Rapport général n° 140 (2019-2020) de MM. Yvon COLLIN et Jean-Claude REQUIER , fait au nom de la commission des finances, déposé le 21 novembre 2019

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N° 140

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2019-2020

Enregistré à la Présidence du Sénat le 21 novembre 2019

RAPPORT GÉNÉRAL

FAIT

au nom de la commission des finances (1) sur le projet de loi de finances , adopté par l'Assemblée nationale, pour 2020 ,

Par M. Albéric de MONTGOLFIER,

Rapporteur général,

Sénateur

TOME III

LES MOYENS DES POLITIQUES PUBLIQUES ET LES DISPOSITIONS SPÉCIALES

(seconde partie de la loi de finances)

ANNEXE N° 4

AIDE PUBLIQUE AU DÉVELOPPEMENT

COMPTE DE CONCOURS FINANCIERS : PRÊTS À DES ÉTATS ÉTRANGERS

Rapporteurs spéciaux : MM. Yvon COLLIN et Jean-Claude REQUIER

(1) Cette commission est composée de : M. Vincent Éblé , président ; M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général ; MM. Éric Bocquet, Emmanuel Capus, Yvon Collin, Bernard Delcros, Philippe Dominati, Charles Guené, Jean-François Husson, Mme Christine Lavarde, MM. Georges Patient, Claude Raynal , vice-présidents ; M. Thierry Carcenac, Mme Nathalie Goulet, MM. Alain Joyandet, Marc Laménie , secrétaires ; MM. Philippe Adnot, Julien Bargeton, Jérôme Bascher, Arnaud Bazin, Jean Bizet, Yannick Botrel, Michel Canevet, Vincent Capo-Canellas, Philippe Dallier, Vincent Delahaye, Mme Frédérique Espagnac, MM. Rémi Féraud, Jean-Marc Gabouty, Jacques Genest, Alain Houpert, Éric Jeansannetas, Patrice Joly, Roger Karoutchi, Bernard Lalande, Nuihau Laurey, Antoine Lefèvre, Dominique de Legge, Gérard Longuet, Victorin Lurel, Sébastien Meurant, Claude Nougein, Didier Rambaud, Jean-François Rapin, Jean-Claude Requier, Pascal Savoldelli, Mmes Sophie Taillé-Polian, Sylvie Vermeillet, M. Jean Pierre Vogel .

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 15 ème législ.) : 2272 , 2291 , 2292 , 2298 , 2301 à 2306 , 2365 , 2368 et T.A. 348

Sénat : 139 et 140 à 146 (2019-2020)

LES PRINCIPALES OBSERVATIONS
DES RAPPORTEURS SPÉCIAUX

1. L'exercice 2020 se traduit par la poursuite de l'augmentation des moyens budgétaires dédiés à la politique d'aide au développement , conformément à l'objectif fixé par le président de la République d'atteindre une aide publique au développement représentant 0,55 % de notre revenu national brut (RNB) en 2022 . Ainsi, les autorisations d'engagement (AE) pour la mission « Aide publique au développement » s'élèvent à 7,3 milliards d'euros en 2020 , soit une hausse de 62,6 % . Les crédits de paiement augmentent aussi, mais dans une moindre mesure, puisqu'ils s'établissent à 3,3 milliards d'euros , soit une hausse de 6,7 % par rapport à 2019.

2. Vos rapporteurs spéciaux saluent la poursuite de la hausse substantielle des moyens dédiés à l'aide publique au développement, politique indispensable pour la préservation des biens publics mondiaux, et concourant à l'influence de la France à l'étranger.

3. La forte hausse des autorisations d'engagement résulte néanmoins de la reconstitution des ressources des fonds et organisations multilatéraux qui suivent un rythme triennal . La France augmente toutefois sa contribution, notamment en doublant sa contribution au fonds vert pour le climat pour la période 2019-2023, en l'établissant à 1,5 milliard d'euros, et accroît sa participation à l'Association internationale de développement (AID), en contrepartie d'un renforcement de l'engagement de celle-ci au Sahel.

4. La France est toujours distancée par l'Allemagne et le Royaume-Uni en matière d'aide publique au développement . En 2018, le ratio de son aide publique nette par rapport à son RNB reste à 0,43 % , ce qui constitue néanmoins un progrès notable par rapport au ratio de 2016, fixé à 0,38 %. La trajectoire fixée par le Comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID) fixée en février 2019 prévoit toutefois que l'aide publique au développement de la France atteigne 0,47 % de notre RNB fin 2020 , ce qui constituerait un accroissement majeur. Pour mémoire, les crédits de la mission « Aide publique au développement » et du compte de concours financiers « Prêts à des États étrangers » ne regroupent que 40 % de l'aide publique au développement de la France, mais constituent le principal levier budgétaire pilotable.

6. Après des années de réduction des moyens budgétaires de l'aide publique au développement, la France a développé une « préférence » pour le recours aux prêts, au détriment des dons et contrairement à la tendance observée chez les principaux donneurs. Or, cette distorsion en faveur des prêts entraîne un déséquilibre dans l'allocation de notre aide publique au développement. Ainsi, les principaux bénéficiaires de notre aide ne sont pas les pays prioritaires définis par le Gouvernement. L'augmentation des moyens de notre aide publique au développement devra se traduire par un rééquilibrage en faveur des dons, et in fine , de l'aide bilatérale. Or, le budget 2020 prévoit une réduction des ressources permettant à l'Agence française de développement (AFD) d'accorder des dons, de près de 600 millions d'euros en autorisations d'engagement , marquant ainsi un coup d'arrêt à l'expansion des dons, après le versement exceptionnel d'un milliard d'euros supplémentaire en 2019.

7. L'examen et l'adoption l'an prochain d'un projet de loi de programmation de l'aide publique au développement devrait permettre de définir collectivement le cadre stratégique , les priorités et le pilotage de cette politique publique pour les prochaines années. Plusieurs fois repoussé, l'examen du projet de loi devient essentiel pour concrétiser la trajectoire budgétaire mise en oeuvre depuis deux ans.

8. L'AFD fait face depuis plusieurs années à une croissance inédite de ses engagements. Ceux-ci devraient croître d'environ 22 % entre 2018 et 2019 . Elle a entrepris une consolidation de ses acquis, afin de conserver son rôle d'opérateur pivot de notre aide bilatérale.

L'article 49 de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) fixe au 10 octobre la date limite pour le retour des réponses aux questionnaires budgétaires. À cette date, 91 % des réponses étaient parvenues à vos rapporteurs spéciaux.

I. LES MOYENS CONSACRÉS PAR LA FRANCE À L'AIDE PUBLIQUE AU DÉVELOPPEMENT EN 2020 SONT EN AUGMENTATION, MÊME SI L'ESSENTIEL DE LA HAUSSE INTERVIENDRA APRÈS 2020

Aux termes de la loi de programmation relative à la politique de développement et de solidarité internationale 1 ( * ) , « la politique de développement et de solidarité internationale de la France a pour ambition une mondialisation mieux maîtrisée et porteuse de valeurs humanistes ». Sa vocation première est de « lutter contre la pauvreté et les inégalités pour aider le sixième de l'humanité, dont une majorité de femmes, qui vit encore dans l'extrême pauvreté, à en sortir et éviter que ceux qui en sont sortis y tombent à nouveau ».

Elle s'inscrit dans le cadre défini par l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) , qui fixe la liste des pays bénéficiaires et comptabilise les dépenses pouvant être prises en compte au titre de cette politique, selon des règles qui permettent de comptabiliser au sein d'un même agrégat - l'aide publique au développement au sens de l'OCDE - l'aide provenant des dons et celle provenant des prêts.

La mission « Aide publique au développement » est la principale mission budgétaire concourant à la politique d'aide au développement . Elle constitue en ce sens le coeur des crédits pilotables de l'aide publique au développement, avec le compte de concours financier « Prêts à des États étrangers ».

En 2018, les crédits de la mission « Aide publique au développement » ont représenté 43 % de l'aide publique au développement (APD) française. Les missions « Recherche et enseignement supérieur », « Action extérieure de l'État » et « Immigration, asile et intégration » contribuent également de façon importante à l'APD française.

Outre les crédits budgétaires, l'APD française est également financée par des taxes affectées , à savoir la taxe sur les transactions financières (TTF), et la taxe de solidarité sur les billets d'avion (TSBA).

Le prélèvement sur recettes au profit de l'Union européenne 2 ( * ) contribue aussi au financement de l'aide publique au développement, via la participation française à l'aide publique au développement européenne.

Composition budgétaire de l'aide publique au développement française

(en %)

Source : commission des finances du Sénat, à partir du document de politique transversale

Méthodologie de comptabilisation de l'aide publique au développement

La comptabilisation de l'APD répond à trois principes :

- elle s'opère lors du décaissement vers le bénéficiaire de l'aide, qu'il s'agisse d'un pays en développement ou d'une organisation multilatérale ;

- s'agissant des opérations en dons , le montant de crédits budgétaires est le plus souvent comptabilisable intégralement en APD , dès lors que l'opération remplit les conditions d'éligibilité fixées par le comité d'aide au développement (CAD) de l'OCDE. Dans le cadre des contributions de la France à des organisations multilatérales dont seule une part de l'activité est dirigée vers des pays en développement, un coefficient est alors appliqué à la contribution française pour en déduire le montant d'APD ;

- s'agissant des prêts , l'APD est comptabilisée lors du décaissement du prêt . Le décaissement intervient antérieurement à celui du versement par l'État des crédits de bonifications d'intérêts à l'Agence française de développement (AFD). En effet, les crédits de bonifications d'intérêts sont versés au rythme des remboursements par le bénéficiaire.

Depuis 2018, la comptabilisation de l'APD issue des prêts retient un « équivalent don » des prêts , qui est différent du montant des crédits de bonifications. Auparavant, le volume total du prêt était comptabilisé, puis les remboursements étaient déduits. L'évolution de la méthodologie de comptabilisation et de l'éligibilité à l'aide publique au développement a été amorcée dès 2014 par les membres du comité d'aide au développement (CAD) de l'OCDE. Elle se caractérise par deux volets :

- les critères d'éligibilité des prêts sont modifiés . Jusqu'en 2018, un prêt pouvait être déclaré en aide publique au développement dès lors qu'il présentait un élément-don d'au moins 25 % ( seuil de concessionnalité ). Désormais, le seuil de concessionnalité s'apprécie selon la catégorie du pays bénéficiaire du prêt : il est fixé à 45 % pour les pays les moins avancés ou à faible revenu, à 15 % pour les pays à revenu intermédiaire de tranche inférieure, et à 10 % pour les pays à revenu intermédiaire de tranche supérieure. Le calcul de l'élément-don est actualisé selon un taux , variant également selon la catégorie du pays bénéficiaire ;

- le mode de comptabilisation des prêts a été réformé . Dorénavant, seule la partie correspondant à l'équivalent-don de chaque prêt est comptabilisée ( cf. supra ).

