigueur

Ø Première réunion de la commission du réseau de la diffusion de la presse. Jusqu'à cette date, la Commission du réseau exerce ses compétences.

Ø Au bout de six mois, fin de la liquidation du CSMP.

II. La position de votre commission

Le présent article organise une transition ordonnée entre les deux systèmes.

Cependant, le projet de loi, dans sa rédaction actuelle, ne prévoit que la poursuite, par le nouveau régulateur, des demandes portées devant la cour d'appel de Paris par le seul président de l'ARDP. A l'initiative de votre Rapporteur, la commission a adopté un amendement COM-22 qui rajoute les demandes portées devant la cour d'appel de Paris par le président du CSMP dans la liste des demandes poursuivies de plein droit par le nouveau régulateur devant cette même juridiction .

Votre commission a adopté cet article ainsi modifié.

Article 8

Dispositions transitoires pour les sociétés
en charge de la distribution de la presse

Objet : le présent article organise la transition jusqu'en 2023 entre le système de la distribution de la presse par des messageries appartenant aux coopératives au nouveau système où la distribution serait assurée par des sociétés agréées .

I. Le dispositif proposé

Le présent article organise la transition de la distribution de la presse par les sociétés coopératives dans le système actuellement en vigueur et celui mis en place en cas d'adoption du présent projet de loi.

Là encore un échelonnage dans le temps est prévu pour l'entrée en vigueur du dispositif proposé.

En application de l'article 11 de la loi du 2 avril 1947 tel que modifié par le présent projet de loi, le gouvernement, sur la base d'une proposition de la nouvelle Autorité, établit le cahier des charges des sociétés de distribution de presse.

La dernière phrase du premier alinéa du I du présent article précise que ce cahier des charges doit avoir été rendu public avant le 1 er janvier 2023 .

Les sociétés qui assurent actuellement la distribution de la presse, soit Presstalis et les MLP, peuvent continuer à exercer leur activité sans agrément, dans la limite d'un délai de trois ans après la promulgation de la loi . Elles sont cependant immédiatement soumises aux obligations issues de la loi du 2 avril 1947 dans la rédaction proposée par l'article premier du présent projet de loi, ce qui suppose en particulier la mise en place des règles d'assortiment telles que prévues à l'article 5, mais rend également possible l'entrée au capital d'investisseurs si les actuels propriétaires, soit les coopératives, souhaitaient ne plus exercer cette fonction de distribution. Elles doivent par ailleurs transmettre dans les deux mois suivant la date de publication de la loi à l'Autorité les conditions techniques et tarifaires de leurs prestations. L'Autorité pourra alors faire usage de ses pouvoirs définis au 2° de l'article 17.

Une fois le cahier des charges connu, ces deux messageries « historiques » ont six mois pour candidater afin d'obtenir l'agrément . Il n'y a cependant pas de délai prévu entre la publication du cahier des charges et la délivrance des agréments par l'Autorité. À supposer que la loi soit promulguée le 1 er janvier 2020 et le cahier des charges soit publié le 1 er janvier 2023, à cette date, les deux messageries ne pourront plus exercer, et aucune société n'aura encore reçu d'agrément, pas plus que les autres.

Les opérations de transition peuvent être synthétisées de la manière suivante. Par commodité, on suppose que la loi sera promulguée le 1 er janvier 2020 et le cahier des charges publié le 1 er janvier 2023.

Publication de la loi au 1 er janvier 2020 (date retenue par convention)

Ø Presstalis et les MLP continuent d'exercer leur activité pendant trois ans, soit jusqu'au 1 er janvier 2023

Ø Elles sont immédiatement soumises aux dispositions de la nouvelle loi

Ø Dans les deux mois, elles transmettent à l'Autorité leurs conditions tarifaires et techniques

Six mois après la promulgation, soit le 1 er juin 2020

Ø Transmission de l'accord interprofessionnel à l'Autorité

Publication du cahier des charges par le gouvernement au 1 er janvier 2023
et fin de la période transitoire de trois ans

Ø A cette date, Presstalis et les MLP ne peuvent plus exercer

Ø Dans les six mois, Presstalis et les MLP sollicitent un agrément

Ø Les sociétés candidates sollicitent un agrément quand elles le désirent

L'accord interprofessionnel défini à l'article 5 de la loi du 2 avril 1947 dans sa rédaction résultant de l'adoption du présent projet de loi doit être communiqué à la nouvelle Autorité dans les six mois qui suivent l'entrée en vigueur du projet de loi. En application du 8° de l'article 17, l'Autorité émet un avis public sur l'accord qui a pour objet de s'assurer de son respect des grands principes de la loi. Il convient de rappeler que l'Autorité peut, en cas de carence, déterminer elle-même les conditions de l'assortiment.

II. La position de votre commission

La transition constitue une période à risque pour la distribution de la presse, que le présent article s'efforce d'organiser de manière ordonnée.

Pour remédier au risque de rupture dans la distribution de la presse en 2022 compte tenu du calendrier, votre commission a adopté à l'initiative de son Rapporteur un amendement COM-23 qui prévoit de fixer comme date limite à l'exercice de la distribution sans agrément de Presstalis et les MLP le début d'activité des sociétés. Cette disposition permet donc de garantir la continuité de la distribution de la presse durant les dernières semaines de la période de transition .

La commission a de plus adopté, à l'initiative de Françoise Laborde, un amendement COM-5 qui permet de prendre en compte l'absence de société agréée durant la période transitoire et prévoit que le premier accord interprofessionnel, qui définira les règles d'assortiment des titres et de détermination des quantités servies aux points de vente de la presse dite « CPPAP » (hors IPG), sera négocié avec les deux sociétés assurant la distribution de la presse au moment de l'entrée en vigueur de la présente loi .

Votre Rapporteur tient à faire part de trois motifs d'incertitudes qui demeurent pour la période qui s'ouvre.

La première est l'attitude des éditeurs face au principal opérateur, Presstalis . En effet, et alors que sa situation financière demeure encore fragile, ils pourraient être tentés de rejoindre les MLP ou d'adopter une attitude prudente en ne s'engageant que sur de courtes périodes, dans l'attente de l'arrivée de nouveaux opérateurs. Cette « fuite », que la nouvelle Autorité aura du mal à juguler, pourrait définitivement compromettre le destin de Presstalis. Des précisions rapides sur un adossement prochain de Presstalis à un opérateur d'envergure seraient de nature à apaiser ces craintes.

La deuxième concerne la capacité des parties prenantes à s'entendre, six mois après la promulgation de la loi , pour déterminer les conditions de l'assortiment prévu au 2° de l'article 5.

La troisième , directement liée, concerne la capacité des MLP et de Presstalis à appliquer ces nouvelles règles , alors même que le CSMP n'est jamais parvenu, malgré sa décision de 2011, à contraindre les sociétés à mettre en place l'assortiment et le plafonnement, notamment pour des raisons informatiques .

La période de transition jusqu'en 2023 est donc une période « à risque » .

Votre commission a adopté cet article ainsi modifié.

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* *

Votre commission a adopté l'ensemble du projet de loi ainsi modifié .

EXAMEN EN COMMISSION

MERCREDI 15 MAI 2019

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Mme Catherine Morin-Desailly , présidente. - Nous examinons le rapport de Michel Laugier sur le projet de loi relatif à la modernisation de la distribution de la presse et les amendements déposés sur ce texte, que le ministre de la culture M. Franck Riester et le président de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep) M. Sébastien Soriano, sont venus nous présenter mardi dernier.

M. Michel Laugier , rapporteur. - Le dépôt de ce texte en premier lieu sur le bureau du Sénat est une reconnaissance du travail effectué par notre commission et ses différents rapporteurs sur la presse depuis des années.

La loi du 2 avril 1947, dite loi Bichet, est issue des travaux du Conseil national de la Résistance. Adoptée alors que Paul Ramadier est président du Conseil du dernier gouvernement d'Union nationale rassemblant toutes les forces politiques issues de la Libération, cette loi est le fruit d'un compromis entre les intérêts divergents des éditeurs, des partis politiques et de l'opérateur historique d'avant-guerre, le groupe Hachette. Les acquis de la loi Bichet sont considérables. Elle a rendu possible, depuis plus de 70 ans, la diffusion chaque jour, sur l'ensemble du territoire, de la presse, dans des conditions non discriminatoires et égalitaires. Notre démocratie lui doit beaucoup et, si nous sommes un peuple si politique, c'est en bonne partie grâce à elle, tant la lecture des journaux est une condition nécessaire à la participation informée au débat.

La fragilité de la loi de 1947 est cependant périodiquement rappelée par les crises à répétition des Nouvelles messageries de la presse parisienne (NMPP), devenues Presstalis, unique opérateur à distribuer les quotidiens. En 2011 et 2015, une importante réforme de la régulation a été adoptée, avec un travail remarquable de notre commission, et notamment de David Assouline, rapporteur en 2011. Cependant, malgré le soin apporté à définir une nouvelle régulation, la crise du secteur, des choix de gestion contestables et, disons-le, la défiance généralisée entre les acteurs, ont failli conduire le système à sa perte.

Nous avons donc souhaité une révision de la loi de 1947, ainsi que son élargissement au numérique. Le projet de loi que nous examinons est le fruit d'un travail conséquent, initié en particulier par un rapport commandé par Françoise Nyssen à son ancien directeur de cabinet, Marc Schwartz.

Les orientations retenues par le ministre me semblent aller dans le bons sens, car elles s'efforcent d'apporter une réponse cohérente aux quatre impératifs qu'une loi de distribution adaptée au vingt-et-unième siècle se doit de traiter. Premièrement, il faut préserver la diffusion sur l'ensemble du territoire des titres d'information politique générale, garantie par le Conseil constitutionnel. Deuxièmement, il importe de créer les conditions d'un équilibre économique durable du secteur. Troisièmement, il convient de redonner une place centrale aux diffuseurs de presse, qui ont été oubliés ces dernières années. Enfin, il faut prendre en compte l'évolution de la presse avec la place grandissante du numérique.

Le système issu de la loi de 1947, modifié en 2011 et 2015, repose sur l'imbrication de trois niveaux. Les éditeurs ont l'obligation d'adhérer à des coopératives. Le niveau 1 est constitué de Presstalis et des Messageries lyonnaises de presse, qui doivent être possédées à plus de 50 % par les coopératives. Les messageries traitent avec le niveau 2, qui correspond aux dépositaires centraux, qui assurent la répartition de la presse jusqu'aux diffuseurs, constitutifs du niveau 3. Ce système donne aux éditeurs une forme de droit absolu à être distribué par le réseau. Il en résulte, selon le point de vue, une effervescence créatrice des éditeurs français, avec 4 400 titres de presse magazine, soit trois fois plus qu'en Allemagne et deux fois plus qu'au Royaume-Uni ; ou un système en déséquilibre, puisque cette production ne se traduit pas par plus de lecteurs qu'ailleurs et, partant, aboutit à un taux d'invendus de plus de 50 %.

Le nouveau système cherche à préserver les acquis de la loi Bichet de 1947, en particulier sur deux points. D'abord, il maintient notre système spécifique et unique au monde de distribution de la presse, qui tient compte de la place éminente reconnue à la presse d'information politique et générale. Il n'y a donc pas de libéralisation absolue du secteur. Puis, il garantit le maintien du système coopératif, qui serait conforté dans le projet de loi et que certains des amendements déposés vont encore solidifier.

Il est articulé autour de trois grandes idées.

Première idée : si les éditeurs qui souhaitent grouper la distribution doivent toujours bien adhérer à des coopératives, ces dernières n'ont plus l'obligation de détenir la majorité du capital des messageries. Cette obligation avait été introduite dans la loi de 1947 afin d'éviter la mainmise d'Hachette. Désormais, les coopératives de groupage seraient libres de contracter avec des sociétés agréées, qui seraient soumises à un cahier des charges extrêmement strict.

Deuxième idée, la régulation serait intégralement confiée à l'Arcep, qui aurait un rôle de supervision a priori , avec sa participation à l'élaboration du cahier des charges et la délivrance des agréments des sociétés, et un rôle de contrôle en continu du respect des engagements de l'ensemble des acteurs. Il serait donc mis fin à l'autorégulation du secteur.

