LES MODIFICATIONS APPORTÉES
PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE

L'Assemblée nationale a adopté, sans modification, les crédits de la mission « Engagements financiers de l'État ».

En seconde délibération, l'Assemblée nationale a adopté un amendement du Gouvernement n° II-24 minorant de 1,5 million d'euros en autorisations d'engagements et en crédits de paiement les crédits du programme « Épargne » de la mission « Engagements financiers de l'État ».

EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 23 octobre 2019, sous la présidence de M. Vincent Éblé , président, la commission a examiné le rapport de Mme Nathalie Goulet, rapporteur spécial, sur la mission « Engagements financiers de l'État », le compte d'affectation spéciale « Participation de la France au désendettement de la Grèce » et les comptes de concours financiers « Avances à divers services de l'État ou organismes gérant des services publics » et « Accords monétaires internationaux ».

Mme Nathalie Goulet , rapporteur spécial des crédits de la mission « Engagements financiers de l'État » . - Après l'action extérieure de l'État, nous passons maintenant à l'examen de la mission « Engagements financiers de l'État » et des comptes spéciaux qui lui sont associés. C'est une mission sur laquelle il nous est difficile d'agir : 99 % de ses crédits sont en effet consacrés à la charge de la dette et de la trésorerie de l'État. Ces crédits ne sont pas limitatifs, mais évaluatifs, car l'État doit toujours avoir les moyens d'honorer ses obligations.

La mission « Engagements financiers de l'État » constitue néanmoins, hors remboursements et dégrèvements, la troisième mission du budget général. Certes, les plus optimistes remarqueront que la charge de la dette diminue, mais ce n'est pas grâce à des efforts de bonne gestion, c'est simplement l'effet de la faiblesse des taux ! Elle devrait ainsi passer, hors trésorerie, de 39,3 milliards d'euros en 2019 à 37 milliards d'euros en 2020, soit une baisse de 5,9 %. Pourtant, l'encours de notre dette négociable lui, ne faiblit pas, et devrait connaître une nouvelle hausse de 4,5 % entre 2019 et 2020, pour atteindre 1 916 milliards d'euros : c'est considérable ! La dette publique devrait ainsi représenter 98,7 % du PIB à la fin de l'année 2020, contre 98,8 % à la fin de l'année 2019. Cette stabilisation nous éloigne encore un peu plus de nos partenaires européens, et en particulier de l'Allemagne, dont le niveau de dette sur PIB à la fin de l'année 2020, 56,5 % du PIB, devrait être de 40 points inférieurs au nôtre.

Ne nous laissons pas abuser par la trajectoire flatteuse de la charge de la dette : la baisse constatée ne provient pas de quelconques efforts du Gouvernement, incapable de tenir ses promesses en matière de dépenses publiques, mais de facteurs exogènes favorables. Le contexte des taux d'intérêt bas explique ainsi à lui seul l'écart constaté entre 2019 et 2020.

En tenant compte de la révision à la baisse opérée pour l'année 2019, le besoin de financement de l'État devrait augmenter de 2,22 % en 2020 pour atteindre 230,5 milliards d'euros, un triste record. Le déficit budgétaire diminuant entre 2019 et 2020, tout comme son poids dans le besoin de financement de l'État, cette hausse s'explique principalement par la nécessité de rembourser les intérêts de notre dette passée. Pour couvrir ce besoin de financement, l'État recourra à 89 % à des émissions de titres à moyen et long termes, à hauteur de 205 milliards d'euros. C'est un record ! Si les compétences de l'Agence France Trésor ne font pas de doute, elle devra mettre à profit toute son expertise pour assurer ces émissions de titres dans les conditions les moins onéreuses et les plus sûres possible.

De manière surprenante, la charge de la dette semble être aujourd'hui, pour reprendre les termes des personnes auditionnées, « passée de mode ». Ce serait le premier symptôme de l'effet anesthésiant de ce contexte de taux extrêmement favorables. Certains économistes estiment que nous ne devrions pas nous inquiéter et profiter des taux faibles pour financer nos investissements et nos réformes structurelles. L'Agence France Trésor est plus prudente et, pour ma part, je crains que nous ne subissions un choc de taux, avec un réveil douloureux !

Là encore, les plus confiants nous diront que plusieurs indicateurs sont « au vert » : les taux d'intérêt poursuivent leur baisse, les investisseurs conçoivent toujours la dette française comme une valeur refuge - le Japon en détient beaucoup -, le taux d'adjudication des émissions françaises est très élevé et les agences de notation apprécient positivement la qualité de crédit de la France. À cet égard, il semblerait que la crise des « gilets jaunes » n'ait eu aucun impact sur la notation de la France, les agences ayant considéré que nos structures administratives et gouvernementales étaient suffisamment solides.

