II. PRINCIPALES OBSERVATIONS DU RAPPORTEUR SPÉCIAL

1. La quasi-totalité des autorisations d'engagement ont été consommées et l'ensemble des conventions avec les opérateurs ont été signées : le PIA 3 est pleinement lancé

Au total, près de 9,6 milliards d'euros des 10 milliards d'euros d'AE votées en 2017 ont été consommés lors de l'exercice 2019, soit un taux de consommation de 96 %.

La dernière convention a par ailleurs été signée par l'État et la Caisse des dépôts le 26 décembre 2019 au titre de l'action « Grands défis » du programme 423. Conformément aux recommandations de Philippe Tibi dans son rapport sur le financement des entreprises technologiques 223 ( * ) , les dotations en fonds propres prévues par cette action seront mobilisées à deux titres :

- 500 millions d'euros seront consacrés à des interventions dans le projet de levée de fonds « Global Tech », dédié au financement d'entreprises technologiques cotées. Ce projet se fixe pour objectif de mobiliser 10 milliards d'euros à horizon de trois ans et à de faire à terme de Paris le siège d'un « NASDAQ européen » 224 ( * ) ;

- 200 millions d'euros abonderont le « Fonds Multicap croissance n° 2 » déjà doté de 400 millions d'euros au titre du PIA 3, qui a démontré son efficacité pour pallier une défaillance de marché constatée s'agissant du financement des entreprises en hyper croissance.

Le total des CP consommés sur les exercices 2018 et 2019 s'établit quant à lui à 2,1 milliards d'euros , soit un montant égal à 21 % des AE votées en 2017.

Toutefois, en raison de la mécanique du financement par appels à projets, seuls 311 millions d'euros ont effectivement été décaissés en faveur des bénéficiaires finaux à la fin de l'année 2019 selon la Cour des comptes 225 ( * ) . Le recul manque ainsi pour évaluer l'ensemble des actions lancées dans ce cadre.

Ce décalage dans le temps a un impact sur les engagements hors bilan de l'État qui représentent 7,6 milliards d'euros pour l'ensemble des trois PIA 226 ( * ) .

2. L'essentiel des crédits de paiement votés en 2019 concernent la politique de l'enseignement supérieur et de la recherche

Les CP alloués à la politique de la recherche et de l'enseignement supérieur (programmes 422 et 423) représentent une part prépondérante des AE de la mission (59 %) et des CP exécutés en 2019 (76,6 %) .

L'action « Programmes prioritaires de recherche » du programme 421, pour laquelle 28 millions d'euros de CP ont été exécutés en 2019, est particulièrement emblématique. C'est dans le cadre de cette action que l'appel à projet « Make Our Planet Great Again » annoncé par le président de la République a été mise en oeuvre. Celui-ci s'adresse à des chercheurs qui ne résident pas sur le territoire national mais qui souhaitent développer en France et au sein de laboratoires français des projets de recherche de haut niveau pour faire face au changement climatique. L'action a ainsi permis de « rapatrier » 43 projets de recherche. Le rapporteur considère qu'une telle initiative, certes louable et utile, relève toutefois davantage d'une stratégie de communication que d'une réponse au problème structurel d'attractivité de la recherche française, principalement due aux conditions de rémunérations des chercheurs, largement insuffisante. La prochaine loi de programmation pluriannuelle pour la recherche (LPPR) doit constituer l'occasion de traiter plus profondément cette question.

La même action a permis le lancement de quatre « Instituts interdisciplinaires d'intelligence artificielle » (3IA) auxquels doivent être alloués 75 millions d'euros sur quatre ans. Ces derniers constituent un volet important de la stratégie nationale pour l'intelligence artificielle lancée en 2018 et devant mobiliser près de 1,5 milliards d'euros sur cinq ans. Le rapporteur se félicite de la contribution du PIA à cette stratégie qui revêt une importance cruciale pour la France dans un contexte où les pays européens se fait chaque jour distancer davantage par les États-Unis et la Chine dans ce domaine.

3. La fin de gestion a été marquée par d'importants mouvements de crédits, symptômes d'une instrumentalisation opportuniste du PIA par le Gouvernement

Les mouvements de crédits significatifs intervenus en loi de finances rectificative appellent plusieurs séries de remarques.

