B. DÉPISTAGE ET TRAÇAGE : LES SYSTÈMES D'INFORMATION DÉPLOYÉS EN APPUI À LA LUTTE CONTRE L'ÉPIDÉMIE DE COVID-19

Dans le cadre de la stratégie de déconfinement présentée au Parlement à la fin du mois d'avril, le Gouvernement a souhaité instaurer un système de suivi des contacts 9 ( * ) pour identifier et tester les patients atteints de covid-19, retracer leurs « cas-contacts » et leur proposer un accompagnement médical et social. L'objectif, en alertant au plus tôt les personnes susceptibles d'être infectées, est de briser les chaînes de contamination et d'endiguer la propagation exponentielle de la maladie.

Le déploiement d'importants moyens humains s'est accompagné de la mise en oeuvre d' outils numériques pour retracer les cas-contacts 10 ( * ) . À ce titre, deux initiatives ont notamment été lancées par le Gouvernement, qui doivent être bien distinguées : l'application mobile grand public « StopCovid », d'une part, et les systèmes d'information utilisés par les professionnels de santé (« SI-DEP » et « Contact Covid »), d'autre part.

1. « StopCovid » : une application que le Gouvernement s'apprête à prolonger malgré le peu d'engouement du public et une efficacité incertaine

Application grand public pour terminaux mobiles, « StopCovid » , a été lancée le 2 juin 2020 : utilisant la technologie Bluetooth pour déterminer la proximité avec d'autres appareils, elle peut être installée sur une base volontaire pour être alerté en cas de contact à risque avec d'autres utilisateurs s'étant révélés malades. Elle a été instaurée par voie réglementaire 11 ( * ) , après un débat d'orientation au Parlement et deux avis de la CNIL.

Le rapporteur s'est étonné auprès du ministère de la Santé de l'absence de publication régulière de statistiques permettant au Parlement et au public de juger de l'appropriation de l'application par la population, à l'opposé des pratiques transparentes de certains de nos voisins 12 ( * ) .

Au 5 octobre 2020, l'application StopCovid n'a été téléchargée que 2,7 millions de fois 13 ( * ) . En quatre mois de fonctionnement, elle a permis d'avertir 459 utilisateurs d'un risque de contact avec une personne contaminée, 7 802 personnes testées positives s'étant déclarées dans l'application.

Évolution mensuelle et par plateforme mobile
du solde de téléchargements de l'application « StopCovid »

iOS

Android

TOTAL

Juin

856 858

819 750

1 676 608

Juillet

92 354

27 327

119 681

Août

41 637

- 21 866

19 771

Septembre

53 421

6 853

60 274

TOTAL

1 044 270

832 064

1 876 334

Source : Ministère des solidarités et de la santé

Comparaison internationale -
Évolution du taux de téléchargement de l'application de suivi des contacts
(pourcentage de la population / nombre de jours depuis le lancement)

Source : Christophe Fraser, Oxford University,
Nuffield Department of Medicine, Big Data Institute

En France, après 4 mois, le taux de téléchargement de l'application nationale de suivi des contacts reste ainsi en deçà de 5 % de la population .

Refusant pourtant d'y voir un échec, le Gouvernement relève que si 18 millions de personnes ont bien téléchargé l'application allemande, seuls 3 500 cas se sont déclarés positifs dans l'application, alors qu'en France, avec un peu moins de 3 millions de personnes connectées, ce sont plus de 7 000 cas qui se sont déclarés positifs dans l'application. Selon le Gouvernement, « au regard de l'objectif de déclaration des cas positifs et d'identification des cas contacts, le système Stop Covid est donc efficace ».

Le rapporteur regrette toutefois qu'aucun élément de comparaison internationale ne figure dans le rapport remis au Parlement sur les systèmes d'information 14 ( * ) , rapport qui ne comporte pas non plus d'évaluation de l'efficacité sanitaire réelle de l'application.

À cet égard, il partage les critiques de la CNIL qui, dans l'avis accompagnant ledit rapport, constate « que l'évaluation formelle de l'effectivité de l'application n'[a] pas encore débuté et que le calendrier du travail d'évaluation n'[a] pas encore été établi par le ministère » ; elle regrette de même que le rapport au Parlement « ne fasse pas état d'éléments plus précis justifiant de la nécessité de maintenir ces traitements au regard du contexte sanitaire actuel » et ne permette pas « d'apprécier suffisamment l'impact effectif de ce dispositif dans la lutte contre l'épidémie (absence d'analyse relative aux statistiques d'usage, aux résultats d'éventuelles enquêtes menées auprès des utilisateurs, professionnels ou grand public, au nombre de cas identifiés grâce à l'application) ».