On nous accuse souvent de jouer les Cassandre quand nous alertons sur un risque de remontée des taux. J'appelle aussi à la vigilance sur les engagements hors bilan de l'État, qui atteignent 4 000 milliards d'euros. Certes, la Cour des comptes considère qu'ils sont désormais plus transparents et mieux retranscrits, mais il reste encore des inconnues, comme sur le calcul des retraites des fonctionnaires. La Cour des comptes a également déploré que ne figurent dans ce montant ni les engagements découlant de la mise en jeu de la responsabilité de l'État, par nature difficiles à chiffrer, ni l'engagement implicite de l'État, sous forme de caution, en faveur de Bpifrance en cas de faillite de sa filiale, Bpifrance Financement.

Au vu de l'ensemble de ces risques et du poids de la charge de la dette dans notre PIB, j'estime que nous ne disposons pas encore de toutes les données qui pourraient nous être utiles pour apprécier correctement la situation de nos finances publiques. Nous pourrions utilement bénéficier d'informations et de modélisations supplémentaires.

À titre d'exemple, le programme 117 ne reflète pas l'ensemble de la charge de la dette que doit gérer chaque année l'Agence France Trésor. En effet, si le tableau de financement de l'État contient une ligne relative aux dettes reprises, le montant inscrit dans le PLF pour 2020 ne comprend pas la charge de la dette reprise de SNCF Réseau, retracée dans le programme « Charge de la dette de SNCF Réseau reprise par l'État » de la mission « Écologie, développement et mobilité durables », pour un montant de 408 millions d'euros. Afin que nous bénéficiions d'un éclairage plus complet, je propose d'élargir le mandat du Haut Conseil des finances publiques, fixé par loi organique, à l'appréciation de la trajectoire de la dette publique présentée par le Gouvernement dans les lois de programmation des finances publiques.

S'inspirant des propos tenus par notre collègue Philippe Dallier devant Didier Migaud, j'ai demandé à chacune des personnes auditionnées si elle était en mesure de fournir des simulations sur le coût de la dette pour chaque citoyen. Chacun nous a renvoyé vers un interlocuteur différent : les agences de notation vers l'Agence France Trésor, cette dernière vers le Gouvernement. Notre commission pourrait utilement commander une étude sur cette question.

Je voudrais enfin vous alerter sur deux points.

Le programme « Épargne » de la mission « Engagements financiers de l'État » porte l'ensemble des dépenses fiscales attachées à la mission. Ces vingt-neuf dépenses fiscales visent principalement à encourager les placements dans divers produits d'épargne, des assurances vie aux plans d'épargne retraite, ainsi qu'à exonérer d'impôt sur le revenu les produits des livrets réglementés dont une partie de l'encours est fléché vers le logement social, tels que les livrets A et les livrets de développement durable et solidaire. Là encore, j'estime que nous ne disposons pas d'informations suffisamment fiables et détaillées. Alors que le chiffrage total pour 2020 est estimé à 4,37 milliards d'euros, onze des vingt-neuf dépenses fiscales ne sont pas chiffrées, neuf seulement ont une estimation jugée bonne ou très bonne et vingt-six ne sont pas bornées dans le temps. Cela fait beaucoup d'imprécisions ! Alors que la réduction des dépenses fiscales est un objectif porté conjointement par le Parlement et le Gouvernement, il serait grand temps que nous bénéficiions d'une évaluation plus fiable. Ce thème pourrait également faire l'objet d'un contrôle.

Le programme 336 porte la contribution financière de la France au Mécanisme européen de stabilité (MES). Je pense qu'il y a ici un risque d'insincérité budgétaire. En 2017, le MES s'est vu retirer la dérogation lui permettant de ne pas payer les intérêts négatifs sur ses facilités de dépôt placées auprès de l'Eurosystème. Pour que la levée de cette dérogation n'affecte pas le capital du MES, les autorités françaises et allemandes ont pris l'engagement de rétrocéder au MES les intérêts perçus sur les dépôts placés auprès de la Banque de France et de la Bundesbank. Considérant que la rétrocession reste conditionnée à un engagement similaire de l'Allemagne et ne constitue donc pas une dépense certaine, le Gouvernement ne dote pas ce programme. Il s'agit d'un risque non évalué qui pose un problème de sincérité budgétaire. Or, en 2018, le Gouvernement a fait appel au programme « Dépenses accidentelles et non prévisibles » de la mission « Crédits non répartis » pour abonder en cours d'année ce programme, après avoir déjà dû ouvrir des crédits pour 2017. On ne peut plus vraiment parler d'une « dépense accidentelle et non prévisible », car elle résulte d'un accord. Cette dépense doit donc être chiffrée et inscrite dans cette mission. Je ne déposerai pas d'amendement de crédit, mais je compte néanmoins attirer l'attention du Gouvernement sur ce point.

