IV. EXAMEN DU RAPPORT (4 NOVEMBRE 2020)

Réunie le mercredi 4 novembre 2020 sous la présidence de M. Claude Raynal, président, puis de M. Vincent Éblé, vice-président, la commission a procédé à l'examen du rapport de M. Jean-François Husson, rapporteur général, sur les principaux éléments de l'équilibre du projet de loi de finances pour 2021.

M. Claude Raynal , président . - Nous poursuivons nos travaux avec l'examen, par notre rapporteur général, des principaux éléments de l'équilibre dans le projet de loi de finances (PLF) pour 2021.

M. Jean-François Husson , rapporteur général . - Nous avons bien avancé dans l'examen du projet de loi de finances, après l'examen de nombreuses missions. Nous en arrivons à l'analyse des principaux équilibres du budget. L'exercice présente cette année un caractère particulier. D'abord, parce que le projet de loi de finances pour 2021 devait être celui de la relance, et qu'il avait ainsi un tout autre visage que ceux qui l'ont précédé. Ensuite, il se trouve bouleversé par le rebond de l'épidémie, qui a conduit le Gouvernement à annoncer la semaine dernière un reconfinement national.

Si le Gouvernement a d'ores et déjà tenu compte des effets du reconfinement sur l'exercice 2020 avec le quatrième projet de loi de finances rectificative (PLFR), le mystère reste entier concernant l'exercice 2021. À partir de l'analyse de la trajectoire budgétaire gouvernementale, mon objectif sera donc double : d'une part, réaliser une analyse critique du plan de relance initialement proposé par le Gouvernement et, d'autre part, vous fournir de premiers éléments d'éclairage concernant les effets du reconfinement.

Un bref état des lieux de la situation de l'économie française donne tout d'abord un motif de satisfaction. L'économie française a bien résisté au choc du premier confinement, grâce notamment aux mesures de soutien que nous avons adoptées. Le choc initial sur l'activité a été moins prononcé qu'anticipé, avec une baisse de 30 % en avril, au plus fort du confinement. Par ailleurs, le rebond en sortie de confinement a été plus rapide qu'attendu. Le PIB s'est ainsi redressé de 18,2 % au troisième trimestre.

Cela a permis de ramener l'activité à un niveau très proche de celui qui est observé en Allemagne, où le recul du PIB avait pourtant été beaucoup plus faible au deuxième trimestre. Cette bonne performance tient notamment au plan de soutien, qui a réussi à préserver les revenus des ménages et, dans une moindre mesure, des entreprises.

Alors que le PIB a chuté de 19 % au premier semestre, le revenu des ménages n'a ainsi baissé que de 1 %. Si les entreprises conservent à leur bilan une part importante des pertes liées au premier confinement, elles ont pu les étaler dans le temps grâce aux prêts garantis et aux facilités de trésorerie. Dans ce contexte, le Gouvernement a annoncé début septembre un plan de relance, que je considérais comme mal conçu avant même l'annonce du reconfinement.

Mais commençons tout d'abord par évoquer deux points d'accord. Comme le Gouvernement, je considère qu'un plan de relance est indispensable pour aider l'économie à surmonter cette crise. Malgré un très bon trimestre, l'économie française est loin d'avoir achevé son rebond : avant même le reconfinement, le PIB pour 2020 devait s'établir 2,7 % en-dessous du niveau de l'an dernier et 5,3 % en deçà de celui qui aurait été observé en l'absence de choc sanitaire. Cela signifie que l'économie tourne en sous-régime.

Sans soutien public, un cercle vicieux pourrait donc apparaître, dans lequel la chute de la demande privée s'auto-entretiendrait sous l'effet de comportements de précaution des ménages et des entreprises en matière d'épargne et d'investissement. Dans un tel scénario, aider les entreprises et les ménages est la bonne stratégie, tant sur le plan économique que budgétaire.

Sur le plan économique, cela permet de sauver des entreprises viables, dont la disparition pèserait durablement sur le tissu productif. Sur le plan budgétaire, le surcroît d'endettement qui en résulte est émis à taux négatif et ne devrait donc pas peser sur la charge de la dette avant très longtemps. La maturité moyenne de la dette française est de huit ans. Nous devrions par ailleurs bénéficier de financements européens, à hauteur de 40 milliards d'euros. Cela devrait nous laisser le temps, en sortie de crise, de retrouver des marges de manoeuvre budgétaire.

Non seulement un plan de relance est donc indispensable, mais la taille du plan proposé par le Gouvernement me paraît également adéquate.

Vous le savez, le Gouvernement communique sur un montant de 100 milliards d'euros. Il faut toutefois relativiser ce chiffre, qui prend en compte 15 milliards d'euros de mesures déjà engagées en 2020 et surévalue le montant de la baisse des impôts de production, qui est compté deux fois et sans tenir compte de l'effet retour par l'impôt sur les sociétés.

Malgré ces artifices budgétaires, assez classiques, le niveau de soutien budgétaire apporté par le plan apparaît globalement cohérent avec les besoins de la reprise économique.

D'après le Gouvernement, son effet cumulé sur le PIB s'élèverait à 4 points de PIB. Si l'intégralité du plan de relance avait été dépensée en 2021, il aurait ainsi permis, avant le reconfinement, de ramener le PIB à son niveau de plein régime. Il permet par ailleurs de porter le soutien budgétaire global à un niveau proche de celui observé dans les principaux pays de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).

Si le montant global est donc satisfaisant, les mesures et le calendrier retenus ne répondent que très imparfaitement aux critères d'efficacité d'un bon plan de relance.