Pourtant, malgré cette absence d'évaluation, et alors que le décret ayant créé « StopCovid » en fixait la fin 15 ( * ) au 10 janvier 2021, il a été confirmé au rapporteur que le Gouvernement envisage de prolonger l'application jusqu'au 1 er avril 2021 , « au vu du contexte sanitaire et pour les mêmes raisons que celles qui justifient de proroger le régime transitoire institué à la sortie de l'état d'urgence ».

2. « SI-DEP » et « Contact Covid » : des systèmes d'information très utilisés, bien encadrés, mais encore insuffisamment évalués

Plusieurs systèmes d'information ont été créés ou adaptés pour équiper les professionnels de santé en charge de la lutte contre l'épidémie (les « brigades sanitaires ») et pour faciliter le dépistage et la prévention des personnes à risque.

Au regard de l'ampleur de la tâche et du caractère massif de l'épidémie, le législateur a autorisé de façon exceptionnelle que le traitement de certaines informations s'affranchisse du secret médical et du consentement des intéressés pour partager les données de santé indispensables au traçage des contacts :

- le système d'information national de dépistage (« SI-DEP » ), mis en oeuvre sous la responsabilité du ministère de la santé, essentiellement par les laboratoires de tests et les médecins, sert à enregistrer les résultats des laboratoires de tests covid-19 et permet le suivi des opérations de dépistage et la diffusion des résultats des tests ;

- le téléservice « Contact covid », élaboré par l'Assurance maladie, permet le suivi des personnes contaminées et des cas-contacts .

Ces systèmes d'information ont été mis en place le 13 mai 2020 16 ( * ) . Selon l'étude d'impact, au 13 septembre, 231 871 patients zéros et 642 295 cas-contacts ont été identifiés dans le cadre de ces dispositifs.

Si la volumétrie prouve à elle seule à quel point ces systèmes d'information sont utiles à l'action des brigades sanitaires sur le terrain, la CNIL pointe, là encore, une insuffisance regrettable du Gouvernement dans l'évaluation concrète de l'efficacité sanitaire de ces dispositifs : dans son avis au Parlement, elle demande ainsi à « disposer d'indicateurs de performance des systèmes d'information déployés, afin de pouvoir mesurer leur efficacité au regard des objectifs poursuivis » et « estime qu'une grille d'analyse devrait être établie au regard d'indicateurs d'efficacité sanitaire ».

Les garanties encadrant le traitement des données de santé
par les systèmes d'information destinés au suivi des contacts
et à la lutte contre la covid-19

L'article 11 de la loi du 11 mai 2020 prorogeant l'état d'urgence sanitaire et complétant ses dispositions fixe un cadre juridique général pour les systèmes d'information déployés en appui à la lutte contre la propagation de l'épidémie de covid-19 et que doivent respecter les traitements de données ultérieurement créés ou modifiés.

Il autorise expressément que le partage de données traitées dans le cadre de ces systèmes d'information déroge au secret médical 17 ( * ) et à la nécessité de recueillir le consentement des intéressés .

Eu égard au caractère exceptionnel et particulièrement sensible de ces traitements, le législateur les a assortis d'importantes garanties , qui répondent ainsi aux exigences du Règlement général sur la protection des données (RGPD) :

- limitation du périmètre des données de santé pouvant être traitées (statut virologique ou sérologique de la personne à l'égard du virus et éléments probants de diagnostic clinique et d'imagerie médicale) ;

- double encadrement dans le temps , non seulement pour la durée de vie des systèmes d'information (jusqu'à « six mois à compter de la fin de l'état d'urgence sanitaire »), mais également pour la durée autorisée pour le traitement des données personnelles collectées (« trois mois après leur collecte ») ;

- identification précise des responsables de traitement pour les dispositifs envisagés (ministre chargé de la santé, l'Agence nationale de santé publique, l'Assurance maladie et les agences régionales de santé) et des catégories de personnes pouvant avoir accès à ces informations (agence nationale de santé publique, organismes d'assurance maladie, agences régionales de santé, service de santé des armées, communautés professionnelles territoriales de santé, établissements de santé, maisons de santé, centres de santé et médecins concernés, laboratoires de biologie médicale...) ;

- limitation des finalités poursuivies (identification des personnes infectées et des personnes à risque - « cas-contacts » -, orientation et suivi de ces dernières, recherche et surveillance épidémiologique) ;

- instauration de contrôles spécifiques, par un « comité de contrôle et de liaison covid-19 » (chargé d'associer la société civile et le Parlement aux opérations de lutte contre la propagation de l'épidémie par suivi des contacts ainsi qu'au déploiement des systèmes d'information prévus à cet effet) et l'obligation de remise d'un rapport trimestriel au Parlement rendu après avis public de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) .

