B. LA PROTECTION DE L'ENVIRONNEMENT EST-ELLE SOLUBLE DANS LE TOURISME DE MASSE ?

Une fréquentation trop importante peut avoir des conséquences environnementales lourdes sur certains sites qui bénéficient justement d'un régime de protection eu égard à leur intérêt écologique :

- avec des impacts sur les écosystèmes : destruction de la flore par piétinement, élargissement des sentiers et chemins, impacts sur la végétation protégés mais aussi sur la faune (augmentation du dérangement par les effets de présence et les effets de bruit, mais aussi disparition de certaines espèces inféodées à des milieux particuliers), sur la biodiversité marine (destruction de coraux par exemple) ;

- mais également des impacts sur l'augmentation des déchets et leur dispersion dans la nature, notamment dans les sites balnéaires, ou encore sur la qualité paysagère .

Enfin, il convient de souligner qu'au-delà de ses impacts sur l'environnement, la sur-fréquentation des sites peut porter préjudice au tourisme lui-même . Une enquête de satisfaction conduite sur l'île de Porquerolles durant l'été 2018 montre ainsi que le niveau de fréquentation global (nombre de visiteurs débarquant sur une journée) a une influence sur la satisfaction des visiteurs. Entre 3 000 et 4 750 visiteurs par jour, le niveau de gêne est assez stable (de l'ordre de 26 %). Il grimpe ensuite rapidement à 48 % en moyenne lorsque la fréquentation atteint 6 000 à 8 500 visiteurs par jour. Le principal motif d'insatisfaction en l'occurrence est le nombre important de vélos ainsi que l'affluence sur les plages.

C. LES OUTILS QUI PERMETTENT AUJOURD'HUI DE PROTÉGER LES ESPACES NATURELS PRÉSENTENT DES LIMITES

1. Les outils juridiques visant à protéger les espaces naturels
a) De nombreux régimes de protection offrant des outils très variés

Malgré un principe, très fortement ancré en France, de libre accès et de gratuité des espaces naturels , il existe des outils permettant de protéger certains sites eu égard à leurs caractéristiques environnementales ou culturelles patrimoniales.

On en dénombre ainsi plusieurs types allant de la maîtrise foncière à la protection réglementaire en passant par la protection contractuelle.

Les régimes de protection de ces espaces sont en effet nombreux. Il convient néanmoins de noter qu'ils n'assurent pas tous le même niveau de protection et surtout n'emportent pas tous les mêmes conséquences ni ne donnent lieu aux mêmes contraintes réglementaires .

Certains espaces sont ainsi protégés au titre d'un texte international ou européen . C'est le cas par exemple des aires spécialement protégées d'importance méditerranéenne, des réserves de biosphère, des sanctuaires pour les mammifères marins en Méditerranée ou encore des zones humides d'importance internationale (convention Ramsar).

Certains espaces bénéficient d'une protection dite « conventionnelle » , comme les conventions de gestion de sites appartenant à l'État, les sites Natura 2000, les espaces faisant l'objet d'une « Opération grand site » (OGS) ou encore les parcs naturels régionaux.

Certains sites sont directement protégés par voie contractuelle et d'autres, de manière très générale, par voie législative (loi Littoral, loi Montagne par exemple).

La protection par la maîtrise foncière passe notamment par l'acquisition de terrains par préemption, par la politique d'acquisitions du Conservatoire du littoral ou des conservatoires régionaux d'espaces naturels, ou encore par les espaces naturels sensibles des départements.

Le Conservatoire du littoral établit par exemple des plans de gestion , en concertation avec le gestionnaire et les communes concernées, qui peuvent comporter des recommandations visant à restreindre l'accès du public et les usages des immeubles du site.

Enfin, certains sites bénéficient d'une protection réglementaire qui peut prendre des formes diverses. Les préfets peuvent ainsi prendre des arrêtés de protection de biotope (APB) pour protéger des habitats naturels. Les parcs nationaux, les parcs naturels marins, les réserves naturelles régionales et nationales ou encore les sites classés et les sites inscrits constituent également des exemples de protections réglementaires plus ou moins fortes dont peuvent bénéficier certains espaces.