Pour être efficace, un plan de relance doit être mis en oeuvre rapidement - timely - composé de mesures temporaires - temporary - et avoir un effet multiplicateur sur l'activité à court terme - targeted . C'est la fameuse « règle des trois T », qui était chère à Albéric de Montgolfier, lorsqu'il a lui-même présenté les mesures de relance au printemps. Or, aucun des trois critères n'est véritablement rempli.

D'abord, le plan de relance est trop tardif, comme l'illustre la comparaison avec l'Allemagne. Si le montant des deux plans est comparable, la quasi-totalité du plan de relance allemand devrait avoir été déployée d'ici à la fin de l'exercice 2021, contre seulement la moitié du plan français. De ce fait, le soutien budgétaire sera supérieur d'un tiers en Allemagne cette année, alors même que la chute du PIB attendue outre-Rhin est près de deux fois inférieure.

Ensuite, il aura par ailleurs un effet multiplicateur sur l'activité assez faible à court terme : entre 0,7 et 0,8 selon les estimations. Cela tient principalement au fait qu'un tiers du montant déployé en 2021 prend la forme d'un soutien non ciblé à l'ensemble des entreprises, au travers de la baisse des impôts de production, dont l'effet multiplicateur à court terme est très faible. Il faudra donc y ajouter des mesures plus ciblées visant à soutenir rapidement les entreprises fragilisées au cours des prochains mois.

Par ailleurs, un cinquième du plan de relance correspond à des mesures permanentes, qui pèseront durablement sur les comptes publics, ce qui, là encore, est problématique.

Enfin, j'observe que le plan de relance initial était largement insuffisant pour protéger les plus fragiles, en comparaison notamment avec le plan de Nicolas Sarkozy en 2009. Il s'agit pourtant typiquement de mesures dont le rendement social et économique est particulièrement élevé, du fait de la forte propension marginale à consommer des ménages concernés. Le Gouvernement a commencé à corriger le tir en la matière, ce qui montre bien qu'il y avait un problème au départ.

Si le plan initial me semblait déjà mal calibré, le reconfinement va naturellement obliger le Gouvernement à le réajuster, afin d'allier relance et soutien.

Ce reconfinement va frapper de plein fouet les services marchands, tandis que l'industrie et la construction devraient mieux s'en tirer. On se dirige donc vers une forme d'économie à deux vitesses, dans laquelle le rôle des pouvoirs publics est double.

Dans les secteurs très affectés par les restrictions sanitaires, si la production est contrainte et ne peut donc pas être relancée, la politique budgétaire a vocation à protéger les entreprises viables de la faillite ainsi que les travailleurs. C'est une logique de soutien. Mais en parallèle, il faudra également limiter les conséquences de la baisse de la demande globale dans les secteurs moins affectés, en mobilisant la politique budgétaire pour compenser la baisse de la demande privée ou stimuler cette dernière. C'est une logique de relance.

Naturellement, le reconfinement impose de renforcer la logique de soutien. Pour l'exercice 2020, le Gouvernement prévoit d'ores et déjà près de 21 milliards d'euros de dépenses supplémentaires pour absorber les pertes des entreprises, ce dont je me félicite. Si rien n'a encore été annoncé pour 2021, il paraît difficilement envisageable, compte tenu de l'évolution du contexte sanitaire, de ne pas reconduire les principaux dispositifs de soutien prévus dans le plan d'urgence au moins jusqu'au printemps. Mais il faudra également redimensionner les mesures du plan de relance qui relevaient d'une logique de soutien. Près d'un quart du montant global du plan de relance leur était consacré. Avec le reconfinement, il me semble que l'accent devra être mis sur les mesures de renforcement des fonds propres des entreprises et de soutien aux personnes précaires et aux collectivités territoriales.

Venons-en à présent à la trajectoire budgétaire.

Comme vous le savez, le Gouvernement attendait initialement un début de redressement des comptes publics en 2021. Ce scénario reposait sur une croissance de 8 % et une mise en extinction des mesures de soutien, qui aurait permis de ramener le déficit public de 10,2 % du PIB à 6,7 % du PIB, tout en amorçant le reflux de l'endettement.

Ces deux facteurs favorables étaient partiellement compensés par la montée en charge du plan de relance - pour un montant de 15,6 milliards d'euros -, les baisses d'impôts déjà programmées - 6 milliards d'euros - et un dérapage marqué des dépenses ordinaires. Hors plans de soutien et de relance, la croissance de la dépense publique devait s'établir à un niveau près de trois fois supérieur à sa moyenne.

Seules les collectivités territoriales étaient supposées continuer à maîtriser leurs dépenses de fonctionnement, malgré la suspension des contrats de Cahors. La croissance de leurs dépenses de fonctionnement devait ainsi se limiter à 1,2 %, ce qui représente un effort d'économies compris entre 1 et 2,5 milliards d'euros. Encore une fois, les collectivités sont donc les seules à se « serrer la ceinture ».

Mais le scénario budgétaire gouvernemental pour 2021 semble gravement compromis par le reconfinement, pour ne pas dire caduc.

Si le Gouvernement n'a toujours pas actualisé ses prévisions pour 2021, le quatrième projet de loi de finances rectificative a déjà conduit à majorer la chute du PIB prévue en 2020 de 10 % à 11 %.

D'après les déclarations du Gouvernement, cette prévision actualisée reposerait sur l'hypothèse d'un confinement allégé, qui pèserait un tiers de moins sur l'activité - à 20 % par rapport au niveau d'avant-crise - que celui du printemps. Si l'hypothèse d'un recul de 20 % de l'activité en novembre paraît raisonnable, il faudrait mathématiquement que le reconfinement se prolonge jusqu'à la fin de l'année pour que le PIB chute de 11 % à l'issue de l'exercice, compte tenu du rebond très rapide enregistré au troisième trimestre. Mais ce recul supplémentaire du PIB ne le conduit pas à revoir à la baisse sa prévision de recettes pour 2020, en raison de meilleures remontées comptables.