C'est au regard de l'ensemble de ces garde fous, et après leur analyse détaillée, que le Conseil constitutionnel a déclaré les dispositions autorisant ces traitements de données conformes à la Constitution 18 ( * ) .

Concernant spécifiquement l'utilisation de ces fichiers aux fins de surveillance épidémiologique et de recherche sur le virus , les données doivent être pseudonymisées (les nom et prénoms des intéressés, leur numéro de sécurité sociale, et leur adresse devant être supprimés).

Reconnaissant l'utilité pour la recherche et la veille épidémiologique de pouvoir disposer de ces données plus de trois mois après leur collecte (durée au-delà de laquelle elles devraient normalement être détruites), le législateur a autorisé une dérogation de portée limitée à cette obligation dans la loi du 9 juillet 2020 organisant la sortie de l'état d'urgence sanitaire : la conservation reste possible, mais toujours dans la limite de la durée d'autorisation des traitements (soit six mois après la fin de l'état d'urgence sanitaire), pour cette seule finalité, pour des données non directement identifiantes, et de façon encadrée par un décret soumis à avis public de la CNIL et du comité de contrôle et de liaison.

Les moyens humains derrière les fichiers : « Contact Covid » et
le défi du dimensionnement des équipes chargées du traçage

« Contact Covid » est une plateforme mise à la disposition des médecins ainsi que des agents habilités de l'Assurance maladie (CNAM) et des Agences régionales de santé (ARS) pour accompagner l'avancée des enquêtes sanitaires. Cet outil enregistre les données des malades (dits « patients zéro »), celles des contacts que ces derniers ont communiqués aux enquêteurs sanitaires, et permet de suivre l'avancée de l'enquête sanitaire en renseignant des fiches contact rattachées au patient zéro.

Au regard des estimations sur les perspectives épidémiques disponibles avant le déconfinement, les équipes impliquées dans la remontée des chaînes de contamination avaient été dimensionnées au départ pour faire face à un nombre d'enquêtes de 3 000 nouveaux malades par jour et 20 cas contacts pour chaque nouveau malade confirmé (60 000 fiches). Dans ce cadre, 6 000 collaborateurs ont été formés à cette mission durant la première quinzaine de mai, dont 4 500 ont été affectés à cette mission dès l'ouverture du service le 13 mai.

La volumétrie des patients zéro et cas-contacts à traiter par les plateformes de contact tracing a été relativement faible par rapport aux estimations initiales entre les mois de mai et juillet 2020, impliquant un ajustement organisationnel au sein de l'Assurance maladie et de son réseau. Ainsi, selon les informations fournies en juin au rapporteur 19 ( * ) , le fonctionnement quotidien des plateformes de traçage concernait alors entre 1 500 et 2 500 collaborateurs de l'Assurance maladie.

Toutefois, depuis la fin juillet 2020, la charge de travail connait une évolution rapide et importante, mettant sous tension les équipes en charge du traçage .

L'évolution de l'épidémie conduit l'Assurance maladie à traiter à ce jour plus de 40 000 contacts quotidiens avec les patients zéro et les personnes contact. Cette volumétrie d'appels, qui est déjà considérable au regard des effectifs et du dimensionnement des plateformes, est appelée à doubler dans les prochaines semaines et donc à dépasser les 60 000 contacts quotidiens, capacité maximale den l'état de l'Assurance maladie.

Cette charge implique la mobilisation de près de 6 200 agents pour les services administratifs et 2 500 agents pour le service médical (soit un total de 8 700 agents, ou 10 000 en incluant le pilotage et le management), sur une activité à réaliser 7 jours sur 7 de 8 h 00 à 18 h 00.

Depuis la fin du confinement, ce sont près de 2 700 personnes sous contrats à durée déterminée qui ont été recrutées afin de venir en appui aux plateformes de traçage des contacts.

La mobilisation sur cette activité prioritaire a eu pour conséquence de redéfinir le périmètre des activités de l'Assurance maladie afin de pouvoir dégager des ressources disponibles. Hormis certains processus à enjeux stratégiques forts (relation client, précarité, remboursement des soins...), des activités ont été suspendues totalement ou partiellement (campagnes des délégués ou conseillers de l'Assurance maladie, contrôles, accompagnement et prévention).

