III. L'INSTALLATION DANS LA DURÉE DE CRISES SANITAIRES ET ENVIRONNEMENTALES AUXQUELLES L'ÉCONOMIE DEVRA APPRENDRE À FAIRE FACE

La crise sanitaire a imposé son rythme à une gestion des affaires publiques conduite jusqu'ici au jour le jour. Or cette crise s'installe dans la durée et reviendra immanquablement sous d'autres formes dans les années à venir. Elle ne peut donc pas servir de prétexte pour repousser à plus tard les décisions qu'exige par ailleurs la crise environnementale.

Il est donc nécessaire de voir la période actuelle, et tout particulièrement la mise en place du plan de relance, comme une opportunité devant pousser à traiter également la question environnementale.

A. L'AMBITION DE TRANSFORMATION ÉCOLOGIQUE DOIT PRENDRE UNE NOUVELLE AMPLEUR

1. Après l'élan des années 2000 et du Grenelle de l'environnement, l'effort a été relâché au cours des années 2010

Si les discours en faveur de l'environnement n'ont jamais été aussi répandus, la dépense totale (c'est-à-dire des administrations publiques, des entreprises et des ménages) en faveur de l'environnement a en fait progressé plus rapidement entre 2000 et 2012 , augmentant de plus de 20 points de plus que le PIB pendant cette période et tout particulièrement au cours des années qui ont suivi le Grenelle de l'environnement, qu'au cours des années postérieures , où elle a au contraire stagné.

Évolution de la dépense totale de protection de l'environnement
et du PIB de 2000 à 2017

(base 100 en 2000)

Source : commission des finances (à partir des données du SDES 39 ( * ) , compte satellite de l'environnement, 2019)

La gestion des déchets et du recyclage est le secteur qui contribue le plus à la hausse de cette dépense, avec notamment l'extension du réseau des déchetteries, des incinérateurs avec récupération d'énergie, des centres de tri et du compostage des déchets.

S'agissant plus spécifiquement des investissements en faveur du climat , estimés par l'institut I4CE 40 ( * ) à 33 milliards d'euros par an entre 2016 et 2018, dont 10 milliards d'euros de la part du secteur public, ils sont insuffisants et devraient être d'ores et déjà de 50 milliards d'euros pour passer à 90 milliards d'euros environ sur la période 2024-2028 afin de répondre à l'objectif de neutralité carbone en 2050, dont près de 30 milliards d'euros pour le secteur public. Et malgré les économies d'échelle que permettra la massification des actions dans certains secteurs, les besoins ne feront que croître par la suite avec la multiplication des projets qui seule permettra d'atteindre l'objectif de neutralité carbone en 2050.

Si ces montants paraissent élevés , ils doivent être mis en regard des coûts de l'inaction .

La commission d'enquête du Sénat sur le coût économique et financier de la pollution de l'air 41 ( * ) soulignait par exemple en 2015 qu'au coût de la pollution de l'air en termes de dépenses de santé , qui est de l'ordre de 3 milliards d'euros , doivent être ajoutés le coût social associé à une perte de bien-être , estimé entre 68 et 97 milliards d'euros par an pour la France, et les coûts environnementaux supérieurs à 4 milliards d'euros induits sur la biodiversité et les rendements agricoles.

2. La transition écologique est par nature une politique territoriale qui doit s'incarner dans les collectivités locales

L'effort à conduire doit reposer sur l'ensemble des acteurs : entreprises, ménages et administrations publiques.

Si les entreprises assurent la majeure partie de la dépense totale en faveur de l'environnement, le rapport sur l'impact environnemental du budget de l'État souligne le rôle des collectivités locales , qui financent 52 % des dépenses d'investissement et jouent un rôle d'impulsion.

Les collectivités se situent en effet au coeur de secteurs qui tiennent une place centrale dans la transition écologique et demandent des investissements lourds : transports en commun, gestion des déchets, traitement de l'eau potable, traitement des eaux usées avec la mise aux normes des stations d'épuration urbaines... Les agences de l'eau se sont également mobilisées au cours des années 2010 pour des actions en faveur de la biodiversité et des paysages.

Toutefois, la poursuite de l'action des collectivités risque de se heurter aux incertitudes liées à leurs ressources .