Source : commission des finances du Sénat, à partir des réponses au questionnaire

A. LA MISSION « AIDE PUBLIQUE AU DÉVELOPPEMENT » : UNE TRÈS FORTE HAUSSE DES AUTORISATIONS D'ENGAGEMENT AU PROFIT DES FONDS MULTILATÉRAUX

La mission « Aide publique au développement » comporte deux programmes :

- le programme 110 « Aide économique et financière au développement » , relevant de la direction générale du Trésor, au ministère de l'économie et des finances. Il porte notamment les crédits destinés aux fonds multilatéraux de développement, au financement des annulations de dette et à la bonification des prêts accordés par l'Agence française de développement (AFD) ;

- le programme 209 « Solidarité à l'égard des pays en développement » , relevant de la direction générale de la mondialisation, de la culture, de l'enseignement et du développement international, au ministère de l'Europe et des affaires étrangères (MEAE). Il comporte notamment les crédits destinés aux dons bilatéraux, les subventions aux organisations multilatérales, la coopération technique et la contribution de la France au fonds européen de développement (FED).

Pour 2020, les crédits demandés s'élèvent à 7,3 milliards d'euros en autorisations d'engagement (AE) et 3,3 milliards d'euros en crédits de paiement , soit une hausse respectivement de 62,6 % et de 6,7 % par rapport à 2019. Par rapport à la loi de finances pour 2018 3 ( * ) , à périmètre constant 4 ( * ) , les AE sont multipliés par 2,4 et les CP augmentent de 11 % environ.

Pour l'exercice 2020, la loi de programmation des finances publiques (LPFP) pour les années 2018 à 2022 5 ( * ) prévoit un plafond de crédits de paiement fixé à 3,1 milliards d'euros 6 ( * ) . En neutralisant les mesures de périmètre intervenues sur la mission en 2019, et en comparant les crédits de paiement selon le même périmètre que celui de la LPFP, les crédits de paiement de la mission « Aide publique au développement » pour 2020 s'élève à 2,99 milliards d'euros, soit 100 millions d'euros de moins que le plafond défini par la LPFP.

Évolution des crédits de la mission « Aide publique au développement »

(en millions d'euros)

Autorisations d'engagement

Crédits de paiement

LFI 2019

PLF 2020

Évolution (en montant et en %)

LFI 2019

PLF 2020

Évolution (en montant et en %)

110 « Aide économique et financière au développement »

1 305,8

4 472,3

3 166,5

242,5 %

1 074,8

1 144,8

70

6,5 %

Action 01 - Action économique et financière multilatérale

71,5

2 836,3

2 764,8

3 866,9 %

648,4

711,7

63,3

9,8 %

Action 02 - Aide économique et financière bilatérale

1 234,3

1 310,4

76,1

6,2 %

334,3

339,7

5,4

1,6 %

Action 03 - Traitement de la dette des pays pauvres

0

325,6

325,6

-

92

93,4

1,4

1,5 %

209 « Solidarité à l'égard des pays en développement »

3 194,4

2 843,3

- 351,1

- 11 %

2 003,7

2 140

136,3

6,8 %

Action 02 - Coopération bilatérale

1 989,8

1 470,2

- 519,6

- 26,1 %

793,5

844,5

51

6,4 %

Action 05 - Coopération multilatérale

188,4

369,3

180,9

96 %

194,1

291,6

97,5

50,3 %

Action 07 - Coopération communautaire

863

842,4

- 20,6

- 2,4 %

863

842,4

- 20,6

- 2,4 %

Action 08 - Dépenses de personnel du programme

153,2

161,4

8,2

5,4 %

153,2

161,4

8,2

5,4 %

Total de la mission

4 500,2

7 315,6

2 815,4

62,6 %

3 078,5

3 284,8

206,3

6,7 %

Source : commission des finances du Sénat, à partir des documents budgétaires

Évolution des crédits de la mission « Aide publique au développement »
à périmètre courant

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, à partir des documents budgétaires

L'essentiel de la progression des AE pour 2020 relève de l'augmentation des AE dédiées à la participation de la France aux institutions multilatérales de développement , à la fois portée par le programme 110 et le programme 209.

Concernant le programme 110, les crédits en AE sont multipliés par 40 par rapport à 2019 7 ( * ) . Cette augmentation massive s'explique par le cycle de reconstitution des ressources des organisations internationales qui suit un rythme triennal. Par conséquent, les AE avaient connu une augmentation similaire en 2014 et en 2017.

Si vos rapporteurs spéciaux soulignent que cette hausse des AE résulte du respect par la France de ses engagements internationaux , ils relèvent que la participation de la France à ces organisations multilatérales augmente pour le prochain cycle. La hausse de près de 80 % des AE par rapport à 2017 provient, entre autres, de la montée en charge du fonds vert pour le climat . La reconstitution des ressources du fonds vert pour le climat pour la période 2019 à 2023 a été finalisée au cours de la conférence de restitution, qui s'est tenue à Paris le 25 octobre dernier. À cette occasion, le ministre de l'économie, Bruno Le Maire, a confirmé l'engagement de la France de doubler sa contribution au fonds , passant ainsi de 774 millions d'euros pour la période 2015-2018 à 1,5 milliard d'euros pour la période 2019-2023 .

Cycle de reconstitution de la contribution aux institutions multilatérales,
à partir de l'évolution des autorisations d'engagement (P. 110)

(en millions d'euros)

Source : commission des finances, à partir des projets de loi de finances des années 2014 à 2020

La contribution française au fonds vert pour le climat

Le fonds vert pour le climat (FVC), dont la création a été actée lors de la conférence sur le climat de Copenhague en 2009, est le principal fonds multilatéral consacré au financement de la transition des pays en développement vers des économies sobres en carbone et résilientes. A la date du 28 août 2019, le FVC a approuvé 111 projets dans 99 pays , pour un montant total d'engagements de 5,2 milliards de dollars , soit 18,7 milliards de dollars avec les cofinancements. Le continent africain représente 41 % des engagements.

La conférence de restitution qui s'est tenue le 25 octobre 2019 a permis d'atteindre 9,8 milliards de dollars d'engagements pour la période 2019-2023 , soit un montant de 500 millions d'euros supérieur à celui obtenu lors de la conférence de mobilisation initiale des ressources en 2014. La hausse des contributions étatiques est un signal positif, dans le contexte de retrait des États-Unis de l'Accord de Paris de 2015.

Pour la période mobilisation initiale des ressources, entre 2015 et 2018, la France s'est engagée à verser une contribution de 774 millions d'euros dont :

- 432 millions d'euros en dons répartis sur 2015-2018, dont les versements ont été réalisés à partir du fonds de solidarité pour le développement (FSD) ;

- 285 millions d'euros en prêt très concessionnel via l'Agence française de développement ;

- 57 millions d'euros sous la forme d'une garantie pour le prêt .

L'intégralité de cette contribution a été versée au FVC au 24 août 2018.

Le FVC s'ajoute à d'autres fonds multilatéraux dédiés à la lutte contre le réchauffement climatique, tels que le fonds pour l'environnement mondial (FEM), le fonds dédié aux pays les moins avancés, et le fonds climatique spécial, et le fonds d'adaptation qui a été créé sous le protocole de Kyoto. Le foisonnement des outils d'investissement en faveur du climat contribue , d'après la direction générale du Trésor, à une complexification de l'architecture financière internationale de lutte contre les changements climatiques , se traduisant par « un effet d'empilement d'institutions, de fonds, de fenêtres climatiques dans les banques de développement, et de nombreuses initiatives thématiques, nationales ou régionales ».

Source : commission des finances du Sénat, à partir des réponses au questionnaire budgétaire

En outre, la progression des AE provient également d'une participation accrue au financement du fonds africain de développement (FAD), en mobilisant 504 millions d'euros en AE et 168 millions d'euros en CP en 2020, soit une hausse de 32 % par rapport à 2017 , année de la précédente reconstitution des ressources du fonds. Enfin, la participation de la France au financement de l'Association internationale de développement (AID) (1,4 milliard d'euros en AE pour 2020, contre 1 milliard d'euros en AE en 2017) est significative, en contrepartie d'un renforcement de son action en faveur du Sahel, et du changement climatique .

Les AE portées par le programme 209 augmentent également en faveur du multilatéralisme, avec la progression des contributions multilatérales de 96 millions d'euros environ , recouvrant à la fois les contributions volontaires aux Nations Unies (133 millions d'euros en AE et en CP) et les contributions volontaires à d'autres fonds (100 millions d'euros en AE et en CP).

En revanche les AE en matière de coopération bilatérale , portées par le programme 209, sont en net recul pour 2020. Ceci s'explique par la baisse de 1,6 milliard d'euros à 1 milliard d'euros des ressources permettant à l'AFD d'accorder des dons (« aide-projet ») ( cf. infra ). Toutefois, cette baisse des AE ne se répercute pas sur les CP, qui sont en hausse de 44 millions d'euros pour l'aide-projet gérée par l'AFD.

B. LE PRODUIT DES TAXES AFFECTÉES AU DÉVELOPPEMENT RESTE STABLE PAR RAPPORT À 2019

1. La taxe de solidarité sur les billets d'avion remaniée par le projet de loi de finances pour 2020

Une part du produit de la taxe de solidarité sur les billets d'avion (TSBA) et du produit de la taxe sur les transactions financières (TTF) est affectée au financement de la politique de développement, via le fonds de solidarité pour le développement (FSD). Le montant total de ces taxes affectées s'élève à 738 millions d'euros en 2020.

Le fonds de solidarité pour le développement (FSD)

Le fonds de solidarité pour le développement (FSD) a été créé en 2005 8 ( * ) pour gérer le produit de la taxe de solidarité sur les billets d'avion . Il a pour objet de contribuer « au financement des pays en développement et de tendre à réaliser les objectifs du millénaire pour le développement » . Géré par l'Agence française de développement (AFD), ce fonds est régi par le décret du 12 septembre 2006 9 ( * ) , qui prévoit notamment un comité de pilotage, qui veille à la bonne gestion du fonds, et la conclusion d'une convention entre l'État et l'AFD sur les modalités de gestion et de suivi du FSD. Ce décret fixe les modalités d'utilisation des ressources affectées au fonds, qui peuvent notamment financer le secteur de la santé (vaccination, Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, UnitAid), du climat et de l'environnement. Le fonds finance principalement des dépenses d'aide multilatérale mais peut aussi, « à titre subsidiaire », financer de l'aide bilatérale.

En application de la loi de finances pour 2017 10 ( * ) , un rapport a été remis au Parlement en 2019 11 ( * ) sur l'affectation et l'utilisation du FSD pour la période 2012-2016. Ses conclusions soulignent que les dépenses de santé restent les principales contributions financées à partir des taxes affectées . Elles sont passées d'un montant de 172 millions d'euros en 2012 à 241,7 millions d'euros en 2016, et devrait atteindre 552,3 millions d'euros en 2017. Néanmoins, les dépenses en faveur du climat progressent , en particulier à la suite de la COP 21 qui s'est tenue à Paris en 2015. Ainsi, les contributions en faveur du climat doivent atteindre 108,8 millions d'euros en 2016 et devraient s'élever à 180 millions d'euros en 2017.

Source : commission des finances du Sénat, à partir des documents budgétaires

La taxe de solidarité sur les billets d'avion - dite « taxe Chirac » -, prévue à l'article 302 bis K du code général des impôts, est assise sur le nombre de passagers et le fret embarqués en France sur chaque vol commercial. Son produit est affecté au fonds de solidarité pour le développement (FSD), dans la limite - depuis 2014 12 ( * ) - d'un plafond de 210 millions d'euros, atteint en 2015.

