EXAMEN EN COMMISSION

I. AUDITION DE M. OLIVIER DUSSOPT, MINISTRE DÉLÉGUÉ AUPRÈS DU MINISTRE DE L'ÉCONOMIE, DES FINANCES ET DE LA RELANCE, CHARGÉ DES COMPTES PUBLICS (5 NOVEMBRE 2020)

Réunie le jeudi 5 novembre 2020, sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission a procédé à l'audition de M. Olivier Dussopt, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la relance, chargé des comptes publics, sur le quatrième projet de loi de finances rectificative pour 2020.

M. Claude Raynal , président . - Nous entendons ce matin le ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la relance, chargé des comptes publics, M. Olivier Dussopt, sur le quatrième et, sans doute, dernier projet de loi de finances rectificative (PLFR) pour l'année 2020.

Ce nouveau PLFR révise le scénario macroéconomique pour l'année en cours, avec une récession attendue désormais à 11 % du PIB au lieu de 10 % annoncé en septembre. Malgré cette révision, les estimations de recettes de l'État seraient stables par rapport à ce qui était d'ores et déjà annoncé, du fait de rentrées fiscales un peu meilleures qu'attendu qui permettraient de compenser les nouvelles pertes engendrées par le confinement.

Du côté des dépenses, un ensemble de mesures que le ministre va nous détailler conduit à près de 20 milliards d'euros de dépenses supplémentaires. Certaines ouvertures de crédits résultent de nouvelles mesures de soutien, d'autres de l'impact de la crise sur certaines prestations sociales. Le déficit reviendrait au niveau estimé à l'été, soit 11,3 % du PIB et la dette publique serait portée à près de 120 % du PIB.

Toutes ces mesures susciteront sans aucun doute de nombreuses questions, aussi je vous cède sans plus tarder la parole pour un bref propos introductif.

M. Olivier Dussopt, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la relance, chargé des comptes publics . - L'examen de ce PLFR 4 s'inscrit dans un contexte que chacun connaît, avec une reprise de l'épidémie et des décisions de confinement annoncées par le Président de la République. La priorité qui est celle du Gouvernement au travers du PLFR 4 est d'abord et avant tout de répondre à la crise épidémique et à ses conséquences économiques et sociales. Dans un second temps, et de manière plus traditionnelle, il s'agit également d'arrêter le schéma de fin de gestion.

Nous avons fait le choix de réarmer et d'élargir les dispositifs de soutien à l'économie mis en place au printemps. C'est le cas du fonds de solidarité. Désormais, il concerne les entreprises de moins de cinquante salariés, contre dix au printemps. Son plafond peut être porté à 10 000 euros pour les entreprises qui font l'objet d'une fermeture administrative ou pour celles figurant sur la liste S1 bis qui pourraient justifier d'une perte importante de chiffre d'affaires. L'ancien dispositif, avec un plafond à 1 500 euros, reste en vigueur pour la totalité des entreprises, qu'elles fassent l'objet d'une décision de fermeture ou non.

Nous avons aussi fait le choix de reconduire le même dispositif d'exonération de cotisations patronales et de mise en place d'un crédit pour payer les cotisations à venir sur la part salariale que dans le PLFR 3. L'Assemblée nationale a adopté un amendement du Gouvernement à l'occasion de l'examen en première lecture du PLFSS, permettant la reconduction de ce dispositif pour la nouvelle période de confinement. De la même manière, nous avons choisi de prolonger le dispositif de prise en charge de l'activité partielle aux mêmes conditions qu'antérieurement.

À cela s'ajoute un certain nombre de dispositifs mis en oeuvre ou prolongés : prolongation pour six mois de la possibilité de souscrire un prêt garanti par l'État (PGE) ; possibilité pour les entreprises ayant déjà souscrit un PGE sans atteindre le plafond de pouvoir le recharger ou d'en ouvrir un second ; mise en oeuvre de prêts directs de l'État aux entreprises ; création d'un crédit d'impôt, dont nous discuterons dans le projet de loi de finances (PLF), au profit des bailleurs acceptant d'abandonner une partie des loyers pour les entreprises de moins de 250 salariés des secteurs dits « protégés » ou les entreprises fermées dans le cadre des mesures de confinement.

Cette nouvelle période de confinement nous conduit à revoir les prévisions macroéconomiques pour la fin de l'exercice 2020. Ainsi, la récession est estimée à 11 % du PIB au lieu de 10 % au moment de la présentation du PLF début septembre. Le niveau de déficit public est estimé à 11,3 % du PIB, soit un peu plus que ce qui était envisagé à l'ouverture des débats sur le PLF où nous avions anticipé un chiffre de 10,2 %. Nous restons très légèrement en deçà des prévisions faites à l'occasion du PLFR 3.

En ce qui concerne la dette publique, nous faisons une estimation à 119,8 % du PIB contre 117,5 % en ouverture des débats sur le PLF. Ici aussi nous retrouvons un étiage très proche des 120,1 % que nous craignions au moment du PLFR 3.

Le déficit public s'élèvera, si les prévisions sont vérifiées, à 247,9 milliards d'euros, dont 222,9 milliards d'euros pour le déficit budgétaire de l'État. Cela signifie qu'une part importante - la moitié - des dépenses de l'État pour 2020 sera financée par du déficit, ce qui souligne à la fois le caractère exceptionnel du niveau d'intervention et le caractère réversible des dépenses.

Deux raisons principales à cette augmentation très forte du déficit public, en particulier de l'État. La première est la perte de recettes à hauteur de 100 milliards d'euros par rapport à l'inscription en loi de finances initiale (LFI) pour 2020. La seconde est la mise en oeuvre de dépenses nouvelles à hauteur de 86 milliards d'euros : 66 milliards d'euros votés à l'occasion des trois premiers PLFR et 20 milliards d'euros que nous proposons d'inscrire au titre de ce PLFR 4.

Ces 20 milliards d'euros sont ainsi décomposés : 10,9 milliards au titre du fonds de solidarité, ce qui portera ses crédits à 19,4 milliards ; 3 milliards au titre de la prise en charge des exonérations de cotisations, ce qui porte le quantum à 8,2 milliards ; 3,2 milliards pour l'activité partielle, portant le quantum à 34 milliards d'euros ; 1,1 milliard pour la prise en charge de la prime versée aux ménages les plus fragiles ; 1,9 milliard de compensation auprès des comptes de la sécurité sociale pour le relèvement de l'objectif national des dépenses d'assurance maladie (Ondam) voté par l'Assemblée nationale en première lecture. Je précise que l'Assemblée nationale a adopté un amendement du Gouvernement relevant le niveau de l'Ondam en 2020 de 2,4 milliards supplémentaires. Nous n'inscrivons ici que 1,9 milliard, car, en PLFR 3, une provision de 500 millions d'euros avait été votée.

