II. LA CRISE SANITAIRE ET ÉCONOMIQUE A ACCENTUÉ LA NÉCESSITÉ DE POURSUIVRE TROIS TRANSFORMATIONS : LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE, LA VALORISATION DES BIENS INUTILISÉS ET L'ADAPTATION DU PARC IMMOBILIER AUX NOUVEAUX MODES D'ORGANISATION DU TRAVAIL

Pour le rapporteur spécial, la crise sanitaire et économique a agi comme le révélateur des priorités que la politique immobilière de l'État se doit absolument de porter ces prochaines années : la transition énergétique, la diversification des modalités de valorisation du patrimoine immobilier de l'État et la réflexion sur les modes d'organisation du travail des administrations. Pour accommoder ces défis, le parc immobilier de l'État doit évoluer en profondeur. Il est donc temps de faire de la PIE un véritable instrument de transformation publique, et pas seulement un accessoire . Il faut pour cela que cesse la gestion catastrophique du patrimoine immobilier de l'État.

Si ces axes de transformation préexistent à la crise que la France connait depuis le début de l'année 2020, le rapporteur spécial relève qu'elle a à la fois accéléré les besoins de transformation du parc immobilier de l'État et renforcé le caractère incontournable de ces évolutions pour sa gestion . La création du compte d'affectation spéciale en 2006 devait répondre à un double-objectif : dynamiser la politique immobilière de l'État et optimiser la gestion de son parc immobilier . À ces deux objectifs s'est ajouté un troisième, celui de la contribution du CAS à la transition énergétique, l'une des priorités du Grand plan d'investissement (GPI) (151 millions d'euros labellisés au titre du GPI en loi de finances initiale pour 2020). Il faut enfin que ces objectifs trouvent leur traduction concrète.

Le rapporteur spécial regrette seulement, eu égard au fonctionnement du CAS et à ses défauts relevés précédemment, qu'il ne soit pas mieux fait mention, dans les documents budgétaires et pour tous les programmes participants, de l'écart entre les dépenses prévues au titre de la politique immobilière de l'État et les besoins réellement identifiés par les ministères et opérateurs occupants. Les trois défis retenus ici - la transition énergétique, la valorisation des biens inutilisés et la transformation des modes de travail - nécessitent une vision de plus long-terme, pluriannuelle , qui ne peut d'ailleurs pas seulement reposer sur les crédits ouverts sur le CAS, sauf à le transformer.

A. LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE, UN IMPÉRATIF POUR LA POLITIQUE IMMOBILIÈRE DE L'ÉTAT

La contribution du parc immobilier de l'État à l'effort en faveur de la transition écologique est essentielle à deux titres : d'abord parce que les bâtiments sont parmi les plus grands consommateurs d'énergie 24 ( * ) , ensuite parce que l'État doit insuffler, en montrant l'exemple, un nouvel élan à la politique de rénovation énergétique . C'est d'autant plus pertinent que la majorité de ses bâtiments sont anciens et certains constituent même des « passoires énergétiques ». Une partie des crédits du CAS était ainsi labellisé au titre de leur participation au « Grand plan d'investissement », dont l'une des priorités concernait la transition énergétique 25 ( * ) .

Le rapporteur spécial reconnait que la DIE s'est plutôt correctement saisie de ce sujet avec, surtout ces deux dernières années, l'expérimentation et la généralisation de plusieurs outils de suivi et de programmes d'économies d'énergie, en plus des dépenses d'entretien supportées par le CAS. S'il faut saluer cette impulsion, force est d'admettre que cela répond aussi à des obligations légales, encore en cours de définition pour le périmètre des bâtiments de l'État (surface, année de référence). Dans le cadre du plan de rénovation énergétique des bâtiments lancé par le Gouvernement au mois d'avril 2018, l'objectif d'économie d'énergie sur le parc immobilier de l'État a été fixé à 15 % d'ici 2022 .

L'État est notamment concerné par les obligations d'économies d'énergie dans le secteur tertiaire introduites par la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant sur l'évolution du logement, de l'aménagement et du numérique, dite loi « ELAN ». Cela s'est traduit par le décret n° 2019-771 du 23 juillet 2019 dit « tertiaire », qui a fixé les obligations d'actions de réduction de la consommation d'énergie finale dans les bâtiments à usage tertiaire : 40 % d'économies en 2030, 50 % en 2040 et 60 % en 2050 (par rapport à 2010). D'après les informations transmises par la DIE, le périmètre du décret tertiaire pourrait être modifié pour assujettir les bâtiments d'une surface plancher supérieure ou égale à 500m² (le seuil est actuellement fixé à 1 000m²).

Source : réponses au questionnaire budgétaire du rapporteur spécial

Dans le cadre du plan de rénovation énergétique des bâtiments lancé par le Gouvernement au mois d'avril 2018, l'objectif d'économie d'énergie sur le parc immobilier de l'État a été fixé à 15 % d'ici 2022 .