Malgré ces réserves, et compte tenu du caractère contraint de notre exercice, je vous propose d'adopter ces crédits.

M. Yannick Botrel . - Je tiens à saluer le travail de notre rapporteur spécial. Je partage certaines de ses observations et objections. Il s'agit d'une mission très technique, au sein de laquelle le programme 117 regroupe 99 % des crédits à lui seul. Nous ne doutons pas des capacités des services de l'État à gérer la dette. La baisse de 9 % des crédits du programme reflète celle de la charge de la dette qui est de - 9,3 %.

La diminution des crédits du programme 114 est moindre, de l'ordre de 31 millions d'euros, soit une baisse de 25 %. Deux actions sont plus particulièrement concernées par cette baisse : - 19 % sur le soutien au domaine social, logement et santé et - 30 % pour le développement international de l'économie française. Comment s'expliquent ces dernières évolutions ? S'agit-il d'un recul de l'engagement de l'État ou d'une baisse de la demande ?

La situation actuelle de faiblesse des taux est atypique et nul ne sait combien de temps elle durera. Ne nous laissons pas gagner par une euphorie anesthésiante. Nous avons besoin d'avoir une vision globale de la dette de l'État : quelle en est la structure ? Qui la détient ? Comment son volume a-t-il évolué au cours du temps ?

Le groupe socialiste et républicain s'abstiendra.

M. Jérôme Bascher . - En douze ans, la dette publique est passée de 60 à 98 % du PIB. Si notre dette à dix ans a été contractée aux taux les plus élevés de ces vingt dernières années, c'est en raison d'une crise. Aujourd'hui, nous la refinançons à des taux très bas. Sur les douze dernières années, nous avons donc réussi à diminuer la charge de la dette alors même que le volume global de cette dette augmentait.

En 2019, la charge de la dette a été surestimée de 4 milliards d'euros, ce qui a permis au Gouvernement d'afficher le respect de sa norme de dépenses : c'est un pur effet d'aubaine ! Comment se fait-il que nous n'ayons pas anticipé cet écart de 4 milliards d'euros ? Cela représente pourtant 10 % du programme ! Quelle est votre estimation concernant les taux apparents de la dette en 2020 ?

Mme Sylvie Vermeillet . - Je tiens à féliciter notre rapporteur spécial. Qui détient la dette française ? Le profil des détenteurs a-t-il changé depuis cinq ans ? On constate des oublis et des approximations : la dette de SNCF Réseau a été oubliée, les pensions sont sous-estimées ; n'y a-t-il pas une réserve à apporter sur ce point ?

M. Marc Laménie . - Il s'agit de la troisième mission de l'État. La baisse de la charge de la dette entre 2011 et 2020 nous procure une petite satisfaction. L'Agence France Trésor qui gère notre dette n'a que des moyens humains limités malgré ses responsabilités. La direction générale des finances publiques intervient-elle également ? Combien d'ETP sont-ils concernés par cette mission ?

M. Vincent Delahaye . - La surévaluation de la charge de la dette de 2019 va-t-elle se reproduire en 2020 ? Le Gouvernement s'est-il ménagé des marges de manoeuvre ? Si oui, de combien ? Aujourd'hui, on s'enrichit en s'endettant, c'est une situation très particulière ! La France est-elle endettée à taux fixes ou à taux variables ? La hausse du besoin de financement de l'État s'expliquerait par le besoin de refinancer notre dette passée ; or je pensais que l'encours de notre dette diminuait ... Qui sont les détenteurs de la dette française, hormis les Japonais que vous avez déjà cités ?

Mme Christine Lavarde . - La liste des dépenses fiscales attachées à ce programme budgétaire est longue ; seules trois sont bornées dans le temps, toutes les autres ont une durée de vie infinie. Sont-elles toutes pertinentes ? Certaines d'entre elles ont-elles été examinées par le rapporteur général de la commission des finances de l'Assemblée nationale ?

M. Jean Bizet . - Quel est le montant affecté au MES ? Je ne pense pas qu'il soit très élevé compte tenu du niveau des taux, mais il serait néanmoins intéressant de le connaître.