Répartition du produit de la taxe de solidarité sur les billets d'avion

(en millions d'euros)

2015

2016

2017

2018

2019

PLF 2020

Produit de la taxe

222

230

225

217

210

390*

Montant budget général

12

20

15

7

0

0

Montant affecté au FSD

210

210

210

210

210

210

* l'article 20 du projet de loi de finances prévoit une majoration de la TSBA afin de financer l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF).

Source : commission des finances du Sénat à partir des documents budgétaires

L'article 20 du projet de loi de finances pour 2020 prévoit une hausse de la taxe de solidarité sur les billets d'avion au profit de l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF) afin d'accompagner budgétairement les nouvelles missions de l'Agence, dédiée au développement des infrastructures de transport. L'augmentation de la taxe devrait permettre d'affecter le surplus de recettes, estimé à 230 millions d'euros par an, à l'AFITF.

Si vos rapporteurs spéciaux regrettent que cette taxe, initialement conçue afin de participer à la politique d'aide au développement, soit utilisée pour financer le secteur des transports, ils constatent que cette évolution législative n'empiète pas, à l'heure actuelle, sur les moyens budgétaires alloués à l'aide publique au développement . En outre, le produit de la TSBA sera affecté en priorité au FSD, ce qui est de nature à sécuriser les moyens alloués au développement pour le moment.

2. La part de TTF affectée à l'aide publique au développement reste stable

La taxe sur les transactions financières (TTF), prévue à l'article 235 ter ZD du code général des impôts, a été créée par la première loi de finances rectificative pour 2012 13 ( * ) . Elle est assise sur les opérations d'achat d'actions de sociétés françaises dont la capitalisation boursière dépasse un milliard d'euros au 1 er janvier de l'année d'imposition. Son taux est de 0,3 % depuis 2017.

Depuis 2017, la part de TTF affectée au FSD n'est plus définie comme un pourcentage de la taxe, mais comme un montant, égal à 528 millions d'euros. Ainsi, le dynamisme de la TTF ne contribue pas à la politique d'aide au développement, mais alimente le budget général de l'État . Pour 2020, ceci représenterait une moindre recette pour le FSD d'un montant de 215 millions d'euros par rapport à 2019 , d'après les évaluations du Gouvernement 14 ( * ) .

Entre 2016 et 2019, une part de la TTF affectée au développement était attribuée, non plus au FSD, mais à l'AFD. Toutefois, la loi de finances pour 2019 15 ( * ) a procédé à une rebudgétisation de la part de TTF affectée à l'AFD.

C. LE COMPTE DE CONCOURS FINANCIERS « PRÊTS À DES ÉTATS ÉTRANGERS » APPELLE CERTAINS POINTS DE VIGILANCE

Le compte de concours financiers regroupe pour sa part des prêts à des États étrangers qui concourent à la politique française d'aide publique au développement, à l'exception du programme concernant la Grèce :

- le programme 851 permet de financer l'achat par des pays étrangers de matériels et services d'entreprises françaises ;

- le programme 852 permet de refinancer les dettes de certains pays envers la France ;

- le programme 853 porte le versement à l'Agence française de développement de la « ressource à condition spéciale » (RCS) qui lui permet d'octroyer des prêts à des États étrangers à des conditions concessionnelles ;

- le programme 854 était destiné à porter la contribution de la France au plan de soutien en faveur de la Grèce, finalement confié au Fonds européen de stabilité financière (FESF).

Évolution des crédits du compte de concours financier
« Prêts à des États étrangers »

(en millions d'euros)

Autorisations d'engagement

Crédits de paiement

LFI 2019

PLF 2020

Évolution (en montant et en %)

LFI 2019

PLF 2020

Évolution (en montant et en %)

851 « Prêts en vue de développer le commerce extérieur de la France »

1 000,00

1 000,00

0,00

0,0%

480,95

367

- 113,85

- 23,67%

852 « Prêts pour consolidation de dettes »

245,4

250,3

4,90

2,0%

245,4

250,3

4,90

2,00%

853 « Prêts à l'AFD (ressource à condition spéciale »

0

0

0,00

0,0%

388

424,3

36,30

9,36%

854 « Prêts aux États membres dont la monnaie est l'euro »

0

0

0,00

0,0%

0

0

0,00

0,00%

Total du compte

1 245,40

1 250,30

4,90

0,4%

1 114,35

1 041,70

- 72,65

- 6,52%

Source : commission des finances du Sénat à partir des documents budgétaires

S'agissant du programme 851 , l'utilisation de ces crédits doit respecter les règles de l'OCDE en matière de crédits à l'exportation. Ce programme porte les crédits relatifs aux prêts concessionnels , contribuant à l'aide bilatérale française, et les prêts non concessionnels (« prêts directs »), pouvant être octroyés à une palette plus large d'entités. Le programme 851 finance ces deux types de prêts en faisant appel, pour leur réalisation, à des biens et services produits en France, ce qui constitue de l'aide publique au développement dite « liée ». Cette dernière présente essentiellement trois avantages 16 ( * ) :

- elle permet aux entreprises françaises d'acquérir une référence à l'export ;

- elle est comptabilisée comme de l'aide publique au développement ;

- elle est peut être utilisée, d'après la direction générale du Trésor, comme un outil défensif dans les secteurs et les pays où la concurrence est particulièrement forte, permettant ainsi aux entreprises françaises d'y maintenir leurs parts de marché. Dans cette perspective, il n'est pas étonnant que près des deux tiers des prêts conclus entre 2014 et 2018 aient bénéficié au secteur des transports .

Pour 2020, un milliard d'euros d'autorisations d'engagement est prévu, dont 400 millions d'euros sont dédiés au financement de projets en Iran. Les crédits de paiement sont réduits pour 2020 sont quant à eux diminués à hauteur de 24 % environ, sur la base des estimations de décaissement des crédits en application des protocoles déjà signés.

S'agissant du programme 852 , les autorisations d'engagement et les crédits de paiement sont relativement stables pour 2020. Toutefois, vos rapporteurs spéciaux notent avec inquiétude une dégradation de l'indicateur de soutenabilité de la dette des pays bénéficiant de l'initiative en faveur des pays pauvres très endettés . Ainsi, la part de ces pays présentant un risque faible ou modéré de surendettement devrait passer de 64 % en 2017 à 54 % en 2020, traduisant une dégradation de leurs perspectives macroéconomiques. L'accentuation de la vulnérabilité de ces pays plaide pour un accroissement de l'aide publique au développement versée sous forme de dons, plutôt que de prêts, en leur faveur .

Quant aux programmes 853 et 854 , ils sont gérés en extinction. Concernant le programme 853, aucune autorisation d'engagement n'y est inscrite depuis 2019 en raison de la disparition de la ressource à condition spéciale (RCS), à la suite de la requalification par l'Insee de cette dépense en dépense maastrichtienne, en dépit de la contestation de l'État.

Le programme « Prêts aux États membres dont la monnaie est l'euro »

La quatrième section du compte de concours financier retrace, respectivement en dépenses et en recettes, le versement et le remboursement des prêts consentis aux États membres de l'Union européenne dont la monnaie est l'euro (pour le moment l'État grec seulement). Ce programme, a été créé par la loi de finances rectificative du 7 mai 2010 afin de permettre à la France de contribuer au plan de soutien décidé en faveur de la Grèce, en vue de préserver la stabilité financière au sein de la zone euro. Les AE correspondantes, 16,8 milliards d'euros, ont été engagées en totalité au moment de l'activation du plan. Le deuxième plan d'assistance, décidé en juillet 2011, a confié au Fonds européen de stabilité financière (FESF) les déboursements futurs, y compris le reste à débourser des prêts bilatéraux. Ainsi, sur les 16,8 milliards d'euros, seuls 11,4 milliards ont été versés et les 5,4 milliards restants ont été annulés. La dernière tranche de prêt bilatéral à la Grèce a donc été versée en décembre 2011 et ce programme a été « mis en sommeil » , aucun mouvement n'étant prévu avant le premier remboursement, qui devrait intervenir en 2020. Seule une régularisation a eu lieu en 2013, à hauteur de 17 millions d'euros , afin de tenir compte de la non-participation de la Slovaquie et du retrait de l'Irlande et du Portugal du mécanisme d'aide.

Source : Yvon Collin et Fabienne Keller, rapport spécial sur la mission « Aide publique au développement » du projet de loi de finances pour 2014

II. SI LE BUDGET 2020 EST ENCOURAGEANT, IL NE RÉPOND PAS TOTALEMENT AUX AMBITIONS DE LA TRAJECTOIRE FIXÉE PAR LE PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE

A. LA FRANCE TENTE DE RECONQUÉRIR SA PLACE EN « PREMIÈRE DIVISION » DES DONNEURS

En 2018, d'après les données provisoires publiées en avril 2019 par l'OCDE, l'aide publique au développement nette des membres du Comité d'aide au développement (CAD) de l'OCDE 17 ( * ) s'établit à 153 milliards de dollars, soit une progression de 4 % en dollars courants.

Toutefois, la réforme de la méthodologie de comptabilisation de l'aide publique au développement ( cf. supra ) est entrée en vigueur à compter de 2018. Selon l'ancienne méthode, l'aide publique au développement totale aurait connu un recul en termes réels, de 3 % environ. Ce recul résulterait d'une contraction de l'aide aux réfugiés, dans un contexte de moindre afflux et de durcissement des conditions d'accès à l'aide dans certains pays. Le changement méthodologique est particulièrement important dans les modalités de comptabilisation des prêts. Ainsi, l'évolution de la méthodologie entraîne des variations d'autant plus significatives pour l'aide publique au développement d'un donneur que celle-ci repose sur l'octroi de prêts. Ainsi, l'aide publique au développement du Japon augmente de près de 41 % en 2018 en raison de l'évolution de ces critères.

Les États-Unis restent le premier donneur en volume , avec 33 milliards de dollars d'aide publique au développement nette, même si celle-ci est en recul de 1,7 milliard de dollars par rapport à 2017 (constants). L'Allemagne et le Royaume-Uni conservent respectivement leur deuxième et troisième place, avec une aide qui s'élève à 25 et 19,4 milliards de dollars .

L a France conserve la cinquième place des principaux donneurs en volume, avec une aide publique au développement qui atteint 12,2 milliards de dollars ( 10,3 milliards d'euros ) en 2018, en hausse de 2 %. En neutralisant l'évolution méthodologique, l'aide publique au développement française aurait augmenté de 9 %, et la France se serait classée à la quatrième place, devant le Japon.

Aide publique au développement des pays du CAD en 2018

(en millions de dollars)

Source : commission des finances du Sénat, à partir des données de l'OCDE

En valeurs relatives toutefois, c'est-à-dire au regard du ratio de l'aide publique au développement sur le revenu national brut (RNB), la France se classe à la dixième place, avec une aide publique au développement s'élevant à 0,43 % de son RNB, en amélioration par rapport au ratio de 0,38 % de 2016.

Aide publique au développement des pays du CAD en 2018 dans leur RNB

(en %)

Source : commission des finances du Sénat, à partir des données de l'OCDE

Vos rapporteurs spéciaux souhaitent rappeler que le poids relatif de notre aide publique au développement permet d'apprécier l'influence diplomatique de la France. Néanmoins, au-delà de la question incontournable de la préservation de notre « soft power » , une aide publique au développement à la hauteur de nos engagements internationaux contribue à la défense des biens publics mondiaux , tels que la santé, la préservation de l'environnement, la stabilité du système économique mondial. En participant au financement de ces biens collectifs, notre pays investit également pour son propre avenir .