Sur ces 20 milliards d'euros, 17,3 milliards sont inscrits dans la mission « Plan d'urgence face à la crise sanitaire » ouverte à l'occasion de l'examen des PLFR précédents. Il s'agit du fonds de solidarité, des compensations d'exonérations et de la part qui relève de l'État pour le financement de l'activité partielle. Les autres crédits sont inscrits sur d'autres missions. Je pense notamment à la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances », qui porte 1,1 milliard d'euros destinés à financer la prime aux ménages les plus fragiles.

Ce PLFR renforce les dispositifs d'aide de l'État aux collectivités territoriales. Premièrement, nous vous proposons d'adopter un fonds de stabilité au profit des conseils départementaux à hauteur de 200 millions d'euros, contre une moyenne de 115 millions d'euros sur les trois années précédentes. Cela vient s'ajouter à une disposition adoptée par l'Assemblée nationale à l'occasion de la première lecture du PLF, qui vise à abonder le fonds de péréquation des départements en matière de droits de mutation à titre onéreux (DMTO) de 60 millions d'euros pour tenir compte de la perte de dynamique d'alimentation de ce fonds. Deuxièmement, nous vous proposons de mettre en place un dispositif d'avances remboursables en matière d'aide aux autorités organisatrices de la mobilité (AOM) à hauteur de 1,95 milliard d'euros : 1,2 milliard correspondent aux accords passés entre l'État et Île-de-France Mobilités et 750 millions d'euros permettront d'aider les autorités organisatrices de la mobilité de province dans les mêmes conditions.

Au-delà de ces aspects macroéconomiques, ce PLFR comporte quatre types de dispositions que je souhaite souligner.

Tout d'abord, c'est un PLFR conforme en méthode aux PLFR que nous avons eu l'occasion de vous présenter les années précédentes. Nous ne proposons aucune disposition fiscale. Nous considérons, comme en 2019, que le PLFR, particulièrement en fin de gestion, est un exercice budgétaire d'ajustement que nous utilisons pour recharger les dispositifs de réponse à la crise. En cela, nous gardons une certaine fidélité à cette méthode et nous travaillons sans décret d'avance, ce qui nous permet de respecter les autorisations parlementaires.

Par ailleurs, la dégradation des comptes publics, tout en étant importante, est moins accentuée que ce que nous craignions dans le PLFR 3, du fait d'un ressaut des recettes fiscales. Nous enregistrons 2,4 milliards d'euros supplémentaires en prévisions de recettes par rapport aux prévisions du PLFR 3 avec une réévaluation importante de 2,8 milliards d'euros sur l'impôt sur les sociétés grâce à un taux de croissance à plus de 18 % durant le troisième trimestre, de 600 millions d'euros sur l'impôt sur le revenu et de 700 millions d'euros sur la TVA, mais une moins-value de 1,4 milliard d'euros sur la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE).

De plus, ce PLFR 4 sera aussi l'occasion de sincériser le schéma d'emplois de l'État pour l'année 2020. Il affiche une création nette de 5 350 emplois pour l'essentiel liés à la gestion de la crise : 2 350 ouvertures de poste au sein de Pôle emploi ; 125 postes pour l'Agence nationale pour la formation professionnelle des adultes (Afpa) ; plus de 400 postes pour le ministère de la santé. D'autres créations de postes répondent à des engagements politiques, à hauteur de presque 2 000 postes pour l'éducation nationale ou de plusieurs centaines de postes au ministère de la justice.

Enfin, ce PLFR porte un certain nombre d'annulations et d'ouvertures traditionnelles pour un montant cumulé global de 4,1 milliards d'euros. Le montant total des annulations est inférieur au montant mis en réserve au début de l'exercice 2020 : elles n'entraînent pas des annulations de contrats puisqu'il s'agit de crédits qui n'avaient jamais été mis à disposition des ministères. Dès lors que le PLFR sera adopté, les ministères auront à leur disposition la totalité des crédits qui n'auront pas fait l'objet d'annulations. Nous dégèlerons ainsi la part résiduelle de la réserve. Les ouvertures se répartissent ainsi : 1,9 milliard d'euros pour les aides personnalisées au logement ; 527 millions d'euros pour l'allocation aux adultes handicapés ; un peu plus de 310 millions d'euros pour réarmer le dispositif d'aide à l'embauche de jeunes et d'apprentis. D'autres ouvertures correspondent à des priorités, y compris dans le cadre de la gestion de crise. Je pense à un peu plus de 100 millions d'euros pour le secteur des industries culturelles, 100 millions d'euros pour le secteur du sport et enfin 200 millions d'euros au profit du ministère du logement dans le cadre de la mise à l'abri des personnes sans domicile fixe et de l'hébergement d'urgence. Nous avons aussi procédé à des annulations moins fortes qu'habituellement pour certains ministères. Je pense tout particulièrement au ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche, pour lequel les moindres annulations permettent de financer la prolongation des contrats de doctorant et de post-doctorant.

La trajectoire et la situation des finances publiques nous obligent à une réflexion à moyen et long terme. Comme je l'ai annoncé hier devant la commission des finances de l'Assemblée nationale, j'installerai dans les prochains jours un groupe de travail qui aura pour mission à la fois de s'appuyer sur les nombreux travaux parlementaires, mais aussi de faire des propositions dans le cadre de la révision de la trajectoire pluriannuelle demandée par le Haut Conseil des finances publiques (HCFP) dans son dernier avis, comme dans le précédent.

M. Claude Raynal , président . - Vous avez insisté sur l'évolution des conditions macroéconomiques qui sous-tendent ce PLFR 4. Lorsque nous ouvrirons nos travaux budgétaires le 19 novembre prochain, allons-nous le faire sur la base du PLF pour 2021 tel qu'il nous est parvenu, mais qui est dépassé, ou le PLF pour 2021 sera-t-il modifié pour tenir compte des nouvelles prévisions macroéconomiques ? Devant l'Assemblée nationale, Bruno Le Maire a indiqué qu'il reviendrait en nouvelle lecture avec des propositions. Vous annoncez, par exemple, dans ce PLFR un dispositif fin 2020 pour la prime de précarité. Cette vision sociale sera-t-elle intégrée en termes de dépenses dans le PLF 2021 ?