L'accroissement du déficit public serait donc en totalité imputable à la hausse des dépenses. Le déficit atteindrait 11,3 % du PIB en 2020 et la dette, 119,8 % du PIB.

Mais qu'en est-il de l'exercice 2021 ? Le Gouvernement n'en dit rien. Voici ma première analyse. Schématiquement, deux principaux facteurs sont susceptibles de perturber le début d'amélioration de la situation budgétaire anticipé par le Gouvernement.

Premièrement, la croissance devrait être plus faible qu'escompté par le Gouvernement, avec un scénario de reprise plus prudent, qui tablerait sur un rebond de l'ordre de 6 %, compatible avec le maintien de contraintes sanitaires au premier trimestre, suivi d'un rattrapage significatif sur le reste de l'année. Deuxièmement, la difficulté à maîtriser l'épidémie et les effets du reconfinement pourraient conduire à renforcer les mesures de soutien initialement prévues pour l'exercice 2021.

Dans ce contexte, trois scénarios illustratifs ont été construits pour donner un ordre de grandeur des impacts possibles de ces deux facteurs sur l'évolution des finances publiques en 2021. Seul le scénario optimiste reste compatible avec un léger reflux de l'endettement en 2021... Au-delà de l'évolution de court terme de la trajectoire budgétaire, il ne faut pas perdre de vue l'impact de décisions que nous prenons sur l'état de nos finances publiques à moyen terme.

Or, de ce point de vue, je considère que la cote d'alerte est atteinte et qu'il faut donc impérativement privilégier les mesures temporaires pour ne pas compliquer davantage la sortie de crise. En effet, la crise s'accompagne de hausses de dépenses et de baisses d'impôts pérennes de nature à faire déraper le déficit structurel au-delà de 5 % du PIB en sortie de crise.

Trois types de mesures peuvent être distingués : les baisses de prélèvements obligatoires déjà programmées avant la crise, que le Gouvernement a confirmées en intégralité ; les mesures pérennes des plans de soutien et de relance, qui se limitent ici au coût net de la baisse des impôts de production ; et les nouvelles dépenses pérennes annoncées depuis le déclenchement de la crise, tant pour la rémunération des personnels de santé que pour la création de la nouvelle branche « dépendance ».

Au total, en cumulant le coût des mesures pérennes - près de 2 points de PIB - et l'effet de la dégradation du PIB potentiel anticipé par le Gouvernement - 1,2 point de PIB - le déficit structurel français devrait dépasser 5 % du PIB en sortie de crise.

Concrètement, cela signifie qu'il faudra déjà réaliser environ 75 milliards d'euros d'économies en sortie de crise uniquement pour ramener le déficit structurel au niveau de 2019 - 2,2 % du PIB -, qui était encore trop élevé pour permettre de réduire significativement l'endettement.

Il faudra donc désormais privilégier les mesures temporaires pour permettre à la France, une fois la crise surmontée, de retrouver des marges de manoeuvre budgétaires et d'éviter une situation à l'italienne, où la faiblesse de la croissance et la hausse du coût de financement font basculer l'économie dans une spirale négative.

Ramener l'endettement autour de 100 % du PIB d'ici à 2030 paraît ainsi constituer un objectif minimal, dès lors que nous connaissons une crise tous les cinq à dix ans.

Pour vous donner un ordre de grandeur de l'ampleur des efforts à fournir, j'ai simulé l'évolution de nos finances publiques en sortie de crise à partir de l'effort proposé par le Gouvernement, qui prévoit de faire environ 14 milliards d'euros d'économies par an à compter de 2023.

Aucun des scénarios ne permet d'envisager un retour de l'endettement à un niveau proche de 100 % du PIB d'ici à 2030. Il faudra donc faire un effort d'économies encore plus grand si l'on veut éviter d'aborder la prochaine crise avec un endettement de 120 % du PIB, et avoir la garantie de pouvoir soutenir l'économie sans susciter la défiance sur les marchés financiers.

Nous n'allons donc pas retrouver un monde idéal d'équilibre des comptes publics et de croissance régulière, car les crises, qu'elles soient sanitaires, sociales comme celle des « gilets jaunes », ou environnementales, risquent de se poursuivre et de se répéter. Loin d'attendre un retour hypothétique à la normale, il faut que l'économie soit capable de s'adapter à ce monde nouveau.

Or la réponse à la crise environnementale devient urgente. Le Grenelle de l'environnement avait été un grand moment de prise de conscience, mais il est indéniable que les années 2010 ont vu cet élan se perdre quelque peu. L'effort en faveur de l'environnement s'est émoussé, si on le mesure à la dépense de l'ensemble des acteurs. La relance de l'économie doit être mise à profit pour impulser un renouveau.

J'approuve donc l'accent mis sur l'environnement dans le plan de relance, mais l'effort devra se prolonger bien au-delà des deux années assignées à ce plan, et il ne faut pas se contenter d'effets d'affichage. J'y reviendrai lors de l'examen de la mission « Plan de relance ». Toutefois, les politiques en faveur de l'environnement ne sont pas acceptables si elles ne traitent pas également les situations de précarité sociale, économique et territoriale. Le Conseil des prélèvements obligatoires (CPO) nous a présenté l'an dernier une analyse frappante de la fiscalité énergétique : les ménages modestes, de même que ceux qui vivent en zone rurale ou en périphérie des zones urbaines, consacrent une part bien plus importante que les autres de leurs revenus non seulement aux dépenses énergétiques - c'est bien connu -, mais aussi à la fiscalité qui porte sur les produits énergétiques. Sans être contre le principe d'un mécanisme qui donne un prix au carbone et incite à l'économiser, il faut aider les ménages à adapter leurs comportements.