B. LA TRAJECTOIRE À LA HAUSSE DES MOYENS BUDGÉTAIRES SE POURSUIT, MALGRÉ L'ABSENCE DE LOI DE PROGRAMMATION

Lors de la conférence annuelle des Ambassadeurs, qui s'est tenue le 27 août dernier, le président de la République, Emmanuel Macron, a réitéré l'objectif d'atteindre 0,55 % du revenu national brut (RNB) consacré à l'aide publique au développement d'ici 2022 .

Cet objectif constitue une étape intermédiaire de l'augmentation de notre aide publique au développement. L'objectif final demeure d'atteindre 0,7 % de notre RNB dédié à l'aide publique au développement d'ici 2030, conformément au « consensus de Monterrey », fixé en 2002 par la conférence des Nations unies sur le financement du développement.

Cette trajectoire a été pour la première fois concrétisée dans la loi de programmation des finances publiques (LPFP) pour les années 2018 à 2022 18 ( * ) , qui prévoit une hausse sans précédent des crédits de la mission « Aide publique au développement ».

En outre, le Comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID) du 8 février 2018 a défini une trajectoire d'aide publique au développement permettant d'atteindre l'objectif de 0,55 % de notre RNB en 2022. Ainsi définie, elle se caractérise par une hausse massive de l'aide publique au développement concentrée après 2020 . Cette trajectoire est particulièrement ambitieuse, dans la mesure où le montant de notre aide publique au développement doit augmenter de 4,4 milliards d'euros entre 2018 et 2022, soit une hausse de 43 % environ en seulement quatre ans.

D'après les informations transmises à vos rapporteurs spéciaux, l'aide publique au développement de la France devrait s'élever à 0,43 % de notre RNB en 2019 , maintenant son niveau constaté en 2017 et 2018, et s'écartant de seulement 0,01 point de pourcentage de la trajectoire fixée par le CICID du 8 février 2018.

Traduction en montant d'aide publique au développement
de la trajectoire adoptée en février 2018

(en milliards d'euros et en %)

2018

2019

2020

2021

2022

Part de l'APD dans le RNB

0,43 %

0,44 %

0,47 %

0,51 %

0,55 %

APD (au sens de l'OCDE)

10,3

10,9

11,9

13,3

14,7

Note de lecture : les crédits de la mission « Aide publique au développement » et du compte de concours financiers « Prêts à des États étrangers » ne constituent qu'une partie de l'aide publique au développement comptabilisée comme telle par l'OCDE.

Source : commission des finances, à partir des données transmises par la direction générale du trésor

L'année dernière, vos rapporteurs spéciaux avaient souligné que la trajectoire fixée en pourcentage du RNB n'avait pas été traduite budgétairement. En d'autres termes, le Gouvernement n'avait alors pas encore précisé l'évolution des crédits budgétaires à mettre en oeuvre d'ici 2022, rendant ainsi difficile la soutenabilité de cette trajectoire .

S'il a été depuis indiqué à vos rapporteurs spéciaux que les crédits budgétaires de la mission « Aide publique au développement » devraient augmenter de 57 % entre 2019 et 2022 , l'examen du projet de loi de programmation de la politique d'aide au développement , censé détailler cette trajectoire, n'a eu de cesse d'être repoussé . Outre des derniers arbitrages en attente, le report du projet de loi s'expliquerait en partie par son articulation avec la prochaine loi de programmation des finances publiques, qui n'a pas encore été présentée par le Gouvernement.

En tout état de cause, l'examen de ce projet de loi devient plus que nécessaire pour conforter la hausse des moyens budgétaires de la politique d'aide au développement, et pour en définir les modalités pour les années à venir. Lors des auditions, il a été indiqué à vos rapporteurs spéciaux que le projet de loi devrait être examiné au Parlement au début de l'année 2020.

C. L'AUGMENTATION DES MOYENS DOIT S'ACCOMPAGNER D'UN RÉÉQUILIBRAGE DE NOTRE AIDE PUBLIQUE AU DÉVELOPPEMENT AU PROFIT DES DONS

1. Pour pallier des années de réduction des moyens budgétaires, la France s'est singularisée dans le recours aux prêts, plutôt qu'aux dons

Vos rapporteurs spéciaux rappellent que l'augmentation des moyens budgétaires de la politique d'aide au développement permet en premier lieu de rattraper des années de baisse des crédits dédiés à cette politique . Ainsi, entre 2010 et 2015, les crédits de paiement de la mission « Aide publique au développement » et les taxes affectées au développement ont été réduits de près de 20 %.

Évolution des crédits de paiement de la mission « Aide publique au développement » et des taxes affectées

(en millions d'euros)

NB : les chiffres 2010 à 2018 correspondent à l'exécution. Les crédits de paiement de la mission sont présentés à périmètre courant. Pour 2016, l'opération de renforcement des fonds propres de l'Agence française de développement est neutralisée.

Source : commission des finances du Sénat, à partir des documents budgétaires

L'équilibre entre le volume respectif des prêts et des dons constitue un élément de pilotage essentiel du « profil » de l'aide publique au développement d'un pays . En effet, les prêts ne peuvent être octroyés qu'à des pays dont la dette apparaît soutenable. Or, par rapport aux autres donneurs, l'aide publique au développement française s'appuie largement sur l'instrument des prêts, qui représentaient, en 2016, 28 % de son aide publique au développement totale, contre 12 % en moyenne pour les pays membres du CAD de l'OCDE, et 45 % de son aide bilatérale 19 ( * ) . A l'inverse, l'aide bilatérale des principaux donneurs, tels que les États-Unis, le Royaume-Uni, la Suède, les Pays-Bas, l'Italie, et le Canada est quasiment exclusivement composée de dons 20 ( * ) .

Composition de l'aide publique au développement de la France

(en millions de dollars)

Source : commission des finances du Sénat, à partir des réponses au questionnaire

Les auditions menées par vos rapporteurs spéciaux ont rappelé que la progression de la part des prêts dans l'APD française par rapport aux autres donneurs s'expliquait par la recherche d'un levier budgétaire permettant de conserver l'influence française en la matière, alors même que les crédits budgétaires mobilisés connaissaient une forte contraction .

2. Ce déséquilibre se traduit par un ciblage biaisé des principaux bénéficiaires de notre APD

Néanmoins, comme le note l'OCDE, « ce modèle l'incite (...) à investir dans les pays à revenu intermédiaire au détriment des pays les moins avancés , et dans des secteurs potentiellement profitables, même s'ils s'appuient sur la croissance des pays bénéficiaires, au détriment des secteurs sociaux » 21 ( * ) .

Par conséquent, l'appétence française pour le recours aux prêts se traduit par un décalage entre les pays listés comme prioritaires par la France 22 ( * ) et les principaux bénéficiaires de son aide publique au développement .

Principaux bénéficiaires de l'aide publique au développement
de la France en 2017

(versements bruts, en % de l'APD totale)

Source : commission des finances du Sénat, à partir des données de l'OCDE

Cette inadéquation entre les principaux bénéficiaires effectifs et la liste des pays prioritaires constitue une anomalie évidente aux yeux de vos rapporteurs spéciaux. L'augmentation des moyens budgétaires de l'aide publique au développement d'ici 2022 devra donc nécessairement permettre d'augmenter l'engagement de la France à destination des pays les plus pauvres. Un meilleur ciblage des bénéficiaires passe par un renforcement de l'aide bilatérale .

Dans cette perspective, le CICID du 8 février 2018 a établi comme objectif que les deux tiers de la hausse cumulée des autorisations d'engagement d'ici à 2022 seraient alloués à l'aide bilatérale, ce qui aurait pour corollaire de faire progresser la part des dons dans l'aide publique au développement bilatérale.

3. Dans cette perspective, le budget pour 2020 n'apporte pas totalement satisfaction

Une fois ces objectifs établis, vos rapporteurs spéciaux constatent avec regret que le budget proposé pour 2020 n'est pas complètement en phase avec le constat précédemment dressé .

D'une part, le budget pour 2020 se caractérise par une forte hausse des autorisations d'engagement au bénéfice des fonds et organisations multilatéraux ( cf. supra ), alors même que le CICID du 8 février 2018 a entériné le principe d'un renforcement de l'aide bilatérale.

D'autre part, il ne permet pas d'amorcer un rééquilibrage de notre aide publique au développement en faveur des dons .

En effet, le budget pour 2020 prévoit une réduction des ressources permettant à l'Agence française de développement d'octroyer des dons, à hauteur de 594 millions d'euros en autorisations d'engagement, et de 35 millions d'euros en crédits de paiement. La capacité de l'agence à faire des dons dans les années à venir marque ainsi un coup d'arrêt, après la hausse de 1 milliard d'euros en autorisations d'engagement en 2019. Vos rapporteurs spéciaux estiment ainsi que la hausse de 2019 apparaît comme étant exceptionnelle et non pérenne au regard des crédits prévus pour 2020.

Ressources permettant à l'Agence française de développement
d'accorder des dons

(en millions d'euros)

LFI 2019

PLF 2020

Évolution (en %)

AE

CP

AE

CP

AE

CP

Don-projet AFD (p. 209)

1512

328

900

290

- 40,5 %

- 11,6 %

Don-ONG (p.209)

98

85

110

104

12,2 %

22,3 %

Aides budgétaires globales (p.110)

60

60

60

60

0 %

0 %

Fonds d'expertise technique et d'échange d'expérience

30

15

30

11

0 %

26,7 %

Autres

102

103

8

91

- 92 %

- 0,12 %

Total

1802

591

1208

556

- 5,9 %

- 5,9 %

Source : commission des finances du Sénat, à partir des données de la direction générale du Trésor

En revanche, la capacité de l'agence à octroyer des prêts continue de progresser puisque les crédits de bonifications des prêts aux États étrangers (programme 110) progressent de 148 millions d'euros en autorisations d'engagement (+ 15 %), et de 2 millions d'euros en crédits de paiement (+ 1 %).

Certes, la progression du volume de prêts peut être justifiée à plusieurs égards. Comme l'a indiqué la direction générale du Trésor à vos rapporteurs spéciaux, la hausse des crédits de bonifications peut se traduire par une meilleure bonification pour les bénéficiaires , et une stabilisation du volume de prêts total. Par ailleurs, la progression de ces crédits anticipe une éventuelle remontée des taux d'intérêt à compter de 2020, qui se traduirait par un recours accru aux crédits de bonifications des prêts pour maintenir les conditions de prêt très favorables par rapport au taux de marché.

En outre, il serait erroné d'analyser la capacité de l'AFD à accorder des dons à l'aune uniquement des crédits alloués aux dons-projets, car dans le même temps, le projet de loi de finances pour 2020 prévoit une augmentation de 19 millions d'euros des crédits de paiement dédiés aux dons à destination des ONG .

Toutefois, les auditions conduites par vos rapporteurs spéciaux ont témoigné d'une volonté de flécher une partie des dons réalisés par l'AFD vers les réseaux consulaires et diplomatiques . Cette perspective a été confirmée par le ministre de l'Europe et des affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, lors de son audition devant la commission des affaires étrangères du Sénat. Ainsi, il a confirmé que « nous procéderons en 2020 à un rééquilibrage des grands thèmes, des acteurs, des bénéficiaires et des instruments de notre APD pour rendre notre action de solidarité plus cohérente avec nos priorités politiques : d'une part, à travers un effort conséquent en faveur des organisations internationales et des ONG ; d'autre part, grâce au recours privilégié aux instruments directement disponibles pour le réseau diplomatique , avec une augmentation de l'aide humanitaire et des Fonds de solidarité pour les projets innovants (FSPI), qui sont à la main des ambassadeurs » 23 ( * ) .