M. Jean-François Husson , rapporteur général . - Vous l'avez expliqué, l'esprit du PLFR est de porter sur les actes de gestion sans intervenir sur des modifications de fiscalité. C'est effectivement une marque de fabrique du Gouvernement depuis un certain temps, ce dont je ne peux que me féliciter. Idem en ce qui concerne les efforts de gestion, avec des annulations inférieures au montant des mises en réserve. J'ai trois questions à vous soumettre.

Premièrement, vous avez indiqué que l'activité serait inférieure de 20 % en novembre par rapport au niveau d'avant le rebond de la crise sanitaire et vous avez évoqué une chute de PIB de l'ordre de 11 %. Novembre et décembre me semblent tous deux concernés. Avez-vous construit votre prévision sur l'hypothèse d'un reconfinement de deux mois ? C'est un exercice de vérité, y compris politique, à l'endroit des Français.

Deuxièmement, le dispositif introduit pour les avances remboursables afin de compenser les autorités organisatrices de la mobilité hors Île-de-France fait beaucoup parler dans les territoires. Il s'agirait de compenser par une sorte de forfait des pertes de versement mobilité et de recettes tarifaires. Pourquoi ce choix ? Pourquoi limiter ce dispositif à 750 millions d'euros ? Quelles seront les conditions de remboursement de ces avances ?

Troisièmement, les pertes de recettes de DMTO en 2021 des communes non touristiques de moins de 5 000 habitants ne sont pas prises en compte dans les dispositifs introduits dans le cadre de la troisième loi de finances rectificative pour 2020. Pouvez-vous estimer l'ampleur des moindres recettes ? Avez-vous prévu d'intervenir cette fois-ci ?

M. Olivier Dussopt, ministre délégué . - C'est un exercice particulier dans la mesure où le contexte est mouvant. Nous vous proposerons, si vous en êtes d'accord, des amendements de coordination sur l'article liminaire pour tenir compte de la révision des hypothèses macroéconomiques. Nous nous en tiendrons là à ce stade. La loi organique relative aux lois de finances (LOLF) prévoit que si le Gouvernement modifie de manière significative les hypothèses macroéconomiques qui entourent l'examen du PLF, il se doit de saisir le Haut Conseil des finances publiques pour avis. Nous l'avons fait avec le cadrage macroéconomique du PLFR, mais nous ne l'avons pas fait formellement pour le PLF. Nous nous réservons la possibilité d'y avoir recours entre la première et la deuxième lecture afin de sincériser totalement le document. Les amendements de coordination que nous vous proposerons à l'article liminaire permettront de travailler dans un cadre qui tiendra compte des nouvelles approches et des nouvelles hypothèses.

Un certain nombre de dispositions pourront être présentées dans le PLF 2021. Je pense notamment à la prolongation de la possibilité de souscrire un PGE. Pour ce qui concerne la mission « Plan d'urgence face à la crise sanitaire », dotée pour l'instant de zéro euro, comme l'a indiqué Bruno Le Maire à l'Assemblée nationale, notre choix porte plutôt sur un réarmement autant que nécessaire en deuxième lecture du PLF de manière à avoir une visibilité accrue sur les besoins. M. le rapporteur général m'a interrogé sur la durée anticipée du confinement et sur les effets du confinement dans le temps. Nous vous proposons d'inscrire 20 milliards d'euros dans le PLFR alors que le dispositif que j'ai présenté dans mon propos liminaire affiche un coût mensuel de 15 milliards d'euros. Pourquoi cette différence ? Si le confinement dure un mois, nous savons que la reprise d'activité nécessite un peu de temps. Prévoir 30 % de crédits supplémentaires semble donc prudent et de bon aloi. Par ailleurs, les crédits que le Parlement a adoptés lors du PLFR 3 n'ont pas tous été consommés : 9 milliards d'euros subsistent des dispositifs du fonds de solidarité et du chômage partiel. Si l'on ajoute cette somme aux 20 milliards d'euros que nous vous proposons d'inscrire, nous arrivons à un total d'environ 30 milliards d'euros, ce qui nous permettrait dans la pire des hypothèses de « tenir » jusqu'à la fin de l'année sans avoir de nouveau à solliciter le Parlement pour obtenir des crédits supplémentaires. Je ne sais pas vous dire aujourd'hui combien de temps durera le confinement ni prévoir ses effets dans le temps.

Sur la question des avances remboursables pour les autorités organisatrices de la mobilité hors Île-de-France, notre volonté est de construire un dispositif très analogue à celui qui a été conçu pour Île-de-France Mobilités, avec compensation de la perte du versement mobilité et mise en place d'un forfait pour pallier la perte de recettes tarifaires. Les 750 millions d'euros inscrits correspondent à l'estimation faite, mais il s'agit d'une provision. Nous avions procédé de la même manière pour Île-de-France Mobilités et pour les mécanismes de garantie.

Enfin, vous avez évoqué les DMTO pour les communes de moins de 5 000 habitants ; 2 400 communes sont concernées. Le ministère de la cohésion des territoires aura l'occasion de présenter un amendement visant à inscrire un mécanisme de prise en compte des pertes de DMTO dans le PLF 2021. Nous prévoyons à ce titre près de 50 millions d'euros.

M. Vincent Delahaye . - J'aurais aimé une note de synthèse, car on a du mal à s'y retrouver dans ce document de 162 pages où valsent les milliards. Comment se répartissent les 520 milliards d'euros de dette supplémentaire entre la relance à 100 milliards, le Fonds de soutien et les déficits récurrents ? Qu'est-ce qui n'est pas prioritaire dans le PLF, en-dehors des collectivités locales et des anciens combattants, puisque tout augmente ?

M. Philippe Dominati . - J'en reviens à la première question du rapporteur général. Le Haut Conseil des finances publiques estime aussi qu'un recul de 11 % du PIB suppose le maintien des mesures de confinement au-delà du seul mois de novembre. M. le ministre vient de nous annoncer que nous disposons de réserves pour tenir un confinement jusqu'à la fin du mois de décembre. S'agit-il des hypothèses de travail de Bercy ? L'État se prépare au pire, mais nos concitoyens, nos chefs d'entreprise et nos responsables économiques sont dans l'incertitude. Le rapporteur général a eu raison de parler de sincérité. Quels sont les chiffres qui ont été présentés au HCFP ? Sommes-nous partis pour un confinement de deux mois ? Les commerçants ont besoin de savoir comment aborder la saison de Noël.

