II. L'ÉTAT ACTIONNAIRE SOUS TENSION

A. UN COMPTE MARQUÉ PAR LA CONCRÉTISATION DES DISPOSITIONS DE LA LOI « PACTE »

1. La cession de la Française des jeux devrait intervenir d'ici la fin de l'année

L'article 137 de la loi « Pacte » autorise le transfert au secteur privé de la majorité du capital de la Française des jeux , en organisant les conditions de cette privatisation.

Plusieurs étapes ont déjà été franchies :

- l'ordonnance réformant la régulation des jeux d'argent et de hasard a été adoptée le 2 octobre dernier 6 ( * ) , complétée par la suite par la publication des dispositions réglementaires 7 ( * ) , qui précisent le périmètre des droits exclusifs confiés à la Française des jeux et créent une Autorité nationale des jeux à compter du 1 er janvier 2020 ;

- l e projet de loi de ratification de l'ordonnance a été présenté en Conseil des ministres et déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale le 30 octobre - cette étape ayant permis de l'entrée en vigueur du décret décidant le transfert au secteur privé de la majorité du capital de l'entreprise, publié le 31 octobre 8 ( * ) ;

- la nouvelle fiscalité des jeux de loterie et des paris sportifs, introduite par l'article 138 de la loi « Pacte » entrera en vigueur au 1 er janvier 2018, basculant l'assiette des sommes misées par les joueurs au produit brut des jeux, agrégat conduisant à retrancher les gains distribués aux joueurs aux mises perçues par les opérateurs de jeux.

Ces dispositions participent d'un même objectif : couper le cordon historique reliant la Française des jeux à l'État, et plus singulièrement à la direction du budget.

L'Autorité nationale des jeux sera officiellement créée sous le statut d'autorité administrative indépendante au 1 er janvier 2020 , et dotée d'un pouvoir de sanction financière des opérateurs de jeux. Une mission de préfiguration est d'ores et déjà confiée à Isabelle Falque-Pierrotin. Concrètement, l'Autorité nationale des jeux émanera de l'actuelle Autorité de régulation des jeux en ligne (ARJEL).

Elle sera plus particulièrement chargée des missions suivantes :

- autoriser les jeux au cas par cas ;

- approuver les plans des opérateurs en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux et de jeu excessif ;

- réguler la publicité en matière de jeux d'argent et de hasard.

Les casinos ne rentrent pas dans son périmètre - ils relèveront toujours du ministère de l'Intérieur -, à l'exception des aspects de lutte contre le blanchiment d'argent et le jeu excessif.

L'ensemble de ce qui précède permet d'envisager la cession rapide de la majorité du capital de l'entreprise, sans doute d'ici la fin du mois de novembre - le Gouvernement ayant annoncé qu'il conserverait 20 % du capital de l'entreprise. Entretemps, deux étapes doivent encore intervenir :

- l'État va procéder à l'introduction en bourse de 50 % du capital qu'il détient, selon un processus qui doit s'échelonner du 7 au 20 novembre prochains 9 ( * ) et qui doit associer investisseurs particuliers et institutionnels ;

- la commission des transferts et participations doit ensuite se prononcer sur le montant minimal que l'État devra retirer de la cession de ses parts dans l'entreprise.

L'entreprise n'étant pas cotée, il est, à cette date, difficile de prévoir le montant que l'État encaissera. Il ressort des auditions conduites par le rapporteur spécial qu' au moins deux milliards d'euros sont espérés .

En plus du produit de cession, l'État percevra une soulte de 380 millions d'euros de l'entreprise 10 ( * ) , valorisant ainsi l'attribution par voie législative des droits exclusifs pour vingt-cinq ans, alors que ce droit peut actuellement être révoqué à tout instant par arrêté du ministre en charge du budget, sous réserve d'un préavis de six mois.

