C. L'AUGMENTATION DES MOYENS DOIT S'ACCOMPAGNER D'UN RÉÉQUILIBRAGE DE NOTRE AIDE PUBLIQUE AU DÉVELOPPEMENT AU PROFIT DES DONS

1. Pour pallier des années de réduction des moyens budgétaires, la France s'est singularisée dans le recours aux prêts, plutôt qu'aux dons

Vos rapporteurs spéciaux rappellent que l'augmentation des moyens budgétaires de la politique d'aide au développement permet en premier lieu de rattraper des années de baisse des crédits dédiés à cette politique . Ainsi, entre 2010 et 2015, les crédits de paiement de la mission « Aide publique au développement » et les taxes affectées au développement ont été réduits de près de 20 %.

Évolution des crédits de paiement de la mission « Aide publique au développement » et des taxes affectées

(en millions d'euros)

NB : les chiffres 2010 à 2018 correspondent à l'exécution. Les crédits de paiement de la mission sont présentés à périmètre courant. Pour 2016, l'opération de renforcement des fonds propres de l'Agence française de développement est neutralisée.

Source : commission des finances du Sénat, à partir des documents budgétaires

L'équilibre entre le volume respectif des prêts et des dons constitue un élément de pilotage essentiel du « profil » de l'aide publique au développement d'un pays . En effet, les prêts ne peuvent être octroyés qu'à des pays dont la dette apparaît soutenable. Or, par rapport aux autres donneurs, l'aide publique au développement française s'appuie largement sur l'instrument des prêts, qui représentaient, en 2016, 28 % de son aide publique au développement totale, contre 12 % en moyenne pour les pays membres du CAD de l'OCDE, et 45 % de son aide bilatérale 19 ( * ) . A l'inverse, l'aide bilatérale des principaux donneurs, tels que les États-Unis, le Royaume-Uni, la Suède, les Pays-Bas, l'Italie, et le Canada est quasiment exclusivement composée de dons 20 ( * ) .

Composition de l'aide publique au développement de la France

(en millions de dollars)

Source : commission des finances du Sénat, à partir des réponses au questionnaire

Les auditions menées par vos rapporteurs spéciaux ont rappelé que la progression de la part des prêts dans l'APD française par rapport aux autres donneurs s'expliquait par la recherche d'un levier budgétaire permettant de conserver l'influence française en la matière, alors même que les crédits budgétaires mobilisés connaissaient une forte contraction .

2. Ce déséquilibre se traduit par un ciblage biaisé des principaux bénéficiaires de notre APD

Néanmoins, comme le note l'OCDE, « ce modèle l'incite (...) à investir dans les pays à revenu intermédiaire au détriment des pays les moins avancés , et dans des secteurs potentiellement profitables, même s'ils s'appuient sur la croissance des pays bénéficiaires, au détriment des secteurs sociaux » 21 ( * ) .

Par conséquent, l'appétence française pour le recours aux prêts se traduit par un décalage entre les pays listés comme prioritaires par la France 22 ( * ) et les principaux bénéficiaires de son aide publique au développement .

Principaux bénéficiaires de l'aide publique au développement
de la France en 2017

(versements bruts, en % de l'APD totale)

Source : commission des finances du Sénat, à partir des données de l'OCDE

Cette inadéquation entre les principaux bénéficiaires effectifs et la liste des pays prioritaires constitue une anomalie évidente aux yeux de vos rapporteurs spéciaux. L'augmentation des moyens budgétaires de l'aide publique au développement d'ici 2022 devra donc nécessairement permettre d'augmenter l'engagement de la France à destination des pays les plus pauvres. Un meilleur ciblage des bénéficiaires passe par un renforcement de l'aide bilatérale .

Dans cette perspective, le CICID du 8 février 2018 a établi comme objectif que les deux tiers de la hausse cumulée des autorisations d'engagement d'ici à 2022 seraient alloués à l'aide bilatérale, ce qui aurait pour corollaire de faire progresser la part des dons dans l'aide publique au développement bilatérale.

3. Dans cette perspective, le budget pour 2020 n'apporte pas totalement satisfaction

Une fois ces objectifs établis, vos rapporteurs spéciaux constatent avec regret que le budget proposé pour 2020 n'est pas complètement en phase avec le constat précédemment dressé .

D'une part, le budget pour 2020 se caractérise par une forte hausse des autorisations d'engagement au bénéfice des fonds et organisations multilatéraux ( cf. supra ), alors même que le CICID du 8 février 2018 a entériné le principe d'un renforcement de l'aide bilatérale.

D'autre part, il ne permet pas d'amorcer un rééquilibrage de notre aide publique au développement en faveur des dons .

En effet, le budget pour 2020 prévoit une réduction des ressources permettant à l'Agence française de développement d'octroyer des dons, à hauteur de 594 millions d'euros en autorisations d'engagement, et de 35 millions d'euros en crédits de paiement. La capacité de l'agence à faire des dons dans les années à venir marque ainsi un coup d'arrêt, après la hausse de 1 milliard d'euros en autorisations d'engagement en 2019. Vos rapporteurs spéciaux estiment ainsi que la hausse de 2019 apparaît comme étant exceptionnelle et non pérenne au regard des crédits prévus pour 2020.