Je voudrais à ce propos dire un mot du Conseil supérieur des messageries de presse (CSMP), dont le rôle avait été réformé en 2011 et 2015. Je ne crois pas que l'on puisse qualifier son action, non plus que celle de l'Autorité de régulation, d'échec ; bien au contraire. Ces deux instances ont très bien identifié les problématiques du secteur et ont cherché, à long terme comme à court terme, à proposer des solutions. Pour autant, le CSMP a souffert, en partie à tort, de son positionnement jugé trop proche des grands éditeurs et de Presstalis. Dès lors, l'autorégulation n'est plus apparue comme transparente et objective à de nombreux acteurs, ce qui a fragilisé tout le système. Enfin, le CSMP et l'Autorité de régulation de la distribution de la presse (ARDP) ont également pâti de la faiblesse de leurs moyens, et notamment de la faiblesse de leur expertise économique. Le nouveau régulateur, l'Arcep, est indépendant par nature, et dispose des compétences économiques nécessaires. On assiste donc bien à un basculement, que je crois absolument nécessaire, vers une régulation économique, qui constitue à mes yeux la meilleure garantie pour la pérennité du système de distribution.

Troisième idée, il serait mis fin à l'accès illimité au réseau des éditeurs, qui contribue à l'encombrement des points de vente et génère un taux d'invendus supérieur à 50 %. De facto , une partie du pouvoir serait donnée aux diffuseurs eux-mêmes.

On distinguerait désormais trois grandes familles de presse. La presse d'information politique et générale (IPG) serait distribuée partout - ce qui revient à lui reconnaître un statut à part. La presse dite « commission paritaire », qui relève de la Commission paritaire des publications et agences de presse (CPPAP) et obéit à une définition stricte en termes de contenus, ferait l'objet d'un accord interprofessionnel qui déterminerait les titres et les quantités servies en fonction des points de vente. Cet accord devrait permettre une adaptation fine des titres proposés. Enfin, les autres types de presse, par exemple la presse ludique, serait pour sa part livrée chez les diffuseurs en fonction de leurs demandes.

Les diffuseurs seraient enfin placés au centre du système - et leur organisation représentative la plus importante nous a fait part de sa satisfaction sur cette revendication de longue date. Un amendement très pertinent présenté par Jean-Pierre Leleux sur l'article 5 prévoit de plus un droit de présentation pour les éditeurs de presse CPPAP qui n'auraient pas été retenus dans l'accord interprofessionnel et pour les autres titres de presse. Un diffuseur qui souhaite distribuer un titre pourra donc toujours le faire.

J'attire également votre attention sur une disposition qui me parait répondre pleinement aux travaux récents de la commission. Le projet de loi prévoit en effet d'étendre les dispositions de la loi à la diffusion numérique, en visant deux catégories. D'abord, les kiosques numériques, qui ne pourront s'opposer à la distribution de la presse d'information politique générale s'ils distribuent déjà au moins un titre. Par exemple, si le kiosque met à disposition Libération , il ne peut refuser de distribuer Le Figaro ou l'Humanité . Puis, les plateformes en ligne devraient être transparentes sur les critères qui les font mettre en avant tel ou tel contenu en fonction des données personnelles. Cela va tout à fait dans le sens des travaux de notre présidente en introduisant des obligations assez inédites de responsabilisation des plateformes, et cela peut également être mis en parallèle avec la proposition de loi de David Assouline sur les droits voisins, puisque c'est la même réalité qui est visée.

Il reste cependant des incertitudes. La première est la situation de Presstalis. Avec 400 millions d'euros de fonds propres négatifs, la principale messagerie, et la seule à assurer la distribution des quotidiens, est dans une situation très critique. Chacun est conscient que la période qui s'ouvre est pour elle celle de la dernière chance, et que l'État ne viendra plus à son secours comme il l'a fait rituellement. Dès lors, la seule solution est celle d'un adossement à un opérateur qui lui permettra de s'insérer dans un schéma industriel plus large. Je compte relancer le Gouvernement sur ce point, qui nécessite une volonté politique très forte. En la matière, l'État doit prendre ses responsabilités, et être cohérent : ce n'était pas la peine d'apporter en urgence 90 millions d'euros à Presstalis l'année dernière si c'était pour laisser tomber l'entreprise. Cette inquiétude est d'autant plus vivace que le nouveau système ne doit rentrer en application qu'en 2023. Dans l'intervalle, il faudra non seulement que Presstalis ne s'effondre pas, mais qu'elle améliore significativement sa gestion et conserve la confiance de ses clients.

La deuxième inquiétude porte sur le système informatique. Françoise Laborde a évoqué cette question devant le ministre la semaine dernière, et je suis absolument de son avis. Les dispositions relatives à l'assortiment ne pourront fonctionner que si un système informatique robuste est enfin mis en place - c'est attendu depuis 2011 ! Dès lors, il faudra être attentif non seulement au vote de la loi, mais également à son entrée en vigueur.

Troisième et dernier point de vigilance : la place des collectivités locales. Nous savons tous que le point de vente de presse est un élément décisif dans la vie de nos territoires. Dès lors, on ne peut que se réjouir de la place qui leur est enfin donnée dans la définition des politiques commerciales. Jusqu'à présent, les élus n'étaient pas consultés pour les ouvertures, ce qui pouvait occasionner des difficultés compte tenu des situations locales spécifiques, notamment dans les centre-villes et centres-bourgs. Je vous proposerai donc un amendement faisant que le maire de la commune concernée sera consulté à chaque fois par la commission du réseau.

Le premier alinéa de l'article 45 de la Constitution, depuis la révision du 23 juillet 2008, dispose que « tout amendement est recevable en première lecture dès lors qu'il présente un lien, même indirect, avec le texte déposé ou transmis ». Le Conseil constitutionnel estime que cette mention a eu pour effet de consolider, dans la Constitution, sa jurisprudence antérieure, reposant en particulier sur « la nécessité pour un amendement de ne pas être dépourvu de tout lien avec l'objet du texte déposé sur le bureau de la première assemblée saisie ». En application des articles 28 ter et 48 du Règlement du Sénat, il revient à la commission saisie au fond de se prononcer sur les irrecevabilités résultant de l'article 45 de la Constitution, étant précisé que le Conseil constitutionnel les soulève d'office lorsqu'il est saisi d'un texte de loi avant sa promulgation. Je vous propose donc, même si aucun des amendements examiné ce jour n'encourt de censure à ce titre, de définir de la manière suivante le champ du projet de loi: l'organisation matérielle du réseau de diffusion de la presse au numéro ; l'organisation des coopératives d'éditeurs ; la régulation de l'ensemble de la distribution ; les conditions d'établissement des barèmes ; les conditions d'assortiment des titres de presse chez les diffuseurs ; les conditions d'ouverture des points de vente ; le cadre de la rémunération des diffuseurs. Le projet de loi traite également de la définition des différentes familles de presse ; de la diffusion numérique dans sa dimension de respect de la pluralité ; de la période de transition jusqu'en 2023 ; du statut des vendeurs-colporteurs de presse. Par contre, n'entreraient pas dans le champ du projet de loi des éventuels amendements portant sur les aides fiscales et budgétaires à la presse, ou la tarification de l'abonnement.

Mme Françoise Laborde . - Je tiens à féliciter M. le rapporteur pour ce travail approfondi, mené en un temps record. La loi Bichet avait besoin d'être dépoussiérée, en effet. Au départ, elle a permis la diffusion d'une presse de qualité. Si nous voulons rester les meilleurs, il faut ne pas s'endormir sur nos lauriers ! Nous devons, notamment, réduire le nombre d'invendus. Le traitement indifférencié des familles de presse est intéressant, même si certains s'inquiètent toujours du sort qui leur sera réservé. Il est important d'étendre la régulation au numérique. Et un système informatique performant est attendu depuis 2011, en effet. Je souhaite souligner que nous avons donné 90 millions d'euros à Presstalis, dont il serait bienvenu de suivre l'utilisation. En 2023, quand la régulation sera confiée à l'Arcep, il faudra des distributeurs à la hauteur. Le maintien du système coopératif, en tous cas, est important, car le régulateur pourrait avoir l'idée d'aller plus loin... Pour l'instant, ce texte propose un bon équilibre.

M. André Gattolin . - J'ai participé à plusieurs auditions sur ce sujet très technique, et j'ai vu que les acteurs se montrent tous impliqués et manifestent une volonté sincère d'arriver à un point d'équilibre tel que celui proposé par ce texte. Nous sommes dans le contexte de ces produits culturels dont la dématérialisation rapide met à mal le réseau physique de distribution. Je pense notamment au livre et aux librairies : on constate que le livre électronique stagne, et que la loi sur le prix unique du livre - dont l'équivalent, pour la presse, est l'organisation de la distribution - a protégé notre réseau de librairies. Bref, avec une gouvernance efficace et en trouvant des équilibres économiques, nous préserverons une bonne diffusion du débat public.

M. David Assouline . - Je félicite le rapporteur pour cette prouesse. Alors que le débat est dans l'air depuis longtemps, qu'il a fait l'objet de travaux nombreux, et notamment du rapport Schwartz, ce projet de loi nous arrive au dernier moment, et au sein d'un embouteillage législatif, ce qui ne nous laisse pas le temps de faire infuser suffisamment les idées pour aboutir à un consensus, comme nous le faisons pourtant souvent au sein de cette commission. Moi-même, alors que j'avais suivi ce sujet, je ne peux pas dire si ce texte trouve le bon équilibre. J'organise des auditions avec mon groupe pour me forger une opinion, avec la volonté d'aboutir, même si, pour l'instant, je ne vois aucune garantie.

Lorsqu'il y a eu un débat sur Presstalis, nous avons demandé une commission d'enquête, tant les zones d'ombres étaient monstrueuses et le déficit incompréhensible. La directrice elle-même nous avait dit avoir trouvé une situation incroyable. On nous a refusé cette commission d'enquête, et nous n'avons donc pas d'éléments d'information. Cela fait de Presstalis la première incertitude de ce texte. On refait une loi fondatrice, mais si Presstalis, s'effondre, tout s'effondre ! Or, vous nous dites que cela peut arriver d'ici 2023. Sur quel opérateur la loi reposera-t-elle dans ce cas ?

Il fallait agir, certes, mais pas se précipiter. La presse elle-même, d'ailleurs, n'a plus rien à voir avec ce qu'elle était dans les années 1940, avec la révolution numérique et les changements structurels induits par la modernité. C'est une bonne chose de préserver le système coopératif. Vous n'avez pas mentionné la solidarité. Or l'ancien système rendait tous les titres solidaires. Si les magazines ne sont plus dans les mêmes camions et ne contribuent plus, qui compensera ? L'État ? Cette loi donne plutôt l'impression qu'il veut se désengager.

Quand on a estimé que les éditeurs ne pouvaient plus être juges et parties, on est allé chercher l'Arcep, qui dispose de bons moyens d'analyse économique. Encore faut-il que règne la transparence nécessaire : le déficit dit structurel de Presstalis, qui atteignait 25 millions d'euros, n'est-il pas dû aux ristournes que les éditeurs se consentaient eux-mêmes ? Il ne faudrait pas que l'Arcep se mette aussi à faire des ristournes. Elle n'a jamais eu la vocation d'être le régulateur de la liberté d'expression, ce n'est qu'une instance de régulation économique - tout-à-fait compétente, là n'est pas la question. J'aurais préféré qu'on donne une partie de ce rôle au CSA. Pour les agréments, par exemple, l'Arcep pourrait demander l'avis du CSA.

Mon groupe déposera des amendements en séance, mais ne prendra pas part au vote en commission, faute d'avoir atteint une position arrêtée. Bravo pour votre introduction : vous avez bien rappelé l'apport de la loi Bichet. L'enjeu est de la réformer sans fragiliser ses acquis. La liberté de la presse et la conscience citoyenne et politique de notre peuple doit beaucoup à ce système, qui est unique au monde.

