II. LE COMPTE D'AFFECTATION SPÉCIALE « PENSIONS », UNE EXÉCUTION 2018 QUI ILLUSTRE UN RÉGIME FINANCIER PLUS STRUCTUREL DE RÉDUCTION DE L'EMPREINTE DES RÉGIMES DE FONCTIONNAIRES SUR LE SYSTÈME DE RETRAITES

Le compte d'affectation spéciale (CAS) « Pensions » retrace les opérations relatives aux pensions civiles et militaires de retraite et d'invalidité des agents de l'État. Doté en loi de finances initiale de 58,4 milliards d'euros 237 ( * ) en 2018, il est structuré en trois programmes, représentant chacun une section du compte spécial :

- le programme 741 « Pensions civiles et militaires de retraite et allocations temporaires d'invalidité » est consacré aux régimes de retraite et d'invalidité des fonctionnaires civils et militaires de l'État, gérés par le service des retraites de l'État (SRE), créé en 2009. Il a mobilisé en 2018 93,5 % des crédits initiaux du CAS (54,6 milliards d'euros) ;

- le programme 742 « Ouvriers des établissements industriels de l'État » retrace les opérations du fonds spécial des pensions des établissements industriels de l'État (FSPOEIE) et du fonds gérant les rentes d'accident du travail des ouvriers civils des établissements militaires (RATOCEM), tous deux gérés par la Caisse des dépôts et consignations. Les dotations de loi de finances initiale correspondantes (1,9 milliard d'euros) représentaient 3,2 % des crédits du CAS ;

- le programme 743 « Pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre et autres pensions » regroupe les pensions dues au titre du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre (CPMIVG) ainsi que des pensions financées par l'État au titre d'engagements historiques et de reconnaissance de la Nation. Programme-miroir reflétant les crédits correspondants ouverts dans le programme 169 de la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation », sa part dans les crédits initiaux du CAS « Pensions » tend à diminuer (3,2 % en 2018, soit 1,9 milliard d'euros).

Les deux derniers programmes cités voient leurs crédits reculer tendanciellement.

Conformément à la vocation du compte d'affectation spéciale, les crédits sont ouverts moyennant des prévisions de recettes concourant au financement des charges particulières portées au compte.

Généralement, ces recettes doivent avoir un lien « naturel » avec les charges qu'elles financent si bien qu'un plafond de 10 % des crédits initiaux est imposé aux versements que le budget général peut effectuer au profit des comptes d'affectation spéciale.

Toutefois, le compte « Pensions » bénéficie d'une dérogation à cette règle qui s'explique par la structure de financement du CAS. Celle-ci comporte en effet des cotisations salariales et des contributions des employeurs qui se trouvent inévitablement versées à partir du budget général, ces recettes étant incontestablement, par leur nature, en lien avec les charges à financer, comme pour n'importe quel régime de retraite suivant les principes de la répartition et appliquant en outre des mécanismes de solidarité économique, sociale et démographique.

Par ailleurs, les dépenses effectuées à partir des crédits du compte doivent être couvertes par des ressources suffisantes, ce qui ne signifie pas que les recettes d'une année doivent couvrir les dépenses de la période mais que l'addition de ces recettes et des ressources disponibles en trésorerie ne soit pas inférieure aux dépenses.

Autrement dit, le CAS « Pensions » peut présenter un déficit prévisionnel sous la condition que sa trésorerie, issue des opérations effectuées lors des exercices précédents couvre ses dépenses.

Ces dernières années, cette faculté n'a pas été utilisée dans la gestion globale du CAS, bien au contraire, même si certains programmes composant le compte ont pu être votés en situation de déficit prévisionnel.

L'exercice 2018 n'a pas dérogé à cette tendance.

Il a été marqué par la poursuite d'une gestion du CAS marquée par la constitution d'excédents, les recettes continuant à excéder les dépenses. Cet équilibre qui prévaut depuis déjà plusieurs années, traduit un choix de gestion consistant à maintenir la pression d'une contrainte de financement des retraites sur les ministères et autres employeurs publics obéissant à des principes de prudence mais poursuivant également des finalités pouvant apparaître, pour certaines, un peu « périphériques » par rapport à la problématique du financement des pensions en elle-même.

L'exercice déroge toutefois à la tendance observée ces dernières années, à un rythme de progression des recettes supérieur à celui des dépenses du compte.

Ce différentiel tendanciel a pu être attribué principalement aux réformes des retraites publiques adoptées depuis 2003, qui accroissent les prélèvements obligatoires appliqués aux rémunérations des agents publics et modèrent la dynamique des dépenses, en modifiant les comportements de départ des agents, qui ont reculé l'âge de liquidation de leurs droits. Il n'est pas certain que cette dernière dynamique conserve l'ampleur qu'elle a revêtue dans le passé, même si le recul de l'âge de départ en retraite est inscrit dans les projections de comportement des fonctionnaires.

Dans ces conditions, dans un contexte de poursuite de la dégradation du rapport démographique 238 ( * ) des régimes des fonctionnaires de l'État, le bouclage financier du compte pourrait devoir être encore plus sensible aux différentiels concernant les dynamiques respectives des bases de cotisation, d'un côté, et de constitution et de valorisation des droits à retraite des affiliés de l'autre.

Cette sensibilité ne semble pas particulièrement redoutable même s'il faut tenir compte du fait que, si l'équilibre global du compte d'affectation spéciale est mieux que respecté à court et plus encore à long terme, une période plus incertaine pourrait être traversée à moyen terme sous l'effet d'une dégradation transitoire du rapport démographique.