Ressources permettant à l'Agence française de développement
d'accorder des dons

(en millions d'euros)

LFI 2019

PLF 2020

Évolution (en %)

AE

CP

AE

CP

AE

CP

Don-projet AFD (p. 209)

1512

328

900

290

- 40,5 %

- 11,6 %

Don-ONG (p.209)

98

85

110

104

12,2 %

22,3 %

Aides budgétaires globales (p.110)

60

60

60

60

0 %

0 %

Fonds d'expertise technique et d'échange d'expérience

30

15

30

11

0 %

26,7 %

Autres

102

103

8

91

- 92 %

- 0,12 %

Total

1802

591

1208

556

- 5,9 %

- 5,9 %

Source : commission des finances du Sénat, à partir des données de la direction générale du Trésor

En revanche, la capacité de l'agence à octroyer des prêts continue de progresser puisque les crédits de bonifications des prêts aux États étrangers (programme 110) progressent de 148 millions d'euros en autorisations d'engagement (+ 15 %), et de 2 millions d'euros en crédits de paiement (+ 1 %).

Certes, la progression du volume de prêts peut être justifiée à plusieurs égards. Comme l'a indiqué la direction générale du Trésor à vos rapporteurs spéciaux, la hausse des crédits de bonifications peut se traduire par une meilleure bonification pour les bénéficiaires , et une stabilisation du volume de prêts total. Par ailleurs, la progression de ces crédits anticipe une éventuelle remontée des taux d'intérêt à compter de 2020, qui se traduirait par un recours accru aux crédits de bonifications des prêts pour maintenir les conditions de prêt très favorables par rapport au taux de marché.

En outre, il serait erroné d'analyser la capacité de l'AFD à accorder des dons à l'aune uniquement des crédits alloués aux dons-projets, car dans le même temps, le projet de loi de finances pour 2020 prévoit une augmentation de 19 millions d'euros des crédits de paiement dédiés aux dons à destination des ONG .

Toutefois, les auditions conduites par vos rapporteurs spéciaux ont témoigné d'une volonté de flécher une partie des dons réalisés par l'AFD vers les réseaux consulaires et diplomatiques . Cette perspective a été confirmée par le ministre de l'Europe et des affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, lors de son audition devant la commission des affaires étrangères du Sénat. Ainsi, il a confirmé que « nous procéderons en 2020 à un rééquilibrage des grands thèmes, des acteurs, des bénéficiaires et des instruments de notre APD pour rendre notre action de solidarité plus cohérente avec nos priorités politiques : d'une part, à travers un effort conséquent en faveur des organisations internationales et des ONG ; d'autre part, grâce au recours privilégié aux instruments directement disponibles pour le réseau diplomatique , avec une augmentation de l'aide humanitaire et des Fonds de solidarité pour les projets innovants (FSPI), qui sont à la main des ambassadeurs » 23 ( * ) .

Ainsi, les crédits alloués aux fonds de solidarité pour les projets innovants (FSPI) ont été augmenté de 36 millions d'euros , pour atteindre une enveloppe totale de 60 millions d'euros , soit une multiplication par près de 2,5 . La revalorisation de cet instrument budgétaire est justifiée par le Gouvernement par le fait que le processus de décision étant simplifié, le décaissement des crédits intervient plus rapidement que lorsque le projet est instruit par l'AFD, en raison de critères moins exigeants à satisfaire.

À travers cet arbitrage, il apparaît à vos rapporteurs spéciaux que le Gouvernement a souhaité revaloriser le rôle des ambassades dans le soutien au développement local, au détriment de celui de l'AFD . Alors que la réforme des réseaux de l'État à l'étranger, initiée en 2018, doit se traduire par une contraction des agents à l'étranger, hors AFD, de 5 % environ, vos rapporteurs spéciaux s'interrogent sur la pertinence de ce choix, dans la mesure où il constitue une charge supplémentaire pour les réseaux consulaires et diplomatiques .

Le fléchage d'une partie de ces crédits vers les services de coopération et d'action culturelle (SCAC) des ambassades n'explique toutefois qu'une partie de la réduction totale de la capacité de l'AFD à réaliser des dons. Les auditions menées par vos rapporteurs spéciaux ont fait état d'une volonté du Gouvernement de ralentir le rythme de croissance des engagements de l'AFD , afin de sécuriser sa capacité à absorber la hausse inédite des moyens budgétaires mis à sa disposition ( cf. infra ). Vos rapporteurs spéciaux estiment toutefois que les leçons de l'augmentation exceptionnelle du versement du milliard d'euros supplémentaire de dons à engager en 2019 ne pourront être tirées que d'ici quelques années, lors du décaissement de ces crédits.

En revanche, ils saluent la progression des crédits dédiés à l'aide humanitaire en 2020, ce qui leur paraît constituer une étape importante pour recentrer le bénéfice de notre aide publique au développement vers les bénéficiaires qui en ont le plus besoin . L'enveloppe dédiée à l'aide humanitaire passe ainsi de 100 millions d'euros à 155 millions d'euros , dont 14 millions d'euros dédiés la gestion des conflits et des sorties de crises, 80,7 millions d'euros alloués au fonds d'urgence humanitaire, et 60 millions d'euros pour l'aide alimentaire.


* 19 Examens de l'OCDE sur la coopération pour le développement : France 2018, p. 53.

* 20 D'après les réponses au questionnaire.

* 21 Examens de l'OCDE sur la coopération pour le développement : France 2018, p. 53.

* 22 Le CICID du 8 février 2018 a déterminé la liste suivante des pays prioritaires : Bénin, Burkina Faso, Burundi, Comores, Djibouti, Éthiopie, Gambie, Guinée, Haïti, Liberia, Madagascar, Mali, Mauritanie, Niger, République centrafricaine, République démocratique du Congo, Sénégal, Tchad et Togo.

* 23 Compte-rendu de l'audition du 22 octobre 2019.

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