Je dirai un mot du « budget vert », qui donne une notation à chacune des actions du budget 2021.

Le principe ne peut être qu'approuvé, mais il faut bien reconnaître que le résultat est encore décevant. En raison de limites méthodologiques, moins de 10 % des dépenses sont effectivement notées. Vous connaissez la répartition entre dépenses favorables - plutôt des crédits budgétaires - et défavorables - plutôt des niches fiscales. Il faut que l'exercice soit affiné afin qu'il puisse vraiment éclairer les choix de politique budgétaire et les votes du Parlement.

J'en viens à présent à la dernière grande partie, celle qui est consacrée au budget de l'État, c'est-à-dire celui qui fait l'objet du projet de loi de finances. Un mot d'abord sur l'année hors du commun que nous vivons encore.

Tout au long du printemps, nous avons vu les comptes publics s'effondrer avec la situation sanitaire. Puis, une nette reprise pendant l'été a permis de penser que, finalement, le déficit n'atteindrait pas les 225 milliards d'euros votés en loi de finances rectificative au mois de juillet. Les recettes fiscales étaient meilleures que prévu, et on pouvait penser que les crédits du plan d'urgence ne seraient pas tous consommés. On sait maintenant que c'est tout le contraire qui nous attend : le ministre nous a annoncé tout à l'heure un déficit près de 223 milliards d'euros, proche de celui qui a été anticipé en juillet, principalement à cause du reconfinement et d'une réactivation très importante des mesures d'urgence instaurées au printemps.

En 2021, le déficit prévu par le projet de loi de finances s'élève à 152,7 milliards d'euros, voire 153 milliards selon le vote de la première partie de la loi de finances par l'Assemblée nationale.

Je peux vous en présenter les déterminants : les dépenses du plan de relance en 2021 seraient moins élevées que celles du plan d'urgence en 2020, les recettes rebondiraient après leur chute de cette année, et le budget bénéficierait des premiers versements du plan de relance européen. À la vérité, tout cela est encore bien incertain et, en fonction de l'évolution de la crise, nous devrons certainement nous retrouver en cours d'année, comme en 2009 et 2010, afin d'examiner des collectifs budgétaires.

Certains se réjouiront de voir la charge de la dette rester à un niveau historiquement bas. Les taux bas permettent de prolonger la dette existante à moindres frais, et la disparition de l'inflation aide à supporter la partie de la dette qui est indexée. Mais ne nous y trompons pas : l'État doit à la fois payer les dépenses budgétaires de l'année et renouveler une dette - elle vient de dépasser le seuil des 2 000 milliards d'euros - rendue considérable par l'accumulation de quarante-cinq années de déficits. Les recettes fiscales nettes ne permettent de financer que la moitié de ce total, et l'autre moitié doit être empruntée. Autrement dit, l'État se finance désormais autant par l'endettement que par la ressource régalienne traditionnelle qu'est l'impôt. Si les taux remontaient, l'impact serait considérable et durable, avec un effort qui pourrait devenir insurmontable.

S'agissant des recettes, il est difficile de commenter vraiment leur niveau exact, car les hypothèses du projet de loi de finances sont déjà dépassées. Je soulignerai deux points principaux.

Premièrement, elles connaissent, année après année, des transformations importantes. Cette année, ce sont surtout les réformes des impositions locales - taxe d'habitation, dont la part résiduelle revient à l'État pendant deux ans, impôts de production - qui entraînent l'affectation de nouvelles parts de TVA aux collectivités, au point que, désormais, cet impôt rapporterait à peine 89 milliards d'euros à l'État. Cela reste supérieur au produit de l'impôt sur le revenu, mais, il y a deux ans seulement, la TVA rapportait à l'État plus de 150 milliards d'euros. Par ailleurs, la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) est de plus en plus un simple impôt de rendement pour l'État avec la suppression du compte d'affectation spéciale (CAS) « Transition énergétique ».

Deuxièmement, deux recettes non fiscales inhabituelles viendront alléger un peu le déficit. La première est le financement de 10 milliards d'euros qui devrait provenir de la « Facilité pour la reprise et la résilience » européenne, mais ce montant est susceptible de révision, d'autant qu'il faut encore franchir de nombreuses étapes avant que la Commission européenne ne soit en mesure de débloquer les fonds. Le plan de relance européen est une bonne nouvelle pour la solidarité entre États membres, mais ce n'est pas de l'argent gratuit : il pèsera, lui aussi, sur les comptes publics, à partir de 2028.

Par ailleurs, on peut noter que les prêts garantis par l'État (PGE) apportent un revenu à celui-ci : celui de la rémunération de la garantie, qui rapporterait près de 2 milliards d'euros en 2021. Leur coût, lui, sera incertain, ce qui nous amène à examiner les dépenses de l'État.

Celles-ci progressent par rapport à la dernière loi de finances, et les dépenses liées à la crise ne sont pas les seules responsables de cette progression : si l'on examine l'importance relative des différentes missions du budget général, en crédits pilotables, c'est-à-dire sans les charges de pensions et autres dépenses contraintes, la mission « Plan de relance » est importante en crédits d'investissement et d'intervention, mais elle ne représente qu'une part limitée de l'ensemble des crédits budgétaires, puisque l'État doit continuer à assumer la totalité de ses fonctions.

S'agissant des missions classiques du budget général, contrairement aux années précédentes, il n'y a aucune baisse de crédits de plus de 100 millions d'euros en 2021. Il faut toutefois noter que cette comparaison ne tient pas compte des crédits d'urgence ouverts en 2020 sur les dépenses des missions « Cohésion des territoires », « Solidarité », « Économie » et « Médias ». Ces missions devraient voir leurs crédits baisser par rapport à l'exécution 2020, sauf bien sûr si les mesures d'urgence sont prolongées l'an prochain.