Le montant global redéployé est de 1 085,1 millions d'euros en AE et 643,3 millions d'euros en CP (soit un volume correspondant à près de deux tiers des CP votés en 2019).

Il est à noter que ces redéploiements impliquent des crédits issus des trois PIA. Les crédits extrabudgétaires des PIA 1 et 2 concernés ont alors été rétablis sur des actions du PIA 3, avant d'être ré-imputés sur les actions bénéficiaires, pouvant le cas échéant appartenir à d'autres missions. 48 millions d'euros en AE et en CP issus de l'action « Espace » des PIA 1 et 2 ont ainsi été redéployés vers l'action « Espace et satellites » du programme 193 de la mission « Recherche et enseignement supérieur ».

Redéploiements en LFR 2019 au titre des trois PIA

(en millions d'euros)

Ouvertures

Annulations

Total

Mission

Programme

AE

CP

AE

CP

AE

CP

Investissements d'avenir

421 - Soutien des progrès de l'enseignement supérieur et de la recherche

0,0

0,0

28,0

0,0

- 28,0

0,0

Investissements d'avenir

422 - Valorisation de la recherche

432,6

305,3

213,3

170,0

120,3

135,3

Investissements d'avenir

423 - Accélération de la modernisation des entreprises

484,5

170,0

624,8

335,3

- 140,3

-165,3

Recherche et enseignement supérieur

193 - Recherche spatiale

48,0

48,0

0,0

0,0

48,0

48,0

Compte d'affectation spéciale (CAS)

731 - Participations financières de l'État

120,0

120,0

120,0

120,0

0,0

0,0

Total des redéploiements

1085,1

643,3

1085,1

625,3

0

18

Source : Cour des comptes

Ces redéploiements visent notamment à apporter des financements :

- au plan « Nano 2022 » , pour un montant de 88,3 millions d'euros , portant à 368 millions d'euros l'abondement total du PIA au financement de ce plan, également financé par le programme 192 de la mission « Recherche et enseignement supérieur » et par le Fonds pour l'innovation et l'industrie ;

- au « plan batteries » annoncé en cours d'année 2019 par le président de la République à hauteur de 295 millions d'euros ;

- au projet de réacteur « Jules Horowitz » (RJH) pour un montant de 300 millions d'euros , doublant ainsi la contribution contribuer au titre du programme 422.

Le rapporteur spécial souscrit ainsi pleinement à l'analyse du rapporteur général de la commission des finances du Sénat qui notait dans son rapport sur le projet de loi de finances rectificative pour 2019 que « sans porter de jugement sur la pertinence du soutien public à apporter à tel ou tel projet, l'utilisation du PIA relève ainsi d'une pratique de débudgétisation d'autant plus contestable que les politiques soutenues varient d'une année à l'autre alors que l'autorisation parlementaire n'a réellement porté que sur les autorisations d'engagement accordées lors du lancement du projet dans le cadre de la loi de finances pour 2017 » 227 ( * ) . Ces redéploiements massifs témoignent d'une instrumentalisation du PIA pour financer sur des enveloppes déjà votées des annonces gouvernementales qui, bien qu'ayant leur légitimité, auraient dû relever d'autres missions du budget général.

Les dérogations au droit commun budgétaire dont bénéficient les PIA ne sont en effet acceptable que si ceux-ci traduisent, conformément à la philosophie du rapport « Juppé-Rocard » 228 ( * ) dont ils sont issus, une véritable « additionnalité » par rapport aux politiques publiques portées par les missions budgétaires « classiques ».

De même, un certain nombre de détournements du PIA au regard de ses buts fondateurs, soit l'augmentation du potentiel de croissance économique de la France, peuvent être regrettés . Le rapporteur spécial relève ainsi que la Cour des comptes 229 ( * ) partage la critique qu'il a formulée dans son rapport lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2020 quant à l'inscription de thématiques sans lien avec les objectifs du PIA relatives à la recherche en matière de sport de haut niveau ou aux Jeux olympiques de 2024 dans les appels à projets des actions « Programmes prioritaires de recherche » et « Concours d'innovation » 230 ( * ) . Le choix, « largement entériné » selon la Cour des comptes, de financer la rénovation du Grand palais à hauteur de 160 millions en CP sur les crédits déjà votés en AE du programme 421 est également constitutif d'une forme de « bourrage d'enveloppe » que le rapporteur spécial ne peut que déplorer.