En outre, force est d'observer que l'excédent des régimes de pensions des fonctionnaires civils et militaires de l'État, pour paraître structurel au vu des projections réalisées sur ce point (voir infra ), dépend évidemment d'un grand nombre d'hypothèses plus ou moins robustes, mais surtout plus ou moins soutenables.

Cette problématique de soutenabilité ouvre sur des questions plus larges.

Les régimes de retraite n'ont pas qu'une dimension macro-financière ; ce sont également des « véhicules d'informations », reflets de préférences collectives plus ou moins explicitées, susceptibles d'orienter les choix individuels, et passibles, sous cet angle, d'évaluation en termes d'efficacité et d'équité .

A. UNE EXÉCUTION PRESQUE « NOMINALE » DU COMPTE D'AFFECTATION SPÉCIALE EN 2018

Les dépenses du compte (58,5 milliards d'euros) ont été à peu près (0,2 % de plus) équivalentes aux crédits ouverts en loi de finances initiale (58,4 milliards d'euros).

Les crédits ouverts en loi de finances initiale pour 2018 ont été abondés par des reports de crédits d'un montant de 1 289,3 millions d'euros complétant les ouvertures de début d'année principalement pour le programme 741 (1,2 milliard d'euros).

Cependant, après ces reports, les dotations finalement disponibles n'ont pas été toutes consommées, un surplus de l'ordre de 1,3 milliard d'euros (analogue à celui de l'an dernier) soit environ une semaine de dépense de pension ayant été laissé disponible,

Les reports de crédits intervenus en début d'année (arrêté du 22 mars 2018) n'auront finalement été que partiellement utiles permettant pour l'essentiel d'envisager de nouveaux reports sur l'exercice 2019.

Ainsi, la sur-exécution des crédits ouverts en loi de finances initiale a atteint 93 millions d'euros (0,2 % des crédits initiaux) avec une polarisation sur le programme 741 (116 millions d'euros).

Dans ce contexte, il convient de remarquer que les dépenses de pension ne sont pas responsables de la surconsommation des crédits ouverts en début d'année. Elles ont été globalement en ligne avec la prévision. En ce qui concerne les charges du programme 741, une légère surestimation des dépenses de pension par la loi de finances initiale peut même être constatée, de l'ordre de 15 millions d'euros.

Ce sont les dépenses de compensation démographique (395 millions d'euros en excédent de 98 millions d'euros par rapport aux prévision) et les transferts au profit de la caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales (CNRACL) avec un excédent de dépenses de 25 millions d'euros, pour un total de charges de 361 millions d'euros qui sont en cause. En outre, s'agissant des militaires, l'affiliation rétroactive aux régimes général et de l'IRCANTEC des personnels ayant quitté la fonction publique prématurément 239 ( * ) , avec un total de dépenses de 225 millions d'euros, a suscité des dépenses en excédent de 12 millions d'euros par rapport à la prévision.

Équilibre en recettes et en dépenses du CAS « Pensions » en 2018

(crédits de paiement, en millions d'euros)

Recettes

Dépenses

Écart dépenses 2018 par rapport à

Solde

LFI 2018

Exécution 2018

Exécution 2017

LFI 2018

Exécution 2018

Exécution 2017

LFI 2018

Prévision LFI 2018

Exécution 2018

Programme 741
« Pensions civiles et militaires de retraite et allocations temporaires d'invalidité »

56 697

56 139

53 880

54 627

54 743

+ 1,6 %

+0,2 %

+ 2 069,8

+ 1 396,4

Programme 742
« Ouvriers des établissements industriels de l'État »

1 951

1 971

1 903

1 922

1 918

+0,8 %

-0,2 %

+ 29,7

+ 52,6

Programme 743
« Pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre et autres pensions »

1 863

1 853

1 924

1 863

1 844

- 4,2%

- 1,1 %

0

+ 9

Total mission

60 511

59 963

57 707

58 412

58 505

+ 1,4 %

+ 0,2 %

+ 2 0 99,5

+ 1 457,9

Source : commission des finances du Sénat (à partir des données du rapport annuel de performances du compte d'affectation spéciale « Pensions » annexé au projet de loi de règlement pour 2018)

Pour les recettes , les prévisions pour 2018 se montaient à 60,511 milliards d'euros. Les recettes finalement encaissées ont été légèrement inférieures à cette prévision , faisant apparaître, avec 59,963 milliards d'euros, un déficit de réalisation de 548 millions d'euros.

La moins-value de recettes n'est pas négligeable puisqu'elle atteint ainsi près de 1 % de la prévision.

L'essentiel des moins-values de recettes a été constaté sur le premier programme du compte (- 558 millions d'euros), ce qui n'a rien que de normal compte tenu de son importance relative.

Les assiettes de contribution ont été moins dynamiques que prévu dans la fonction publique d'État civile.

Dans ces conditions, l'équation de la réalisation des opérations du compte a permis de constater un excédent, mais en baisse par rapport à l'exercice précédent et moins élevé qu'escompté.

La programmation budgétaire extériorisait un excédent prévisionnel du compte de 2 099,5 millions d'euros. Avec 1 457,9 millions d'euros , il s'est avéré inférieur de 641,6 millions d'euros au solde prévisionnel (un niveau inférieur de 30,6 % par rapport à la prévision).


* 237 En autorisations d'engagement (AE) = crédits de paiement (CP).

* 238 Le rapport démographique comporte à son numérateur les effectifs de cotisants et à son dénominateur les effectifs de retraités de droit direct ou indirect.

* 239 Ce motif de dépenses concerne principalement la fonction publique militaire du fait des conditions particulières de la carrière de ces personnels, les dépenses d'affiliation rétroactive des personnels civils étant limitées à 15 millions d'euros sur un total de dépenses de 240 millions d'euros.

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