Enfin, il faut rappeler, même si c'est à présent un peu lointain, que le Gouvernement avait lancé un programme de réformes de structures intitulé « Action publique 2022 » et qu'il avait l'intention de diminuer de 50 000 emplois les effectifs de l'État.

M. Jérôme Bascher . - Quelle blague !

M. Jean-François Husson , rapporteur général . - Ce programme n'a pas été mis en application, sauf en 2019 : la diminution est de seulement 7 400 équivalents temps plein (ETP) sur la période 2018-2021. En 2021, les effectifs sont stables, et la masse salariale continue sa progression.

M. Albéric de Montgolfier . - Merci pour cette présentation sur un projet de loi de finances qui est celui, plus que jamais, des incertitudes. Je partage totalement votre analyse sur le plan de relance. Celui-ci comprend en effet aussi bien des mesures à effet immédiat que des mesures de long terme, dont on peut douter qu'elles donnent lieu à un réel décaissement. Sur l'hydrogène, par exemple j'ai quelques doutes sur la capacité de la France à dépenser aussi rapidement. Tout cela permet d'arriver à un chiffre de 100 milliards d'euros, qui peut frapper l'opinion, mais la réalité est un mélange de très court terme, de moyen terme et de très long terme. Je regrette qu'il n'y ait aucune mesure de soutien - en dehors des mesures générales- à des secteurs qui souffrent particulièrement, comme ceux de la culture ou du loisir. D'autres pays ont instauré des systèmes de chèques. Certaines régions l'ont fait. Le jour où ces secteurs pourront rouvrir, n'y aura-t-il pas lieu de les aider ? Ils sont très gravement impactés et, malgré les mesures de soutien, nous risquons purement et simplement la disparition d'un certain nombre d'entreprises. Partagez-vous cette critique sur l'absence de mesures de soutien sectoriel à la consommation ?

Vous présentez différents scénarii, mais le plus optimiste n'est-il pas déjà caduc ? Quand vous parlez d'un confinement allégé en novembre et en décembre, s'agit-il du confinement sous sa forme actuelle ? Quid du scénario intermédiaire, avec une révision prochaine ? Intègre-t-il l'éventualité qu'un certain nombre de commerces rouvrent prochainement ?

M. Jean-François Husson , rapporteur général . - Le scénario le plus optimiste est le troisième, avec un confinement allégé en novembre et un début de rattrapage en décembre, qui correspond à ce que vous décrivez. Dans une situation si complexe, il est bien difficile de lire dans le marc de café...

M. Marc Laménie . - Les perspectives sont particulièrement compliquées, en effet. Le déficit budgétaire se creuse, bien sûr. Nous sommes dans le brouillard, mais peut-on évaluer son évolution prévisible ? La charge de la dette diminue, par rapport à 2015. Quelles seraient les conséquences d'une remontée des taux d'intérêt sur cet endettement phénoménal ? Qui sont les prêteurs ?

M. Philippe Dominati . - Je remercie le rapporteur général d'avoir évoqué la situation en 2030, et les contraintes que fera peser sur les générations futures ce que nous sommes en train de vivre sur le plan budgétaire. Il y a peut-être une accoutumance, mais nous avons assez peu parlé du montant exceptionnel des prélèvements obligatoires : la France reste incontestablement championne d'Europe, peut-être même du monde, parmi les économies développées. Cette perspective ira au moins jusqu'en 2030, et la baisse annoncée depuis des années par les ministres des finances successifs est un serpent de mer. Vous dites que les recettes équivalent à l'endettement nécessaire pour faire tourner l'État. Elles ne représentent donc que 50 % de ses dépenses. Que dirait-on d'une entreprise dans ce cas ?

Je partage les interrogations sur le plan de relance. J'aurais voulu un plan de relance qui touche tous les Français. Celui-ci est ciblé. Ceux qui ne sont pas dans la cible n'en sentiront aucun effet. N'est-ce pas, surtout, un plan de relance des déficiences de l'État ? Pour la mission « Sécurités », le budget est très faible, mais on trouve des crédits dans le plan de relance : par exemple, le budget ne prévoit plus d'achats d'armes pour la gendarmerie, et le plan de relance prévoit 5 millions d'euros pour cela ! La sécurité est la quatorzième priorité. Le ministre dit que les dépenses annoncées seront pérennes. Si c'était le cas, je devrais les trouver dans ce projet de budget. En fait, il n'y a aucune sécurisation des dépenses du plan de relance, qui sont là pour masquer les déficiences de l'État. Il y a un problème de sincérité.

M. Gérard Longuet . - Merci pour la clarté de cette présentation, et son caractère exhaustif. Je félicite le rapporteur général d'être fidèle à ses convictions, en particulier lorsqu'il nous parle de transition énergétique.

Je suis terrifié par l'absence de vision stratégique de l'État sur les sommes importantes consacrées au plan de relance. Nous vivons une période invraisemblable, et nous sommes sauvés par la construction européenne, par la Banque centrale européenne (BCE) et sa politique de guichet ouvert, qui permet de payer le quotidien.

Le rapporteur général a dit, et Philippe Dominati l'a souligné, que, dans le budget de l'État, le montant des recettes est désormais comparable à celui de l'endettement. C'est terrifiant, car les dettes, qu'on le veuille ou non, paralysent l'avenir de ce pays.

Or il n'y a pas de vision stratégique, au sein de l'État, pour donner à la France des avantages concurrentiels dans les secteurs où l'État facilite l'investissement. Albéric de Montgolfier a soulevé la question de l'hydrogène. Tout le monde en parle, beaucoup en font ; la France n'en fait pas plus que les autres, elle en ferait même plutôt moins. Son seul atout est de disposer d'une énergie électrique bon marché. Il aurait fallu que le ministre chargé de l'industrie, s'il y en a un - Mme Pannier-Runacher, Mme Pompili ? - le souligne. L'atout stratégique de la France en la matière n'est pas l'avancée de notre recherche dans tel ou tel secteur : nous ne sommes pas meilleurs que les Allemands, les Japonais, les Coréens, les Américains, ou même les Russes. Notre atout, c'est le coût de l'énergie électrique. Encore faut-il le dire.