Ainsi, les crédits alloués aux fonds de solidarité pour les projets innovants (FSPI) ont été augmenté de 36 millions d'euros , pour atteindre une enveloppe totale de 60 millions d'euros , soit une multiplication par près de 2,5 . La revalorisation de cet instrument budgétaire est justifiée par le Gouvernement par le fait que le processus de décision étant simplifié, le décaissement des crédits intervient plus rapidement que lorsque le projet est instruit par l'AFD, en raison de critères moins exigeants à satisfaire.

À travers cet arbitrage, il apparaît à vos rapporteurs spéciaux que le Gouvernement a souhaité revaloriser le rôle des ambassades dans le soutien au développement local, au détriment de celui de l'AFD . Alors que la réforme des réseaux de l'État à l'étranger, initiée en 2018, doit se traduire par une contraction des agents à l'étranger, hors AFD, de 5 % environ, vos rapporteurs spéciaux s'interrogent sur la pertinence de ce choix, dans la mesure où il constitue une charge supplémentaire pour les réseaux consulaires et diplomatiques .

Le fléchage d'une partie de ces crédits vers les services de coopération et d'action culturelle (SCAC) des ambassades n'explique toutefois qu'une partie de la réduction totale de la capacité de l'AFD à réaliser des dons. Les auditions menées par vos rapporteurs spéciaux ont fait état d'une volonté du Gouvernement de ralentir le rythme de croissance des engagements de l'AFD , afin de sécuriser sa capacité à absorber la hausse inédite des moyens budgétaires mis à sa disposition ( cf. infra ). Vos rapporteurs spéciaux estiment toutefois que les leçons de l'augmentation exceptionnelle du versement du milliard d'euros supplémentaire de dons à engager en 2019 ne pourront être tirées que d'ici quelques années, lors du décaissement de ces crédits.

En revanche, ils saluent la progression des crédits dédiés à l'aide humanitaire en 2020, ce qui leur paraît constituer une étape importante pour recentrer le bénéfice de notre aide publique au développement vers les bénéficiaires qui en ont le plus besoin . L'enveloppe dédiée à l'aide humanitaire passe ainsi de 100 millions d'euros à 155 millions d'euros , dont 14 millions d'euros dédiés la gestion des conflits et des sorties de crises, 80,7 millions d'euros alloués au fonds d'urgence humanitaire, et 60 millions d'euros pour l'aide alimentaire.

III. CONSOLIDER LA « MAISON » AFD POUR PRÉSERVER UN OUTIL INDISPENSABLE AU RAYONNEMENT DE LA FRANCE

L'Agence française de développement (AFD) est l'opérateur pivot de l'aide bilatérale de la France, en dons comme en prêts. L'Agence est engagée depuis plusieurs années dans un mouvement de croissance inédit de ses engagements, et qui devrait encore s'accélérer d'ici à 2022.

A. UNE AUGMENTATION INÉDITE DES ENGAGEMENTS DE L'AGENCE...

L'AFD devrait atteindre le montant de 13,9 milliards d'euros d'engagement en 2019, soit une hausse de 22 % en un an seulement, et de 64 % depuis 2015, soit en quatre ans seulement, afin de mettre en oeuvre la trajectoire fixée par le président de la République.

D'après les données transmises par la direction générale du Trésor à vos rapporteurs spéciaux, la croissance est essentiellement alimentée par l'activité en prêts . En 2018, l'Agence a engagé 9 milliards d'euros de prêts dans les États étrangers, dont 5,2 milliards d'euros de prêts souverains et 3,7 milliards d'euros de prêts non souverains. En termes géographique, le continent africain concentre 30 % de l'activité de prêts de l'AFD, à hauteur de 2,8 milliards d'euros 24 ( * ) .

Concernant les dons, les ressources dédiées de l'AFD sont en net recul en 2020 par rapport à 2019 ( cf. supra ), mais elles restent 500 millions d'euros supérieures au montant prévu en 2018. La montée en charge de ses engagements en matière de dons a récemment justifié une évolution de la rémunération de l'AFD pour ses activités de subvention. En effet, l'objectif était d'encourager l'Agence à réaliser des économies d'échelle dans l'instruction et le suivi des dossiers.

Par conséquent, une nouvelle grille de rémunération a été établie au début de l'année 2019. Si le taux de rémunération de l'AFD varie selon la nature de l'opération, la nouvelle grille abaisse la réduction moyenne de l'Agence. Ainsi, le projet de loi de finances pour 2020 prévoit un montant de 81 millions d'euros dédié à la rémunération de l'AFD, contre 99 millions d'euros en 2019, soit une réduction de 18 %.

Si la réalisation d'économies d'échelle semble justifiée à vos rapporteurs spéciaux, cette contraction de la rémunération de l'AFD constitue néanmoins un point d'inquiétude . En effet, la direction générale du Trésor a indiqué à vos rapporteurs spéciaux que la grille tarifaire « ne permet actuellement pas à l'AFD d'atteindre l'équilibre financier sur l'activité de subvention » 25 ( * ) . Le risque à terme serait que l'agence finance une partie de l'augmentation des activités de subvention sur son propre résultat, ou altère la qualité de l'instruction des dossiers.

En tout état de cause, l'augmentation des engagements de l'Agence, qu'il s'agisse de dons ou de prêts, appellent à une consolidation de l'opérateur . Ainsi, les effectifs totaux de l'AFD ont augmenté de 30 % environ entre 2014 et 2018, en passant de 1 683 à 2 209 personnels. En réponse au questionnaire de vos rapporteurs spéciaux, il leur a été indiqué que le budget 2019 de l'AFD traduisait un effort de maitrise des charges , même si la croissance des effectifs devrait s'élever à près de 7 %. Les auditions menées par vos rapporteurs spéciaux ont également fait état de futurs projets immobiliers visant à rationaliser l'implantation des locaux de l'agence.

B. ... QUI SERA CERTAINEMENT PROCHAINEMENT ASSOCIÉE À LA REDÉFINITION DE SON RÔLE AU SEIN DE LA POLITIQUE D'AIDE AU DÉVELOPPEMENT

La croissance du volume d'activité de l'AFD interroge l'articulation de son rôle avec celui d'autres acteurs de la politique d'aide au développement, et au premier rang desquels se trouve le ministère de l'Europe et des affaires étrangères (MEAE), qui assure la tutelle de l'Agence aux côtés du ministère de l'économie et des finances.

Dans cette perspective, le budget pour 2020 semble constituer une première étape vers une implication plus forte de la part du MEAE , notamment en matière de dons ( cf. supra ). La loi de programmation de l'aide publique au développement devrait comprendre des dispositions relatives à la gouvernance et au pilotage de cette politique. Dans cette perspective, l'audition du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, devant la commission des affaires étrangères du Sénat, laisse entrevoir la poursuite de ce mouvement de réaffirmation du MEAE. Il a ainsi indiqué que « les ambassadeurs auront pleine responsabilité pour piloter l'équipe France : l'articulation doit se faire autour d'eux. Il n'y a pas les ambassadeurs d'une part et l'AFD d'autre part. Il y a « les ambassadeurs dont l'AFD » . Je vais mettre en place un comité de pilotage qui fera régulièrement le point sur notre politique de développement et l'activité de l'AFD ».

Dans l'attente de l'examen du projet de loi au Parlement, vos rapporteurs spéciaux appellent à la poursuite d'un dialogue serein entre l'AFD et le MEAE, et à veiller à la préservation de l'expertise de l'AFD en la matière.

EXAMEN DE L'ARTICLE RATTACHÉ

ARTICLE 73 D (nouveau)

Demande de rapport au Parlement sur l'activité
du Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale visant à améliorer la situation économique des États qui font appel à son concours

. Commentaire : le présent article prévoit la remise au Parlement d'un rapport annuel sur l'activité du FMI et de la Banque mondiale, notamment sur les actions entreprises pour améliorer la situation économique des États qui font appel à leurs concours, ainsi que sur la position de la France au sein de ces organisations, et sur l'ensemble des opérations financières réalisées entre la France et ces organisations.

Introduit à l'initiative de notre collègue Hubert Julien-Laferrière, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, sans avoir été examiné par la commission des finances, et avec l'avis favorable du Gouvernement, le présent article prévoit la remise au Parlement, avant le 30 juin de chaque année, un rapport portant sur :

- l'activité du FMI au cours de son dernier exercice budgétaire, notamment les actions entreprises pour améliorer la situation économique des États qui font appel à son concours ;

- l'activité de la Banque mondiale dans le même domaine ;

- les décisions adoptées par les instances dirigeantes du FMI et de la Banque mondiale ;

- les positions défendues par la France au sein de ces instances dirigeantes ;

- l'ensemble des opérations financières réalisées entre la France et le FMI d'une part, et entre la France et la Banque mondiale, d'autre part.

Comme l'a indiqué l'auteur de l'amendement en séance, ces dispositions reprennent à l'identique celles de l'article 44 de la loi de finances rectificative pour 1998 26 ( * ) , abrogées en 2014 par la loi d'orientation et de programmation relative à la politique de développement et de solidarité internationale 27 ( * ) .

En effet, la loi d'orientation et de programmation prévoit la remise annuelle d'un rapport par le Gouvernement aux commissions permanentes compétences de l'Assemblée nationale et du Sénat faisant la synthèse de la politique de développement et de solidarité conduite par la France dans les cadres bilatéral et multilatéral. À l'époque, le Gouvernement avait alors estimé que les dispositions de 1998 étaient intégrées dans ce rapport annuel .

Les rapporteurs spéciaux disposent, en application de l'article 57 de la LOLF 28 ( * ) , d'importants pouvoirs de contrôles sur pièces et sur places, qu'ils utilisent chaque année, notamment dans le cadre de l'envoi de leur questionnaire budgétaire aux administrations compétentes. Il leur donc possible d'exercer leurs pouvoirs de contrôle pour obtenir ces informations, dont une partie figure déjà dans les rapports annuels du FMI et de la Banque mondiale.

Si vos rapporteurs spéciaux sont traditionnellement peu favorables à la multiplication des rapports au Parlement, les informations apportées pour cette demande de rapport permettraient de mieux éclairer le Parlement sur les décisions de ces organisations multilatérales, d'autant plus que la France fait partie des principaux contributeurs de celles-ci.

Décision de la commission : votre commission vous propose de supprimer cet article.

LES MODIFICATIONS APPORTÉES
PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE

En première délibération, l'Assemblée nationale a adopté sans modification les crédits de la mission et du compte de concours financiers.

En seconde délibération, à l'initiative du Gouvernement, nos collègues députés ont minoré les crédits de la mission de 16,4 millions d'euros , « afin de tenir compte des votes intervenus dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances pour 2020 ».

Plus précisément, sur la présente mission, il a minoré les autorisations d'engagement et les crédits de paiement du programme 110 « Aide économique et financière au développement » à hauteur de 7,9 millions d'euros, et les autorisations d'engagement et les crédits de paiement du programme 209 « Solidarité à l'égard des pays en développement » à hauteur de 8,5 millions d'euros.

