Rapport général n° 138 (2020-2021) de M. Sébastien MEURANT , fait au nom de la commission des finances, déposé le 19 novembre 2020

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N° 138

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2020-2021

Enregistré à la Présidence du Sénat le 19 novembre 2020

RAPPORT GÉNÉRAL

FAIT

au nom de la commission des finances (1) sur le projet de loi de finances , adopté par l'Assemblée nationale, pour 2021 ,

Par M. Jean-François HUSSON,

Rapporteur général,

Sénateur

TOME III

LES MOYENS DES POLITIQUES PUBLIQUES ET DISPOSITIONS SPÉCIALES

(seconde partie de la loi de finances)

ANNEXE N° 16

IMMIGRATION, ASILE ET INTÉGRATION

Rapporteur spécial : M. Sébastien MEURANT

(1) Cette commission est composée de : M. Claude Raynal, président ; M. Jean-François Husson, rapporteur général ; MM. Éric Bocquet, Emmanuel Capus, Bernard Delcros, Vincent Éblé, Charles Guené, Mme Christine Lavarde, MM. Dominique de Legge, Albéric de Montgolfier, Didier Rambaud, Jean-Claude Requier, Mmes Sophie Taillé-Polian, Sylvie Vermeillet, vice-présidents ; MM. Jérôme Bascher, Rémi Féraud, Marc Laménie, Stéphane Sautarel, secrétaires ; MM. Jean-Michel Arnaud, Arnaud Bazin, Christian Bilhac, Jean Bizet, Mme Isabelle Briquet, MM. Michel Canevet, Vincent Capo-Canellas, Thierry Cozic, Philippe Dallier, Vincent Delahaye, Philippe Dominati, Mme Frédérique Espagnac, MM. Éric Jeansannetas, Patrice Joly, Roger Karoutchi, Christian Klinger, Antoine Lefèvre, Gérard Longuet, Victorin Lurel, Hervé Maurey, Sébastien Meurant, Jean-Marie Mizzon, Claude Nougein, Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Paul Toussaint Parigi, Georges Patient, Jean-François Rapin, Teva Rohfritsch, Pascal Savoldelli, Vincent Segouin, Jean Pierre Vogel.

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 15 ème législ.) : 3360 , 3398 , 3399 , 3400 , 3403 , 3404 , 3459 , 3465 , 3488 et T.A. 500

Sénat : 137 et 138 à 144 (2020-2021)

LES PRINCIPALES OBSERVATIONS
DU RAPPORTEUR SPÉCIAL

1. L'examen de la mission « Immigration, asile et intégration » s'effectue dans un contexte marqué par l'absence de données fiables permettant d'évaluer clairement la situation migratoire de la France ce qui en réduit grandement la portée. Le coût estimé de la politique française de l'immigration et de l'intégration est de 5,8 milliards d'euros en 2018, de 6,4 milliards d'euros en 2019, de 6,7 milliards d'euros en 2020 et 6,9 milliards d'euros en 2021 . Il a ainsi augmenté de plus d'un milliard d'euros en quatre ans. De nombreuses dépenses ne sont toutefois pas prises en charge par l'État. À titre d'exemple, les départements ont la charge des mineurs étrangers isolés, pour un montant proche de 2 milliards d'euros.

2. En 2020, la situation de crise sanitaire liée à la Covid-19 a entrainé une baisse les flux migratoires à destination de la France et de l'Europe. Cette situation est conjoncturelle, et il peut être attendu que la levée progressive des restrictions, ainsi que le retour à une situation sanitaire maitrisée s'accompagnent d'un retour des flux migratoires à un niveau proche de celui d'avant-crise.

3. L'immigration irrégulière a poursuivi en 2019 sa dynamique de hausse structurelle. Le nombre de bénéficiaires de l'aide médicale d'État (AME), qui constitue un bon indicateur du nombre d'étrangers en situation irrégulière, s'établissait à 334 546 fin 2019, soit une augmentation de plus de 115 % depuis 2004. Le taux d'exécution des obligations de quitter le territoire français (OQTF), poursuit sa baisse préoccupante. En diminution constante depuis 2012, il est désormais inférieur à 13 % en 2018 comme en 2019, et connaît un plus bas historique en 2020 à la suite de l'épidémie de Covid-19.