Nous bénéficions, sur le plan automobile et sur le plan aéronautique, de soutiens importants, dont les industriels se réjouissent, mais il n'y a aucune vision stratégique de ce que doit être l'aéronautique française, ou l'automobile française, dans le monde - puisque le marché est devenu totalement mondial. On se contente d'annoncer des sommes, que les industriels récupèrent avec satisfaction, mais on ne dénoue aucune de nos contradictions.

L'attitude à l'égard des transports aériens est totalement ambiguë, comme Vincent Capo-Canellas l'avait dit. Concernant l'automobile, de deux choses l'une : ou bien l'on considère que l'économie est tirée par le client, qui achète librement, ou bien nous envisageons une économie volontariste avec une planification intégrale. Or il se trouve que les clients ont besoin de voitures bon marché, utiles, à moteur thermique alimenté au diesel. Et nous pénalisons toute la filière en lui reprochant de n'avoir pas réussi à chapitrer ses clients ! On démultiplie la publicité pour des véhicules qui ne seront pas achetés et qui resteront marginaux.

Bref, il y a un vrai problème de stratégie industrielle. En industrie, quand on a un avantage - et nous en avons dans certains types de véhicules - on l'utilise ; quand on n'en a pas, on esquive ! L'annonce d'un plan Batteries est formidable, mais, aujourd'hui, il est plus facile de gagner de l'argent avec des positions fortes que lorsqu'on ne figure pas sur le podium d'un secteur...

Nous avons une situation de crise ; nous sommes sauvés par la BCE. Le monde d'après ne sera pas le monde d'avant, paraît-il, mais il faut qu'il tienne compte des réalités telles que les exprime le comportement des consommateurs. Il y a aussi les réalités géographiques. Il se trouve que la France a une densité faible, si l'on compte la population par kilomètre carré. Il faut en tirer les conséquences. La France a une autre caractéristique, hélas commune avec les autres pays européens : une démographie en effondrement. Or, à aucun moment nous n'en parlons dans la dépense publique ! Je vais rapporter bientôt le budget de l'enseignement scolaire. Nous avons 150 000 enfants de moins, soit une diminution d'environ un sixième en quinze ans. Nous ne gardons une population élevée que par le vieillissement, ce qui pose toute une série de problèmes : la silver économy signifie en fait qu'il va falloir dépenser de l'argent sans aucun financement - alors même que l'endettement du pays rend le financement à peu près impossible.

Je souhaitais donc signaler ces deux problèmes : l'absence de vision de la stratégie industrielle de la France dans le monde et l'absence de prise en considération de l'effondrement démographique de notre pays, car ce sont des réalités avec lesquelles nous devrons vivre ces vingt prochaines années. Si l'on ne tire pas le signal d'alarme aujourd'hui, le réveil risque d'être extrêmement cruel.

M. Rémi Féraud . - Merci au rapporteur général pour son travail, qui nous permet de confirmer que le plan de relance ne respecte pas la règle des « trois T », malgré quelques corrections. Je constate aussi que nous ne parlons pas encore d'un nouveau plan de relance européen. Pourtant, le premier a été conçu en fonction de la première vague. Il y aura bientôt des échéances européennes, et la deuxième vague touche beaucoup de pays qui étaient très réticents au premier plan de relance, mais vont peut-être découvrir qu'ils en ont besoin. Ce projet de loi de finances est plein d'incertitudes. Au moins, les documents que vous nous avez présentés élaborent des scénarios optimistes, pessimistes, moyens, alors que le Gouvernement ne nous présente pas différentes trajectoires.

Le plan de relance rate un certain nombre de cibles qui devraient être bien davantage privilégiées, comme l'a dit Albéric de Montgolfier. Ainsi, du secteur de la culture, ou des Français les plus modestes : les aider, c'est stimuler une demande qui se matérialisera tout de suite. Le plan a été un peu amélioré, y compris involontairement, par le Président de la République, dans une interview - et le Gouvernement a bien dû mettre en oeuvre.

Le déficit structurel est très nettement aggravé, et plus des trois quarts de son aggravation sont dus à des baisses d'impôts, face auxquelles il n'y a pas de baisse de dépenses. Les critiques des deux oppositions, à cet égard, ne sont pas convergentes, mais elles ont leur cohérence. Il y a là un « en même temps » qui montre ses limites : on ne peut pas faire des baisses d'impôts très importantes sans faire de baisses de dépenses en face. D'ailleurs, beaucoup de ces baisses d'impôts ne sont pas nécessaires, notamment dans le contexte actuel. Il s'agit de baisses d'impôts de production, ou de baisses d'impôts qui vont bénéficier à des ménages qui épargnent déjà beaucoup en cette période de confinement. Je pense à la taxe d'habitation, par exemple. Il y a là des éléments qui pourraient au moins être différés d'un ou deux ans, lors du retour à meilleure fortune. Les dépenses qui pèsent sur le déficit structurel - une dizaine de milliards d'euros pour l'hôpital et la dépendance - mériteraient à l'inverse, vu les circonstances, d'être augmentées pour vraiment répondre aux enjeux du moment, plutôt que d'y répondre toujours insuffisamment.