Ces redéploiements massifs, intervenus tantôt entre actions des PIA et actions du budget général, tantôt entre actions des PIA 1 et 2 et actions du PIA 3, tantôt entre actions du PIA 3, tantôt au sein d'une même action du PIA 3 (pour rééquilibrages entre différents modes de financement), témoignent certes d'une certaine « agilité » des PIA . Ils complexifient toutefois considérablement le suivi de l'exécution des actions et la lecture des documents budgétaires transmis au Parlement.

À titre d'exemple, la consommation de - 310,3 millions d'euros constatée en CP sur l'action 04 du programme 423 « Adaptation et qualification de la main d'oeuvre » (pourtant dotée de 100 millions d'euros d'AE en LFI 2017) résulte non pas d'une renonciation à cette action au profit d'une autre mais du rétablissement sur cette action de 300 millions d'euros (entre autres) de crédits extrabudgétaires issus de l'action « Aéronautique » du PIA 1, redéployés ensuite pour l'essentiel au profit de l'action 03 « Démonstrateurs et territoires d'innovation de grande ambition » du programme 422 afin de financer le projet RJH.

4. L'important travail d'évaluation du premier volet du PIA a été conduit fin 2019 est source de nombreux enseignements dans la perspective d'un futur PIA 4

Fin novembre 2019, le Comité de surveillance des investissements d'avenir 231 ( * ) , au sein duquel siègent huit députés et huit sénateurs , a remis au Premier ministre un rapport d'évaluation du PIA 1 (lancé en 2010 et doté de 35 milliards d'euros). De nombreuses observations restent pertinentes pour les PIA 2 et 3.

Les principaux constats de ce rapport sont les suivants :

- le PIA 1 a contribué à limiter la dégradation de l'investissement suite à la crise de 2008, qui a diminué en France de 1,9 point de PIB contre 3,2 points en moyenne au sein de l'UE entre 2009 et 2014 ;

- l'impact du PIA 1 sur la croissance française peut être évalué entre 1,1 % et 1,7 % du PIB sur la période 2009-2019 (soit 22 à 35 milliards d'euros). L'impact sur l'emploi pourrait se chiffrer à 578 000 emplois créés ou maintenus en 2019, et près d'1 million d'emplois à horizon 2030. Cette mesure est cependant fragile ;

- le retour financier du PIA 1 pour les finances publiques pourrait s'élever à terme à 7 milliards d'euros.

Le Comité souligne néanmoins qu'au printemps 2019, moins de 30 % des actions avaient fait l'objet d'une évaluation. Au demeurant, les approches retenues sont hétérogènes et celles-ci portent insuffisamment sur leurs impacts socio-économiques.

Le Comité formule également, dans la perspective d'une prochaine génération d'investissements d'avenir d'un montant qui pourrait s'élever à une dizaine de milliards d'euros, de nombreuses recommandations parmi lesquelles :

- renforcer l'évaluation, notamment socio-économique mais également territoriale de l'impact des actions conduites. En effet, visant en premier lieu l'excellence, le PIA n'a pas eu comme objectif premier de réduire les inégalités territoriales . Seules 5 des 49 actions du PIA  se fondaient sur une logique d'aménagement du territoire (exemple : « Plan très haut débit »), mais ils se sont caractérisés par une moindre efficacité en matière d'innovation. Ainsi, les régions Île-de-France et Auvergne-Rhône-Alpes ont concentré 60 % des investissements. La concentration en Île-de-France est particulièrement nette s'agissant des investissements en faveur de l'excellence scientifique (55 % des montants du PIA consacrés à cette thématique) ;

- allouer 20 % des crédits à des enveloppes régionalisées permettant aux Conseils régionaux de cofinancer les projets ;

- conduire un effort investissement dans quatre nouveaux champs : l'enseignement primaire et secondaire, l'agriculture, la préservation de la biodiversité et enfin la prévention et l'accompagnement du vieillissement ;

- favoriser les synergies avec les autres vecteurs de soutien à l'innovation, en particulier le secteur de la défense.