La direction de l'immobilier de l'État et la performance énergétique
du parc immobilier de l'État

La DIE a instauré plusieurs instruments pour répondre à l'objectif « amélioration de la performance énergétique des bâtiments publics » de la politique immobilière de l'État :

- l'outil de suivi des fluides interministériel (OSFi), déployé progressivement à compter du mois de décembre 2019. Cet outil doit permettre d'identifier les surconsommations et donc les gisements d'économie ;

- l'animation de la feuille de route nationale pour la transition énergétique , aux côtés du ministère de la transition écologique, ainsi que celle de la circulaire pour des services publics éco-responsables (février 2020). Cette dernière comprend plusieurs mesures, dont la mise en oeuvre de l'OFSi (en cours), l'interdiction de l'achat de nouvelles chaudières au fioul, la mise en oeuvre du programme 348 (rénovation des cités administratives) ;

- le programme d'actions d'économies d'énergie à gains rapides (TIGRE) est le plus récent (2020). Il est doté de 20 millions d'euros en 2020 et vise à financer des opérations peu coûteuses, avec un fort retour sur investissement. Ces opérations recouvrent par exemple un appel à solution du secteur privé pour répliquer des solutions à bas coût dans les bâtiments publics ; un appel à projets auprès des gestionnaires immobiliers (540 projets retenus en juillet 2020 pour une enveloppe de 15 millions d'euros et une économie d'énergie attendue à 60 GWh/EP). Le programme a également financé la participation des services de l'État au concours CUBE2020 26 ( * ) . En 2021, plus d'un quart des crédits sera consacré aux dépenses de gros entretien et de renouvellement .

Source : réponses au questionnaire du rapporteur spécial, rapport d'activité de la direction de l'immobilier de l'État pour 2019 et documents budgétaires

Une première difficulté se pose toutefois, celle de pouvoir clairement retracer les effets de ces instruments et de mesurer leur efficacité, y compris par rapport aux objectifs fixés par le Gouvernement dans le décret « tertiaire ».

En effet, le rapporteur spécial regrette, à l'instar des années précédentes, que les indicateurs de performance et les informations présentées dans les documents budgétaires, qu'ils soient relatifs au CAS, au programme 348 ou au document de politique transversale, n'aient pas été modifiés pour mieux intégrer cette nouvelle priorité de la PIE . Il partage en cela le constat du Conseil de l'immobilier de l'État 27 ( * ) . Il n'y a ni bilan de la mise en oeuvre de la transition énergétique dans le parc occupé, ni objectifs portant sur la réduction du nombre de baux de biens les moins performants en matière environnementale ou sur le recours aux énergies renouvelables, ni pilotage unique et clair. La DIE estime par ailleurs impossible d'isoler finement les crédits consacrés aux travaux d'amélioration de la performance énergétique au sein des dépenses du programme 723 du CAS « Gestion du patrimoine immobilier de l'État ».

Le rapporteur spécial relève par ailleurs que les données portant sur l'évolution de la consommation énergétique (État et opérateurs), qui figurent maintenant dans le document de politique transversale relatif à la politique immobilière de l'État, sont, encore une fois, sujettes à précaution . Cet indicateur dépend en effet de la complétude des informations transmises à la DIE (65 % pour les immeubles de bureau et 36,3 % pour les logements en 2020). En juillet 2019, un souci technique a même empêché la DIE de disposer de ces données. La DIE incite donc l'ensemble des administrations à déployer l'OFSi, afin d'avoir une vision plus complète de la consommation et de la performance énergétique des bâtiments publics.

Évolution de la consommation énergétique de l'État et de ses opérateurs

(en KWh/an/m² de surface utile brute)

Année

Juillet 2016

Juillet 2017

Juillet 2018

Juillet 2020

Consommation

189

149

146

163

Évolution

-

- 21,16 %

- 2,01 %

11,64 %

Source : commission des finances du Sénat, d'après le document de politique transversale relatif à la politique immobilière de l'État

La seconde difficulté , qui se pose également pour toutes les problématiques liées à la rationalisation des emprises immobilières de l'État est de savoir de quels moyens concrets la DIE dispose pour contraindre effectivement les ministères occupants à participer aux objectifs de la politique immobilière de l'État (PIE). Le rapporteur spécial serait tenté de répondre bien trop peu ; les dispositifs d'incitation doivent absolument être renforcés .

Les loyers budgétaires ont disparu 28 ( * ) , même si la DIE a décidé de conserver un indicateur sur le coût d'occupation domaniale hors charges dans les conventions signées entre l'État propriétaire et les occupants. Ce coût d'occupation vaut à la fois pour les bureaux et pour les logements, ce que ne faisaient pas les loyers budgétaires. La DIE a également instauré dès 2019 une nouvelle procédure de labellisation des projets immobiliers . Elle a indiqué au rapporteur spécial tenir particulièrement compte des critères environnementaux lors de cette procédure, sous le prisme du référentiel « Énergie positive, réduction carbone » (E+C-). En 2019, trois conférences nationales de l'immobilier public (CNIP) ont été consacrées à la transition énergétique et 12 aux projets sélectionnés au titre du programme 348 ( cf. supra ).