M. Vincent Capo-Canellas . - Les chiffres sont vertigineux. Vous avez affirmé que la situation ne saurait être durable. Elle est pourtant loin d'être stabilisée. J'ai retenu les chiffres de 86 milliards d'euros engagés et de 100 milliards de manques à gagner. La facture de la covid est-elle stabilisée dans le cadrage que vous nous proposez ? Après le rebond du troisième trimestre, tablez-vous bien sur -12 % au quatrième trimestre ? Le dosage entre le soutien et la relance ne devrait-il pas être revu, car l'horizon se décale, comme nous le constatons tous ? N'y a-t-il pas un paradoxe à parler de rénovation énergétique au moment où l'urgence est de soutenir l'activité et l'emploi ? Un certain nombre de secteurs sont en très grande difficulté, comme le tourisme, le commerce ou l'aéronautique. Selon Eurocontrol, il faudrait attendre 2029 pour retrouver les chiffres de trafic aérien de 2019. Vous avez annoncé hier à l'Assemblée nationale qu'une instance serait appelée à fournir des hypothèses sur la stratégie de désendettement de l'État. Je serais curieux de vous entendre sur ce point.

Mme Christine Lavarde . - Vincent Capo-Canellas a posé une question que je souhaitais évoquer, à savoir les réponses à apporter aux déclarations du Fonds monétaire international (FMI), qui nous appelle à présenter un plan de désendettement. Que pouvez-vous répondre au Haut Conseil des finances publiques, qui analyse très durement la manière dont vous calculez le déficit structurel ? Vous avez évoqué un ressaut de l'impôt sur le revenu. Avons-nous constaté, du fait du prélèvement à la source, une baisse des revenus de nos concitoyens en raison de la crise ?

Jean-François Rapin, qui préside en ce moment même la commission des affaires européennes, souhaitait également vous interroger sur la situation de Brittany Ferries et du transport transmanche. Il relève que des dispositifs juridiquement eurocompatibles comme le net wage existent déjà dans plusieurs pays de l'Union européenne, mais restent inutilisés en France. De nombreux collègues de l'Assemblée nationale ont milité pour cette mesure, mais vous avez indiqué ne pas y être favorable. Pourquoi ? Au-delà des mesures d'urgence immédiates, comment le Gouvernement compte-t-il aider ce secteur à rembourser ses dettes présentes et à se projeter dans l'avenir sereinement ?

M. Philippe Dallier . - S'il y a des domaines où l'on peut saluer l'effort de sincérisation budgétaire du Gouvernement, il reste un sujet où il y a des progrès à faire : le logement. Certes, on trouve dans ce PLFR 4 les 1,85 milliard d'euros annoncés depuis un certain temps pour les aides personnelles au logement (APL), mais les crédits inscrits seront-il suffisants pour aller jusqu'à la fin de l'année ? Allons-nous devoir refaire un peu de dette à l'égard du Fonds national d'aide au logement (Fnal) ? Cela pose aussi la question de l'inscription budgétaire pour l'année prochaine. Dans le cadre du projet de loi de finances pour 2021, vous inscrivez 12,5 milliards d'euros alors qu'il en faudrait 13,9 milliards en tenant compte du PLFR 4. Même en ajoutant 1 milliard d'euros que vous allez prendre dans les caisses d'Action Logement pour alimenter le Fnal, ce ne sera pas suffisant. Par ailleurs, il est peu probable que la situation économique s'améliore et que le nombre de bénéficiaires diminue. La réforme qui va entrer en application et qui aura des effets contracycliques risque même de nous coûter plus cher.

Le Gouvernement et les opérateurs sur le terrain ont consenti de gros efforts pour ouvrir des places d'hébergement d'urgence dans cette période difficile. Or, là aussi, l'inscription budgétaire pour 2021 apparaît inférieure aux crédits consommés en 2020. On fait mieux en matière de sincérisation !

Ma dernière question porte sur Action Logement et son financement. La loi pour la croissance et la transformation des entreprises (Pacte) a exonéré les entreprises de moins de 50 salariés de la contribution à l'effort de construction. L'estimation du coût de cette mesure était de 300 millions. Vous ramenez cette somme à 238 millions pour la compensation, sachant qu'en 2021 vous prévoyez de la supprimer complètement. Ces 238 millions correspondent-ils au coût réel constaté, qui serait alors nettement inférieur à celui qui avait été estimé au moment du vote de la loi Pacte ?

M. Marc Laménie . - La masse financière de ce PLFR est de l'ordre de 20 milliards d'euros. En additionnant l'ensemble des crédits de paiement ouverts, on arrive à 32,7 milliards d'euros, dont 17,3 milliards pour le plan d'urgence et 9,9 milliards au titre du remboursement et du dégrèvement. La LFR 3 prévoyait 1 milliard d'euros pour relancer le secteur du bâtiment et des travaux publics, notamment via la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL). Compte tenu des grandes incertitudes pesant sur l'investissement des collectivités locales, qu'en est-il du plan de relance destiné à financer leurs investissements ? On parle beaucoup de donner la priorité à la santé. Les hôpitaux ayant d'énormes besoins, avons-nous une idée des dépenses engagées pour les aider ?

M. Rémi Féraud . - Comme Philippe Dominati l'a demandé pour les entreprises, pourquoi ne pas avoir calé le soutien aux plus précaires non pas sur une aide ponctuelle, mais sur l'ensemble de la période de l'état d'urgence ? Pourquoi ne pas avoir utilisé une partie des crédits prévus pour les participations financières de l'État qui n'ont pas été utilisés et sont reportés à 2021 ? Dans la même perspective, pourquoi n'avoir pas envisagé une prise en charge à 100 % du chômage partiel pour les revenus les plus bas ? Pour les transports publics, en Île-de-France ou hors Île-de-France, il est difficile de se contenter des avances remboursables, qui reviennent à repousser le traitement du problème à plus tard. Il s'agit à mon sens d'une demi-mesure. Quel est le raisonnement qui a conduit à ce compromis ?

M. Albéric de Montgolfier . - Si le confinement devait durer toute la période de l'état d'urgence, cela signifie-t-il que nous aurions un PLFR en début d'année 2021 ? Déposerez-vous des amendements pour les nouvelles mesures de soutien qui ont été annoncées et dont je ne trouve pas la traduction dans ce texte ?