Comme le fait observer I4CE, « à moyen terme, les investissements climat des collectivités vont croître plus vite que les ressources dédiées » que constituent notamment la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL) ou les subventions des fonds européens 42 ( * ) .

En outre, au-delà des financements, les collectivités doivent pouvoir acquérir les compétences d'ingénierie et d'expertise nécessaires à la mise au point des projets. Elles devraient donc pouvoir être soutenues également dans leurs dépenses de fonctionnement, ce que la DSIL ne permet que de manière très limitée 43 ( * ) .

Enfin, comme tous les porteurs de projets, elles se heurtent à la complexité des canaux de financement. À cet égard, l'annonce par le Gouvernement d'un nouveau mode de contractualisation avec les collectivités territoriales dans le cadre du plan de relance 44 ( * ) , s'ajoutant aux contrats déjà existants (notamment les contrats de plan État-région), fait craindre l'apparition d'une couche supplémentaire de complexité pour les collectivités territoriales et, par conséquent, un risque de retard pour la mise en oeuvre concrète des projets.

3. Or le budget de l'État semble déconnecté de sa stratégie environnementale

L' effort à conduire au niveau national est documenté dans la stratégie nationale bas carbone , créée en 2015 45 ( * ) et définie aux articles L. 222-1 A et suivants du code de l'énergie, qui a fixé des « budgets carbones », c'est-à-dire un plafond national d'émissions de gaz à effet de serre à respecter sur une période de cinq ans, détaillé par grand secteur.

Le chemin parcouru jusqu'à présent n'est pas rassurant : au cours de la première période 2015-2018, les émissions ont été supérieures de 65 millions de tonnes équivalent CO 2 (Mt CO 2 eq) à la cible fixée à 442 Mt CO 2 eq, avec d'ores et déjà une prévision de dépassement de 120 Mt CO 2 eq pour le deuxième budget carbone de la période 2019-2023 46 ( * ) .

Il est pourtant frappant de constater que, malgré l'impact majeur que représentera la marche vers la neutralité carbone pour les finances publiques, la stratégie nationale bas carbone n'est pas même mentionnée dans les documents budgétaires transversaux 47 ( * ) .

Les objectifs qu'elle fixe, en particulier les « budgets carbone » qui déterminent, par période de cinq ans, un plafond national d'émissions de gaz à effet de serre, devraient pourtant être pris en compte par tout dispositif public de grande portée, comme le plan de relance ambitionne de l'être, et il paraît difficile d'examiner une loi de finances sans la replacer dans le contexte de ces impératifs qui, sur le long terme, exercent sur l'économie une contrainte comparable aux règles macroéconomiques.

4. Le plan de relance constitue ainsi une réponse limitée

Mal relié aux objectifs de long terme, le plan de relance apparaît, du point de vue environnemental comme pour ce qui concerne l'objectif de relance de l'économie, plus comme un catalogue de mesures non coordonnées que comme une étape décisive dans une stratégie de long terme.

Le rapport économique, social et financier (RESF) annexé au projet de loi de finances indique ainsi que le plan de relance permettrait d'éviter l'émission de 55 à 60 MT CO 2 eq par an.

Émissions de CO 2 évitées en cumul annuel

(en milliers de tonnes de CO 2 évitées cumulées)

Source : rapport économique, social et financier, d'après des calculs de la direction générale du Trésor et du Conseil général du développement durable (CGDD)

Cette estimation doit en fait être relativisée. D'une part, il s'agit d'une économie à très long terme , vers 2060. Elle dépend par exemple du maintien d'un important effort annuel de rénovation thermique du parc de logements, qui produirait un effet cumulé de réduction des émissions.

D'autre part, cette réduction n'est pas calculée par rapport au niveau d'émission actuel, mais par rapport à un scénario de référence dans lequel serait conduit un plan de relance de même ampleur mais sans mesure spécifique dédiée à la transition écologique. À court terme, le RESF reconnaît que les émissions de CO 2 vont augmenter , comme c'est habituellement le cas en période de reprise économique.

En conséquence, le plan de relance ne représente qu'un effort limité pour atteindre les objectifs de neutralité carbone , et notamment l'objectif intermédiaire de réduction des émissions de gaz à effet de serre de 40 % entre 1990 et 2030 48 ( * ) .