M. Laurent Lafon . - Je salue le travail du rapporteur sur la presse : si le Gouvernement a confié ce texte en première lecture au Sénat, ce n'est pas un hasard ! La question fondamentale est d'assurer la liberté d'opinion à travers la diffusion de la presse, alors que l'environnement économique et technologique a été transformé depuis la loi Bichet. Le point d'équilibre que propose ce texte est satisfaisant, à la fois dans la rédaction même et dans la méthode retenue, passant par une concertation avec les acteurs, sur le fondement du rapport Schwartz qui posait bien les problématiques.

Il est bon de sortir de l'autorégulation, mais il faudra suivre attentivement la manière dont l'Arcep définira sa doctrine de régulation. Et, pour Presstalis, c'est la dernière chance. Son effondrement entraînerait-il celui du système ? Je ne le crois pas. Le texte laisse au contraire la possibilité de s'organiser différemment. Faut-il, dès lors, assurer la continuité de Presstalis, ou tirer les conséquences de ses difficultés financières ? Dans la période intermédiaire, il appartiendra à l'État d'apporter les bonnes réponses. Adosser Presstalis à un opérateur est une bonne idée, mais, avec 400 millions d'euros de fonds propres négatifs, ce n'est pas évident. Il faudra sans doute forcer le rapprochement.

Mme Céline Brulin . - Nous avons apprécié le regard lucide porté par notre rapporteur sur la loi Bichet, fruit d'un compromis historique. Nous partageons les objectifs de pluralité et de proximité. Nous souhaitons un examen approfondi de la situation de Presstalis, mais il se peut que certains accords commerciaux plus favorables que d'autres pèsent sur sa situation. Il faudrait tirer cela au clair.

Nous ne sommes pas favorables à l'ouverture à la concurrence, ce qui ne surprendra personne! Il ne s'agit pas d'un parti pris, mais du résultat des expériences passées de libéralisations successives, qui consistent en fait à mettre fin à un monopole public pour que se reconstruisent des monopoles privés. Dans le cas de la presse, la fin de la solidarité entre les gros titres et les petits peut avoir un impact négatif sur le pluralisme.

S'il faut prendre en compte, bien sûr, l'évolution numérique, la régulation reste très faible dans ce domaine. C'est un véritable enjeu. Enfin, je doute quelque peu de la capacité de l'Arcep à jouer le rôle de régulateur. Son président nous a d'ailleurs dit avec honnêteté que les moyens dédiés à cette mission seraient sans doute insuffisants.

M. Jacques Grosperrin . - Ce projet de loi était très attendu. Pour autant, il ne faudra pas négliger de l'évaluer dans quelques années. Comment Presstalis resorbera-t-il ses 400 millions d'euros de fonds propres négatifs ? Que prévoit le texte à cet égard ? Les dépositaires centraux de presse sont inquiets car on ne trouve qu'une ligne les mentionnant, à l'article 17, alinéa 5. Pourtant, ils ont réalisé d'importants investissements et constituent une activité économique et un gisement d'emplois non négligeables.

M. Claude Malhuret . - Ce sujet est complexe, en effet. Ce texte était nécessaire, vu l'érosion des ventes de journaux, les tensions dans la filière et la concurrence d'Internet. Il cherche à faire évoluer le système sans le détruire : dans ce domaine, les révolutions sont plus à craindre que les réformes ! L'enjeu est de préserver la distribution impartiale et libre de la presse écrite sur le territoire. L'Arcep se montrera-t-elle à la hauteur ? Au moins, elle unifiera la régulation. Enfin, le projet garantit le pluralisme sur l'ensemble des supports, et notamment les kiosques numériques : il était temps de mettre de l'ordre dans le Far West que constituent les plateformes numériques en général, qu'il s'agisse de diffusion de la haine ou de la protection des données. Notre groupe accueille favorablement ce texte et y déposera des amendements d'enrichissement.

Mme Annick Billon . - Les incertitudes évoquées par le rapporteur sont très lourdes : 400 millions d'euros à trouver, des difficultés à investir dans l'informatique... Quel sera le rôle joué par les collectivités territoriales dans cette réforme ?

Mme Sylvie Robert . - Bravo d'avoir rappelé les fondamentaux de la loi Bichet. Nous devrons veiller à ce qu'ils ne soient pas attaqués. J'ai du mal à imaginer le succès du système proposé. En tous cas, il faudra une évaluation rigoureuse de sa mise en oeuvre. La presse magazine comporte des titres très divers, qui sont parfois demandés dans certains territoires. Si l'on donne de la marge de manoeuvre aux marchands de journaux, soumis par ailleurs aux négociations interprofessionnelles, comment pourront-ils s'adapter aux réalités locales ? Il faut aussi une certaine ouverture si l'on veut que chaque titre puisse trouver de nouveaux lecteurs. Comment garantir ce pluralisme ?

Mme Catherine Morin-Desailly , présidente. - Je me joins aux louanges adressées à notre rapporteur. La commission travaille depuis un an sur le sujet avec la crise traversée par Presstalis, même si nous sommes dans un calendrier précipité, préjudiciable à un bon travail législatif.

Le texte s'intéresse à la distribution numérique, mutation majeure à laquelle nous sommes confrontés, bien que nous soyons attachés à la distribution physique. Des dispositions inédites de responsabilisation des plates-formes sont introduites, mais il faudra aller beaucoup plus loin, le modèle économique de l'attention de celles-ci étant structurellement antinomique d'un modèle neutre garantissant le pluralisme. La directive e-commerce , qui leur confère un régime de non-redevabilité totale, devra être revue afin de permettre une régulation de l'ensemble de notre économie en voie de plateformisation. Je remercie le rapporteur d'avoir mis l'accent sur ce sujet.

M. Michel Laugier , rapporteur. - Le projet de loi réaffirme les principes de la loi Bichet : la pluralité, la liberté et la distribution dans tous les points de vente. J'ajoute qu'il n'est pas définitif, dans un monde en constante évolution où la tendance est à la diminution de la distribution physique de journaux. C'est la loi adaptée au temps dans lequel nous vivons. La distribution numérique pourra être régulée grâce au nouveau régulateur indépendant. La situation est complexe, alors que Presstalis compte 400 millions d'euros de fonds propres négatifs. Le ministre s'est engagé à trouver un opérateur.

Néanmoins, nous ne pourrons pas tout régler par un texte. Il conviendra également de contrôler, c'est pourquoi je déposerai un amendement permettant au Parlement de saisir l'Autorité de régulation. Il faut donner les moyens à l'ARCEP d'assumer pleinement sa mission, mais le texte va dans le bon sens, compte tenu des failles de la régulation actuelle.

La loi en vigueur ne mentionne pas les dépositaires de presse, monsieur Grosperrin, et le Conseil d'État s'y oppose. Je proposerai un amendement visant à préserver leur rôle.

Je défendrai un amendement, madame Billon, afin que les maires soient consultés sur l'ouverture des points de vente de presse.

Enfin, madame Robert, votre question relève des accords interprofessionnels. Les diffuseurs de presse seront désormais dans la boucle. Un travail sera réalisé sur les premiers numéros.

EXAMEN DES ARTICLES

Article 1 er

M. Michel Laugier , rapporteur. - L'amendement COM-8 permet de lever une ambiguïté, en précisant qu'un éditeur doit nécessairement adhérer à une coopérative pour recourir aux services d'une société de distribution agréée. Cela conforte le principe coopératif.

L'amendement COM-8 est adopté.

M. Michel Laugier , rapporteur. - L'amendement COM-7 vise à définir une nouvelle catégorie de presse de connaissance et du savoir, une sous-famille de la presse CPPAP, dont le traitement serait assimilé à celui de la presse IPG. Nous ne pouvons bien entendu qu'adhérer à l'idée de soutenir ces publications. Il apporte par ailleurs plusieurs compléments sur la question de l'assortiment. Cette idée pose cependant deux problèmes. Le premier est la délimitation exacte de cette presse. La tentative réalisée en 2015 par Fleur Pellerin n'avait pas pu aboutir pour des questions de périmètre. Le second est lié : ce type de presse se vend très majoritairement par abonnement.

Vous souhaitez en outre inscrire dans le texte que la presse CPPAP non retenue dans l'assortiment ne pourra pas faire l'objet d'un traitement moins favorable que la presse hors CPPAP. Un amendement COM-3 de notre collègue Jean-Pierre Leleux prévoit que la presse CPPAP non retenue pourra être de nouveau présentée aux diffuseurs. Je crois que nous devons en la matière laisser faire le régulateur.

Votre idée d'une consultation des entreprises de presse au moment de l'élaboration du cahier des charges pourrait être reprise dans le texte par le biais d'un amendement de séance. Sous le bénéfice de ces observations, je vous propose de retirer votre amendement et de déposer en séance un amendement sur ce dernier point.

M. David Assouline . - Il importe d'assurer le pluralisme de la presse au-delà de la presse IPG sur tout le territoire afin de ne pas accentuer la fracture territoriale. Je pense au mensuel Philosophie magazine - Les Chemins de la philosophie rassemblent 1,2 million d'auditeurs sur France culture - ou encore à l'hebdomadaire Elle , qui traitent de sujets sociétaux fondamentaux. Nous ne pouvons pas nous en remettre uniquement à l'Arcep et aux accords interprofessionnels s'agissant du pluralisme.

M. Michel Laugier , rapporteur. - La revue Philosophie magazine fait partie de la presse IPG. Certains titres traitant du même sujet relèvent de la commission paritaire. Il faut appréhender la question dans sa globalité.

Mme Laure Darcos . - Je retire l'amendement et présenterai un amendement en séance, comme vous m'y invitez.

L'amendement COM-7 est retiré.

M. Michel Laugier , rapporteur. - L'amendement COM-9 rectifié vise à donner la possibilité aux sociétés agréées de participer directement, sans l'intermédiation d'une organisation professionnelle, aux négociations de l'accord interprofessionnel qui définira les règles d'assortiment des titres et de détermination des quantités servies aux points de vente de la presse CPPAP, donc hors IPG. Il répare une imprécision rédactionnelle.

L'amendement COM-9 rectifié est adopté.

M. Michel Laugier , rapporteur. - L'amendement COM-10 rectifié permet de clarifier les obligations des diffuseurs de presse, qui devront obligatoirement présenter dans les linéaires la presse CPPAP qui leur aura été adressée dans le cadre de l'assortiment arrêté par l'accord interprofessionnel. Certains estimaient notamment que la liberté donnée aux diffuseurs pouvait se traduire par une place trop importante de la presse ludique.

L'amendement COM-10 rectifié est adopté.

M. Michel Laugier , rapporteur. - L'amendement COM-3 organise une forme de seconde chance pour les publications CPPAP non retenues dans l'assortiment, et un droit à être présenté pour toutes les autres publications. Il devrait permettre de lever beaucoup de craintes des éditeurs. D'une part, il assure les recalés de l'accord interprofessionnel de pouvoir être proposé aux diffuseurs. D'autre part, il offre aux titres de presse non CPPAP l'assurance d'être vus par les diffuseurs. Tout en offrant aux éditeurs une bonne visibilité, il place réellement au centre le diffuseur de presse. Avis favorable.

L'amendement COM-3 est adopté.

M. Michel Laugier , rapporteur. - L'amendement COM-6 rectifié propose de rétablir l'obligation de réunir trois entreprises de presse pour créer une coopérative, revenant à l'esprit originel de la loi Bichet de constituer des coopératives de taille suffisante. Elles seront ainsi mieux en mesure de négocier avec les sociétés agréées. Avis favorable.

M. André Gattolin . - Je précise qu'un nombre impair devrait permettre une gouvernance améliorée.

L'amendement COM-6 rectifié est adopté.

M. Michel Laugier , rapporteur. - L'amendement COM-1 permet de clarifier la rédaction de l'article 11. Avis favorable.

L'amendement COM-1 est adopté.

M. Michel Laugier , rapporteur. - L'amendement COM-11 permet de clarifier le contenu du cahier des charges, en précisant que plusieurs fonctions indispensables à la distribution de la presse doivent y être explicitement mentionnées.

Les sociétés qui assurent la distribution de la presse déploient leurs activités non seulement en matière logistique, mais traitent également la remontée des flux financiers des diffuseurs de presse jusqu'aux éditeurs des publications. Cet amendement permet donc de faire valoir la spécificité de cette activité et de s'assurer que les futurs acteurs de la distribution proposeront des prestations comparables, afin de garantir une concurrence non faussée.