Dans le coeur des parcs nationaux, le directeur de l'établissement public exerce les compétences attribuées au maire en matière de police de la circulation et du stationnement hors agglomération, la police des chemins ruraux, la police des cours d'eau, la police de destruction des animaux d'espèces non domestiques, la police des chiens et chats errants. La charte du parc, validée par décret en Conseil d'État après consultation de l'ensemble des acteurs du territoire, contribue également à la régulation de la fréquentation.

Pour les réserves naturelles nationales , l'acte de classement en réserve peut fermer et réglementer l'accès ou définir un zonage plus restrictif. Il peut également réglementer les activités, les manifestations sportives, etc. C'est également le cas pour les réserves naturelles régionales .

En revanche, dans les sites classés (article L. 341-2 du code de l'environnement), le classement du site ne permet pas de gérer les usages ou les comportements inadaptés.

Exemples d'outils de régulation de « l'hyper-fréquentation » touristique mis en oeuvre à l'étranger

Une des limites de la comparaison avec des pays étrangers consiste en une différence fondamentale de l'approche de l'accès aux espaces naturels publics : le principe de la gratuité de cet accès est très fort en France tandis que dans de nombreux pays, notamment dans les pays anglo-saxons, cet accès est souvent soumis à redevance, via l'acquittement d'un droit d'entrée dans les parcs nationaux.

Il est néanmoins intéressant de se rendre compte que cette problématique des impacts de la sur-fréquentation touristique sur l'environnement n'est pas spécifique à la France mais touche un très grand nombre de sites internationaux.

Quelques exemples peuvent de ce point de vue être éclairants :

- en Islande, le canyon de Fjaorargljufur a été interdit aux touristes jusqu'au 1 er juin 2019 par l'Agence islandaise pour l'environnement : après avoir été rendu célèbre par un clip musical du chanteur Justin Bieber, la fréquentation touristique de ce site a augmenté de 50 % à 80 % par an depuis 2016, ce qui a conduit, avec les conditions climatiques, à endommager sérieusement la végétation du fait des visiteurs marchant hors des sentiers trop boueux ;

- à partir de janvier 2020, l'île de Komodo au sein du parc national de Komodo en Indonésie va être fermée aux touristes pour une durée d'un an afin de protéger les varans, espèce considérée comme « vulnérable » et classée sur la liste rouge des espèces menacées de l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) ;

- les États-Unis pratiquent une politique d'accès payant aux parcs nationaux et de délivrance de permis pour dormir ou pratiquer des activités sportives au sein des sites et au Canada, le lac O'Hara par exemple fait l'objet de quotas d'accès journaliers et une politique de tirage au sort pour les places en refuge sur place a été mise en place ;

- la ville de Dubrovnik , en Croatie, a fixé un quota maximum de 4 000 visiteurs dans son quartier historique, dont l'accès est contrôlé par un système de vidéo-surveillance ;

- à Venise , où on compte 55 000 Vénitiens pour 30 millions de touristes chaque année, les bateaux de croisière sont interdits dans le centre depuis 2019 et un droit d'entrée a été institué pour les visiteurs qui veulent visiter la ville depuis le 1 er septembre 2019 (les recettes iront au financement du nettoyage du centre historique) ;

- la plage de Maya Bay en Thaïlande , rendue célèbre et « hyper-fréquentée » à la suite du film La Plage, a été fermée par les autorités nationales jusqu'en 2021 pour permettre aux récifs coralliens de se reformer.

b) Les polices spéciales de la nature

Il existe un grand nombre de polices spéciales de la nature visant à assurer la préservation des espaces naturels et des espèces de la faune et de la flore sauvages . On distingue une police administrative à but préventif 3 ( * ) (édiction de réglementations générale, territoriale ou individuelles préventives mais aussi sanctions administratives en cas de non-respect des réglementations), le plus souvent exercée sous l'autorité du préfet de département (ou de région) - et au niveau territorial via les services déconcentrés de l'État -, et une police judiciaire répressive dont les modalités d'intervention dépendent de la qualité des sanctions pénales encourues.

c) La taxe « Barnier » sur les passagers maritimes pour les espaces naturels protégés

La loi du 2 février 1995 relative au renforcement de la protection de l'environnement a instauré une taxe destinée à faire participer les passagers de transport public maritime à la protection d'espaces protégés, qu'ils débarquent ou non sur l'espace protégé (article 285 quater du code des douanes et article L. 321-12 du code de l'environnement).