À titre d'exemple, le montant des crédits budgétaires consacrés à MaPrimeRénov , favorisant la rénovation thermique des logements privés, serait ainsi d'environ 1,6 milliard d'euros en 2021, contre 740 millions d'euros en l'absence de plan de relance 49 ( * ) . Il convient d'y ajouter, de manière résiduelle en 2021, 390 millions d'euros de dépenses au titre du crédit d'impôt pour la transition énergétique (CITE), prédécesseur de MaPrimeRénov, pour des travaux engagés en 2020.

Le remplacement du CITE par une prime doit être approuvé : versée de manière contemporaine aux paiements des travaux, elle limite le reste à charge pour les ménages. En outre, la réforme de MaPrimeRénov permet d'en élargir l'accès à de nouveaux bénéficiaires et le dispositif est mieux centré sur les dépenses les plus efficaces, ce que la commission des finances appelait de ses voeux.

On doit toutefois noter qu' il ne s'agit pas d'un accroissement de l'effort financier de l'État en faveur de la rénovation thermique des logements privés : le coût du CITE était en effet déjà de 1,7 milliard d'euros dans les années 2016 à 2018, avant que les actions les moins efficaces en termes de réduction des consommations ne soient exclues du bénéfice de ce crédit d'impôt.

Le rapporteur général constate également la place minoritaire des énergies renouvelables dans le plan de relance . Des crédits de 1 milliard d'euros sont ainsi consacrés à l'amélioration de l'efficacité énergétique et à l'utilisation d'énergies renouvelables dans les entreprises industrielles 50 ( * ) , tandis que des crédits de 274 millions d'euros favorisent la modernisation des centres de tri 51 ( * ) , dont la valorisation des biodéchets en biogaz renouvelable, s'ajoutant à la principale disposition que représente le soutien au développement d'une filière d'hydrogène « vert » (2 milliards d'euros) 52 ( * ) . L'ensemble de ces montants, soit 3,3 milliards d'euros, représente 3,3 % des crédits du plan de relance et 17,8 % des crédits de l'action « Écologie » de la mission « Plan de relance ».

Le plan de relance et la Convention citoyenne pour le climat

La Convention citoyenne pour le climat aborde de nombreuses questions, notamment réglementaires, qui ne relèvent pas du plan de relance. Celui-ci comprend, pour sa part, de nombreuses mesures en faveur de la compétitivité et de la cohésion qui n'ont pas d'impact direct sur le climat. Il est utile toutefois de comparer certaines dispositions du plan de relance avec les propositions de la Convention.

L'une des propositions fortes de la Convention citoyenne est la rénovation énergétique obligatoire des bâtiments d'ici à 2040, proposition adoptée à 87,3 %, ce qui nécessiterait selon elle la rénovation de 20 millions de logements, dont 5 millions de « passoires thermiques ». Sur ce point, l'écart avec le plan de relance est manifeste. La rénovation d'un million de logements par an constituerait une multiplication par trois environ de l'effort actuellement prévu. L'objectif assigné à MaPrimeRénov par le plan de relance est de permettre à 80 000 logements par an de sortir de l'état de passoire thermique, auxquels s'ajoutent 60 000 rénovations financées par le programme « Habiter mieux » de l'Agence nationale de l'habitat, soit un total inférieur à 3 millions de rénovations sur 20 ans si l'effort est maintenu.

S'agissant des infrastructures de transports , le plan de relance mise sur le développement du vélo, la rénovation des infrastructures ferroviaires (principalement par une recapitalisation de SCNF Réseau) et l'extension de l'offre de transports en commun, tout en restant dans le cadre de la programmation pluriannuelle des investissements dans les transports 53 ( * ) . La Convention citoyenne propose de renforcer cette programmation pluriannuelle en augmentant de 1,1 milliard d'euros les crédits annuels de l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF).

Enfin, la Convention citoyenne recommande de « diriger l'ensemble des recettes perçues pour la transition vers un compte dédié au sein du budget de l'État (ou un autre dispositif) afin de s'assurer que les recettes fiscales prélevées soient bien réutilisées au service de la transition climatique » : le choix inverse a été fait par la loi de finances pour 2020, contre l'avis du Sénat, en supprimant le compte d'affectation spéciale « Transition énergétique » .

Source : commission des finances du Sénat et I4CE 54 ( * )

5. Répondre aux précarités écologiques, sociales et territoriales

Comme l'a montré la crise des « gilets jaunes », la politique en faveur de l'environnement doit s'inscrire dans une lutte contre les fractures sociales et territoriales.