M. Olivier Dussopt, ministre délégué . - Le déficit public était estimé à 54 milliards d'euros dans le PLF 2020. Nous terminerons l'année sur un déficit public dépassant les 240 milliards d'euros. Il s'agit du déficit tel qu'il était prévu au début de l'année 2020, auquel s'ajoutent 100 milliards d'euros de pertes de recettes par rapport à la prévision de la LFI 2020 et 86 milliards d'euros de dépenses engagées pour faire face à la crise, soit 66 milliards prévus dans les trois premiers PLFR et 20 milliards que nous vous proposons d'ajouter dans ce PLFR 4. La dégradation du déficit est donc strictement liée aux pertes de recettes et aux mesures de dépense engagées pour faire face à la crise de la covid.

Nous demandons à de nombreux ministères de faire des efforts. Les économies réalisées sont tendancielles. Un certain nombre de priorités ont été affichées, que le PLF 2021 permettra de financer. Je pense aux ministères régaliens, qu'il s'agisse de la justice, de l'intérieur ou des armées. Des engagements sont aussi pris en matière de préparation de l'avenir : je pense aux ministères de l'enseignement supérieur, de l'éducation nationale ou de la transition écologique. Tous les autres ministères, y compris celui que je représente, sont appelés à faire des économies.

Sur la question de la durée du confinement, la compétence de Bercy n'est pas de faire des hypothèses en matière de données sanitaires. Notre responsabilité est seulement de faire preuve de prudence. C'est la raison pour laquelle nous avons présenté au Haut Conseil des finances publiques un scénario consistant à tenir compte d'un confinement d'un mois, d'une éventuelle prolongation de quinze jours et d'une sortie en sifflet, mais ces hypothèses de travail ne valent en aucun cas prévisions sanitaires. Il n'est pas question et il n'est pas envisageable de présenter un collectif budgétaire supplémentaire en 2020. Par conséquent, mieux vaut être trop prudent que pas assez !

Je confirme à Vincent Capo-Canellas que notre hypothèse de travail, même si elle n'est pas formellement affichée, est une perte d'activité de 11 % à 12 % au cours du quatrième trimestre. Cela nous oblige à veiller à la réversibilité et au caractère ponctuel des dépenses que nous engageons, mais il existe quelques exceptions. La baisse des impôts de production de 10 milliards d'euros par an, par exemple, a vocation à être pérenne. De la même manière, l'augmentation des traitements de la fonction publique hospitalière est une mesure de dépense pérenne.

J'ai annoncé hier la mise en place d'un groupe de travail, sans lien avec le rapport du FMI évoqué par Christine Lavarde. Nous serons très certainement amenés à solliciter des parlementaires, notamment les rapporteurs généraux de l'Assemblée nationale et du Sénat ainsi que les présidents des commissions des finances des deux assemblées. Il s'agit d'un groupe de travail que le Gouvernement met en place pour nourrir sa propre réflexion prospective, ce qui ne nous empêchera pas de nous appuyer sur les travaux parlementaires, en particulier en matière de réforme de la loi organique.

Sur la question du Haut Conseil des finances publiques et de son considérant n° 29, nous savons qu'il y a souvent débat en matière de déficit structurel. Mais il me semble que, face à des variations de dépenses aussi importantes, les considérations de méthodologie en la matière ou d'approche au dixième du calcul du déficit structurel sont secondaires par rapport à l'habitude. Je renvoie par ailleurs au caractère nécessairement réversible de la dépense que nous engageons pour faire face à la crise.

Pour ce qui concerne l'impôt sur le revenu, nous n'avons pas mesuré d'évolution frappante. Le nombre de ménages ayant recours à une modulation du taux de prélèvement à la source n'a pas été aussi important que ce que nous imaginions. Le nombre de modifications de l'acompte versé par les indépendants est lui un peu plus important, mais moindre qu'escompté. La mise en oeuvre des dispositifs de chômage partiel a donc permis de garantir et de protéger le revenu des salariés. L'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) a souligné dans un rapport récent que la France était le pays où le pouvoir d'achat des salariés avait été le mieux protégé, avec une baisse de 0,3 % alors que le niveau de richesse diminuait de 10 %, voire plus aujourd'hui.

En ce qui concerne Brittany Ferries, l'aide annoncée par le Premier ministre sera rapidement publiée par décret, à hauteur de 30 millions d'euros. Nous avons une divergence d'approche avec celles et ceux qui considèrent que l'exonération de cotisations salariales serait possible pour ce secteur d'activité, ce qui n'est pas le cas eu égard à la jurisprudence. C'est ce qui nous a amenés, au travers des dispositifs d'exonération du PLFR 3, reconduits dans le PLFSS 2021, à proposer une exonération de cotisations patronales et à mettre en place des crédits de cotisation sur la part salariale.

Pour répondre à Philippe Dallier, il n'existe pas de sous-budgétisation en matière d'aide au logement. Les hypothèses qui sont les nôtres permettront de tenir l'intégralité de l'année. L'éventuelle modification pour 2021 fait partie des sujets que nous aborderons à l'occasion de la deuxième lecture. En ce qui concerne Action Logement, je confirme que le chiffrage à 238 millions d'euros correspond bien au coût réel constaté. Quant à la contemporanéisation, je rejoins votre remarque.

Marc Laménie a évoqué le recours à la DSIL pour soutenir les investissements des collectivités locales. Dès le mois d'août, 40 % des crédits ont été délégués aux préfets. Nous veillons à ce que le niveau de consommation progresse régulièrement. Surtout, conformément à l'engagement que j'ai pris devant vous, les autorisations d'engagement (AE) liées à la DSIL seront reportées en 2021 de manière que les crédits soient totalement à la disposition des collectivités et que la fin de l'année budgétaire ne marque pas leur disparition.

Rémi Féraud a évoqué la question du chômage partiel. Il ne nous a pas paru opportun d'envisager une prise en charge à 100 %, pour éviter de créer une trappe à inactivité. En revanche, nous avons musclé le dispositif de prise en charge du chômage partiel comme jamais, en tenant compte des leçons de la crise de 2008-2009. En matière d'accompagnement des plus précaires, nous prévoyons 1,1 milliard d'euros de primes exceptionnelles, venant s'ajouter aux mesures déjà prises par ailleurs : 100 millions d'euros en PLFR 3 pour les associations de solidarité ; augmentation des crédits pour l'hébergement d'urgence ; allocation de rentrée scolaire, etc. D'ici à l'examen du PLFR 4 par l'Assemblée nationale et le Sénat, nous n'écartons pas, monsieur de Montgolfier, la possibilité de renforcer encore ces dispositifs d'aide.