4. Les demandes d'asile, hors mineurs accompagnants, connaissent une hausse constante depuis 2007 et jusqu'à la crise sanitaire, à un rythme qui s'accélère nettement à partir de 2015 : + 27,5 % en 2015, + 9,8 % en 2016, + 14,1 % en 2017, + 25,1 % en 2018, + 9 % en 2019. Sur le long cours, entre 2007 et 2019, la demande de protection internationale en France a été multipliée par 3,7, passant de près de 30 000 demandes d'asiles à plus de 110 000. En 2020, et du fait de l'arrêt presque complet des dépôts de demandes d'asile pendant le confinement, le nombre de demandes enregistrées sur les sept premiers mois est en baisse.

5. Les crédits de la mission augmentent de 2 % en CP (+ 36,8 millions d'euros) et baissent de 8,8 % en AE (- 169,8 millions d'euros). La baisse constatée au niveau des AE s'explique par l'engagement en 2020 d'AE pluriannuelles pour l'hébergement des demandeurs d'asile.

6. Les CP inscrits au PLF 2021 pour la mission « Immigration, asile et intégration » dépassent de 100,3 millions d'euros le montant programmé pour l'année 2021 dans la trajectoire du triennal 2020-2022. Si cette trajectoire est rendue caduque par la crise sanitaire, son dépassement traduit néanmoins le dérapage des dépenses de cette mission , principalement sous l'effet de la sous-évaluation des dépenses d'asile. En outre, la mission « Plan de relance » ouvre des crédits destinés à l'hébergement des demandeurs d'asile, à hauteur de 37 millions d'euros en AE et 18,5 millions d'euros en CP pour 2021, alors que ces dépenses auraient dû être portées par la mission « Immigration, asile et intégration ».

7. La dotation budgétaire prévue en 2021 pour l'allocation pour demandeur d'asile (ADA) s'élève à 452,1 millions d'euros. Elle est donc en augmentation de près de 2,6 % par rapport à 2020. Le montant retenu pour 2021 se fonde sur une projection d'un retour d'une demande d'asile en 2021 à un niveau comparable à ce qu'il était en 2019.

8. L'action « Lutte contre l'immigration irrégulière » voit ses crédits augmenter de 15,95 % en AE et de 4,05 % en CP. Cette évolution s'explique par une forte hausse de l'investissement en AE dans le parc immobilier de centres de rétention administrative (CRA), dont les créations de places ont connu un fort ralentissement en 2020. L'augmentation des frais d'éloignement des migrants en situation irrégulière est dérisoire. Les crédits demandés pour 2021 atteignent 34,7 millions d'euros en CP et en AE. Cette évolution confirme la stagnation des dépenses d'éloignement et traduit l'absence de volonté du gouvernement sur ce sujet. Ainsi, depuis 2015, les dépenses d'éloignement n'ont connu aucune augmentation significative et oscillent entre 30 et 34 millions d'euros.

9. En 2020, l'activité de l'Ofpra a été fortement dégradée par la crise sanitaire liée à la Covid-19. L'objectif de réduction du délai moyen de traitement d'un dossier à 60 jours est repoussé à 2023, avec un objectif intermédiaire de 112 jours en 2021. L'Ofpra voit, pour 2021, sa subvention pour charges de service public augmenter de 1 % et ses effectifs diminuer de 2 ETPT, ce qui apparaît insuffisant pour atteindre ces objectifs.

L'article 49 de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) fixe au 10 octobre la date limite pour le retour des réponses aux questionnaires budgétaires.

À cette date, 78 % des réponses étaient parvenues au rapporteur spécial en ce qui concerne la mission « Immigration, asile et intégration ».

PREMIÈRE PARTIE
UNE MISSION N'OFFRANT QU'UNE VISION PARTIELLE DES DÉPENSES LIÉES À L'IMMIGRATION, DANS UN CONTEXTE D'ABSENCE DE MAÎTRISE DES FLUX

I. UN CONTEXTE MIGRATOIRE TOUJOURS TENDU ET INCONTRÔLÉ

A. UNE ABSENCE DE DONNÉES FIABLES PRÉJUDICIABLE À L'EXAMEN PAR LE PARLEMENT DU BUDGET DE L'IMMIGRATION

L'examen de la mission « Immigration, asile et intégration » du projet de loi de finances s'effectue dans un contexte marqué par l'absence de données fiables permettant d'évaluer clairement la situation migratoire de la France, ce qui en réduit grandement la portée.