M. Philippe Adnot . - Seuls les emprunts à taux variable présentent un risque de taux. Je voudrais connaître la structure de la dette et notamment la durée des emprunts français pour évaluer la qualité de notre dette. Quand on s'habitue à consommer à crédit, on subit aussi un risque de taux si ceux-ci remontent fortement.

M. Philippe Dallier . - La dette française a une maturité moyenne de sept ans, elle est contractée sous forme de prêts in fine et à taux variables. Peut-être la commission pourrait-elle commander une étude permettant de modéliser les effets sur les recettes de l'État et la charge de la dette publique d'une crise telle que celle de 2008 ou comparable à la bulle internet des années 2000 ? Ce serait un outil de communication intéressant pour nos concitoyens.

M. Vincent Éblé , président . - Ce serait envisageable. Le Sénat peut recourir à des marchés d'études de manière plus aisée désormais.

M. Vincent Capo-Canellas . - Malgré des taux variables, comment pourrions-nous sécuriser notre dette, en profitant peut-être des taux négatifs ? J'observe que certains budgets annexes comportent de la dette publique : celle-ci est gérée par l'Agence France Trésor, mais s'agit-il des mêmes équipes, avec le même professionnalisme ?

M. Éric Bocquet . - La dette française est mise sur le marché à échéances régulières, via les spécialistes en valeurs du Trésor (SVT) ; mais sur le marché secondaire, on perd la traçabilité des acquéreurs. Existe-t-il des critères éthiques afin d'éviter que notre dette ne se retrouve entre les mains d'organismes peu scrupuleux ?

M. Michel Canévet . - Je partage l'inquiétude de mes collègues sur le niveau de notre dette. Notre rapporteur spécial a souligné la qualité du travail de l'Agence France Trésor. Cette agence conseille-t-elle aussi d'autres organismes comme la SNCF ou EDF ? L'Agence France Trésor est-elle responsable des retards de versement des aides agricoles par l'Agence de services et de paiement (ASP) que l'on constate dans les territoires ruraux ?

Mme Nathalie Goulet , rapporteur spécial . - L'Agence France Trésor se tient à notre disposition pour une audition et pour nous apporter toutes les précisions utiles, notamment sur la structure de la dette. Les informations publiques dont je dispose sur les détenteurs de la dette française seront intégrées à mon rapport : il s'agit à 48 % de résidents et à 52 % de non-résidents, dont environ 73 % d'Européens, 10 % d'Américains et 8 % d'Asiatiques ; la Banque de France publie une étude trimestrielle qui apporte également des éléments d'information. Malheureusement les obligations de confidentialité nous empêchent d'en savoir beaucoup plus.

La baisse du programme 114 s'explique par le caractère exceptionnel de l'année 2019 en matière de sinistres ainsi que par la modification du système d'assurance à l'exportation.

La charge d'intérêts n'est pas dans les normes de dépenses pilotables. L'écart résulte donc de la prudence du Gouvernement quant à ses prévisions. Je vous inviterai très volontiers à mes auditions ainsi qu'à assister à une adjudication de dette. L'Agence France Trésor compte 41 personnes, dont 14 contractuels, pour assurer la gestion de la dette. Le déficit est en baisse en valeur absolue et en valeur relative. Le taux implicite de la dette négociable s'établit à 1,6 %. La durée moyenne de la maturité de la dette française est de 7,7 ans, contre 7,8 ans en moyenne dans l'OCDE. Elle a augmenté de 0,8 an depuis 2013. En 2019, la maturité moyenne des titres émis à moyen et long termes est de dix ans. L'Agence France Trésor ne considère pas qu'allonger la maturité de notre dette soit une priorité, elle préfère garder de la souplesse ; c'est peut-être insatisfaisant, mais je ne dispose pas de moyens suffisants pour remettre en question cette position de l'agence. Pour le MES, 86 millions d'euros étaient prévus en 2017 et 100 millions d'euros en 2018. L'AFT va gérer la dette de SNCF Réseau et elle n'est nullement en cause dans les retards de versement des aides agricoles. Je répondrai aux questions de mon collègue Vincent Delahaye par écrit.

La commission a décidé de proposer au Sénat l'adoption, sans modification, des crédits de la mission « Engagements financiers de l'État», du compte d'affectation spéciale « Participation de la France au désendettement de la Grèce » et des comptes de concours financiers « Avances à divers services de l'État ou organismes gérant des services publics » et « Accords monétaires internationaux ».

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Après avoir pris acte des modifications adoptées par l'Assemblée nationale, la commission a confirmé sa décision de proposer au Sénat d'adopter sans modification les crédits de la mission, du compte d'affectation spéciale et des comptes de concours financiers.

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