L'AMENDEMENT PROPOSÉ PAR VOTRE COMMISSION

PROJET DE LOI DE FINANCES

ARTICLES SECONDE PARTIE

MISSION AIDE PUBLIQUE AU DÉVELOPPEMENT

2

A M E N D E M E N T

présenté par

MM. COLLIN et REQUIER

Rapporteurs spéciaux

_________________

ARTICLE 73 D

Supprimer cet article.

OBJET

Le présent article prévoit la remise au Parlement d'un rapport annuel sur l'activité du FMI et de la Banque mondiale, notamment sur les actions entreprises pour améliorer la situation économique des États qui font appel à leurs concours, ainsi que sur la position de la France au sein de ces organisations, et sur l'ensemble des opérations financières réalisées entre la France et ces organisations.

La commission des finances estime que la plupart de ces informations sont en partie déjà accessibles dans les rapports d'activité annuels du FMI et de la Banque mondiale. En outre, plutôt qu'une nouvelle demande de rapport annuel, la commission des finances considère qu'il revient au Gouvernement de remettre au Parlement, chaque année et en temps utile, le rapport de synthèse de la politique de développement et de solidarité, tel que le prévoit déjà la loi d'orientation et de programmation de 2014.

Enfin, un doute subsiste quant à l'appartenance de cet article au domaine des lois de finances tel que défini par l'article 34 de la LOLF.

EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 13 novembre 2019, sous la présidence de M. Vincent Éblé, président, la commission a examiné le rapport de MM. Yvon Collin et Jean-Claude Requier, rapporteurs spéciaux, sur la mission « Aide publique au développement » et le compte de concours financiers « Prêts à des États étrangers ».

M. Yvon Collin , rapporteur spécial . - Nous examinons désormais les crédits de la mission « Aide publique au développement » et du compte de concours financiers « Prêts à des États étrangers » pour 2020.

L'année dernière, nous avions souhaité insister sur le fait que l'exercice 2019 était déterminant pour notre politique d'aide publique au développement (APD) : les engagements pris détermineront si notre pays respectera l'objectif, maintes fois réaffirmé par le Président de la République, d'une aide représentant 0,55 % de notre revenu national brut (RNB) en 2022. Nous analysons le budget pour 2020 avec la même boussole : ce budget est-il à la hauteur de l'ambition fixée depuis 2017 ?

Ce budget nous est présenté au terme d'une année marquée par le volontarisme du Gouvernement en matière d'aide publique au développement. Ainsi, la France a accordé une place centrale à la politique de développement lors du G7 que nous avons présidé en août dernier, ou encore lors du G20 qui s'est tenu au Japon en juin dernier. Ces deux rendez-vous internationaux ont permis de réaffirmer notre attachement aux objectifs du développement durable (ODD) et à la place centrale que doit occuper l'Afrique dans notre aide.

M. Jean-Claude Requier , rapporteur spécial . - En premier lieu, le budget pour 2020 poursuit la montée en charge des moyens budgétaires pour l'aide publique au développement, même si l'essentiel de la hausse intervient après 2020.

Les autorisations d'engagement de la mission s'élèvent à 7,3 milliards d'euros, soit une hausse très importante de près de 63 %. Les crédits de paiement s'établissent à 3,3 milliards d'euros, soit une hausse de près de 7 % par rapport à 2019.

La forte progression des autorisations d'engagement résulte en réalité du cycle de reconstitution des ressources de plusieurs fonds et organisations multilatéraux en 2020, en particulier l'Association internationale de développement, le Fonds vert pour le climat, et le Fonds africain de développement. Ces reconstitutions suivent un rythme triennal, dont une hausse similaire avait été observée en 2014 et 2017.

Les contributions qui relèvent du ministère de l'Europe et des affaires étrangères (MEAE) augmentent également, de près de 100 millions d'euros en autorisations d'engagement, recouvrant à la fois les contributions volontaires aux Nations unies et les contributions volontaires à d'autres fonds.

Le produit des taxes affectées au développement est stable, à hauteur de 738 millions d'euros. La taxe sur les billets d'avion et une part de la taxe sur les transactions financières sont affectées au Fonds de solidarité pour le développement (FSD). Le budget 2020 est marqué par une évolution notable, mentionnée ce matin par le rapporteur général : la taxe sur les billets d'avion est augmentée, et le surplus de recettes est affecté à l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF). Il faudra veiller à l'avenir que cette nouvelle utilisation de cette taxe ne détourne pas les ressources dédiées au développement.

Concernant le compte de concours financiers, deux des quatre programmes sont mis en sommeil. Le programme 851 porte les prêts concessionnels et non concessionnels qui associent nos services et entreprises françaises. Comme pour 2019, les autorisations d'engagement s'élèvent à 1 milliard d'euros en 2020, et les crédits de paiement diminuent légèrement, et s'établissent à 367 millions d'euros.

Nous souhaitons exprimer un point d'inquiétude concernant le programme 852, qui recouvre les crédits liés aux restructurations de la dette accordées par la France. L'indicateur de soutenabilité de la dette des pays concernés se dégrade, traduisant une aggravation de leurs perspectives macroéconomiques. L'accentuation de la vulnérabilité de ces pays interroge la pertinence de notre politique de prêts à long terme.

Après avoir mené plusieurs auditions, il nous a semblé que ce budget était encourageant pour atteindre l'objectif fixé par le Gouvernement.

D'après les statistiques provisoires de l'OCDE, l'aide publique au développement de la France a progressé en 2018, de l'ordre de 2 % pour s'établir à plus de 10 milliards d'euros. L'année 2018 a coïncidé avec la mise en oeuvre d'une nouvelle méthodologie de comptabilisation de notre APD. En conservant l'ancienne méthodologie, notre APD aurait progressé de 9 % environ. Toutefois, en rapportant notre APD à notre revenu national brut (RNB), la France n'est toujours classée que dixième au monde, derrière la Belgique, la Suisse, ou encore les Pays-Bas.

M. Yvon Collin , rapporteur spécial . - Néanmoins, les efforts budgétaires portent leurs fruits. Alors que la part de notre APD dans notre RNB était de 0,38 % en 2016, elle devrait être de 0,43 % en 2019, soit seulement 0,01 point de pourcentage en dessous de la trajectoire fixée par le Gouvernement en février 2018. C'est pourquoi, il nous semble légitime d'accorder une nouvelle fois une confiance prudente au Gouvernement.

Notre vigilance doit toutefois être maintenue sur les points suivants.

D'une part, alors que l'année 2019 se termine, nous regrettons de ne pas examiner le prochain budget après le projet de loi de programmation de l'aide publique au développement, dont le dépôt a été plusieurs fois repoussé. L'insertion du budget 2020 dans un cadre stratégique rénové, que la commission a appelé de ses voeux à plusieurs reprises, nous aurait semblé plus pertinente.

D'autre part, il nous semble que le budget pour 2020 aurait dû marquer la poursuite d'un effort particulier en matière de dons, par rapport à l'octroi de prêts. En effet, la France se caractérise par une certaine préférence pour les prêts, qui représente un peu moins du tiers de notre aide publique au développement. Les plus grands donneurs, comme le Royaume-Uni ou les États-Unis accordent presque la totalité de leur aide publique au développement sous forme de dons.

Cette spécificité française entraîne un décalage entre la liste des pays que nous définissons comme « prioritaires », et les principaux bénéficiaires de notre aide, qui sont surtout des pays à revenu intermédiaire, ou même des pays émergents.

Pour y remédier, le Gouvernement s'est engagé à augmenter la part des dons. En 2019, l'AFD s'est vue attribuer 1 milliard d'euros supplémentaires en autorisations d'engagement pour concrétiser cette promesse. Toutefois, le budget 2020 prévoit une réduction des ressources permettant à l'AFD d'accorder des dons, à hauteur de 594 millions d'euros en autorisations d'engagement, et de 35 millions d'euros en crédits de paiement. À l'inverse, la capacité de l'Agence à octroyer des prêts progresse légèrement.

Les auditions ont fait état d'un arbitrage du ministère de l'Europe et des affaires étrangères visant à revaloriser le rôle des ambassades dans le versement de subventions. Dans cette perspective, les crédits des fonds de solidarité pour les projets innovants (FSPI) ont progressé de 36 millions d'euros.

Même si la hausse des moyens des ambassades n'égalise pas la réduction de ceux de l'AFD, la volonté de les impliquer davantage dans le versement de subventions est claire. Ce choix nous interroge, car la masse salariale des réseaux consulaires et diplomatiques est appelée à se contracter dans le cadre de la réforme de l'État à l'étranger.

Comment les ambassadeurs vont-ils absorber cette charge supplémentaire ? Pourquoi avoir choisi de réduire la voilure pour les dons accordés par l'AFD après lui avoir fait confiance en 2019 ? La déconcentration de cette enveloppe ne risque-t-elle pas d'entraîner un effet de saupoudrage ?

Cette perspective questionne les relations futures entre l'AFD et le ministère des affaires étrangères. Le projet de loi de programmation devrait comporter des dispositions à ce sujet.

Cela étant dit, nous vous invitons à proposer au Sénat d'adopter les crédits de la mission et du compte de concours financiers.

M. Jean-Claude Requier , rapporteur spécial . - Par ailleurs, l'article 73 D, rattaché à la mission, prévoit la remise d'un rapport annuel par le Gouvernement au Parlement sur l'activité du FMI et de la Banque mondiale, notamment sur les actions entreprises pour améliorer la situation économique des États qui font appel à leurs concours, ainsi que sur la position de la France au sein de ces instances, et des opérations financières entre la France et ces deux organisations internationales.

Cet article reprend des dispositions introduites par la loi de finances rectificative pour 1998, puis supprimées en 2014 par la loi de programmation de l'aide publique au développement.

En effet, le Gouvernement avait alors considéré que le rapport annuel de synthèse de l'aide publique au développement, prévu par la loi de 2014, permettait de fournir des informations sur l'APD de la France dans un cadre bilatéral et multilatéral.

En tant que rapporteurs spéciaux, nous ne sommes habituellement pas favorables au foisonnement de rapports au Parlement, d'autant que certaines des informations demandées sont facilement accessibles dans les rapports d'activité de ces deux institutions. Les rapporteurs spéciaux peuvent toujours exercer leurs pouvoirs de contrôle sur place et sur pièces pour obtenir des informations supplémentaires.

Néanmoins, il s'avère que le rapport prévu par la loi de 2014 n'est pas toujours transmis de façon régulière et que les documents budgétaires n'éclairent pas en profondeur sur le rôle du FMI et de la Banque mondiale en matière d'aide publique au développement. Cette demande de rapport pourrait nous renseigner sur les effets de notre politique multilatérale.

C'est pourquoi nous nous en remettons à la sagesse de la commission quant à l'adoption de cet article.

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - Merci à Yvon Collin et Jean-Claude Requier de leur intervention. Je suis favorable à la taxe de solidarité instaurée par Jacques Chirac au profit du développement que partagent certains pays. En revanche, je suis défavorable à la dérive consistant à affecter les taxes à autre chose que ce pour quoi elles ont été créées.

S'il y a trop de produits par rapport aux besoins, on doit diminuer le taux de la taxe. La dérive française qui consiste à en faire une taxe générale est très malsaine et pourrait même, à terme, se retourner contre son objectif, qui est l'aide aux pays en développement.