Ce problème d'insuffisance de chiffres fiables et de sincérité de la part de l'exécutif est accentué par l'absence de consolidation des différents coûts de l'immigration.

Les dépenses de l'État induites par l'immigration ne se limitent pas à la mission « Immigration, asile et intégration ». Le coût estimé de la politique française de l'immigration et de l'intégration est de 5,8 milliards d'euros en 2018, de 6,4 milliards d'euros en 2019, de 6,7 milliards d'euros en 2020 et 6,9 milliards d'euros en 2021. Il a ainsi augmenté de plus d'un milliard d'euros en quatre ans.

Ce coût, issu du document de politique transversale (DPT) « Politique française de l'immigration et de l'intégration » annexé au projet de loi de finances pour 2021, auquel contribuent 19 programmes répartis au sein de 13 missions budgétaires, ne prend en réalité en compte que les dépenses directes et orientées à titre principal vers les étrangers.

Part des crédits de paiement de la mission « Immigration, asile et intégration » par rapport à l'ensemble des crédits de la « Politique française de l'immigration et de l'intégration »

(en %)

Source : commission des finances, d'après le document de politique transversale « Politique française de l'immigration et de l'intégration » annexé au présent projet de loi de finances

Le rapporteur spécial estime que certaines dépenses de l'État, comme celles relatives à l'AME, intégralement destinées à des immigrés, pourraient être intégrées à la mission « Immigration, asile et intégration », afin d'apporter une vision davantage consolidée du coût réel de cette politique publique.

Il est regrettable, à cet égard, que le ministère de l'intérieur, pourtant chef de file de cette politique, ne soit pas en mesure d'apporter de réponse aux questions du rapporteur spécial 1 ( * ) relatives aux coûts de l'immigration supportés par les collectivités territoriales et les organismes de sécurité sociale.

Le cas des mineurs étrangers non accompagnés, dont le nombre recensé par le ministère de la justice s'élève en 2019 à 16 760, est à cet égard symptomatique, puisqu'il a plus que doublé depuis 2016. L'Assemblée des départements de France (ADF) évalue pour sa part le nombre de mineurs non accompagnés pris en charge à environ 40 000 2 ( * ) . Leur prise en charge échappe pourtant largement à l'État.

Nombre de personnes déclarées mineurs étrangers
non accompagnés recensés par le ministère de la justice

Source : cellule MNA de la direction de la protection judiciaire de la jeunesse (ministère de la justice)

Le coût de la prise en charge de ces personnes incombe essentiellement aux départements, au titre de l'aide sociale à l'enfance 3 ( * ) , et était évalué à environ 2 milliards d'euros en 2018 par l'Assemblée des départements de France 4 ( * ) .

B. UNE DYNAMIQUE D'IMMIGRATION IRRÉGULIÈRE INCERTAINE

1. Une baisse temporaire des flux liée à l'épidémie de Covid-19

En 2020, la situation de crise sanitaire liée à la Covid-19 a entrainé une baisse les flux migratoires à destination de la France et de l'Europe . Les restrictions sur les déplacements intérieurs et internationaux intervenues en France et en Europe ainsi que dans les pays de départ et de transit ont concouru à cette diminution, notamment les restrictions sur les vols commerciaux. Selon l'OCDE, les flux migratoires à destination de ses pays membres ont diminué de moitié au premier semestre 2020 5 ( * ) . En Europe, les demandes d'asile ont ainsi diminué de 33 % au cours des six premiers mois de 2020 par rapport à la même période en 2019.

Cette situation est conjoncturelle , et il peut être attendu que la levée progressive des restrictions, ainsi que le retour à une situation sanitaire maitrisée s'accompagnent d'un retour des flux migratoires à un niveau proche de celui d'avant-crise. Cette dimension conjoncturelle s'observe au niveau de l'évolution des demandes d'asile, qui tendent à reprendre avec la levée des restrictions sanitaires. Ainsi, si elles représentaient 25 % du niveau du mois de janvier en mai 2020, cette proportion remontait à 56 % en août et continue d'augmenter au mois de septembre et octobre 2020. Le projet annuel de performance annexé au projet de loi de finances 2021 projette ainsi un niveau de demande d'asile similaire en 2021 à celui de 2019.