L'amendement COM-11 est adopté.

M. Michel Laugier , rapporteur. - L'amendement COM-12 permet aux commissions parlementaires de solliciter l'avis du régulateur. Ce pouvoir de saisine existe actuellement dans la loi Bichet, mais n'avait pas été utilisé par le Parlement. Alors que le Parlement peut actuellement saisir le CSMP de demandes d'avis, tel ne serait plus le cas avec le transfert de la régulation à l'Arcep. Je vous propose un dispositif inspiré de la saisine de l'Autorité de la concurrence. De manière plus large, cet amendement participe d'un rapprochement que je juge fondamental entre le Parlement et les autorités administratives.

M. David Assouline . - Je souscris à cet amendement. Il conviendrait également de prévoir la présentation par l'Arcep d'un rapport annuel afin de garantir une vue d'ensemble.

L'amendement COM-12 est adopté.

M. Michel Laugier , rapporteur. - L'amendement COM-13 est rédactionnel.

L'amendement COM-13 est adopté.

M. Michel Laugier , rapporteur. - L'amendement COM-2 vise à renforcer le pouvoir du régulateur. Il est prévu que l'Arcep émette un simple avis sur l'accord interprofessionnel, pourtant central dans le système proposé par le projet de loi. Il est donc pertinent que l'Arcep, en cas de non-conformité de l'accord, puisse se substituer aux parties. Le grand mérite de cette disposition est d'exister, constituant une forme de menace invitant les parties à conclure un accord respectueux des règles. Avis favorable.

L'amendement COM-2 est adopté.

M. Michel Laugier , rapporteur. - L'amendement COM-4 permet de préciser que l'assortiment que retiendra l'Arcep en cas de carence des parties comprend bien la quantité des titres. Avis favorable sur cet amendement pertinent.

L'amendement COM-4 est adopté.

M. Michel Laugier , rapporteur. - L'amendement COM-14 rétablit la consultation obligatoire des organisations professionnelles représentatives des diffuseurs de presse avant la fixation, par le régulateur, de leurs conditions de rémunération. Cette consultation, prévue par la loi en vigueur, est nécessaire pour garantir la prise en compte des diffuseurs dans cette décision.

L'amendement COM-14 est adopté.

M. Michel Laugier , rapporteur. - L'amendement COM-15 a pour objectif de clarifier la vocation du schéma territorial de la distribution de la presse. Les dépositaires centraux de presse, pour la plupart indépendants, ont développé une réelle politique commerciale au-delà de la fonction logistique et constituent un acteur apprécié qui n'a jamais nécessité de soutien public. La pratique, et non les textes, leur a donné un monopole régional sur la distribution.

Dans son avis, le Conseil d'État a indiqué qu'il ne serait pas possible d'officialiser leur rôle, ce qui serait d'ailleurs contradictoire avec l'architecture d'ensemble du système. Le président de l'Arcep a également mis en garde contre la tentation de figer le système. Je suis cependant persuadé qu'ils vont demeurer un point de passage obligé et que les futurs candidats à l'agrément en verront toute l'utilité. Dès lors, je vous propose de faire un geste vers eux en supprimant le terme « orientation » du schéma territorial qui les mentionne. Sans rendre obligatoire le recours à leurs services, cela permet de bien les positionner dans le paysage de la distribution.

L'amendement COM-15 est adopté.

M. Michel Laugier , rapporteur. - L'amendement COM-16 permet de préciser que l'Arcep sera en mesure de sanctionner les entreprises de presse et les sociétés agréées de distribution de la presse en cas de non-respect de l'accord interprofessionnel. Il fait suite à l'audition du président de l'Arcep. On peut d'ailleurs faire un parallèle avec l'amendement de notre collègue Lafon : si l'accord contrevient aux principes de la loi Bichet au moment de sa signature, l'Arcep peut agir, et si les parties ne le respectent pas, l'Arcep peut maintenant les y contraindre. Des amendes sont ainsi prévues à l'article 23.

L'amendement COM-16 est adopté.

L'amendement COM-17 de précision rédactionnelle est adopté.

M. Michel Laugier , rapporteur. - L'amendement COM-18 prévoit, avant toute décision relative à l'implantation d'un nouveau point de vente, que la commission du réseau de la diffusion de la presse recueille l'avis du maire de la commune concernée.

L'amendement COM-18 est adopté.

L'article 1 er est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 2

L'amendement rédactionnel COM-19 est adopté.

M. Michel Laugier , rapporteur. - L'amendement COM-20 répare un oubli dans le code des postes et des communications électroniques.

L'amendement COM-20 est adopté.

L'amendement rédactionnel COM-21 est adopté.

L'article 2 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 3, 4, 5, 6

Les articles 3, 4, 5 et 6 sont successivement adoptés sans modification.

Article 7

M. Michel Laugier , rapporteur. - L'article 18-14 de la loi Bichet prévoit que le président de l'ARDP ou le président du CSMP peuvent saisir le premier président de la cour d'appel de Paris lorsqu'ils constatent des manquements aux obligations résultant des décisions de portée générale ou à caractère individuel prises par le CSMP. Le projet de loi ne prévoit que la poursuite, par le nouveau régulateur, des demandes portées devant la cour d'appel de Paris par le président de l'ARDP. Il convient donc d'ajouter les demandes portées par le président du CSMP durant la période de transition.

L'amendement COM-22 est adopté.

L'article 7 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 8

M. Michel Laugier , rapporteur. - Le projet de loi fixe comme date limite de publication du cahier des charges servant de base à la délivrance des agréments par l'Arcep le 1 er janvier 2023. Dans l'intervalle, les sociétés assurant la distribution de la presse pourront continuer à exercer trois ans à compter de la date de promulgation de la loi. Pour garantir la continuité de la distribution de la presse en 2022 à la fin de la période de transition, il est proposé de fixer comme date limite à l'exercice de la distribution sans agrément de Presstalis et des MLP le début d'activité des sociétés agréées.

L'amendement COM-23 rectifié est adopté.

M. Michel Laugier , rapporteur. - L'amendement COM-5 permet de prendre en compte l'absence de société agréée durant la période transitoire. Sa rédaction garantit la sécurité juridique du premier accord interprofessionnel. Avis favorable.

L'amendement COM-5 est adopté.

L'article 8 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

M. Michel Laugier , rapporteur. - Je vous remercie de votre soutien, mes chers collègues. Je souhaite m'assurer de votre accord sur l'application de l'article 45 de la Constitution.

Le projet de loi est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :

Chapitre I er : réforme de la distribution de la presse

Article 1 er

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

M. LAUGIER, rapporteur

8

Nécessité pour un éditeur d'adhérer à une coopérative pour recourir aux services d'une société de distribution agréée.

Adopté

Mme Laure DARCOS

7

Définition d'une nouvelle catégorie de « presse de connaissance et du savoir ».

Retiré

M. LAUGIER, rapporteur

9 rect.

Participation des sociétés agréées à la négociation de l'accord interprofessionnel.

Adopté

M. LAUGIER, rapporteur

10 rect.

Clarification des obligations des diffuseurs de presse.

Adopté

M. LELEUX

3

Présentation dans le cadre de l'assortiment.

Adopté

M. GATTOLIN

6 rect.

Rétablissement de l'obligation de réunir trois entreprises de presse pour créer une coopérative.

Adopté

M. LAFON

1

Clarification rédactionnelle.

Adopté

M. LAUGIER, rapporteur

11

Contenu du cahier des charges.

Adopté

M. LAUGIER, rapporteur

12

Possibilité pour les commissions parlementaires de solliciter l'avis de l'ARCEP

Adopté

M. LAUGIER, rapporteur

13

Amendement rédactionnel.

Adopté

M. LAFON

2

Renforcement des pouvoirs de l'ARCEP.

Adopté

M. LELEUX

4

Définition des quantités dans le cadre des pouvoirs de l'ARCEP.

Adopté

M. LAUGIER, rapporteur

14

Consultation des organisations professionnelles représentatives des diffuseurs de presse avant la fixation de leurs conditions de rémunération.

Adopté

M. LAUGIER, rapporteur

15

Clarification du schéma territorial de la distribution de la presse.

Adopté

M. LAUGIER, rapporteur

16

Renforcement des pouvoirs de l'ARCEP.

Adopté

M. LAUGIER, rapporteur

17

Amendement rédactionnel.

Adopté

M. LAUGIER, rapporteur

18

Avis du maire avant toute décision d'implantation d'un nouveau point de vente.

Adopté

Article 2

M. LAUGIER, rapporteur

19

Amendement rédactionnel.

Adopté

M. LAUGIER, rapporteur

20

Amendement rédactionnel.

Adopté

M. LAUGIER, rapporteur

21

Amendement rédactionnel.

Adopté

Article 7

M. LAUGIER, rapporteur

22

Réparation d'un oubli.

Adopté

Article 8

M. LAUGIER, rapporteur

23 rect.

Garantie sur la continuité de la distribution à la fin de la période de transition.

Adopté

Mme LABORDE

5

Prise en compte de l'absence des sociétés agréées pour le premier accord.

Adopté

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES PAR LE RAPPORTEUR

• Culture presse : MM. Daniel Panetto, président, et Philippe Di Marzio, directeur général.

• Syndicat des éditeurs de la presse magazine (SEPM) : M. Alain Augé, président, Mme Caroline Thomas et M. François Claverie, vice-présidents.

• Presstalis : Mme Michèle Benbunan, présidente.

• Syndicat national des dépositaires de presse (SNDP): MM. Dominique Gil, Pierre Ledent et Bruno Aussant.

• Syndicat de l'association des éditeurs de presse (SAEP) : MM. Jean-Martial Lefranc, président, et Philippe Loison et Ivan Gaudé, membres du bureau.

• Conseil supérieur des messageries de presse (CSMP) : MM. Jean-Pierre Roger, président et Guy Delivet, directeur général.

• Coopérative des quotidiens (CDQ) et Coopératives des magazines (CDM) : M. Louis Dreyfus, président de la CDQ et M. Richard Lenormand, président de la CDM.

• Messageries lyonnaises de presse (MLP) : M. José Ferreira, président.

• Association des éditeurs de la presse de loisirs culturels : M. Gilles Ballot, président.

ANNEXES

Audition de M. Franck Riester, ministre de la culture

MARDI 7 MAI 2019

___________

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente . - Mes chers collègues, nous recevons ce matin M. Franck Riester, ministre de la culture, au sujet du projet de loi relatif à la modernisation de la distribution de la presse.

M. Franck Riester, ministre de la culture . - Je commencerai par une information : hier, l'Assemblée nationale a voté à l'unanimité, moins une abstention, la proposition de loi relative à la création du Centre national de la musique, que nous aurons l'occasion d'évoquer ensemble prochainement.

S'agissant du présent projet de loi relatif à la modernisation de la distribution de la presse, la loi Bichet de 1947 a souvent été qualifiée, y compris au Sénat, d'« icône de la République ». Elle a permis de garantir, dans le contexte tourmenté de l'après-guerre, l'effectivité du principe constitutionnel de pluralisme des courants de pensée et d'opinion. En effet, comme l'a noté le Conseil constitutionnel dès 1984, la libre communication des pensées et des opinions n'est effective que si le public est à même de disposer d'un nombre suffisant de publications représentant des opinions et des tendances différentes. Cela implique donc que tous les journaux d'information politique et générale soient disponibles sur l'ensemble du territoire national.

Aujourd'hui, les objectifs de la loi Bichet demeurent, y compris à l'heure de la transformation numérique, qui permet en théorie de disposer de l'ensemble des publications existantes. Le projet de loi qui vous est soumis prévoit donc de les étendre à la diffusion numérique. Par ailleurs, je crois profondément à l'avenir de la presse papier, à son ancrage dans nos territoires et à son utilité pour le débat démocratique.

Les évolutions numériques ont toutefois conduit à des bouleversements qui rendent aujourd'hui indispensable l'adaptation de la loi Bichet. Si elle est une icône de la République, elle ne doit pas devenir un totem, et il apparaît nécessaire de l'adapter.