M. Jean-François Husson . - Le Gouvernement a annoncé vouloir porter la contribution de la France au Fonds vert pour le climat à 1,5 milliard d'euros. C'est un Fonds qui doit être abondé à hauteur de 9 milliards d'euros en comptabilisant l'ensemble des contributions. Or un peu plus de 700 millions d'euros sont prévus en autorisations d'engagement (AE), et seulement 23 millions d'euros en crédits de paiement (CP).

Comment se traduit la trajectoire des crédits dédiés au Fonds par rapport aux engagements du Gouvernement ?

Mme Nathalie Goulet . - Le fait que le budget soit en hausse est une bonne chose. Il faut mettre ceci en parallèle avec le besoin exprimé partout dans le monde d'une aide de la France, qui est toujours très attendue. Cependant, qu'en est-il de l'évaluation de cette politique ?

Les acteurs du développement sont nombreux. Les budgets de certains d'entre eux, comme les fondations américaines, sont parfois eux-mêmes plus importants que les États qu'ils aident. Comment fonctionne aujourd'hui notre coopération dans ce domaine et comment coordonnons-nous notre aide avec eux ?

Enfin, au Burkina Faso, où je me suis rendue il y a quelques mois, notre ambassade réalise un travail formidable en matière de sécurité, sujet plus que nécessaire autour duquel elle réunit tous les acteurs du secteur.

M. Roger Karoutchi . - Je ne voterai pas les crédits de la mission. Je considère que, depuis plusieurs années, l'AFD dérape, dérive, investissant parfois à l'intérieur du territoire national, ce qui n'est pas son rôle. L'AFD est en effet bien plus politisée qu'auparavant.

En outre, on établit une comparaison avec les États étrangers, qui réalisent plus de dons que de prêts, mais c'est totalement illusoire : l'État français efface bien des prêts tous les deux ou trois ans au nom de la coopération, et ils deviennent ainsi des dons.

Enfin, ce ne sont pas les États les plus pauvres qui reçoivent une aide au développement, mais souvent des États intermédiaires qui, en réalité, n'ont pas besoin de l'AFD. On a le sentiment que l'AFD mène de manière autonome une politique différente de celle du Quai d'Orsay.

Qui plus est, quand on demande à l'AFD, qui obtient des moyens supplémentaires considérables, d'investir dans l'audiovisuel extérieur de la France en Afrique, où cela peut avoir du sens, on reçoit une fin de non-recevoir catégorique. Je ne comprends pas pourquoi l'État français continue d'augmenter les moyens de l'AFD sans lui imposer des règles bien plus strictes et des missions bien plus claires.

M. Philippe Dominati . - Comment se traduisent les programmes sur le terrain pour les principaux bénéficiaires de notre APD ? La Turquie est en deuxième position, l'Indonésie est bien placée, la Chine également...

M. Philippe Dallier . - J'ai la même position que Roger Karoutchi. Il est difficile de comprendre pourquoi certains pays figurent dans la liste des pays bénéficiaires.

Je voudrais en outre revenir sur les subventions accordées à des organismes qui, en France, peuvent soulever des questions.

Certaines régions du monde sont plus compliquées que d'autres - Moyen-Orient, Israël, territoires palestiniens. Or les positions de quelques organisations non gouvernementales (ONG) subventionnées sont parfois plus qu'ambiguës, puisqu'elles favorisent le boycott d'Israël, qui est interdit par la loi française.

J'aimerais avoir plus de transparence sur l'utilisation de ces fonds. Certes, la France doit augmenter son niveau d'aide au développement, mais il y a beaucoup à dire concernant l'utilisation des moyens. C'est pourquoi je ne voterai pas ces crédits.

M. Victorin Lurel . - Je pense qu'une mission d'évaluation et de contrôle de l'AFD est nécessaire afin de mieux cerner ses actions et ses critères d'intervention.

À une certaine époque, on intervenait de moins en moins dans les pays dits corrompus. J'en ai fait l'expérience en tant que ministre. On avait ainsi écarté Haïti, en pleine crise politique, pour donner la priorité à la Syrie. On établissait alors un distinguo entre les pays dits corrompus et les autres. Aujourd'hui, je ne comprends plus les critères d'intervention de l'AFD.

Enfin, l'Afrique représente environ 30 % des engagements de l'AFD. Or le Parlement n'est pas informé sur ce point, ou avec beaucoup de réticences. J'ai demandé à la commission des finances et à son président un rapport d'information sur la zone franc, suivant des formes à trouver. Je crois qu'il existe un tabou à ce sujet et qu'on ne veut pas en parler. Or il existe de véritables turbulences en Afrique. C'est une atteinte à l'image de la France à travers le monde, et on ne dispose d'aucune réponse parlementaire.

Le ministre de l'économie, Bruno Le Maire, reçoit quinze ministres de l'économie et des finances d'Afrique de l'Ouest et d'Afrique centrale : on n'a aucune réaction. On nous dit de circuler, qu'il n'y a rien à voir, que cela relève des affaires étrangères ou de la diplomatie.

C'est un sujet que nous refusons de considérer, chacun ayant sa propre vision de nos rapports avec l'Afrique. Le présent rapport, au-delà de sa qualité, se cantonne à son strict périmètre. Il n'y a rien sur la politique de développement, sur ses critères d'intervention, sur les choix qui sont faits, sur nos rapports avec la zone franc.

Cela fait plus d'une année que je demande une mission à ce sujet. Je ne tiens pas à être absolument le président ou le rapporteur de cette structure, mais on dirait qu'on redoute que le Parlement s'exprime sur la politique étrangère et monétaire du Gouvernement. Je demande qu'on clarifie tout cela !

Mme Nathalie Goulet . - Très bien !

M. Jérôme Bascher . - Je m'étais déjà posé les mêmes questions l'année dernière au sujet des pays qui bénéficient de notre APD.

Depuis, j'ai fait mon enquête : un rapport a été commandé par l'ancien Gouvernement à Rémy Rioux pour définir les missions de l'AFD. Il a ensuite été nommé directeur général de l'Agence et s'est concocté son propre menu, sans aucune réforme. On est aujourd'hui proche du scandale d'État !

M. Roger Karoutchi . - C'est une honte !

M. Jérôme Bascher . - L'AFD fait des choses extrêmement utiles. Il y a partout beaucoup de petits projets très profitables mais, à côté de cela, l'AFD apporte des financements parfois plus élevés que le MEAE partout à travers le monde. Cela suffit !

C'est un véritable scandale. Des réformes doivent être menées au sein de l'AFD. À l'exemple de Roger Karoutchi, je ne voterai pas ces crédits.

M. Emmanuel Capus . - Mon interrogation porte sur le pilotage de cette politique. J'entends dire que ce n'est pas nécessairement en lien avec les affaires étrangères. On est là dans un domaine extrêmement sensible. Il y va de l'image de la France et de notre politique.

L'AFD évolue-t-elle en électron libre ou est-ce le Gouvernement qui pilote, sous le contrôle du Parlement ? On peut se poser des questions lorsqu'on voit que le deuxième pays en 2017 à percevoir le plus d'aides de notre part est la Turquie, et que la Chine perçoit des aides extrêmement importantes. Ce ne sont pas des choix que je soutiens en tant que parlementaire.

M. Jean Bizet . - Mon propos sera de la même tonalité que les intervenants précédents, précisément au sujet de la Turquie. La Turquie occupe un des États membres de l'Union européenne, Chypre, dont elle n'a nullement l'intention de quitter la partie nord. Elle s'éloigne de plus en plus des valeurs européennes et va à l'encontre de toutes les règles internationales en ce qui concerne les forages dans la zone exclusive économique de la région. C'est un véritable scandale d'imaginer que l'AFD concourt au développement de la Turquie. Ce n'est pas convenable !

Tout comme Roger Karoutchi, Philippe Dominati et d'autres, je ne voterai pas ces crédits.

M. Alain Houpert . - L'AFD finance, accompagne et accélère les transitions vers un monde plus juste et durable. Je suis d'accord avec Victorin Lurel pour réclamer une évaluation des financements de l'AFD. Nous voyageons tous en tant que parlementaires et nous nous apercevons qu'on marche parfois sur la tête. Auparavant, nous disposions d'un ministère de la coopération et d'un ministère de la francophonie. Quel est le rapport de la francophonie avec l'AFD ?

M. Jean-François Rapin . - Je voudrais attirer votre attention sur un point à ne pas oublier : il fera l'objet d'une discussion prochainement au sein de la délégation à l'outre-mer et concerne les crédits complémentaires que l'AFD peut y apporter, notamment en matière de reconstruction, à la suite des cataclysmes climatiques que nous avons subis.

Au-delà du courroux et de l'exaspération ressentie par bon nombre de mes collègues, que je partage, je vous demande d'être attentifs à ce point.

M. Michel Canévet . - Je salue l'excellent travail de nos deux rapporteurs spéciaux, qui provoque de nombreuses réactions. Leurs observations ont permis d'engager le débat, et il est particulièrement passionnant s'agissant d'un sujet extrêmement important.

J'observe, en complément de ce qui a été dit, que les dépenses de personnel du programme augmentent significativement de 5,4 %. S'agit-il uniquement des dépenses de personnels dédiés à l'AFD ou d'agents qui occupent d'autres fonctions ? Je pense en particulier au renforcement du réseau sur le terrain. Une telle augmentation est-elle logique d'une année sur l'autre ?

M. Marc Laménie . - L'AFD est mal connue dans nos départements et territoires respectifs, mais on est frappé par les montants financiers que cela représente.

Face aux diminutions de certaines missions, comme la mission « Administration générale et territoriale de l'État » (AGTE), on peut par ailleurs se poser des questions au sujet de l'augmentation des effectifs entre 2014 et 2018, qui sont passés de 1 683 personnes à 2 209 personnes. Quelle est l'utilité de tels opérateurs ?

M. Didier Rambaud . - J'ai pour habitude de défendre les crédits budgétaires présentés par le Gouvernement.

Toutefois, j'aimerais comprendre pourquoi des pays comme la Turquie, la Chine, voire le Brésil, bénéficient de l'aide publique au développement de la part de la France. J'attends donc des explications des rapporteurs. Mon vote variera en fonction de leurs réponses.

M. Philippe Adnot . - Je souhaiterais savoir si les rapporteurs disposent d'éléments pour apprécier le retour sur investissement de l'aide publique au développement. Est-on attentif à ce que des entreprises françaises participent aux opérations lors des différentes actions de développement ? Êtes-vous à même de le quantifier ? Dans le cas contraire, pourquoi ?

M. Jean-Claude Requier , rapporteur spécial . - Je vois que ce rapport vous a passionnés et interpellés.

Monsieur le rapporteur général, la taxe sur les billets d'avion instituée en faveur du développement, qui dérive, est affectée à l'AFITF dans le projet de loi de finances pour 2020. Nous signalons, dans notre rapport, qu'il ne faut pas que cette taxe soit dévoyée. Il nous faut être vigilant.

Je rejoins par ailleurs ce qui a été dit concernant les taxes sur les avions : ce n'est pas le moment de les alourdir, alors que deux compagnies sont déjà en difficulté.

Jean-François Husson, s'agissant du Fonds vert pour le climat, les décaissements vont s'étaler sur quatre ans.

Pour ce qui est de la Turquie, j'ai été également surpris de constater que ce pays constitue le deuxième bénéficiaire des aides de la France. Il faut toutefois faire la distinction entre les dons et les prêts. Or, il nous a été indiqué que la Turquie bénéficie essentiellement de prêts en vertu de l'accord sur les migrations de 2016. Tous les États membres de l'Union européenne y participent, même si on peut le regretter.