À cet égard, le directeur général de l'agence Frontex a indiqué en avril 2020 devant la commission des affaires européennes du Sénat, qu'il était « encore trop tôt pour savoir quels seront les effets des flux migratoires à long terme. Ceux-ci se réduisent beaucoup pour le moment, mais cela s'explique par les mesures de confinement prises dans un certain nombre de pays, ceux d'origine comme ceux de transit ou de destination. La situation sera probablement préoccupante lorsque certains continents seront largement sortis de la crise liée à la Covid-19, alors que d'autres n'auront pas encore surmonté l'épidémie . » 6 ( * )

Outre les flux en eux-mêmes et les demandes d'asile, les autres volets de la politique migratoire ont connu un coup d'arrêt. Les opérations de délivrance de titres en préfecture, le traitement des demandes de naturalisation, ou la signature de nouveaux contrats d'intégration républicaine ont été presque totalement interrompus pendant le confinement. La remontée en charge de ces différents volets de la politique migratoire pourra s'avérer difficile si elle s'accompagne d'une reprise des flux au niveau d'avant-crise, en raison de l'augmentation du stock lié au ralentissement de l'activité des services concourant à la politique migratoire.

La sortie de crise sanitaire pourrait s'accompagner d'un rattrapage des flux migratoires irréguliers à destination du territoire français.

2. Une incapacité structurelle à maîtriser l'immigration irrégulière

Malgré l'absence persistante de données officielles fiables relatives au nombre d'étrangers en situation irrégulière en France, certains indicateurs permettent d'appréhender la hausse structurelle de l'immigration irrégulière sur le territoire français. Le nombre de bénéficiaires de l'aide médicale d'État (AME) figure cette dynamique de hausse. Il s'établissait à 334 546 bénéficiaires fin 2019, soit une augmentation de plus de 115 % depuis 2004. Il convient de rappeler que cette aide est versée sous condition de résidence ininterrompue en France de trois mois, et que son taux de recours n'est pas connu, et ne peut donc donner qu'une image tronquée du nombre d'étrangers résidant en France en situation irrégulière, qui est certainement bien supérieur.

Évolution du nombre de bénéficiaires de l'AME

Source : commission des finances du Sénat, d'après les projets annuels de performance successifs de la mission « Santé »

Le taux d'exécution des obligations de quitter le territoire français (OQTF) poursuit sa baisse préoccupante. En diminution constante depuis 2012, il est désormais inférieur à 13 % en 2018 comme en 2019, et connaît un plus bas historique en 2020 à la suite de l'épidémie de Covid-19 (voir infra ). Les OQTF constituent pourtant la quasi-totalité des mesures d'éloignement prononcées 7 ( * ) , ce qui interroge largement l'effectivité de l'éloignement administratif des étrangers du territoire français.

L'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoit la possibilité, pour les étrangers en situation irrégulière, de se voir délivrer une carte de séjour temporaire . En 2019, le nombre d'étrangers ayant bénéficié d'une régularisation s'établit à 32 142. Entre 2018 et 2019, ce dernier a connu une baisse légère, de 3,4 %, qui ne doit toutefois pas masquer le fait que leur nombre a plus que doublé en 10 ans (+ 103,1 % entre 2009 et 2019).

Évolution du nombre d'admissions exceptionnelles
au séjour (régularisations) par motif

Source : commission des finances du Sénat, d'après le ministère de l'intérieur

De manière générale, le rapporteur spécial souscrit aux propos du directeur exécutif de Frontex traduisant l'impuissance actuelle de l'Union européenne en matière de lutte contre l'immigration irrégulière : « la politique de gestion des frontières et la politique migratoire de l'Union européenne auront du mal à être prises au sérieux tant que l'éloignement des étrangers en situation irrégulière ne fonctionne pas pleinement et que le système de l'asile est perturbé par des demandes qui émanent de personnes non-éligibles à la protection internationale, encombrent les circuits, et donnent lieu à des décisions d'éloignement dont l'exécution n'est pas systématique 8 ( * ) . »

