N° 110

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2019-2020

Enregistré à la Présidence du Sénat le 13 novembre 2019

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable (1) sur la proposition de loi portant diverses mesures tendant à réguler « l' hyper-fréquentation » dans les sites naturels et culturels patrimoniaux ,

Par M. Jérôme BIGNON,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Hervé Maurey , président ; M. Claude Bérit-Débat, Mme Pascale Bories, MM. Patrick Chaize, Ronan Dantec, Alain Fouché, Guillaume Gontard, Didier Mandelli, Frédéric Marchand, Mme Nelly Tocqueville, M. Michel Vaspart , vice-présidents ; Mmes Nicole Bonnefoy, Marta de Cidrac, MM. Jean-François Longeot, Cyril Pellevat , secrétaires ; Mme Éliane Assassi, MM. Jérôme Bignon, Joël Bigot, Jean-Marc Boyer, Mme Françoise Cartron, MM. Guillaume Chevrollier, Jean-Pierre Corbisez, Michel Dagbert, Michel Dennemont, Mme Martine Filleul, MM. Hervé Gillé, Jordi Ginesta, Éric Gold, Mme Christine Herzog, MM. Jean-Michel Houllegatte, Benoît Huré, Olivier Jacquin, Mme Christine Lanfranchi Dorgal, MM. Olivier Léonhardt, Jean-Claude Luche, Pascal Martin, Pierre Médevielle, Louis-Jean de Nicolaÿ, Jean-Jacques Panunzi, Philippe Pemezec, Mme Évelyne Perrot, M. Rémy Pointereau, Mme Angèle Préville, MM. Jean-Paul Prince, Christophe Priou, Mmes Françoise Ramond, Esther Sittler, Nadia Sollogoub, Michèle Vullien .

Voir les numéros :

Sénat :

689 (2018-2019) et 111 (2019-2020)

LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION

« Le moment est venu de nouer avec la nature un lien nouveau, un lien de respect et d'harmonie, et donc d'apprendre à maîtriser la puissance et les appétits de l'homme. » (Jacques Chirac - discours de Johannesburg - 2 septembre 2002).

I. LES ESPACES NATURELS ET LES SITES CULTURELS PATRIMONIAUX À L'ÉPREUVE DE LA SUR-FRÉQUENTATION

A. « L'HYPER-FRÉQUENTATION » TOURISTIQUE : UN PHÉNOMÈNE EN MUTATION

Au pic de la saison touristique au mois d'août, ce sont près de 7 000 touristes par jour qui se pressent sur les 7 kilomètres de long et 3 kilomètres de large de la petite île de Porquerolles, dans le Var, un des deux « coeurs » du parc national 1 ( * ) .

Ce chiffre n'est qu'un exemple parmi tant d'autres, de plus en plus relayés par la presse nationale et internationale, du phénomène « d'hyper-fréquentation » des sites et espaces naturels et culturels . 800 000 visiteurs par an dans les gorges du Verdon, 16 000 touristes par jour l'été sur la dune du Pilat en Gironde, site classé au titre de la loi de 1930 et faisant l'objet d'une « Opération Grand site », 49 navires commerciaux faisant des navettes sur la zone de la réserve de Scandola en Corse, plus de 300 personnes par jour pour l'ascension du Mont-Blanc en haute saison, jusqu'à 30 000 touristes par jour sur le Mont-Saint-Michel au moment des pics de fréquentation au mois d'août, autant d'exemples qui parlent de ce phénomène de « saturation » d'un certain nombre d'espaces protégés.

Si cette notion pose la question de sa définition - à partir de quel seuil parle-t-on d'un site « hyper-fréquenté » ? - il est néanmoins admis que la sur-fréquentation d'un site correspond au dépassement du seuil de sa capacité d'accueil . Pour un espace intérieur clos comme un musée, ce seuil est plus facile à établir que pour les espaces naturels, au sujet desquels tous les acteurs n'ont pas la même approche. Il est néanmoins intéressant de constater que le Conservatoire du littoral considère qu'un site est très fréquenté à partir du million de visiteurs par an (certains sites dépassant même les deux millions).

Cette évolution a donné naissance depuis quelques années au concept de « sur-tourisme » pour désigner le phénomène de saturation des sites touristiques par un nombre croissant de visiteurs.

Ces chiffres reflètent une tendance mondiale à l'explosion du tourisme : le baromètre de l'Organisation mondiale du tourisme (OMT) évalue à 1,4 milliard le nombre de touristes internationaux ayant voyagé en 2018 , soit une augmentation de plus de 5 % en un an. Ce chiffre pourrait avoisiner les 1,8 milliard d'ici 2030. En France, 89,3 millions de touristes internationaux ont visité le pays en 2018 , le classant en tête des pays les plus visités au monde (en hausse de 3 % par rapport à 2017).