Sur la question des autorités organisatrices de la mobilité en Île-de-France et hors Île-de-France, le système d'avances remboursables a fait l'objet de discussions. Le dispositif mis en place avec Île-de-France Mobilités et dont nous allons nous inspirer pour les autres prévoit un remboursement lorsque chacun sera revenu à une situation de bonne fortune, ce qui paraît extrêmement protecteur.

Enfin, au-delà des aides aux plus fragiles, il se peut que le Gouvernement présente des amendements au PLFR 4. Je pense notamment à la question de l'industrie. Les dispositifs d'appels à projets sur les trajectoires de décarbonation fonctionnent très bien. Nous n'excluons pas de solliciter le Parlement pour l'inscription de quelques dizaines de millions d'euros supplémentaires afin de financer les résultats d'appels à projets s'inscrivant d'ores et déjà dans une perspective de relance. De la même manière, nous avons identifié, avec Olivia Grégoire, secrétaire d'État chargée de l'économie sociale, solidaire et responsable, un certain nombre d'associations n'appartenant pas aux réseaux nationaux avec lesquels nous avons l'habitude de travailler, mais qui méritent néanmoins d'être soutenues. Nous prévoyons donc un dispositif en ce sens, à hauteur d'une trentaine de millions d'euros.

M. Pascal Savoldelli . - Vous avez parlé de dégradation des comptes publics. J'aimerais avoir votre opinion sur la dégradation des comptes privés, car elle est en grande partie prise en compte par la mobilisation des comptes publics.

La situation des départements est très préoccupante. Rien que pour le revenu de solidarité active (RSA), leurs dépenses augmentent de plus de 1 milliard d'euros. Et que proposez-vous ? Un fonds de stabilisation de 200 millions d'euros ! Franchement, c'est une bombe à retardement. Un département comme le mien, le Val-de-Marne, a été obligé d'inscrire 6 millions d'euros de plus à son budget. Êtes-vous prêt à faire un geste dans ce PLFR 4 pour abonder de manière plus significative les finances des départements ? Envisagez-vous d'étendre l'aide de 150 euros en cas de confinement prolongé ? Les étudiants boursiers, notamment, pourront-ils y avoir droit ?

Mme Sophie Taillé-Polian . - En ce qui concerne la prise en compte de la pauvreté, nous sommes nombreux à souligner que la situation est grave et que la réponse du Gouvernement est insuffisante. Dans une tribune, MM. Aghion et Artus s'interrogent sur la façon dont le Gouvernement français gère cette crise par une sorte de « stop and go ». La réponse de la France est de créer des emplois de mauvaise qualité, ce qui provoque encore plus de précarité. Les crédits de ce PLFR 4 sont encore insuffisants. Les missions locales sont aidées, en loi de finances ordinaire, à hauteur de 1 600 euros par jeune. Vous avez ajouté en LFR des moyens pour que la garantie Jeunes soit davantage déployée, mais les missions locales ne sont plus désormais aidées qu'à hauteur de 900 euros par jeune. Vous souhaitez aider beaucoup de monde, mais avec des moyens largement insuffisants. Quant à la création du groupe d'experts, je ne peux que vous inviter à accroître la diversité scientifique de ses membres. Il serait grave que nous reproduisions les erreurs de 2008. Vous avez affirmé que les préconisations du FMI n'entraient pas en ligne de compte. Bruno Le Maire n'a-t-il pas affirmé récemment que la réforme des retraites était rendue indispensable dans la perspective d'un redressement à venir ? La tentation est donc bien réelle, au Gouvernement, de reprendre ensuite le chemin de l'austérité budgétaire par le biais de la réduction des prestations sociales !

M. Patrice Joly . - Il avait été envisagé de compenser les pertes de recettes des communes par des recettes fiscales supplémentaires. Les recettes d'exploitation étaient jusqu'à présent exclues. J'ai cru comprendre qu'il y avait des perspectives de révision. Qu'en est-il de cette approche aujourd'hui ?

M. Jérôme Bascher . - Une remarque sur le groupe d'étude et de pilotage que vous souhaitez mettre en place : c'est typiquement le genre de groupe qui ne sert à rien et qui est politiquement une erreur ! Il existe déjà un Conseil d'analyse économique, il existe déjà un Haut Conseil des finances publiques, la Commission européenne examine déjà nos projets à long terme, à quoi bon créer un tel groupe ? Par ailleurs, c'est une vaste escroquerie que de vouloir mettre tout le monde dans le même panier, y compris les présidents de commission des finances et les rapporteurs généraux. Tout cela n'est pas sérieux !

Ma question est la suivante : avez-vous toujours en tête un cantonnement de la dette et qu'allez-vous y mettre ? Celle du budget de l'État ? Celle des finances sociales ? Celle de l'Unédic ? Bref, quel est votre programme de reprise de dette ?

M. Sébastien Meurant . - Merci de votre présence, monsieur le ministre, en cette situation extrêmement difficile. Les chiffres donnent le tournis, et vous avez souligné la question de philosophie posée par le niveau de protection que beaucoup nous envient, et qui explique notre attractivité pour nombre de malheureux qui viennent nous rejoindre, mais aussi notre niveau de production et de richesse. L'écart entre niveau de protection et niveau de richesse s'accroît, ce qui se traduit par les déficits multiples que nous subissons et qui s'accroissent, année après année. J'espère que nous sommes tous conscients que cet écart n'est pas tenable, et qu'il n'y a pas d'argent magique, comme l'a dit, à une époque, notre Président de la République.

Philippe Dominati et Vincent Capo-Canellas ont parlé de la survie des entreprises. Pouvez-vous nous détailler les aides pour les entreprises dites stratégiques, qui exportent ? Mon département héberge l'aéroport de Roissy et, lorsque j'interroge les transitaires, j'apprends que beaucoup de marchandises arrivent encore en France. La Chine a redémarré, Amazon fonctionne bien, et beaucoup de biens arrivent de l'étranger. Mais nos exportateurs, avec l'interdiction de se déplacer dans les pays étrangers, ont beaucoup plus de mal.

Pascal Savoldelli a parlé des départements. Les 200 millions d'euros proposés sont très loin du niveau de leurs besoins. Le Val-d'Oise a vu le coût budgétaire du RSA doubler, par exemple. Pour les mineurs isolés, le coût a décuplé. Si les finances de l'État se dégradent, celles des départements et des régions vont se dégrader aussi. Avez-vous une estimation des déficits à venir ? Les départements n'y peuvent rien, avec les compétences liées.