C. UNE HAUSSE PERSISTANTE DES DEMANDES D'ASILE EN 2019, QUI DEVRAIT REPRENDRE APRÈS LA CRISE SANITAIRE

Les indicateurs sur la demande d'asile ont fait l'objet d'un changement de méthode de calcul en 2020. Le système d'information asile (SI Asile) a succédé à la source de l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides (Ofpra). La nouvelle méthodologie permet désormais de dénombrer, outre les demandes passant par l'Ofpra, les demandes en procédure Dublin « III » 9 ( * ) et les demandes déposées en guichet unique pour demandeur d'asile (Guda) mais jamais arrivées à l'Ofpra. Pour rappel, le règlement européen Dublin « III » prévoit qu'un seul État membre est responsable du traitement d'une même demande d'asile au sein de l'Union européenne. Les demandes d'asile concernées sont celles qui relèvent de la compétence d'un autre État membre, c'est-à-dire de migrants arrivés en Europe qui, après avoir enregistré cette demande dans un premier pays européen, la réitèrent dans un autre État membre de l'Union européenne (UE).

Ce nouvel indicateur donne ainsi une image plus fidèle de l'évolution du nombre de demandes d'asile à partir de 2018, année pour laquelle le nouveau périmètre est applicable. Il montre une hausse de 4,8 % du nombre de demandes d'asile de majeurs enregistrées entre 2018 et 2019. Plus précisément, cette hausse atteint 3,7 % s'agissant des premières demandes d'asile, qui représentent la majorité des demandes enregistrées, et s'élève à 16,9 % s'agissant des réexamens.

L'indicateur mesurant l'évolution des seules demandes d'asile auprès de l'Ofpra, hors mineurs accompagnants, traduit une hausse constante de la demande d'asile depuis 2007, à un rythme qui s'accélère nettement à partir de 2015 : + 27,5 % en 2015, + 9,8 en 2016, + 14,1 % en 2017, + 25,1 % en 2018, + 9 % en 2019 . Sur le long cours, entre 2007 et 2019, la demande de protection internationale en France a été multipliée par 3,7 , passant de près de 30 000 demandes d'asiles à plus de 110 000.

En 2020, et du fait de l'arrêt presque complet des dépôts de demandes d'asile pendant le confinement, le nombre de demandes enregistrées sur les sept premiers mois est en baisse. Il sera nécessaire d'être attentif à l'évolution du nombre de demande au fur et à mesure de la sortie de la crise sanitaire liée à la Covid-19, qui pourrait entrainer un effet de rattrapage.

Évolution du nombre de demande d'asile, hors mineurs accompagnants

Source : commission des finances du Sénat, d'après le ministère de l'intérieur

En 2019, l'Ofpra et la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) ont rendu 36 275 décisions de protection (octroi du statut de réfugié ou d'apatride, protection subsidiaire), contre 33 330 en 2018.

La majorité de ces décisions sont prises par l'Ofpra : 22 295 admissions ont été enregistrées en 2019 (hors mineurs accompagnants), en diminution de 9,4 % par rapport à l'année précédente. 14 084 des personnes protégées par l'Ofpra en 2019 se sont vu octroyer un statut de réfugié ou d'apatride (63 % du total) et 8 211 une protection subsidiaire (37 %). Le taux de protection de l'Ofpra s'établit à 23,7 %, soit 3 points de moins qu'en 2018. Cette évolution s'explique en partie par la forte progression de décisions prises au cours de l'année pour des demandeurs en provenance de pays d'origine sûrs (notamment Albanie et Géorgie).

Le nombre des décisions d'octroi de la protection subsidiaire par l'Ofpra a quintuplé entre 2014 et 2018, passant de 1 940 en 2014, à 10 572 en 2018, et 8 211 en 2019. Cette évolution s'explique quant à elle principalement par l'augmentation jusqu'en 2018 des demandes syriennes, afghanes et centrafricaines, les conflits sévissant dans ces États donnant lieu à l'octroi de la protection subsidiaire au titre de la violence généralisée.