M. Patrice Joly . - Merci au rapporteur général pour son approche pédagogique de ce sujet complexe. Il nous donne des éléments de nature à nous forger une opinion qui, parfois, diverge de la sienne. Je ne partage pas l'idée selon laquelle il y aurait un fatalisme des crises. Je pense que les crises sont évitables, si l'on s'attache à créer ce qu'on appelle depuis maintenant quelques semaines, « le monde d'après ». Les crises sociales sont tout à fait évitables. Celle des « gilets jaunes », on en connaissait les origines ! Il faut mettre un terme à la sécession des plus fortunés, qui doivent contribuer à l'effort en matière de financement public à la hauteur de leur capacité contributive.

Pour éviter ces crises sociales, il faut aussi une juste répartition des revenus. Or cette répartition s'est dégradée au cours de ces dernières années, toutes les études en témoignent. Et il faut améliorer, aussi et surtout, la rémunération du travail, pour que ceux qui travaillent ne soient plus rémunérés à des niveaux qui ne sont plus très loin des seuils des minima sociaux. Je pense à l'aide exceptionnelle de 150 euros, tout à fait légitime, qui a été décidée par le Gouvernement. Ceux qui travaillent et qui ont des revenus faibles apprécient cependant peu cette décision, car leurs revenus se rapprochent des minima sociaux, ce qui leur donne le sentiment d'une dégradation de leur statut social. C'est un vrai sujet de cohésion sociale et nationale.

La question de la mise en place d'un revenu minimum se pose, même si certains, qui manquent toujours un peu d'audace face aux crises sociales, refusent de l'aborder.

La crise sanitaire est en partie liée à la concentration démographique. Où est la politique d'aménagement du territoire qui permettrait de sécuriser le pays et de réduire sa fragilité ? On reste toujours sur les paradigmes classiques.

La crise de 2008 avait pour origine la concentration bancaire. Or la concentration économique risque de s'accentuer ; les entreprises les plus fragiles vont être absorbées. Le Gouvernement ne change pas sa manière d'envisager les perspectives financières et budgétaires et ne compte pas infléchir sa politique en 2021. Dans le contexte actuel, les réductions d'impôts qui sont envisagées n'ont aucune légitimité.

Les transitions énergétiques sont fondamentales. Il faut s'engager résolument dans une décarbonation de la société, mais en veillant à la justice fiscale et sociale. Une étude annexée au projet de loi de finances montre que les moins riches paient deux fois plus au titre de la fiscalité environnementale que les plus aisés, en particulier dans les territoires ruraux.

Ne raisonnons pas seulement de manière macroéconomique ; tenons aussi compte des aspects catégoriels et territoriaux.

M. Jérôme Bascher . - D'un point de vue conjoncturel, je suis plus pessimiste que vous. Si le quatrième trimestre est négatif, l'acquis de croissance pour l'année 2021 sera beaucoup plus faible. Avant le reconfinement, le consensus forecast était à 6 %, et non à 8 %.

D'un point de vue structurel, notre croissance potentielle va baisser. La diminution de la natalité en France depuis cinq ans est catastrophique. Le fait que nos industries de pointe, comme l'aéronautique, soient amoindries réduira les efforts de recherche et développement. En 2009, le potentiel de croissance de la France a baissé de 0,2 à 0,3 point. Notre déficit structurel sera donc beaucoup plus important que ce qui est évoqué. Pour moi, la vraie question est : quelles priorités allons-nous retenir dans nos dépenses pour augmenter notre croissance potentielle ?

M. Sébastien Meurant . - C'est effectivement la question essentielle : comment retrouver une capacité productive, créer de la richesse et la distribuer ? Certainement pas en augmentant les impôts et les cotisations, qui sont déjà les plus élevés du monde occidental.

Tout est affaire de vision stratégique et de choix. À une glorieuse époque, nous étions structurellement les meilleurs du monde dans cinq ou six secteurs. Certains ont disparu ou sont attaqués. Par démagogie, nous avons voulu copier des modèles, comme le modèle allemand sur l'éolien, qui ne fonctionnent pas. Nous avons fermé des centrales nucléaires pour rouvrir des centrales à charbon. Où est la cohérence ? Faisons des choix. Assumons une stratégie d'intérêt général à moyen et à long termes. Appuyons les filières où nous avons des avantages. Dans un monde ouvert, n'ajoutons des pénalités et des normes. Nous en avons déjà beaucoup. En outre, nous sommes déjà vertueux, par exemple sur les émissions de CO 2 .

Nous ne nous servons pas de nos atouts. Je pourrais évoquer PSA, qui proposait voilà quelques mois de faire venir des ouvriers polonais dans ses entreprises françaises, ou cet ancien patron de Renault, jadis directeur de cabinet d'un Premier ministre, qui a décidé de déplacer ses activités aux Pays-Bas, pour des raisons que nous connaissons tous.

Nos choix sont subis. Qu'arrivera-t-il si les taux d'intérêt remontent ? L'État finance ses dépenses pour moitié par la dette. Nous ne pourrons plus bénéficier de la faiblesse des taux en 2025. Recentrons-nous sur l'essentiel, c'est-à-dire ce qui permettrait à notre pays de recréer de la croissance sur le territoire national. Nous devons nous interroger sur l'orientation de la dépense et, au-delà, mener une réflexion sur les frontières.

M. Éric Bocquet . - Le rapport souligne que l'État français se finance désormais « autant par l'endettement que par l'impôt ». Politiquement, c'est très grave. La souveraineté d'un pays, c'est l'impôt, qui est voté par le Parlement. La « dette souveraine » est un oxymore ; on n'est pas souverain quand on est endetté. Aujourd'hui, nous sommes financés de plus en plus par les marchés financiers privés et de moins en moins par l'impôt. C'est un sujet politique. Cela pose même la question de l'existence du Parlement, qui vote l'impôt. Veut-on que le pays soit géré demain par l'Agence France Trésor ?