Les chiffres du secteur de la diffusion papier de la presse illustrent bien les difficultés importantes auxquelles ce secteur est confronté. Entre 2007 et 2017, plus de 1 000 éditeurs de presse ont vu leurs volumes de ventes diminuer de 54 %. Plus de 6 000 points de vente ont fermé leur devanture entre 2011 et 2018, dans des villes moyennes ou des communes déjà fortement éprouvées par la déprise économique et démographique. Vous connaissez également les difficultés économiques récurrentes rencontrées par la société Presstalis, qui assure aujourd'hui la distribution de l'intégralité des quotidiens nationaux.

L'entreprise a bénéficié d'un plan de continuation homologué en mars 2018 par le tribunal de commerce, auquel l'État a contribué par un prêt d'un montant de 90 millions d'euros. Elle affichera cette année des fonds propres négatifs d'un montant de 400 millions d'euros après affectation des résultats de l'année 2018.

Nous devons aujourd'hui moderniser la distribution de la presse au numéro sans casser le système. Il n'est pas aisé de modifier un texte aussi ancien et aussi symbolique, sur lequel s'est construit depuis plus de 70 ans un système complexe, qui a pu occasionner certaines dérives et qui a clairement montré ses limites. Le projet présenté par le Gouvernement, fruit d'un long travail de concertation avec l'ensemble du secteur, parvient à résoudre cette équation difficile, me semble-t-il. Il s'agit d'un texte équilibré et protecteur de l'intégrité de la distribution de la presse, qui permet notamment d'atteindre trois objectifs essentiels : la préservation de la diversité des publications, garante de l'expression de la pluralité des opinions ; le maintien d'un service de proximité sur l'ensemble du territoire national, tout particulièrement dans les zones rurales ; la préservation de l'avenir d'une filière et de professionnels, qui, pour certains, connaissent aujourd'hui des difficultés.

Le projet de loi préserve certains principes essentiels de la loi Bichet : le maintien du principe coopératif obligatoire - c'est une garantie forte d'équité de traitement entre tous les éditeurs, à laquelle les acteurs de la filière sont très attachés - ; le droit absolu à la distribution de l'ensemble des titres d'information politique et générale, qui resteront libres de choisir les points de vente et les quantités distribuées ; le maintien d'un système permettant l'accès à une grande variété de publications sur l'ensemble du territoire national - la France propose le plus grand nombre de titres en Europe, un acquis que nous devons à la loi de 1947 et qu'il nous faut préserver. Ces acquis constituent le socle sur lequel notre réseau de distribution s'est construit. Ils doivent être conservés.

Mais la loi, dans sa rédaction actuelle, pose aussi un certain nombre de difficultés.

Tout d'abord, la détention obligatoire du capital des messageries par les éditeurs place, de fait, les éditeurs, à la fois clients et actionnaires, dans des situations structurelles de conflit d'intérêts.

Ensuite, alors qu'ils assurent le rôle essentiel d'interface commerciale avec le client-lecteur, les marchands de journaux n'ont aujourd'hui aucun contrôle sur le type de publications qu'ils reçoivent, ni sur les quantités d'exemplaires livrés. Il nous faut redonner une vraie marge de manoeuvre à ces acteurs essentiels de la filière et à leur capacité d'adaptation aux réalités du marché.

Enfin, les organes de régulation de la filière disposent de prérogatives et de moyens trop limités. Je ne remets pas en cause la qualité du travail réalisé par les équipes du Conseil supérieur des messageries de presse, le CSMP, et de l'Autorité de régulation de la distribution de la presse, l'ARDP, auxquelles je tiens à rendre hommage, mais la régulation actuelle ne permet pas d'accompagner efficacement la modernisation de la filière et de garantir sa pérennité.

Le projet qui vous est soumis prévoit donc une véritable modernisation du cadre législatif, selon des modalités et un calendrier qui permettent d'accompagner la transition.

En premier lieu, la régulation du secteur sera confiée à l'Autorité de régulation des communications électroniques et des Postes (Arcep), autorité compétente et légitime, notamment en matière de régulation économique, qui disposera de pouvoirs d'intervention forts, notamment en ce qui concerne l'homologation des barèmes, et d'un pouvoir de sanction dont étaient dépourvus le CSMP et l'ARDP.

En deuxième lieu, la fin de la détention capitalistique majoritaire des messageries par les coopératives d'éditeurs doit permettre de nouvelles perspectives en termes de stratégie industrielle pour les acteurs actuels. Elle permettra également, à moyen terme, à d'autres acteurs de proposer le cas échéant un service de distribution de la presse, à condition bien évidemment d'être agréés par l'Arcep sur le fondement d'un cahier des charges strict établi par décret.

Cette possibilité de délivrer des agréments à d'autres acteurs que les deux messageries actuelles ne pourra intervenir qu'après une phase de transition. Le projet de loi autorise en effet le Gouvernement à différer jusqu'au 1 er janvier 2023 la publication du cahier des charges définissant les conditions de l'agrément, et le Gouvernement entend utiliser pleinement cette marge de manoeuvre afin de laisser aux acteurs actuels un délai raisonnable pour s'adapter.

En troisième lieu, le texte prévoit de donner plus de souplesse aux marchands de journaux dans le choix des titres qu'ils distribuent, en dehors de la presse d'information politique et générale et de la presse reconnue par la CPPAP, la Commission paritaire des publications et agences de presse. Cet axe essentiel de modernisation doit permettre d'améliorer l'attractivité commerciale des marchands de journaux et de proposer une offre plus adaptée aux attentes des lecteurs dans nos régions, nos départements et nos communes.

En quatrième lieu, le projet de loi étend les principes de la loi Bichet à la diffusion numérique, en prévoyant d'une part un droit d'accès aux kiosques numériques aux éditeurs de titres d'information politique et générale, en imposant d'autre part des obligations de transparence aux agrégateurs d'informations en ligne sur leurs choix de mises en avant des contenus d'information.

Enfin, le projet de loi confie à l'Arcep la mission d'élaborer un schéma d'orientation de la distribution de la presse, qui devra intégrer le rôle spécifique joué par les dépositaires régionaux de presse de niveau 2, dans une logique d'accompagnement de la transition.

Ces grands axes offrent, je le crois, un cadre équilibré à l'indispensable évolution du dispositif actuel de la distribution de la presse au numéro, dont la pérennité est essentielle pour l'équilibre économique de l'ensemble de la filière.

Avant de répondre à vos questions, je souhaite rapidement replacer ce projet de loi dans le cadre plus large de la politique du Gouvernement en faveur de la presse. La directive sur le droit d'auteur, adoptée le 15 avril dernier par les institutions européennes et qui prévoit la création d'un droit voisin pour les éditeurs et les agences de presse, est déjà en cours de transposition. Je salue la proposition de loi de transposition adoptée à l'unanimité en première lecture au Sénat à l'initiative de David Assouline. Le texte sera examiné en séance publique à l'Assemblée nationale dans deux jours. Nous serons donc le premier pays européen à procéder à la transposition de cette directive, ce qui permettra aux éditeurs et agences de presse de bénéficier enfin de revenus pour l'exploitation de leurs articles par les plateformes numériques.

Par ailleurs, les principaux éditeurs de la presse d'information politique et générale ont présenté à Bruno Le Maire et à moi-même un plan de filière afin de mieux accompagner la modernisation du secteur. Ce plan est en cours d'instruction par nos services et viendra utilement alimenter nos réflexions.

Enfin, le soutien du Gouvernement à la presse repose en grande partie sur un système d'aides, adapté aux différents enjeux - aides à la distribution physique, au pluralisme pour les titres à faibles ressources publicitaires, mais également à la modernisation des titres, à l'émergence de nouveaux titres et aux médias de proximité. Il s'agit là d'une politique publique essentielle pour assurer la vitalité de notre débat démocratique et l'accès de nos concitoyens à une information fiable et diversifiée.

Je remercie de nouveau tous les acteurs de la filière pour leur engagement et leur contribution directe ou indirecte à ce projet de loi, qui s'appuie sur les acquis de la loi Bichet pour construire l'avenir. C'est l'avenir du secteur que nous écrivons aujourd'hui et, avec lui, une nouvelle page de l'histoire de la presse écrite. Le Gouvernement sera bien entendu ouvert à tous les amendements qui pourraient venir encore améliorer le texte qui vous est présenté.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente . - Je note que ce texte, une fois n'est pas coutume, est présenté en première lecture au Sénat. Je veux y voir une marque de reconnaissance pour les travaux au long cours de notre commission, en particulier ceux entrepris par le rapporteur Michel Laugier.

M. Michel Laugier, rapporteur . - Ce projet de loi tire les conséquences de la situation très critique dans laquelle se trouve l'opérateur Presstalis. Le cadre que vous proposez vaut pour l'avenir, mais ne règle pas le problème des 400 millions d'euros de fonds propres négatifs de Presstalis, qui font peser un risque systématique sur toute la filière. Adosser Presstalis à un autre opérateur est sans doute la seule solution pertinente. Le nom de La Poste a été cité. Où en êtes-vous dans la recherche de cet opérateur ?

M. Franck Riester, ministre . - Presstalis affiche bien 400 millions d'euros de fonds propres négatifs.

Une solution d'avenir pourrait en effet être l'adossement de Presstalis à un groupe industriel solide. La dirigeante de Presstalis, Michèle Benbunan, est en contact avec La Poste et d'autres acteurs comme Geodis. Le Gouvernement voit ces discussions d'un très bon oeil, mais rien n'est encore fait.

M. Michel Laugier, rapporteur . - Le projet de loi mentionne, dans son article 17, les dépositaires centraux, c'est-à-dire le niveau 2.

Les dépôts indépendants, qui exercent actuellement un monopole régional reposant sur la pratique, et non sur les textes, ont beaucoup investi, et l'arrivée de nouvelles sociétés constitue une source de préoccupation pour eux. Quelle est votre vision de l'avenir de cette profession dans le nouveau contexte législatif ?

M. Franck Riester, ministre . - Les dépositaires de niveau 2 jouent un rôle très important, notamment de conseil aux points de vente pour le marchandising et la gestion des stocks. Le schéma territorial d'orientation de la distribution de la presse que l'Arcep sera chargée de définir prendra en compte les spécificités du niveau 2. Je suis convaincu de l'avenir de ces métiers, qui apportent une vraie plus-value par rapport à la simple distribution des titres de presse.

M. Michel Laugier, rapporteur . - N'oublions pas qu'ils gèrent aussi les flux financiers.

M. Franck Riester, ministre . - Vous avez raison de le rappeler.

M. Michel Laugier, rapporteur . - La Commission du réseau de la diffusion de la presse, qui remplacera la commission du réseau du CSMP, sera amenée à prendre des décisions essentielles pour les territoires, notamment les autorisations d'ouverture des points de vente. Seriez-vous favorable à ce que les élus locaux soient associés, par exemple sous la forme d'une consultation par la Commission précitée ? Il me semble important, notamment après l'important travail du Sénat sur la revitalisation des centres-bourgs, que les élus aient leur mot à dire en ce domaine.

M. Franck Riester, ministre . - Je suis favorable à cette proposition. Réfléchissons à la meilleure façon de la graver dans le marbre.

M. Michel Laugier, rapporteur . - Pourriez-vous détailler le calendrier de la période de transition au-delà de 2023 ?

M. Franck Riester, ministre . - La période de transition court jusqu'en 2023. Dans l'intervalle, on donne de nouveaux moyens aux marchands de journaux pour travailler, on installe un nouveau régulateur, on accompagne au maximum la modernisation des acteurs existants, en particulier Presstalis, mais on ne permet pas à d'autres acteurs d'entrer sur le marché.

Le 1 er janvier 2023 était la date limite acceptée par le Conseil d'État pour ne pas risquer de contrevenir aux principes constitutionnels. Les acteurs existants ont donc trois grosses années pour s'adapter à ce nouvel environnement.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente . - L'article 14 du projet de loi fait entrer dans le champ d'application de la loi de 1947 la presse numérique. C'est une avancée à saluer. En particulier, les agrégateurs devront fournir à l'utilisateur des informations sur l'utilisation de ses données personnelles dans le cadre de la mise en avant des contenus, en d'autres termes le traitement algorithmique qui en est fait.