M. Bernard Delcros . - Vous avez annoncé environ 100 milliards d'euros de pertes de recettes. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur la répartition de ces pertes, dans les grandes lignes ?

M. Charles Guené . - Merci, monsieur le ministre, pour la structuration et la clarté, habituelles, de votre propos. Le rapporteur général a posé les bonnes questions, notamment sur la mobilité et les droits de mutation à titre onéreux. Vos estimations indiquent que les pertes subies par les collectivités locales en matière de recettes sont moins importantes que ce qui était prévu pendant l'été. Vous mettez à jour vos prévisions, en somme. Mais ce mécanisme s'appuie sur des chiffres globaux et généraux. Avez-vous prévu des modalités particulières pour les collectivités qui auraient, de par la structure de leurs recettes, des difficultés avec l'acompte de 50 % ?

Le FMI salue l'adaptation du dispositif français, mais formule plusieurs critiques. Vous avez répondu en partie en ce qui concernait la réversibilité du processus engagé. Une autre critique estime plus généralement que le Gouvernement n'a pas suffisamment en ligne de mire l'assainissement de la dette et les réformes nécessaires à la baisse de la dépense publique. Le groupe que vous allez composer réfléchira à cette question, je suppose. Avez-vous déjà une stratégie particulière à cet égard ?

M. Michel Canevet . - La situation est compliquée, et appelle de nouveaux moyens, que le Gouvernement propose dans ce quatrième projet de loi de finances rectificative. Il convient de préparer l'avenir dès à présent. Pour cela, il faudrait prendre des mesures tenant compte de la réalité sur le terrain. Si, dans certains endroits, le confinement doit être extrêmement strict, dans d'autres, il peut l'être moins, et certaines activités peuvent fonctionner sans aucune difficulté. Plus il y aura d'activité dans notre pays, moins il y aura de recours aux fonds d'aide et aux dispositifs mis en oeuvre, et meilleure sera la situation des finances publiques. J'appelle le Gouvernement à bien réfléchir et à tenir compte des réalités locales pour adapter les modalités de confinement, de manière à moins affecter l'économie.

Lors de l'examen des missions, hier, je disais que, parmi les priorités à affirmer, il y aurait notamment la question du numérique. L'équipement de notre pays en très haut débit est important. Or j'observe dans ce quatrième projet de loi de finances rectificative une annulation de crédits à hauteur de 348 millions d'euros dans ce domaine. À quoi correspond-elle ? S'agit-il d'une réduction des moyens consacrés au très haut débit ? Il est indispensable au contraire d'accentuer l'effort en faveur de l'équipement numérique de notre pays, de façon à nous préparer au mieux pour l'avenir.

Le domaine des transports, aériens ou maritimes, est particulièrement affecté. Nous devons réfléchir dès à présent aux conditions de compétitivité de l'ensemble des moyens de transport si nous voulons qu'ils perdurent : ils ne sauraient fonctionner simplement avec des dispositifs d'aide. Des propositions ont été faites, pour le trafic transmanche, de réduction des cotisations sociales, pas simplement pour l'année à venir, mais sur le long terme. Pour affronter la concurrence internationale, les entreprises ont besoin de conditions de compétitivité qui leur permettent de jouer dans la même cour que les autres. J'appelle donc le Gouvernement à prendre des mesures fortes pour donner à ces secteurs des perspectives d'avenir.

M. Éric Bocquet . - Il était prévu en loi de finances initiale, l'an dernier, que les besoins de financement de notre pays se monteraient à 230 milliards d'euros, de mémoire. À ce jour, combien la France a-t-elle emprunté ? Avons-nous eu des difficultés à trouver des créanciers ? Peut-on connaître l'identité de ces créanciers ?

M. Olivier Dussopt, ministre délégué . - L'évolution du nombre de bénéficiaires du RSA est une réalité que nul ne nie. Nous faisons face à des situations très hétérogènes. Le dernier constat de la Caisse nationale d'allocations familiales (CNAF) est une augmentation du nombre de bénéficiaires du RSA comprise entre 5,5 % et 6 %. Ce chiffre recouvre des réalités très différentes puisque, par exemple, dans le Val-de-Marne ou dans le Val-d'Oise, il s'agit plutôt d'une hausse de 12 %, voire 12,5 %, quand d'autres départements nous signalent une augmentation extrêmement limitée, voire une stabilité du nombre de demandeurs. Le fonds de stabilité que j'ai évoqué, dont le montant, habituellement fixé à 115 millions d'euros, est porté à 200 millions d'euros, permettra d'aider une cinquantaine de départements plutôt qu'une trentaine. L'objectif est bien de prendre en compte la diversité des situations. Cette réponse ne résout certes pas la problématique beaucoup plus large de la prise en charge des dépenses liées aux allocations individuelles de solidarité.

Pour les plus précaires, la prime que nous proposons dans ce quatrième projet de loi de finances rectificative a un périmètre différent de celle qui était proposée dans le texte précédent. En effet, les étudiants boursiers, bénéficiaires ou non des APL, y seront éligibles, tout comme les jeunes bénéficiaires des APL, qu'ils soient étudiants ou non.

Vous avez évoqué la question de l'endettement privé. Les PGE souscrits atteignent 120 milliards d'euros, ce qui est conséquent, mais moins important que le plafond que nous avions fixé, à 330 milliards d'euros. Bruno Le Maire mène des discussions avec la Banque de France et la Fédération bancaire française pour que le report des premières échéances ne soit pas interprété comme un défaut de paiement. L'objectif est que la cotation des entreprises qui auraient besoin de reporter la première échéance du PGE ne soit pas dégradée, ce qui serait contre-productif.

Nous avons mis en place un certain nombre de dispositifs sur la question du soutien aux plus précaires, ou pour les missions locales, en partant du principe que, lorsque l'on étend le périmètre d'un dispositif, le niveau de financement que l'on qualifierait de marginal dans un modèle mathématique n'est pas nécessairement le même que pour le coeur du dispositif. Je note que vous demandez plus, madame la sénatrice, sans me dire exactement quoi, sauf à revenir sur des propositions que vous avez déjà formulées et dont vous savez que nous ne les partageons pas - qui nous paraissent même totalement inopportunes et irréalistes économiquement. J'ajoute - mais je ne suis pas sûr que nous nous retrouvions sur ce point - que nous considérons que la dette se rembourse et qu'elle devra être remboursée.