Par ailleurs, la loi de programmation comportera des dispositions sur le pilotage et la transparence de l'aide publique au développement ce qui permettra de renforcer l'évaluation de cette politique. Six millions d'euros de crédits au titre des bonifications de prêts sont destinés à l'outre-mer en 2020.

En outre, n'oublions pas que l'AFD ne pilote pas la totalité des crédits.

Enfin, le ministère des affaires étrangères aurait l'intention de « reprendre la main » sur le pilotage de cette politique et d'associer davantage les ambassadeurs sur le terrain. Ils disposeront d'une enveloppe de 60 millions d'euros destinée aux fonds de solidarité pour les projets innovants (FSPI) par lequel ils pourront intervenir. En outre, la loi de programmation à venir comportera une nouvelle définition des rapports entre l'État et l'AFD. Nous espérons que le dialogue pourra se poursuivre. Il faudra toutefois veiller à préserver l'expertise de l'AFD en la matière.

M. Yvon Collin , rapporteur spécial . - Jean-Claude Requier a répondu à un certain nombre de questions qui font polémique, notamment concernant la Turquie. Je n'y reviendrai pas, mais ce sont des raisons éminemment politiques. On a cotisé au pot commun, et cela entre dans l'aide au développement, à tort ou à raison.

Pour ce qui est de la Chine, au-delà de la diplomatie d'influence à laquelle participe l'AFD, qui est indiscutable, il faut reconnaître que l'Agence gagne de l'argent sur les prêts qui sont accordés...

M. Roger Karoutchi . - Elle n'a qu'à en accorder aux États-Unis aussi !

M. Yvon Collin , rapporteur spécial . - L'AFD, compte tenu de la notation qui lui est attribuée, obtient de l'argent à un faible coût et prête à un autre taux, intéressant pour le pays concerné, qui ne peut avoir accès à des prêts concessionnels.

Je pense qu'il serait bon que notre commission reçoive le directeur général de l'AFD, Rémy Rioux, pour répondre aux interrogations qui sont nombreuses.

M. Vincent Éblé , président . - La commission des finances l'a entendu en février dernier, mais une audition peut être programmée à nouveau, après l'examen du projet de loi de finances, en début d'année prochaine.

M. Yvon Collin , rapporteur spécial . - On a beaucoup parlé d'évaluation. J'aimerais qu'on évalue également d'autres politiques, comme celle de l'éducation. C'est un sujet complexe, mais il faudrait, à l'image du Royaume-Uni, que l'AFD mette en place un dispositif d'évaluation permanent. Au Royaume-Uni, les politiques d'aide au développement sont évaluées en permanence par un organisme indépendant. Ceci manque certainement en France.

Je rappelle que l'AFD intervient également dans les territoires d'outre-mer. Il semble que cette aide devrait s'accentuer dans les années qui viennent.

En ce qui concerne les interventions dans l'hexagone, Roger Karoutchi faisait peut-être allusion au fameux congrès de Grenoble. Nous avons interrogé Rémy Rioux sur ce point. Il nous a indiqué qu'aucune intervention de ce type n'avait eu lieu cette année. Il faut toutefois être vigilant.

M. Jean-Claude Requier , rapporteur spécial . - Pour l'évaluation, le Comité de développement de l'OCDE a évalué notre politique de développement en 2018 et a souligné « le succès de l'aide française tant sur le plan de la mise en oeuvre de mécanismes innovants de financement du développement que dans l'usage d'une large palette d'instruments ». L'OCDE a donc donné un avis assez positif sur l'utilisation des fonds par l'AFD.

M. Yvon Collin , rapporteur spécial . - Quant aux relations entre aide au développement et francophonie, cette question ressort de notre politique en matière d'affaires étrangères. Il n'y a pas que l'AFD qui mette en place les financements.

Mme Nathalie Goulet . - J'étais à la commission des affaires étrangères à l'époque où on a voté la loi dite « Canfin » sur la loi de programmation de l'aide au développement en 2014. On avait obtenu des évaluations sur le respect de critères liés au travail des enfants, aux droits de l'homme, etc. Tout cela a disparu.

Restait la question de la coopération avec les autres acteurs. Ceci doit également faire l'objet d'une audition ou d'un rapport. On ne peut continuer à travailler sans les évaluations qui figurent dans la loi de programmation.

Enfin, comment fait-on avec les autres acteurs ? La politique de développement n'est pas un sujet neutre. Elle est très attendue et constitue un marqueur de la France.

M. Victorin Lurel . - L'aide publique au développement intégrait autrefois des interventions outre-mer. Avec Henri Emmanuelli, nous avions fait extraire cette partie de l'aide publique au développement.

M. Yvon Collin , rapporteur spécial . - En effet, elle n'entre plus en ligne de compte.

M. Vincent Capo-Canellas . - Je me demande si l'on ne devrait pas réserver le vote sur ces crédits. Des questions fortes ont été posées. Peut-être pourrait-on se donner le temps d'avoir des réponses plus construites. Il me semble que cette mission revêt un caractère symbolique. Rejeter ces crédits pourrait être mal interprété.

M. Vincent Éblé , président . - Nous ne manquons d'aucune information pour apprécier cette mission sur le fond. Je ne suis donc pas favorable à la réserve. La commission peut parfaitement décider maintenant : rien ne changera d'ici la semaine prochaine !

M. Yvon Collin , rapporteur spécial . - Enfin, l'augmentation du personnel de 5 % présentée dans les documents budgétaires est celle des agents participant au programme 209 qui relève du MEAE. La hausse du budget a participé à la hausse des dépenses de personnel. Nous pourrons vous fournir la ventilation entre le personnel en centrale ou au plan local.

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - Les problèmes migratoires sont insurmontables. Par ailleurs, nous n'en sommes qu'au début compte tenu des projections démographiques en Afrique. La protection des frontières ne suffit pas. La seule réponse réside dans l'aide au développement. Or ce budget n'est pas à la hauteur des enjeux. C'est pourquoi je m'associe au vote défavorable - ce qui n'enlève rien à la qualité du travail des rapporteurs.

M. Vincent Éblé , président . - Je vous propose de passer au vote.

Quel est l'avis des rapporteurs spéciaux ?

M. Jean-Claude Requier , rapporteur spécial . - Nous émettons un avis favorable sur les crédits de la mission « Aide publique au développement » et nous en remettons à la sagesse de la commission pour ce qui est de l'article 73 D.

Enfin, nous émettons un avis favorable sur les crédits du compte de concours financiers « Prêts à des États étrangers ».

À l'issue du débat, la commission a décidé de proposer au Sénat de ne pas adopter les crédits de la mission « Aide publique au développement », de ne pas adopter l ' article 73 D rattaché à la mission et d'adopter les crédits du compte de concours financiers « Prêts à des États étrangers ».

*

* *

Réunie à nouveau le 21 novembre 2019, sous la présidence de M. Vincent Éblé, président, la commission des finances, après avoir pris acte des modifications adoptées par l'Assemblée nationale, a confirmé sa décision de proposer au Sénat de ne pas adopter les crédits de la mission. L'amendement n° 2 ayant été adopté, elle lui propose par conséquent de supprimer l'article 73 D. Elle lui propose enfin d'adopter les crédits du compte de concours financiers.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

Cabinet du ministre de l'Europe et des affaires étrangères

- M. Emmanuel PUISAIS-JAUVIN, directeur adjoint de cabinet;

- M. Baptiste PRUDHOMME, conseiller politique et parlementaire.

Ministère de l'économie et des finances

Direction générale du Trésor

- M. Cyril ROUSSEAU, sous-directeur MULTIFIN ;

- Mme Isabelle CAMILIER-CORTIAL, cheffe du bureau de l'aide publique au développement MULTIFIN 5 ;

- M. Simon MATET, adjoint du bureau MULTIFIN 2 AFRIQUE ;

- Mme Lauranne DUHIL, adjointe à la cheffe du bureau ;

- Mme Béatrice DI PIAZZA, adjointe à la cheffe du bureau.

Agence française de développement

- M. Rémy RIOUX, directeur général ;

- M. Philippe BAUMEL, conseiller stratégie, partenariats, communication.


* 1 Loi n° 2014-773 du 7 juillet 2014 d'orientation et de programmation relative à la politique de développement et de solidarité internationale.

* 2 Dont le montant est évalué à 21,337 milliards d'euros pour 2020 à l'article 36 du projet de loi de finances pour 2020.

* 3 Loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018.

* 4 La loi de finances pour 2019 a modifié les circuits de financement de la mission « Aide publique au développement », entraînant ainsi de nombreuses mesures de périmètre.

* 5 Article 15 de la loi n° 2018-32 du 22 janvier 2018 de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022.

* 6 Hors contribution du budget général au compte d'affectation spéciale « Pensions », hors charge de la dette et hors remboursements et dégrèvements.

* 7 Action 01 du programme 110.

* 8 Article 22 de la loi n° 2005-1720 du 30 décembre 2005 de finances rectificative pour 2005.

* 9 Décret n° 2006-1139 du 12 septembre 2006 sur le fonds de solidarité pour le développement pris en application de l'article 22 de la loi n° 2005-1720 du 30 décembre 2005 de finances rectificative pour 2005 instaurant une contribution de solidarité sur les billets d'avion.

* 10 Article 118 de la loi n° 2016-1917 du 29 décembre 2016 de finances pour 2017.

* 11 Le rapport est annexé au document de politique transversale du projet de loi de finances pour 2020.

* 12 24° du I de l'article 47 de la loi n° 2013-1278 du 29 décembre 2013 de finances pour 2014.

* 13 Article 5 de la loi n° 2012-354 du 14 mars 2012 de finances rectificative pour 2012.

* 14 Cf. Voies et moyens, tome I annexé au projet de loi de finances pour 2020, p. 133.

* 15 Loi n° 2018-1317 du 28 décembre 2018 de finances pour 2019.

* 16 D'après les réponses au questionnaire.

* 17 Les données publiées par l'OCDE recouvrent l'aide publique au développement des membres de son Comité d'aide publique au développement ainsi que quelques États non membres mais fournissant leurs données, tels que la Russie, la Turquie et les Émirats arabes unis.

* 18 Loi n° 2018-32 du 22 janvier 2018 de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022.

* 19 Examens de l'OCDE sur la coopération pour le développement : France 2018, p. 53.

* 20 D'après les réponses au questionnaire.

* 21 Examens de l'OCDE sur la coopération pour le développement : France 2018, p. 53.

* 22 Le CICID du 8 février 2018 a déterminé la liste suivante des pays prioritaires : Bénin, Burkina Faso, Burundi, Comores, Djibouti, Éthiopie, Gambie, Guinée, Haïti, Liberia, Madagascar, Mali, Mauritanie, Niger, République centrafricaine, République démocratique du Congo, Sénégal, Tchad et Togo.

* 23 Compte-rendu de l'audition du 22 octobre 2019.

* 24 D'après les réponses au questionnaire.

* 25 En réponse à vos rapporteurs spéciaux.

* 26 Loi n° 98-1267 du 30 décembre 1998 de finances rectificative pour 1998.

* 27 Article 15 de la loi n° 2014-773 du 7 juillet 2014 d'orientation et de programmation relative à la politique de développement et de solidarité internationale.

* 28 Loi organique n° 2001-692 du 1 er août 2001 relative aux lois de finances.

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