Tout candidat à la présidentielle doit promettre de baisser les impôts, la dépense publique et la dette. Mais diminuer l'impôt, c'est diminuer notre liberté. Certes, l'impôt doit être juste et progressif, et personne ne doit y échapper. Le consentement à l'impôt a pris des coups ces dernières décennies. Certains s'affranchissent allègrement de leurs obligations.

Autrefois, la France se finançait par le « circuit du Trésor ». En 1992, le traité de Maastricht a interdit aux banques centrales de financer les États membres. Nous dépendons de plus en plus des marchés financiers. Il faut s'en inquiéter, pour des raisons politiques de fond.

M. Philippe Dallier . - Avec les membres de mon groupe, nous avons, à tort, répété pendant dix ans que, faute d'avoir réalisé les efforts nécessaires, notre pays ne pourrait faire face à une nouvelle crise. Nous voyons aujourd'hui qu'il est possible de continuer à creuser les déficits et à s'endetter de manière très impressionnante. Mais pour combien de temps ? Tout va bien tant que les taux d'intérêt restent relativement bas et que la BCE continue de distribuer de l'argent. Mais ensuite ? Cela ne durera pas encore dix ans.

Plus grave, l'écart qui se creuse entre les pays européens remettra tout en cause. Comment pourra-t-on continuer à partager une même monnaie avec de telles différences ?

Le journal Les Échos anticipait ce matin de mauvaises surprises en matière de contentieux fiscal, à hauteur de 3,9 milliards d'euros pour 2020 et de 2,5 milliards d'euros pour 2021. Les prévisions qui nous sont présentées prennent-elles ces éléments en compte ?

M. Jean-François Husson , rapporteur général . - Albéric de Montgolfier, le plan de relance prévoit des crédits pour le secteur culturel, notamment pour les monuments historiques et la création artistique, mais il faudra, me semble-t-il, encore doper ces activités, en particulier l'événementiel, par exemple via le « chèque loisirs », qui avait été proposé par le Sénat dans le troisième PLFR.

Marc Laménie, la dette française est détenue à 30 % par les banques et assurances françaises, à 20 % par la BCE et à 50 % par des prêteurs étrangers.

Philippe Dominati, la France est en effet toujours championne européenne des prélèvements obligatoires. Il faut y remédier. Je pense que nous devons nous engager à baisser les dépenses, en commençant par accepter d'en examiner la composition.

Je rejoins Gérard Longuet sur l'absence de vision stratégique industrielle de l'État. Par la magie de la crise sanitaire, les crédits du plan Hydrogène sont passés de 100 millions d'euros en début d'année - nous regrettions alors tous que ce soit si peu - à 7 milliards d'euros. Vous connaissez mes convictions sur l'intérêt d'opérer un virage économique stratégique en intégrant l'écologie. Mais il faut le faire avec discernement. Les rapports montrant les graves conséquences des pollutions s'accumulent.

Je souscris aussi aux analyses de notre collègue sur la démographie. Moins nous sommes nombreux, moins il y a de personnes pour travailler. En plus, l'allongement de la durée de vie crée des dépenses supplémentaires. Nous allons aussi prendre en charge la perte d'autonomie, ce qui est souhaitable en soi mais difficile à financer, alors que les déficits se creusent, que la dette s'accroît.

Je partage beaucoup des observations de Rémi Féraud. Mais l'absence de baisse de la dépense publique n'est pas que le fait du gouvernement actuel. Je n'ai pas noté de diminution très importante sous le quinquennat précédent... D'ailleurs, depuis le début des années 2000, tout le monde a sa part de responsabilité.

Patrice Joly a surtout exprimé des idées politiques, voire quasi philosophiques. Je le rejoins sur la cohésion sociale. J'ai d'ailleurs évoqué les précarités sociales, économiques et territoriales. La crise des « gilets jaunes » a montré que le cocktail pouvait être explosif. L'espace peu dense peut être une solution à la crise sanitaire ; il n'y a pas eu beaucoup de clusters importants dans des territoires à faible densité. Rappelons que la révolte des « bonnets rouges » était consécutive à la décision d'une ministre sur l'écotaxe et que la crise des « gilets jaunes » était liée au raidissement du début du quinquennat Macron.

Jérôme Bascher, j'ai moi-même indiqué qu'il ne fallait pas enjoliver le contexte, et j'ai rappelé les risques. Mais j'ai fait le choix de donner des perspectives, d'ouvrir des horizons plus souriants. Ce n'est, me semble-t-il, pas le moment d'être trop négatifs. Je vous confirme par ailleurs que l'estimation du déficit structurel prend en compte l'effet attendu de la crise sur le PIB potentiel.

Nous sommes plusieurs convaincus comme Sébastien Meurant de la nécessité de créer de la richesse nouvelle, notamment avec l'appareil économique.

Je salue la cohérence de la pensée de notre collègue Éric Bocquet. Cela étant, la souveraineté ne passe pas que par l'impôt. Notre niveau actuel de fiscalité doit nous inciter à envisager de meilleurs moyens de nous désendetter pour retrouver des marges de manoeuvre.

Philippe Dallier a souligné l'écart grandissant entre les différents membres de l'Union européenne ayant une même monnaie. En matière d'endettement aussi, il faut « penser aux générations futures ». Si nous contractons aujourd'hui un prêt dont le remboursement débutera en 2028, et pour une durée de trente ans, c'est à ceux qui seront là dans huit ans que nous imposons une charge supplémentaire. La question de la soutenabilité des dispositifs auxquels nous avons recours se pose. Les contentieux fiscaux ont été importants en 2020. J'ai peu d'éléments s'agissant de 2021, mais nous allons essayer d'en avoir.

La commission a donné acte à M. Jean-François Husson, rapporteur général, de sa communication sur les grands équilibres du projet de loi de finances pour 2021.

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