Source : Ministère des solidarités et de la santé


* 9 Le suivi de contacts (« contact tracing ») est une politique de santé publique traditionnelle contre les épidémies qui vise à ralentir la propagation de l'agent pathogène. L'utilité de retracer sur plusieurs jours les interactions passées des personnes diagnostiquées positives au virus s'explique par l'existence d'une phase asymptomatique de la maladie : le virus n'est pas détectable aux premiers stades de la contamination, alors que le porteur est déjà contagieux. Il est donc particulièrement utile d'identifier rapidement les personnes avec lesquelles un malade diagnostiqué a pu se trouver en contact pendant la période d'incubation pour éviter que ces dernières ne contaminent à leur tour d'autres gens pendant cette phase asymptomatique.

* 10 Pour des développements plus complets, voir le chapitre « Outils numériques de traçage et protection des données personnelles » du rapport d'information n° 609 (2019-2020) « Mieux organiser la Nation en temps de crise » de MM. Philippe Bas, François-Noël Buffet, Pierre-Yves Collombat, Mmes Nathalie Delattre, Jacqueline Eustache-Brinio, Françoise Gatel, MM. Loïc Hervé, Patrick Kanner, Alain Richard, Jean-Pierre Sueur et Dany Wattebled, fait au nom de la commission des lois déposé le 8 juillet 2020. Ce rapport est consultable à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/rap/r19-609/r19-609_mono.html#toc475

* 11 Décret n° 2020-650 du 29 mai 2020 relatif au traitement de données dénommé « StopCovid ».

* 12 En Allemagne, le Robert Koch Institut, en charge de la « Corona App » publie ainsi régulièrement des statistiques sur son site, détaillées par plateforme :
https://www.rki.de/DE/Content/InfAZ/N/Neuartiges_Coronavirus/WarnApp/Kennzahlen.pdf?__blob=publicationFile

En Suisse, les statistiques de téléchargement sont affichées directement dans l'application « SwissCovid ».

* 13 Chiffre qui ne prend pas en compte les désinstallations (1,1 million) ni les réinstallations (300 000).

* 14 Aux termes du IX de l'article 11 de la loi n° 2020-546 du 11 mai 2020 prorogeant l'état d'urgence sanitaire et complétant ses dispositions : « Le Gouvernement adresse au Parlement un rapport détaillé de l'application [des] mesures tous les trois mois à compter de la promulgation de la [...] loi et jusqu'à la disparition des systèmes d'information développés aux fins de lutter contre la propagation de l'épidémie de covid-19 ». Le législateur a également prévu que ces rapports successifs soient complétés par un avis public de la Commission nationale de l'informatique et des libertés.

* 15 « Le traitement est mis en oeuvre pour une durée ne pouvant excéder six mois après la cessation de l'état d'urgence sanitaire » (article 3 du décret n° 2020-650 du 29 mai 2020 précité).

* 16 Décret n° 2020-551 du 12 mai 2020 relatif aux systèmes d'information mentionnés à l'article 11 de la loi n° 2020-546 du 11 mai 2020 prorogeant l'état d'urgence sanitaire et complétant ses dispositions .

* 17 Aux termes de l'article L. 1110-4 du code de la santé publique : « Toute personne prise en charge (...) a droit au respect de sa vie privée et du secret des informations la concernant. / Excepté dans les cas de dérogation expressément prévus par la loi, ce secret couvre l'ensemble des informations concernant la personne venues à la connaissance du professionnel, de tout membre du personnel de ces établissements, services ou organismes et de toute autre personne en relation, de par ses activités, avec ces établissements ou organismes. Il s'impose à tous les professionnels intervenant dans le système de santé. »

* 18 Voir la décision n° 2020-800 DC du 11 mai 2020 , Loi prorogeant l'état d'urgence sanitaire et complétant ses dispositions . Selon le considérant de principe énoncé par le Conseil constitutionnel : « Il résulte du droit au respect de la vie privée que la collecte, l'enregistrement, la conservation, la consultation et la communication de données à caractère personnel doivent être justifiés par un motif d'intérêt général et mis en oeuvre de manière adéquate et proportionnée à cet objectif. Lorsque sont en cause des données à caractère personnel de nature médicale, une particulière vigilance doit être observée dans la conduite de ces opérations et la détermination de leurs modalités ».

* 19 Voir le rapport n° 540 (2019-2020) de M. Philippe Bas, fait au nom de la commission des lois, déposé le 22 juin 2020, sur le projet de loi organisant la sortie de l'état d'urgence sanitaire :
https://www.senat.fr/rap/l19-540/l19-5405.html#toc48

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