Par ailleurs, conformément aux exigences du droit de l'Union européenne encadrant l'attribution de droits exclusifs à un opérateur privé sans mise en concurrence préalable, l'État est tenu de conserver un « contrôle étroit » sur la Française des jeux privatisée . Plusieurs éléments doivent concourir à assurer ce contrôle, parmi lesquels :

- l'approbation des statuts de l'entreprise par décret ;

- la présence d'un commissaire du gouvernement au conseil d'administration, doté du pouvoir de s'opposer aux décisions de l'entreprise si elle ne respecte pas le cadre d'exercice des droits exclusifs qui lui sont confiés ;

- le pouvoir d'agrément des dirigeants en gage de leur honorabilité, compétence et expérience nécessaires à l'exercice de leurs fonctions ;

- le respect du cahier des charges et de la convention reliant l'entreprise et l'État pour l'exercice des droits exclusifs ;

- l'autorisation préalable requise pour toute montée au capital supérieure à 10 % d'un nouvel actionnaire.

2. La cession d'Aéroports de Paris est suspendue, au moins jusqu'en mars 2020

La loi « Pacte » organise également le transfert au secteur privé de la société Aéroports de Paris (ADP).

Il est prévu que l'entreprise bénéficie d'un droit exclusif d'exploitation d'une durée de soixante-dix ans, au terme de laquelle les biens d'ADP seront restitués à l'État, ce qui le conduira à indemniser les autres actionnaires de l'entreprise 11 ( * ) . Du point de vue de la régulation, plusieurs évolutions sont apportées, précisant les prérogatives de l'État avec, en particulier :

- un droit de veto sur toute acquisition ou cession d'un bien par l'entreprise qui s'effectuerait sans son accord ;

- la possibilité d'imposer des investissements à l'entreprise ;

- un pouvoir d'opposition à un changement actionnarial de la société ;

- un pouvoir d'agrément des dirigeants de l'entreprise ;

- un contrôle étroit sur les aspects de la vie de l'entreprise dès lors qu'ils concernent ses obligations de service public.

Cette opération a néanmoins été suspendue le 9 mai dernier , lorsque le Conseil constitutionnel a jugé 12 ( * ) que la proposition de loi présentée le 10 avril 2019 et cosignée par 248 députés afin d'affirmer le caractère de service public national de l'exploitation des aéroports de Paris 13 ( * ) était conforme aux conditions fixées par l'article 11 de la Constitution.

S'est ensuite ouverte le 13 juin dernier la procédure de recueil du soutien des électeurs , pour un seuil fixé à 4 717 396 signatures par le Conseil constitutionnel. Ce processus se poursuit pendant neuf mois, jusqu'au 13 mars 2020.

D'ici cette date, le projet de cession d'ADP est suspendu.

Le rapporteur spécial tient à souligner l'absence totale de communication sur la procédure en cours concernant ADP , qui tranche pour le moins avec l'intense campagne de promotion de l'opération de cession de la FDJ.

Dès lors, et compte tenu des soutiens enregistrés, il est probable que le seuil ne sera pas atteint : le 23 octobre dernier, soit à la mi-parcours, les électeurs soutenant la proposition représentent 19 % du nombre requis.

Plusieurs questions devraient alors être tranchées sur la forme de l'opération de cession - par blocs ou à un investisseur unique - et sur le maintien éventuel de l'État au capital de l'entreprise.


* 6 Ordonnance n° 2019-1015 du 2 octobre 2019 réformant la régulation des jeux d'argent et de hasard.

* 7 Décret n° 2019-1061 du 17 octobre 2019 relatif à l'encadrement de l'offre de jeux de La Française des jeux et du Pari mutuel urbain.

* 8 Décret n° 2019-1105 du 30 octobre 2019 décidant le transfert au secteur privé de la majorité du capital de la société anonyme La Française des jeux.

* 9 Dans ce cadre, l'Autorité des marchés financiers (AMF) a approuvé le document d'enregistrement le 17 octobre dernier.

* 10 Sur la base de l'avis conforme du 7 octobre 2019 de la Commission des participations et des transferts ( 2019-AC-1 ) relatif à la contrepartie financière due par la Française des jeux en application de l'article 17 de l'ordonnance du 2 octobre 2019.

* 11 Pour mémoire, l'État détient 50,63 % du capital d'ADP.

* 12 Décision n° 2019-1 Référendum d'initiative partagée.

* 13 Ce qui rendrait, en application du neuvième alinéa du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, impossible la détention majoritaire du capital du groupe ADP par des entités non publiques.

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