Vous le savez, j'ai très modérément confiance dans l'autorégulation des plateformes et autres agrégateurs. Nos voisins allemands sont en train de prendre des mesures contre les agrégateurs de données et les États-Unis se posent aussi des questions. J'ai moi-même fait adopter par le Sénat une résolution européenne pour demander la réouverture de la directive e-commerce afin de responsabiliser les plateformes.

Quelle est la volonté du Gouvernement sur ce sujet ?

M. Franck Riester, ministre . - J'ai lu avec beaucoup d'attention la résolution du Sénat, dont je partage la philosophie et l'essentiel des constats.

Avant même le vote de la directive relative au droit d'auteur, le Gouvernement s'était mobilisé sur la directive Services de médias audiovisuels, dite « SMA », que nous aurons l'occasion de transposer dans le projet de loi relatif à l'audiovisuel.

M. David Assouline . - Quand ?

M. Franck Riester, ministre . - Le texte devrait être présenté cet été en conseil des ministres et discuté à l'Assemblée nationale cet automne ou en tout début d'année 2020.

Le Gouvernement est mobilisé sur la responsabilisation financière des plateformes, avec la taxe GAFA, mais aussi sur leur mode de fonctionnement. Vous aurez l'occasion d'échanger prochainement avec Cédric O sur la proposition de loi visant à lutter contre la haine sur internet. La loi relative à la lutte contre la manipulation de l'information a été adoptée, même si vous n'étiez pas d'accord avec toutes ses dispositions, et le projet de loi sur l'audiovisuel permettra d'aborder la lutte contre le piratage.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente . - Nous auditionnerons prochainement Cédric O. Mais qu'il s'agisse de la loi relative à la lutte contre la manipulation de l'information ou du texte destiné à lutter contre les propos haineux, on reste dans l'autorégulation des plateformes. Or il me semble qu'il faut aller plus loin.

M. Franck Riester, ministre . - Le texte sur les propos haineux va plus loin, en prévoyant des sanctions très fortes en cas de non-respect d'un certain nombre de principes parfaitement clairs.

Mme Françoise Laborde . - Je ne vais pas revenir sur les points balayés par le rapporteur, notamment les pouvoirs accordés à l'Arcep ; nous aurons l'occasion d'en discuter cet après-midi avec son président. En revanche, monsieur le ministre, je voudrais insister sur la notion de quantité, donc sur l'article 8. Le succès de la réforme repose largement sur la capacité des messageries à mettre en place un assortiment et un plafonnement des titres livrés aux diffuseurs, dans les six mois suivant la promulgation du texte. Or, jusqu'à présent, cette démarche s'est toujours heurtée au caractère très désuet des systèmes d'information des messageries Presstalis et Messageries lyonnaises de presse (MLP). Avez-vous des garanties quant à leur capacité de s'adapter ?

M. Franck Riester, ministre . - À un moment, il faut inciter les acteurs de la filière à s'équiper en conséquence. C'est tout l'intérêt de disposer d'un régulateur fort, dont l'action sera amplifiée par la pression exercée par les marchands de journaux et les dépositaires de niveau 2.

M. Jean-Pierre Leleux . - Nous avons bien compris, s'agissant de la souplesse introduite dans les assortiments, qu'il y aurait obligation de diffuser les 40 à 50 journaux de la presse IPG et négociation pour la diffusion des publications bénéficiant d'un numéro attribué par la commission paritaire. Qu'adviendra-t-il des autres, par exemple de certains journaux ludiques ?

M. Franck Riester, ministre . - Le système que nous envisageons permettra plus de souplesse et d'adaptation : pour la presse d'information politique et générale (IPG), envoi systématique ; pour les autres publications reconnues par la CPPAP, accords interprofessionnels ; pour le reste, ou dans le cas où aucun accord interprofessionnel n'est trouvé, accords de gré à gré. Pour autant, les messageries ont le devoir de traiter ces publications de manière objective, transparente, efficace et non discriminatoire.

M. David Assouline . - Comme vous l'avez souligné, monsieur le ministre, la loi Bichet est un des piliers sur lesquels s'est bâtie, après la Libération, la liberté de la presse. Par conséquent, on ne peut y toucher que d'une main tremblante. La crise actuelle est liée à de nombreux facteurs, mais certainement pas à l'esprit de cette loi, qui n'est en rien obsolète. Son ambition - rendre accessible, partout sur le territoire, une presse pluraliste - vaut toujours, même s'il faut désormais prendre en compte l'émergence de la presse numérique.

Je continue à douter de la mesure visant à confier la régulation de la distribution de la presse à l'Arcep. Certes, le fonctionnement précédent était complexe et engendrait des conflits d'intérêts, mais cette évolution n'est pas innocente. On confie à un organisme ayant une vocation de régulateur économique un rôle d'arbitre en matière de liberté d'expression, de liberté et de pluralisme de la presse - qui sont des droits constitutionnels. Culture et finance ne répondent pas à la même logique !

M. Franck Riester, ministre . - Le texte que nous avons élaboré ne reprend pas intégralement les propositions du rapport Schwartz. Mais, sur ce point précis, nous l'avons rejoint. Le régulateur retenu n'est peut-être pas parfait. Il nous paraît toutefois le plus adapté pour régler les problématiques, notamment économiques, rencontrées par les acteurs de cette filière, le tout, bien évidemment, devant être géré dans le cadre des principes constitutionnels qui viennent d'être rappelés.

M. Laurent Lafon . - La régulation repose désormais sur deux piliers : l'Arcep et le respect d'un cahier des charges, dont les contours seront précisés par décret. Quand envisagez-vous la publication de ce cahier des charges ? Quels éléments essentiels contiendra-t-il ?

M. Franck Riester, ministre . - La date retenue devra être la plus proche possible du 1 er janvier 2023. Le cahier des charges devra contenir tous les éléments permettant de définir ce que doit être une entreprise de messagerie de presse capable d'assurer un service de très bonne qualité en matière logistique et de satisfaire les principes de la loi Bichet. Il n'est donc pas question de « casser » le système actuel ; nous donnons simplement la possibilité à de nouveaux acteurs, à compter de 2023, d'entrer sur un marché qui restera très régulé.

Mme Céline Brulin . - Je rejoins les inquiétudes exprimées par David Assouline sur la remise en question de la loi Bichet, fruit d'un équilibre trouvé à l'époque de son élaboration. Je m'interroge aussi sur le moment choisi pour procéder à cette évolution : alors qu'un véritable doute s'exprime sur le devenir de nos démocraties, tout ce qui peut contribuer à un recul du pluralisme est malvenu !

À cet égard, monsieur le ministre, vos propos ne m'ont pas complètement rassurée.

S'agissant du pluralisme, vous évoquez une certaine souplesse pour les marchands de journaux. Récemment, un kiosquier a refusé de diffuser un magazine dont la une ne lui convenait pas. Nous ne devons pas permettre le développement de telles pratiques !

Enfin, la diversification des points de vente et l'intervention des acteurs de la distribution traditionnelle, comme Amazon, ne seront pas bénéfiques en termes de proximité, car, on le sait, ces grands groupes s'implantent dans les seules zones qu'ils considèrent comme rentables, voire extrêmement rentables.

M. Franck Riester, ministre . - Oui, le système actuel permet une distribution de bonne qualité sur l'ensemble du territoire, mais à quel prix ? Presstalis a perdu 50 millions d'euros l'an dernier et, sans l'apport de 90 millions d'euros de l'État, le groupe était menacé de liquidation judiciaire au printemps 2018. Il faut sortir les prestataires de l'ornière ! C'est l'objectif que vise le Gouvernement, tout en assurant, pour le présent et pour l'avenir, le maintien des grands principes d'une distribution très large et plurielle de la presse.

Avec ce projet de loi, nous souhaitons soumettre les acteurs numériques à la même régulation que les autres. Ce qui s'appliquera aux kiosques physiques s'appliquera aux kiosques numériques.

Enfin, ce que le kiosquier mentionné s'est permis de faire n'est pas acceptable, et ne le sera pas plus après l'adoption du texte.

M. André Gattolin . - La rénovation de la loi Bichet est nécessaire : en 1947, la presse était essentiellement quotidienne, la presse magazine quasiment inexistante et, effectivement, le système coopératif de distribution a connu des dérives.

Les acteurs coopératifs - j'ai eu la chance d'être associé à plusieurs auditions menées par notre rapporteur Michel Laugier - ont été attentifs au processus de concertation et, si certains éléments retoqués par le Conseil d'État ont pu susciter quelques inquiétudes, aucun d'entre eux ne considère que le projet de loi est à jeter.

Néanmoins, il faut aussi s'interroger sur la distribution de la presse dans sa globalité. Je pense notamment au portage : malgré le montant élevé des aides consacrées à son développement, il s'est difficilement implanté, semble peu pérenne et a parfois déstabilisé une partie du réseau physique de distribution. Une adaptation du système d'aides directes et indirectes à la presse s'impose donc. Quelle est votre vision sur ce point ?

M. Franck Riester, ministre . - Nous ne réglerons pas durablement les problèmes en allant à l'encontre de la qualité de service. Or le portage en constitue un des éléments, étant, notamment, un facteur d'incitation aux abonnements à la presse. Je suis donc favorable à ne pas casser les dispositifs d'aides mis en place en faveur de ce service, mais, comme toutes les politiques publiques, ils sont à évaluer et réévaluer. Nous aurons l'occasion d'en reparler dans le cadre de l'examen du « plan de filière » présenté par les acteurs de la filière.

M. Claude Malhuret . - Je voulais tout d'abord me féliciter de l'examen prochain du projet de loi sur les droits voisins. Dans ce domaine, c'est un peu le far west et il est urgent de réguler. L'Union européenne l'a fait et je suis heureux que la France soit la première à transposer le texte.

De même, vous avez évoqué la lutte contre les propos haineux. Là aussi il y a urgence. Il ne s'agit pas seulement d'un problème d'information ou de numérique, il en va aussi de la démocratie. La situation devient de plus en plus inquiétante. On en a vu les conséquences dans d'autres pays.

On a également parlé de la loi sur les fake news : certains déplorent que l'on avance par petits bouts au lieu de faire une loi générale. Mais les évolutions sont tellement rapides en la matière qu'il n'est pas possible de faire autrement. D'autres textes seront nécessaires.

En ce qui concerne le présent projet de loi, vous avez fait le choix de soumettre l'implantation des points de vente de presse à l'avis de la Commission du réseau de la diffusion de la presse. Pourquoi avez-vous retenu cette solution ? Le rapport Schwartz proposait soit une liberté totale d'installation, soit une installation encadrée par le régulateur.

Ensuite, sur le terrain, quels seront les principaux changements concrets pour les marchands de journaux dans l'exercice de leur profession ?

Enfin, le projet de réforme a pour objectif, notamment, de mettre en concurrence les sociétés qui effectuent la distribution groupée des titres. Vous avez souhaité ouvrir cette distribution aux seuls acteurs qui auront été agréés par l'Arcep. Le projet de loi précise que la société candidate devra justifier de moyens humains et financiers pour obtenir son agrément. Est-ce que cela permettra à une société qui viendrait d'être créée d'être agréée ?

Mme Laure Darcos . - Si le projet de loi comporte une définition claire de la presse d'information politique et générale, il oublie la presse de la connaissance, les revues de sciences humaines, les revues juridiques, etc. Les éditeurs se sentent très isolés quand il faut renégocier les tarifications postales.