Or la fiscalité énergétique , souvent décrite comme « punitive », est un exemple frappant de fiscalité régressive , à l'opposé du principe de progressivité qui caractérise par exemple l'impôt sur le revenu.

C'est ce qu'a souligné le Conseil des prélèvements obligatoires dans un rapport sur la fiscalité environnementale présenté devant la commission des finances du Sénat le 16 octobre 2019. La fiscalité énergétique (y compris TVA 55 ( * ) ) représente en effet 7,2 % du revenu total annuel des 20 % de ménages les plus modestes , mais 2,1 % seulement du revenu total annuel des 20 % de ménages les plus aisés 56 ( * ) .

Il en est de même sur le plan territorial : alors que les ménages habitant une commune rurale consacrent en moyenne 4,5 % de leur revenu à la fiscalité énergétique , ce taux est de 2,1 % seulement pour les ménages habitant l'agglomération parisienne . Il ne faut cependant pas y voir une simple opposition entre zones rurales et zones urbaines, car les factures énergétiques peuvent être aussi élevées en périphérie d'une unité urbaine qu'en zone rurale.

Factures, taux d'effort énergétique et taux d'effort de la fiscalité énergétique selon la zone d'habitation du ménage

TEE : taux d'effort énergétique (facture énergétique rapportée au revenu du ménage par unité de consommation).

Source : commission des finances, d'après le Conseil des prélèvements obligatoires, La fiscalité environnementale au défi de l'urgence climatique, septembre 2019. Prix et législation janvier 2019, revenus 2018

La fiscalité énergétique, loin de contribuer à réduire les inégalités entre les ménages, contribue donc à les renforcer .


* 39 Service des données et études statistiques, rattaché au ministère de la transition écologique.

* 40 Institute for Climate Economics (I4CE, créé en 2015 par la Caisse des dépôts et l'Agence française de développement), Plan de relance et budget 2021 , octobre 2020.

* 41 Commission d'enquête sur le coût économique et financier de la pollution de l'air , présidée par M. Jean-François Husson et dont la rapporteure était Mme Leila Aïchi, rapport publié le 15 juillet 2015.

* 42 Institut I4CE, Relance : comment financer l'action climat , juillet 2020.

* 43 Article L. 2334-42 du code général des collectivités territoriales.

* 44 Circulaire relative à la mise en oeuvre territorialisée du plan de relance , 23 octobre 2020.

* 45 Loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte.

* 46 Stratégie nationale bas-carbone , révision mars 2020. La cible avait été fixée par le décret n° 2015-1491 du 18 novembre 2015 relatif aux budgets carbone nationaux et à la stratégie nationale bas-carbone.

* 47 La stratégie nationale bas carbone est simplement mentionnée dans le projet annuel de performances de la mission « Écologie, développement et mobilités durables ».

* 48 Article L. 100-4 du code de l'énergie , modifié par la loi n o 2019-1147 du 8 novembre 2019 relative à l'énergie et au climat.

* 49 740 millions d'euros de crédits de paiement sont consacrés à MaPrimeRénov dans la mission « Écologie, développement et mobilités durables ». Les crédits de la mission « Plan de relance » consacrés à MaPrimeRénov sont inscrits dans la sous-action « Aide à la rénovation énergétique des logements privés », dotée en 2021 de 915 millions d'euros en crédits de paiement finançant également, à titre minoritaire, des actions diverses de l'Agence nationale de l'habitat.

* 50 Action 03 « Décarbonation de l'industrie » du programme 362 « Écologie ».

* 51 Sous-action de l'action 04 « Économie circulaire et circuits courts » du programme 362 « Écologie ».

* 52 Action 08 « Énergies et technologies vertes » du programme « Écologie ».

* 53 Rapport annexé à la loi n° 2019-1428 du 24 décembre 2019 d'orientation des mobilités.

* 54 I4CE, Le plan de relance répond-il aux demandes de la Convention citoyenne ? , 10 septembre 2020.

* 55 Le rapport sur l'impact environnemental du budget de l'État indique un taux d'effort énergétique hors TVA.

* 56 Le revenu des ménages est considéré par unité de consommation afin de neutraliser les effets de la différence de taille des ménages en fonction du revenu.

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