Si nous voulons faire face à la fois à la situation économique et sanitaire actuelle et aux engagements réguliers de l'État, notre crédibilité face à la charge de la dette est absolument vitale. Accepteriez-vous de prêter de l'argent à votre voisin si celui-ci vous déclarait d'emblée qu'il ne le rembourserait pas ? Le FMI fait un certain nombre de recommandations. Nous ne l'avons pas attendu pour être convaincus que la dette se rembourse et que nous devons y travailler. Le groupe de travail que j'ai évoqué aura à faire des propositions. M. Bascher, je l'ai dit dans mon propos liminaire : il n'est pas question pour nous d'inclure les parlementaires dans ce groupe de travail ! Nous souhaitons, s'ils en sont d'accord, qu'ils puissent être auditionnés par ce groupe. Mais je différencie systématiquement les initiatives et propositions parlementaires de ce que le Gouvernement souhaite mettre en place. J'ai simplement informé le Parlement que nous avions la volonté de nous faire accompagner par des experts et des personnalités qualifiées dans ce domaine.

Je confirme que nous avons d'ores et déjà cantonné une partie de la dette sociale. Il faut continuer à travailler sur la gouvernance de la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades). Nous avons une réflexion analogue, mais non aboutie, sur la question de la dette de l'État. Rien ne se fera sans une loi organique.

Sur les questions relatives à la prise de participation de l'État au capital d'entreprises stratégiques, je précise que nous n'avons annulé aucune des autorisations d'engagement et aucun des crédits de paiement sur les 20 milliards d'euros inscrits. Nous les reportons, pour maintenir la capacité d'intervention de l'État. L'une des explications de la reprise plus importante que prévu au troisième trimestre tient aux bonnes performances en matière d'export. Bien sûr, les chiffres sont très variables d'un secteur à l'autre, et je suis tout à fait preneur d'exemples et de dossiers concrets, sur lesquels il y aurait des difficultés que vous auriez repérées, pour que nous puissions y travailler.

Les documents annexés au projet de loi de finances montrent une baisse spontanée des prélèvements obligatoires de 6,8 %, avec des résistances plus ou moins fortes et une répartition assez hétérogène. L'État a d'ores et déjà perdu plus de 50 milliards d'euros de recettes. Nous étions à 46 milliards d'euros au moment du troisième projet de loi finances rectificative, et la situation va nécessairement se dégrader malgré les bonnes performances du troisième trimestre. La sécurité sociale voit son déficit passer, principalement sous l'effet de la perte de recettes liée à la baisse d'activité, de 5,5 à plus de 46 milliards d'euros. Pour ce qui concerne les collectivités locales, la perte de recettes est estimée autour de 1,2 %, ce qui est bien moins important que ce que nous craignions lors de l'examen du troisième projet de loi finances rectificative. Le niveau des DMTO est resté plus haut que ce que nous imaginions. J'ai toujours dit, cependant, qu'il y avait un petit risque lié au décalage dans le temps entre l'enregistrement de la transaction et le versement des DMTO. Mais plus nous avançons dans l'année et moins ce risque paraît important.

C'est le fait que les recettes des collectivités se sont maintenues à un niveau plus important que prévu qui nous conduit, dans le cadre du mécanisme de garantie, à prévoir une somme moins importante, puisque ce mécanisme de garantie s'appuie sur la constatation du niveau des recettes encaissées : si les recettes sont meilleures, la garantie est moins importante. Nous pouvons toutes et tous nous en féliciter, puisque cela signifie que la situation a été moins dégradée que prévu ! Nous travaillons sur la base d'un acompte, et nous veillons à ce que ce mécanisme de compensation tienne bien compte de la réalité. Pour les recettes perçues sur l'intégralité de l'année 2020, l'acompte a été perçu en fonction des recettes à une date donnée. Début 2021, nous pourrons, au moment de l'élaboration des comptes de gestion, faire un état précis du montant lié à ce mécanisme de compensation.

Nous devons travailler à la maîtrise de la dette, dans un premier temps, et à sa baisse progressive ensuite. Nous aurons évidemment à documenter un certain nombre de réformes structurelles pour y arriver, ainsi que des perspectives de calendrier pour trouver ce chemin.

Je confirme, en ce qui concerne les collectivités territoriales, que nos services sont mobilisés pour apporter un traitement au cas au cas, par des avances sur dotation, sur fiscalité... Quelques dizaines de collectivités y ont déjà eu recours, pour faire face à des difficultés particulières de trésorerie, parfois liées à une structure spécifique de recettes, marquée par la prépondérance d'une recette tarifaire, par exemple, ou d'une recette fiscale particulière, comme cela peut arriver à des villes accueillant des établissements de jeu, ou qui vivent essentiellement de la taxe de séjour.

L'annulation de 348 millions d'euros correspond simplement au constat d'une sous-consommation. Toutes les annulations que nous proposons sont systématiquement inférieures à la réserve de précaution et systématiquement appuyées sur de la sous-consommation. Nous pourrions ne pas annuler en considérant que, politiquement, il est intéressant de maintenir le niveau d'intervention prévu en loi de finances initiale. Mais, si nous sommes dans une entreprise de sincérisation, il faut assumer qu'un certain nombre de crédits ne seront pas consommés sur cet exercice budgétaire. Cela n'empêche pas de renforcer les efforts pour tenir les objectifs fixés.

Le niveau d'émission d'obligations atteint évidemment des records sur l'année 2020 : nous avons dépassé les 280 milliards d'euros. Pour l'heure, nous ne rencontrons aucune difficulté à trouver des créanciers. Nous avons même un taux de couverture systématiquement supérieur à 1,5, et qui va parfois bien au-delà. Au quatrième trimestre 2019 - mais cela vaut aussi pour l'année 2020 -, notre dette était souscrite pour moitié par des non-résidents. Il s'agit essentiellement des fonds souverains. Quelque 20 % de nos créanciers sont des compagnies d'assurances françaises ; 7 % des établissements de crédit français. D'autres acteurs français détiennent les 20 % restants. En tout cas, nous avons toujours la capacité à choisir. Au 30 septembre, l'Agence France Trésor a émis pour 235 milliards d'euros, et nous avons un plafond d'émissions fié à 360 milliards d'euros, que nous espérons ne pas atteindre. Vous connaissez les travaux sur la centralisation des trésoreries d'organismes publics. En tous cas, nous n'avons pas de difficulté et nous gardons le choix de nos créanciers.

M. Claude Raynal , président . - Merci beaucoup, monsieur le ministre. Nos questions ont été nombreuses, comme d'habitude, et nous sommes sensibles, quel que soit le fondement politique de vos réponses, à leur qualité et à leur précision.

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