Le dispositif de labellisation

Dans le cadre de la gouvernance rénovée de la politique immobilière de l'État (PIE), instaurée par les circulaires du Premier ministre du 27 avril 2016 et du 27 février 2017, la DIE a élaboré en co-construction avec les autres ministères, une méthodologie visant à renforcer le rôle de l'État propriétaire et à garantir le caractère vertueux des projets immobiliers de l'État et de ses opérateurs à travers la procédure de labellisation. Ce processus est obligatoire pour tous les projets d'une valeur supérieure à cinq millions d'euros (huit millions d'euros pour la région Ile-de-France). La procédure s'applique aux projets immobiliers structurants et porte autant sur l'immobilier de bureau que sur les bâtiments d'enseignement ou les logements.

Après une phase expérimentale, cette démarche s'est traduite par la mise en place d'un processus de labellisation des projets immobiliers , afin de vérifier leur conformité aux critères de la politique immobilière de l'État : rationalisation des emprises, réduction de l'éparpillement des services dans différentes implantations, mutualisation de services, densification des bâtiments, réduction des dépenses immobilières, et notamment de la consommation énergétique, accessibilité...

Plus précisément, la démarche consiste à s'assurer que les différents acteurs de l'immobilier de l'État ont étudié différents scénarios, se sont posés les bonnes questions et que le projet immobilier retenu présente des garanties de performance aussi bien techniques, énergétiques que financières et budgétaires. La méthode consiste ainsi pour l'administration occupante, porteur du projet, à proposer différents scénarios qui seront étudiés par le responsable régional de la politique immobilière (RRPIE), puis par les instances de gouvernance de la PIE (CNIP et conférences immobilières), afin de retenir le meilleur projet au regard des critères de la PIE . Il revient ensuite au ministère du Domaine de décider, la décision étant déléguée au directeur de l'immobilier de l'État ou au préfet de région, en fonction du montant du projet.

Selon la DIE, au 31 décembre 2019, 508 projets ont été labellisés depuis octobre 2016, pour un montant total de 3,17 milliards d'euros. Le rapporteur spécial note la nette accélération constatée en 2019 , puisque le nombre de projets labellisés entre le mois d'octobre 2016 et le 31 décembre 2018 n'était que de 312, pour un montant total de
1,08 milliard d'euros.

Source : réponses au questionnaire budgétaire du rapporteur spécial, document de politique transversale relatif à la politique immobilière de l'État et rapport d'activité de la direction de l'immobilier de l'État pour l'année 2019

Le rapporteur spécial note enfin que l'amélioration de la performance énergétique provient moins d'une évolution qualitative des bâtiments en eux-mêmes que de la réduction de leur volume . La décomposition des dépenses énergétiques de l'État par ministère soutient ce constat : les plus fortes baisses observées entre 2011 et 2019 proviennent des ministères qui ont à la fois réduit leurs emprises et leurs effectifs
(- 86 % pour les services du Premier ministre, - 16 % pour le ministère de la transition écologique, - 7 % pour les ministères économiques et financiers, - 56 % pour ceux du travail et de la santé), tandis que les dépenses énergétiques des autres ministères ont augmenté.

Ainsi, en dépit de progrès indéniables, le rapporteur spécial demeure plus que circonspect quant aux moyens engagés et à la faculté pour la politique immobilière de l'État et la DIE de transformer rapidement les modes de fonctionnement des ministères occupants . Selon les informations transmises par la direction de l'immobilier de l'État, le décret « tertiaire » nécessiterait des investissements de l'ordre de 80 milliards d'euros sur la période 2020-2050 pour atteindre l'objectif de réduction de la consommation énergétique de 60 % d'ici 2050 (par rapport à 2010), dont 36 milliards d'euros pour les services de l'État (42 milliards d'euros si le seuil était abaissé aux bâtiments d'une surface supérieure ou égale à 500 mètres carrés).

Cette inquiétude sur la capacité à agir rapidement sur les habitudes des ministères et services occupants vaut également pour la diversification des modes de valorisation du patrimoine immobilier de l'État.


* 24 Selon le document de politique transversale relatif à la politique immobilière de l'État et annexé au projet de loi de finances pour 2021, les bâtiments, tous secteurs confondus, sont responsables de près de 50 % des consommations d'énergie et d'environ le quart des émissions nationales de gaz à effet de serre.

* 25 Dans le rapport qui a préfiguré l'instauration du Grand plan d'investissement (« Le grand plan d'investissement, 2018-2022 ». Rapport au Premier ministre), Jean Pisani-Ferry préconisait en effet d'améliorer la performance énergétique du parc immobilier de l'État (initiative 2).

* 26 Le concours CUBE2020 (Concours Usages Bâtiment Efficace) est organisé par l'Institut français pour la performance du bâtiment. Les participants sont classés selon les économies d'énergie constatées sur une période d'un an.

* 27 CIE, Avis du 10 septembre 2019 sur l'amélioration de la performance énergétique du parc.

* 28 À compter de la loi de finances pour 2019.

Page mise à jour le

Partager cette page