M. Franck Riester, ministre . - Les installations des marchands de journaux seront soumises à l'agrément de la Commission du réseau. En effet, l'amélioration de leurs conditions d'exercice constitue une priorité pour nous. Il y a eu trop de fermetures et trop peu d'installations. Nous devions trouver des solutions, grâce à certains dispositifs, comme la gestion des stocks, l'assortiment, etc. Ces dispositifs vont vraiment changer leur vie. Jusqu'à présent, ils n'avaient leur mot à dire ni sur les titres qui leur étaient envoyés, ni sur les volumes. Cela continuera pour la presse IPG parce qu'il est très important d'en maintenir la distribution partout sur le territoire. Un marchand de presse ne doit pas pouvoir choisir de distribuer L'Humanité mais pas Le Figaro ou Libération par exemple. En revanche, les marchands de presse pourront, à travers les négociations interprofessionnelles, jouer sur l'assortiment de la presse CPPAP. Pour le reste, il s'agira d'accords de gré à gré : le vendeur aura donc son mot à dire tant sur les titres qu'on lui proposera que sur les quantités. Son métier évoluera nettement vers un métier de gestionnaire des produits qu'il vend. Le rôle des dépositaires de presse de niveau 2 s'en trouvera aussi renforcé, parce que les marchands de journaux auront encore davantage besoin d'accompagnement en matière de marketing, de communication, de politique commerciale, etc. Un autre levier pour soutenir les marchands de journaux consiste à lutter contre les installations sauvages susceptibles de faire concurrence à ceux déjà installés. C'est pourquoi nous avons retenu le dispositif qui vous est soumis. Je suis aussi très favorable à l'idée d'associer systématiquement les élus pour qu'ils puissent donner leur avis sur l'installation et l'implantation des marchands de presse.

Le texte devrait aussi faciliter l'arrivée des nouveaux entrants, dès lors que les distributeurs existants se seront modernisés et seront plus efficaces. Dans tous les cas, il faudra éviter que les nouveaux entrants ne fassent du dumping en captant les segments les plus intéressants et en délaissant les autres. C'est la raison pour laquelle nous avons prévu un avis du régulateur, un cahier des charges strict et une distribution globale sur le territoire. En résumé, oui aux nouveaux entrants, mais non à la loi de la jungle.

Madame Darcos, les titres que vous évoquez sont des titres CPPAP, ils entreront donc dans le champ de la négociation interprofessionnelle et bénéficieront de l'appui de l'Arcep.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente . - Je vous remercie, monsieur le ministre.

Audition de M. Sébastien Soriano, président de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des Postes (Arcep)

M. Jean-Pierre Leleux, président . - Nous recevons cet après-midi M. Sébastien Soriano, président de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des Postes, ou Arcep, au sujet du projet de loi relatif à la modernisation de la distribution de la presse.

Ce matin, nous avons entendu M. le ministre de la culture nous exposer les grandes lignes de ce projet de loi, examiné en première lecture par le Sénat le 22 mai. L'Arcep devrait se voir confier la régulation de la distribution de la presse, exercée jusqu'à présent par le binôme constitué du Conseil supérieur des messageries de presse, ou CSMP, et de l'Autorité de régulation de la distribution de la presse, ou ARDP.

Cette nouvelle mission ne serait pas un simple transfert, mais s'exercerait dans un cadre industriel profondément rénové. Aussi, monsieur le président, nous sommes impatients de savoir comment vous envisagez votre rôle et le type de régulation que vous souhaitez mettre en place pour ce secteur économique.

M. Sébastien Soriano, président de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des Postes . - Cette audition intervient dans un contexte un peu particulier : alors que vous entendez habituellement l'Arcep sur des sujets sur lesquels elle est experte, ce n'est pas le cas ici ; alors que nous intervenons, en qualité de régulateur, dans un cadre politiquement défini, il s'agit, aujourd'hui, d'évoquer un cadre en cours de définition. Je me propose donc de vous rappeler certains éléments nous concernant et de formuler quelques observations sur ce projet de loi.

Qu'est-ce que l'Arcep ?

Nous sommes un régulateur sectoriel, c'est-à-dire - de manière très grossière - un organisme servant de courroie de transmission entre un marché et des acteurs économiques, d'une part, et des objectifs d'intérêt général, d'autre part. Il s'agit, à travers son action, de s'assurer que le marché remplira un certain nombre d'objectifs qu'il ne couvrirait pas spontanément, comme, par exemple, garantir à un maximum de Français l'accès à des réseaux de télécommunication dans de bonnes conditions et à bon prix. Le régulateur sectoriel n'est qu'un « bras armé » : il a besoin d'objectifs clairement définis par le politique, d'un cadre d'action fixé par la loi et d'une certaine autonomie.

L'Arcep a plusieurs particularités.

C'est un régulateur des « tuyaux ». Son rôle est de permettre que certains moyens de communication, jugés essentiels au fonctionnement de la société, soient accessibles à nos concitoyens, en veillant à des notions d'efficience économique, d'aménagement du territoire et d'ouverture des contenus.

Son action de régulation s'inscrit dans un champ technico-économique. Cela signifie, non pas que l'Arcep s'intéresse seulement à l'économie, mais qu'elle manie des instruments jouant, via des incitations, sur les modèles économiques des acteurs du marché pour les orienter dans le sens souhaité.

La concertation est très présente dans son travail, que ce soit pour chercher des solutions ou édicter certaines normes. Nous organisons des réunions multilatérales avec les acteurs, parfois sur des sujets très techniques ; nous procédons à de très nombreuses auditions et consultations publiques ; nous sommes particulièrement attentifs aux indications qui peuvent nous être données à travers la loi, mais aussi dans le cadre d'un dialogue régulier avec les parlementaires.

En revanche, l'Arcep n'est pas un organisme de tutelle. Ainsi, elle est indifférente à la nature des acteurs qu'elle régule - entreprises privées, entreprises publiques, coopératives, associations, opérateurs locaux, etc. Elle ne prend pas de décision à leur place et tente, autant que faire se peut, de les responsabiliser dans leur champ de compétences.

Ces quelques éléments fondamentaux ayant été rappelés, venons-en à la question de la distribution de la presse et du projet de loi.

Partant du constat de départ que la distribution de la presse, dans sa gouvernance actuelle - fondée sur une organisation très structurée verticalement -, atteint ses limites, le Gouvernement cherche à orienter le secteur vers une organisation un peu plus commerciale, tout en confortant les objectifs de pluralisme de la presse et d'accès à tous les titres prévus par la loi Bichet. Nous comprenons donc ce projet de loi comme traduisant une transition qui ne se fait pas « contre » le modèle en place.

Le Gouvernement n'entend pas juger la gouvernance telle qu'elle a été mise en oeuvre - et il faut saluer le travail du CSMP et de l'ARDP. Mais il estime que, au moment où les volumes distribués baissent fortement et où ce système se heurte à ses propres limites, on ne peut plus penser la distribution de la même manière.

Dans le cadre de cette transition, l'Arcep se verrait confier certaines missions.

Je formulerai quelques commentaires et suggestions d'amélioration sur le texte.

Les objectifs nous semblent extrêmement bien posés : on retrouve les principes fondamentaux de la loi Bichet, correctement articulés avec les outils proposés. S'il est question de changer la gouvernance, c'est bien pour obtenir le même résultat qu'actuellement.

S'agissant du périmètre des acteurs à réguler, le texte est globalement bien ciselé.

On vise bien les deux extrémités de la chaîne - les éditeurs, d'un côté, et les marchands de presse, de l'autre. Le choix, pour les intermédiaires, de définir des distributeurs de presse nous paraît judicieux et adapté, ainsi que le processus d'agrément retenu.

En revanche, il ne nous semble pas souhaitable de reconnaître aux dépositaires de presse un statut particulier. Je ne dis pas que ces derniers doivent disparaître : acteurs essentiels, ils doivent continuer à exercer leurs fonctions. Mais il faut éviter d'introduire une stratification et une rigidité trop fortes au niveau de la loi, et laisser les acteurs économiques s'organiser eux-mêmes. En particulier, le problème de départ est celui de la diminution des volumes, ce qui nous laisse penser - mais, j'y insiste, nous ne sommes pas experts du domaine - que les acteurs devront probablement évoluer vers des flux logistiques mutualisés, non restreints aux publications de presse. Sans savoir précisément comment ce mouvement se fera, il me paraît clair qu'il exige un cadre à la fois flexible et dans lequel les responsabilités sont clairement établies.

Le choix du Gouvernement d'intégrer dans le champ de la régulation les kiosques numériques, mais aussi les agrégateurs de presse nous semble en revanche bienvenu.

Le cadre d'action accorde une place significative au cahier des charges, dont je ne peux pas préciser le contenu, puisque celui-ci donnera lieu à une série de concertations. Néanmoins, prévoir que ce document ne soit établi qu'à la veille de 2023, c'est laisser un « trou dans la raquette », car le régulateur devra attendre plusieurs années avant de pouvoir imposer quoi que ce soit aux acteurs. Nous vous suggérons donc de rendre ce cahier des charges opposable dans un délai plus bref.

Un certain nombre d'outils de régulation économique sont prévus. Celui qui permettra à l'Arcep d'envoyer des signaux économiques sur des encadrements tarifaires, c'est-à-dire d'établir des tendances en termes d'évolution des prix, nous semble très important. Le régulateur pourra également avoir connaissance des coûts supportés par les acteurs, en vérifier l'efficience et engager un dialogue pour éviter que certaines inefficiences soient répercutées sur les éditeurs. Au-delà des strictes questions de prix, il aura aussi accès à certaines dispositions contractuelles.

S'agissant du niveau des diffuseurs, nous sommes totalement en phase avec la logique du texte, notamment avec le maintien d'une commission du réseau de diffusion et le fait de s'appuyer sur un accord interprofessionnel pour la presse hors IPG. Toutefois, dans la version actuelle du texte, il n'est pas certain que l'Arcep pourrait faire respecter l'accord. Or il faut un gendarme pour celui-ci !

Enfin, si nous sommes favorables à l'inclusion du numérique, il nous semble qu'une confusion demeure dans le texte sur la question des données personnelles. Certaines dispositions sur la loyauté de l'information, notamment pour les agrégateurs de presse, devraient être des dispositions de droit commun. En revanche, il faudrait que l'Arcep puisse vérifier qu'un principe de non-discrimination est bien respecté dans la façon dont ces agrégateurs mettent en avant les contenus.

C'est dans une posture d'humilité que nous abordons ce dossier, que nous connaissons mal. Quand on nous a contactés, en amont du dépôt du projet de loi, pour savoir si nous serions prêts à accepter cette responsabilité, nous avons répondu que le choix du régulateur appartenait au législateur. Mais si vous décidez de nous confier une telle mission, nous vous demandons - à nouveau avec humilité - qu'elle soit le plus conforme possible à ce que nous savons et pouvons faire.

M. Michel Laugier, rapporteur . - Merci de vos explications : votre regard de « non expert » est déjà très précis. La presse traverse effectivement une période complexe, avec le développement rapide des kiosques numériques et la réduction des volumes distribués, et nous avons besoin d'évaluer comment l'Arcep peut s'adapter pour intervenir dans ce secteur.

Quel sera, selon vous, le délai pour instruire les demandes d'agrément ? Cette question est d'autant plus importante que la fin de la période de transition, avec la nécessité d'assurer la continuité du service, pourrait contraindre à une accélération du calendrier en 2022.

M. Sébastien Soriano . - Le lien qui, dans le dispositif actuel, est établi entre les agréments et l'ouverture à la concurrence ne nous semble ni nécessaire ni pertinent. Nous souhaiterions donc pouvoir nous engager dans une logique de cahier des charges et d'agrément très rapidement après l'adoption de la loi. Cela évitera tout risque de rupture de charge à l'horizon de 2023.

La définition du cahier des charges exigera une certaine période de concertation et une appropriation par le Gouvernement, puisqu'il est prévu de passer par décret. Un délai de 9 mois semble être un minimum. Il est par ailleurs difficile de déterminer le délai nécessaire aux décisions d'agrément, mais ce ne pourra être en deçà de trois mois.

M. Michel Laugier, rapporteur . - Quel type de règles allez-vous chercher à faire respecter dans le cadre du contrôle des tarifs des sociétés agréées ? Qu'en est-il, notamment, de la notion de « coût d'un opérateur efficace » ?

M. Sébastien Soriano . - Voici ce que nous pratiquons dans le secteur des télécommunications et des postes, et qui pourrait être transposé à celui de la distribution de la presse.

Tout d'abord, nous nous réunissons avec l'opérateur régulé pour travailler à l'établissement d'une comptabilité réglementaire. Si l'on prend l'exemple d'une tournée de facteur, nous allons, dans un tel cadre, fixer la règle d'imputation du coût du facteur pour les courriers urgents et pour les courriers non urgents. Ce travail garantit que l'équation économique est bien examinée en tenant compte de certains objectifs d'intérêt général et permet une intervention sur la notion d'efficacité. Ainsi, tous les trois ou quatre ans, nous discutons avec La Poste de l'ampleur des augmentations de prix qu'elle est autorisée à pratiquer, en examinant, à partir d'une projection de la diminution des volumes de vente, les efforts qu'elle doit réaliser en termes de gains d'efficacité et ceux qu'elle peut faire porter par le consommateur.