La fréquentation dans les espaces protégés français

On compte 8,5 millions de visiteurs par an dans les parcs nationaux :

- parc national des Cévennes : 2 millions de visiteurs / an ;

- parc national des Calanques : 1,7 million de visiteurs / an ;

- parc national de Port-Cros : 1,6 million de visiteurs / an pour une surface totale de 4 621 hectares ;

- parc national des Pyrénées : 1,5 million de visiteurs / an ;

- parc national de la Vanoise : 720 000 visiteurs / an ;

- parc national des Écrins : 700 000 visiteurs / an ;

- parc national de La Réunion : 670 000 visiteurs / an ;

- parc national de la Guadeloupe : 650 000 visiteurs / an ;

- parc national du Mercantour : 600 000 visiteurs / an ;

- parc amazonien de Guyane : 3 5000 visiteurs / an.

La fréquentation de ces parcs a connu une augmentation de 42 % par rapport à 2011 (6 millions de visiteurs). Entre 2006 et 2011, elle avait déjà augmenté de 5 %.

On recense 10 millions de visiteurs par an dans les 349 réserves naturelles , dont 1,5 million pour la seule réserve naturelle nationale des Gorges de l'Ardèche sur une surface de 1 950 hectares.

On compte 42 millions de visiteurs pour les territoires en démarche « Grand site de France » , dont deux connaissent une fréquentation annuelle de plus de 2 millions de visiteurs (Bonifacio et le massif de l'Esterel). Certains de ces territoires « Grands Sites » sont marqués par une évolution particulièrement forte de leur fréquentation : la pointe du Raz est ainsi passée de 300 000 visiteurs en 1970 à un million en 2019, la dune du Pilat est passée de 150 000 visiteurs il y a 35 ans à 1,2 million en 2019.

Le site du Mont-Saint-Michel , classé au patrimoine mondial de l'Unesco, accueille 2,3 millions de visiteurs par an.

On compte 40 millions de visiteurs par an pour les terrains du Conservatoire du littoral (dont plus de 3 millions pour le bassin d'Arcachon).

Dans les sites gérés par les conservatoires d'espaces naturels , les éco-compteurs relèvent chaque année plus de 6 millions de visiteurs sur les 170 000 hectares concernés.

Source : informations transmises par le ministère de la transition écologique et solidaire

Bien que l'attractivité des espaces naturels et des sites présentant un intérêt culturel et patrimonial soit un objectif des politiques publiques mises en oeuvre tant au niveau national qu'à l'échelon territorial ce phénomène « d'hyper-fréquentation » , davantage tourné vers la « consommation » que vers l'intérêt culturel des sites , connaît aujourd'hui de vraies mutations .

Le maire de Saint-Gervais-les-Bains, entendu par le rapporteur, a résumé cette évolution du tourisme en mettant en avant ce qu'il appelle le « phénomène de l'unique venue » . Pour lui, nous sommes passés « d'une génération d'amoureux de la nature ou des vieilles pierres à des gens qui viennent consommer ou se faire voir » , déplorant ainsi la fin d'une « culture de l'endroit » , à l'instar de la « culture montagnarde » qui a longtemps prévalu parmi les visiteurs du Mont-Blanc.

Ce phénomène est en outre accentué par la culture intrinsèque à la société d'images , qui valorise les clichés diffusés sur les réseaux sociaux comme « Instagram » de sites où l'on se « géolocalise », incitant ainsi des milliers de personnes connectées à s'y rendre, mais dans lesquels on n'a pas pour autant vocation à revenir. La multiplication des « événements » privés dans les espaces naturels les plus sauvages (sportifs comme les trails 2 ( * ) ) met également les gestionnaires de sites face à des afflux de fréquentation d'un type nouveau , qu'ils ne sont pas toujours en mesure d'anticiper ou de gérer et dont les impacts peuvent être importants.

À ces nouvelles formes de tourisme sont en effet associés de nouveaux comportements, qui peuvent parfois poser des difficultés au regard de la préservation des sites.


* 1 D'après les informations transmises par le directeur du parc national, l'augmentation de la fréquentation touristique pour l'île de Porquerolles.

* 2 Le trail (de l'anglais trail-running ) est un sport de course à pied sur longue distance en milieu naturel (chemins de terre, montagne, etc.) et généralement dans des conditions « extrêmes ».

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