Le rapporteur souscrit à ces propositions, qui sont de nature à améliorer l'équilibre territorial des effets du PIA. Il accordera une vigilance toute particulière au renforcement de l'évaluation de l'efficacité des actions menées, qui constituent le corollaire indispensable de la pérennité d'un cadre budgétaire dérogatoire dont bénéficie le PIA .

Le Comité de surveillance des investissements d'avenir

Le Comité de surveillance des investissements d'avenir est composé de 17 membres : 8 personnalités qualifiées désignées par le Premier ministre, 4 députés désignés par le président de l'Assemblée nationale, 4 sénateurs désignés par le président du Sénat et un président de Région désigné par Régions de France.

Il établit un rapport annuel faisant apparaître l'exécution des programmes d'investissements et les résultats de leur évaluation. Le Comité de surveillance peut consulter, sur un thème déterminé, des représentants des collectivités territoriales et des organisations d'employeurs et de salariés ainsi que toute personne dont il juge utile de recueillir l'avis.

Présidente du Comité de surveillance : Madame Patricia BARBIZET

Personnalités qualifiées : Madame Florence ALLOUCHE-GHRENASSIA, présidente de SparingVision ; Monsieur Henrik ENDERLEIN, professeur d'économie, directeur de l'Institut Jacques Delors ; Madame Sandra LAGUMINA, directrice générale Gestion d'actifs du fonds d'investissement Meridian ; Monsieur Jean-Marc RAPP, président du jury des Initiatives d'excellence ; Monsieur Guillaume RICHARD, président-fondateur du groupe Oui Care ; Madame Marie-Noëlle SEMERIA, directrice recherche et développement groupe de Total ; Monsieur Ronan STEPHAN, directeur scientifique du groupe Plastic Omnium.

Députés désignés par le Président de l'Assemblée Nationale : Madame Isabelle FLORENNES, députée de la 4 e circonscription des Hauts-de-Seine ; Madame Olivia GREGOIRE, députée de la 12 e circonscription de Paris ; Monsieur Martial SADDIER, député de la 3 e circonscription de Haute-Savoie ; Monsieur Laurent SAINT-MARTIN, député de la 3 e circonscription du Val-de-Marne

Sénateurs désignés par le Président du Sénat : Monsieur Alain CHATILLON, sénateur de Haute-Garonne ; Madame Sonia de LA PROVOTE, sénatrice du Calvados ; Monsieur Bernard LALANDE, Questeur, sénateur de la Charente-Maritime ; Monsieur Claude NOUGEIN, sénateur de la Corrèze.

Président de Région désigné par Régions de France : Monsieur Alain ROUSSET, président de la Région Nouvelle-Aquitaine

Source : site internet du secrétariat général pour l'investissement


* 223 Philippe Tibi, Financer la quatrième révolution industrielle : lever le verrou du financement des entreprises technologiques, rapport remis au Premier ministre, juillet 2019.

* 224 Ibid., p. 7.

* 225 Cour des comptes, Note sur l'analyse de l'exécution budgétaire de la mission « Investissements d'avenir » en 2019.

* 226 Source : compte général de l'État 2019.

* 227 Rapport fait au nom de la commission des finances sur le projet de loi de finances rectificative pour 2019 par M. Albéric de Montgolfier, Rapporteur général, 14 novembre 2019, p. 24.

* 228 Alain Juppé et Michel Rocard, « Investir pour l'avenir : priorités stratégiques d'investissement et emprunt national », novembre 2009.

* 229 Cour des comptes, Note sur l'analyse de l'exécution budgétaire de la mission « Investissements d'avenir » en 2019, p. 9.

* 230 Jean Bizet, Annexe n° 17 au rapport général fait nom de la commission des finances sur le projet de loi de finances pour 2020 par M. Albéric de Montgolfier, p. 25-26, 21 novembre 2019.

* 231 Comité de surveillance des investissements d'avenir, « Le programme d'investissement d'avenir, un outil à préserver, une ambition à refonder », novembre 2019.

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