S'agissant du contrôle tarifaire, il s'exerce à deux niveaux. L'Arcep est en mesure de fixer de grandes orientations sur plusieurs années, selon le mécanisme que je viens de décrire. Il revient ensuite aux acteurs de réaliser un travail plus fin sur les prix, au cas par cas. Le régulateur ne fait qu'émettre un avis sur ces choix, par exemple pour mettre en exergue un problème de discrimination ou se prononcer sur des durées d'exclusivité. Cela permet, aussi, d'orienter le marché.

M. Michel Laugier, rapporteur . - Quelles règles comptez-vous appliquer dans le cadre de la fixation des conditions de rémunération des diffuseurs de presse, mission qui vous est confiée par l'article 17 ? Ne faudrait-il pas, comme dans le système actuel, une consultation des organisations professionnelles ?

M. Sébastien Soriano . - Nous sommes favorables, en toutes circonstances, à la concertation et à la consultation des acteurs. Vous pouvez le préciser dans la loi, mais soyez assurés que cette pratique fait partie intégrante de notre culture. D'après ce que nous comprenons du texte, le rôle de l'Arcep sera de fixer un cadre en matière de rémunération des diffuseurs, pas nécessairement un tarif.

M. Michel Laugier, rapporteur . - Le Parlement peut actuellement saisir le CSMP d'une demande d'avis ou d'étude sur les activités relevant de sa compétence. Le projet de loi limite cette possibilité au seul gouvernement. Que penseriez-vous de redonner au Parlement ce pouvoir ?

M. Sébastien Soriano . - Pour le secteur des télécommunications et des postes, les commissions des affaires économiques des assemblées peuvent à tout moment demander un avis à l'Arcep. Je serais tout à fait favorable à ce que les commissions de la culture, par exemple, puissent le faire s'agissant de la distribution de la presse.

Mme Françoise Laborde . - Merci pour cet exposé très clair. Il entre en contradiction avec l'audition que nous avons faite de M. le ministre ce matin sur le point précis du « trou dans la raquette ». J'imaginais que le travail sur le cahier des charges était déjà en cours et que ce dernier serait rapidement construit. Ce « grand vide » est ennuyeux.

Alors que l'article 17 du projet de loi tend à permettre à l'Arcep d'imposer un encadrement pluriannuel des tarifs aux sociétés agréées, vous évoquez plutôt une démarche de concertation. Dans quel cas pensez-vous utiliser l'option offerte à l'article 17 ?

M. Sébastien Soriano . - Il y a bien deux niveaux d'intervention sur les tarifs : les grandes orientations et les tarifs au cas par cas. Par exemple, nous avons autorisé La Poste à augmenter les prix du service universel de 5 % par an - c'est une limite maximale qui a été imposée par l'Arcep. Mais le prix du timbre, lui, est fixé par La Poste, choix sur lequel nous pouvons rendre un avis. Dès lors que le maximum est respecté, la fixation de ce prix relève de sa liberté commerciale.

M. Laurent Lafon . - L'article 17, toujours, tend à prévoir que l'Arcep reprenne la main et fixe les conditions d'assortiment en cas d'échec des négociations interprofessionnelles pour les publications ne relevant pas de l'IPG. Comment comptez-vous vous y prendre ?

M. Sébastien Soriano . - C'est un cas de figure que nous souhaiterions éviter, mais, si nous devions en arriver à cette extrémité, ce serait après un certain nombre de consultations et de concertations. En outre, je rappelle que nous serons toujours indifférents au contenu ; nous chercherions donc à nous appuyer sur des grandeurs objectives, telles que les volumes ou les chiffres d'affaires. Cela étant, vous pourriez aussi penser qu'une telle prérogative n'entre pas dans les missions d'un régulateur indépendant et que ce cas devrait être réglé par décret. Cela ne me choquerait pas !

M. Jean-Pierre Leleux . - Supposons, inversement, qu'un accord interprofessionnel ait été trouvé, mais que l'Arcep le juge contraire à l'intérêt général. Auriez-vous besoin que la loi vous accorde des marges de manoeuvre supplémentaires pour intervenir ?

M. Sébastien Soriano . - La mécanique de l'avis m'apparaît très efficace dans un tel cas. D'expérience, le fait même que nous estimions qu'un projet d'accord soulève des problèmes de conformité avec la loi le fait capoter.

Mme Céline Brulin . - Ce matin, M. le ministre a exprimé sa volonté que le nouveau modèle n'impacte ni le pluralisme ni la proximité. Or vous évoquez des flux logistiques mutualisés... La proximité pourrait-elle en pâtir ?

Vous avez eu l'honnêteté de reconnaître que le domaine était nouveau pour vous. Que faudrait-il modifier dans vos pratiques et fonctionnements pour répondre à ce défi ? De quels moyens avez-vous besoin ? Certains personnels du CSMP pourraient-ils être repris ?

M. Sébastien Soriano . - Dès lors que les objectifs sont correctement fixés dans la loi, et c'est le cas ici, nous pouvons organiser un modèle soutenable sous l'angle tant du pluralisme que de la proximité. Si j'en crois mon expérience de la régulation, nous disposons des outils pour rendre l'équation économique « solvable » dans la ruralité. Ce sera, pour nous, un élément d'attention.

Nous sommes en outre favorables à examiner la possibilité d'intégrer dans nos équipes certains personnels, notamment des chargés de mission, du CSMP. Mais cela ne peut se faire qu'au cas par cas. Une intégration automatique des personnels nous poserait effectivement un problème d'indépendance - nombre de ces personnes sont aujourd'hui payées par les éditeurs - et un questionnement en terme de dépenses publiques - d'un financement sur fonds privés, on passerait à un financement sur fonds publics.

M. Michel Laugier, rapporteur . - De quels moyens supplémentaires souhaitez-vous disposer pour assurer votre nouvelle mission ?

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente . - En complément de cette question, disposez-vous des compétences requises en interne ou faudra-t-il trouver des complémentarités dans les profils de poste ?

M. Sébastien Soriano . - Le projet de loi ne déstabilise pas notre organisation car nous assurons déjà la régulation d'acteurs extrêmement puissants et il conviendrait de ne pas fragiliser d'autres pans de notre activité. Il nous semble en outre que nous pouvons gérer l'évolution des compétences au fil de l'eau. Enfin, s'il fallait créer un régulateur de la distribution de la presse ex nihilo , il faudrait compter une quarantaine de collaborateurs, alors que nous pouvons assurer cette nouvelle mission avec moins de dix collaborateurs supplémentaires en mettant en oeuvre des synergies. Nous sommes en négociation avec le ministère de la culture s'agissant du transfert des équivalent temps plein (ETP) correspondants, car le plus tôt nous disposerons des personnels, le plus tôt nous pourrons commencer à travailler.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente . - À côté de la distribution physique, n'oublions pas la distribution dématérialisée, avec le développement de la presse numérique. La question de la juste rémunération a progressé, notamment grâce à l'initiative du Sénat sur les droits voisins, mais celle de l'exposition et de l'éditorialisation des contenus reste posée. Elle est intrinsèquement liée au modèle économique des plateformes, qui repose sur des algorithmes peu transparents.

Le projet de loi intègre l'idée que les plateformes devront rendre compte de la manière dont les données personnelles sont utilisées. Mais peut-on vraiment compter sur l'autorégulation du secteur quand on connaît sa puissance et les scandales qui ont éclaté récemment ? De surcroît, selon la directive e-commerce, les plateformes ne sont redevables de rien ! Ne faudrait-il pas aller plus loin ? Je sais que vous avez réfléchi à ces questions, au-delà même des missions dévolues à l'Arcep. Vous avez notamment appelé à inventer une régulation « Robin des Bois » qui reprendrait le pouvoir aux géants du numérique pour le distribuer à tous ! Comment fait-on ?

M Sébastien Soriano . - L'autorité de la concurrence australienne a publié un rapport très intéressant sur la façon dont les plateformes mettent en avant les contenus.

Je ne crois pas à l'autorégulation. En revanche, sur les données personnelles, il ne me paraît pas souhaitable d'éclater les compétences entre les différents régulateurs sectoriels. Je suis donc d'avis de nous en remettre à la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) sur ces questions.

Il me semble que le règlement général sur la protection des données, le RGPD, offre un cadre suffisamment large, en prévoyant déjà la question de l'utilisation des données personnelles en lien avec les opinions.

En revanche, aucune règle n'existe aujourd'hui sur la question de l'éditorialisation. Les hébergeurs ne sont responsables de rien, vous avez raison.

Je me rallie aux préconisations de l'autorité australienne : le principe de transparence est important, mais il faut surtout que l'autorité publique ait la capacité de comprendre les algorithmes et d'interroger les plateformes. Il faut par ailleurs affirmer un principe suffisamment flexible de loyauté ou de non-discrimination dans le traitement des contenus.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente . - La neutralité du net n'est-elle pas illusoire au regard de son modèle économique ? Le respect du pluralisme et la neutralité de l'exposition des informations, des principes qui nous tiennent à coeur, ne risquent-ils pas d'être mis à mal ?

M Sébastien Soriano . - C'est assurément un défi !

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente . - On parle en effet beaucoup d'un rapprochement des différentes autorités de régulation sur ces sujets de plus en plus interconnectés.

Nous vous remercions, monsieur Soriano. Nous vous réinviterons certainement au mois de juin, dans la perspective de l'examen du projet de loi relatif à l'audiovisuel.


* 1 Les éléments historiques sont tirés de la journée d'étude qui s'est tenue à l'Université Paris II le 21 février 2017 : « La loi Bichet sur la distribution de la presse, 70 ans après ».

* 2 En dépit de son inscription dans la loi, ce principe sera remis en cause chez Presstalis, voir supra .

* 3 « Le système français de régulation de la distribution de la presse », Actes du colloque « La loi Bichet sur la distribution de la presse 70 ans après ».

* 4 http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20180212/cult.html

* 5 Michel Laugier rapport pour avis « Médias, livre et industries culturelles : Presse » sur le projet de loi de finances pour 2019 https://www.senat.fr/rap/a18-151-42/a18-151-42.html

* 6 http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20180521/cult.html#toc2

* 7 http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20180514/cult.html#toc9

* 8 Avis du président du CSMP sur la barème de la Coopérative des quotidiens du 23 juin 2016, point 9.

* 9 Rapport public annuel 2018, tome I : « Les aides à la presse écrite : des choix nécessaires ». https://www.ccomptes.fr/sites/default/files/2018-01/12-aides-presse-ecrite-Tome-2.pdf

* 10 https://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppr17-739.html

* 11 http://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppl17-705.html

* 12 http://www.cppap.fr/wp-content/uploads/sites/7/2018/09/CPPAP-Rap-pub-2017-V-PUBLIC.pdf

* 13 https://www.senat.fr/rap/a18-151-42/a18-151-42.html

* 14 Le Sénat avait choisi d'adopter une question préalable en première lecture le 26 juillet 2018 et en deuxième lecture le 6 novembre 2018.

* 15 Rapport n° 677 (2017-2018), fait au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, déposé le 18 juillet 2018 http://www.senat.fr/rap/l17-677/l17-677.html

* 16 L'article premier de la loi relative à la lutte contre la manipulation de l'information créé un article L. 163-1 du code électoral, qui vise les opérateurs de plateforme en ligne les plus significatifs. C'est à cet article qu'il est fait référence à l'article 14 de cette même loi.

* 17 http://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppl17-705.html

* 18 343 voix pour, 0 contre.

* 19 Notre collègue Bruno Retailleau a consacré en 2007 un rapport très complet aux origines de l'Autorité de régulation des télécommunications : Dix ans après, la régulation à l'ère numérique, Rapport d'information n° 350 (2006-2007) de M. Bruno Retailleau, fait au nom de la commission des affaires économiques, déposé le 27 juin 2007.

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