L'objectif était de créer des ressources nouvelles pour les gestionnaires d'espaces naturels protégés accessibles par la mer et « hyper-fréquentés » pour diminuer les pressions exercées sur les milieux via des aménagements adaptés, réhabiliter les zones dégradées et améliorer les conditions d'accueil des visiteurs.

2. Les outils de gestion concertée et d'aménagement du territoire

La plupart des acteurs entendus par le rapporteur ont mis en avant l'importance des solutions d'aménagement du territoire , concertées au niveau local, pour remédier aux problèmes liés à la sur-fréquentation des sites et espaces naturels.

La mise en oeuvre d'une politique touristique et de gestion des espaces naturels globale et cohérente permet généralement de remédier à ces difficultés. Les actions mises en oeuvre dans ce cadre sont nombreuses : diversifier les offres, démultiplier les points d'attraits, développer la politique de mobilité, utiliser le levier des aménagements de parkings, etc...

Le village des Baux-de-Provence constitue un exemple de développement des moyens permettant d'étaler la saison touristique sur la plus longue période possible : le maire a ainsi favorisé les animations extra-estivales, les randonnées et les circuits d'observation des oiseaux, mais aussi une politique de réinstallation de la population dans le vieux village.

L'exemple de Saint-Guilhem-le-Désert montre également comment l'aménagement du territoire est un outil essentiel pour gérer la sur-fréquentation en déviant notamment l'afflux de visiteurs sur plusieurs sites d'intérêt.

De la même manière à Étretat , comme l'a exposé au rapporteur la présidente du Grand site Falaises d'Étretat, le réseau des Grands sites de France a permis de mettre autour de la table tous les acteurs concernés afin de trouver des solutions permettant de préserver le site du phénomène de « l'hyper-fréquentation » (recul des parkings en dehors de la ville, mobilités douces, mise en place d'une déviation, etc...).

Enfin, des initiatives de la société civile ou émanant d'autres acteurs comme les associations de protection de l'environnement commencent à émerger. L'association WWF a ainsi lancé pendant l'été 2019, un dispositif de géolocalisation numérique unique « I protect nature » pour protéger les sites naturels les plus attractifs sur les réseaux sociaux, ce système permettant d'assigner une localisation fictive (renvoyant systématiquement au siège de l'association) aux photos des sites préservés diffusées par les utilisateurs sur Instagram, afin de préserver les sites naturels et ne pas mettre en péril la biodiversité.

3. Les limites de ces outils

Il n'existe pas de régime général d'accès aux espaces naturels et aux sites bénéficiant d'un régime de protection en raison de leur dimension esthétique, écologique ou culturelle ni de circulation en leur sein. L'existence ou non d'une réglementation dépend de chaque type de régime.

En outre, ces réglementations ne prévoient pas toutes de réglementer les usages : c'est notamment le cas de la réglementation relative aux sites classés .

À titre d'exemple, les imprudences et les comportements inadaptés qui ont eu lieu dans le Massif du Mont-Blanc au cours de l'été 2019 4 ( * ) ont ainsi donné lieu à deux « réponses » : un arrêté préfectoral du 31 mai 2019 visant à réguler l'accès sur la voie normale (mais fondé sur les conditions de sécurité) et une campagne de communication.

Aux abords des espaces protégés , les limites de ces outils peuvent également se faire sentir. Ainsi, au sein du parc national de Port-Cros, le cas de l'île de Porquerolles est significatif. Cette île, située sur le territoire de la commune de Hyères, comprend un village (site classé) situé en zone d'adhésion du parc national. Le port et le village n'étant pas en coeur de parc, il n'existe pas à ce jour de réglementation possible par le parc national pour les points d'accès à l'île.


* 3 Cf. rapport du CGEDD d'octobre 2018 intitulé « Exercice de la police de l'eau et de la nature dans les services déconcentrés et les opérateurs de l'État ».

* 4 Abandon d'un rameur au sommet du Mont-Blanc, présence de faux guides, refuges surchargés.

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