Pour l'Ofpra (hors décisions d'annulation de la CNDA), les trois principales nationalités concernées par la protection subsidiaire en 2019 sont les Afghans (49 % de l'ensemble des protections subsidiaires), les Syriens (19,5 %) et les Somaliens (3,8 %). Le statut de réfugié concerne principalement les Soudanais (17 % du total des statuts de réfugié), les Chinois (8,4 %) et les Erythréens (8,2 %)

La CNDA a rendu 13 980 décisions de protection en 2019 , contre 8 717 en 2018. La proportion de décisions d'octroi de protection subsidiaire est comparable à celle observée pour l'Ofpra : 9 337 personnes se sont vues octroyer un statut de réfugié ou d'apatride (66,8 % du total) et 8 211 une protection subsidiaire (33,2 %) . Le taux de protection de la CNDA est en hausse de 2,5 points, et s'établit à 18,6 % en 2019 .

Les dix nationalités qui ont le plus fort taux de protection auprès de la CNDA en 2019 sont les suivantes : syrienne, cisjordanienne, libyenne, djiboutienne, bhoutanaise, sud-soudanaise, somalienne, afghane, yéménite, koweïtienne.

II. UNE STABILISATION DES CRÉDITS DE LA MISSION, N'EMPÊCHANT PAS UN DÉPASSEMENT DE LA PROGRAMMATION TRIENNALE

A. L'IMPORTANCE RELATIVE DES DÉPENSES DÉDIÉES À L'ASILE S'ACCROÎT

Les dépenses de la mission « Immigration, asile et intégration » sont en réalité très concentrées sur l'asile (instruction et conditions matérielles d'accueil des demandeurs d'asile), puisque l'action 02 « Garantie de l'exercice du droit d'asile » du programme 303 « Immigration et asile » concentre à elle seule presque 70 % des crédits de paiement demandés .

Par ailleurs, l'Office français de l'immigration et de l'intégration (Ofii), dont les dépenses dépendent également du programme 104 « Intégration et accès à la nationalité française », concourt aux missions relatives à l'asile (guichet unique d'accueil des demandeurs d'asile et d'information des demandeurs d'asile, gestion du plan « Migrants », gestion de l'allocation pour demandeurs d'asile (ADA), frais de transport et frais d'interprétariat pour les demandeurs d'asile, etc.).

Répartition des crédits de paiement demandés pour 2021

(en %)

Source : commission des finances

Le traitement des demandes et la garantie de l'exercice du droit d'asile constituent donc le principal débouché de la mission. L'évolution du stock et du flux de la demande d'asile semble donc être un déterminant fondamental de l'évolution de ses dépenses.

B. UNE AUGMENTATION DES CRÉDITS DEMANDÉS DE 2 %

Le périmètre de la mission n'évolue pas pour 2021 . Il reste composé de deux programmes :

- le programme 303 « Immigration et asile » , qui porte les crédits de garantie du droit d'asile et d'accueil des demandeurs d'asile, ainsi que les crédits relatifs à la lutte contre l'immigration irrégulière ;

- le programme 104 « Intégration et accès à la nationalité française » , qui porte les crédits d'intégration des étrangers primo-arrivants et des réfugiés, en particulier la subvention à l'Ofii et les subventions aux associations oeuvrant en la matière.

Les effectifs de la mission sont portés par le programme 216 « Conduite et pilotage des politiques de l'intérieur », il n'y a donc pas de dépenses de personnel sur les programmes 303 et 104.

Les crédits de la mission augmentent de 2 % en CP (+ 36,8 millions d'euros) et baissent de 8,8 % en AE (- 169,8 millions d'euros). Si les deux programmes présentent des crédits en hausse, le programme 303 « Immigration et asile » concentre la plus grande part de cette augmentation . C'est aussi le programme 303 qui supporte la totalité de la baisse constatée dans les autorisations d'engagement.

Ils s'élèvent ainsi à 1 758 millions d'euros en AE et 1 849,1 millions d'euros en CP. Ces crédits sont complétés par 58,3 millions d'euros en AE et 25,7 millions d'euros en CP au titre du plan de relance.

Évolution des crédits de la mission « Immigration, asile et intégration »

(en millions d'euros et en pourcentage)

Exécution 2019

LFI 2020

PLF 2021

Évolution PLF 2021 / LFI 2020 (volume)

Évolution PLF 2021 / LFI 2020 (%)

FDC et ADP attendus en 2021

Programme 303

Immigration et asile

AE

1 617,7

1 496,5

1 324,5

- 172

- 11,5 %

19,2

CP

1 453,1

1 380,9

1 415,6

+ 34,7

+ 2,5 %

19,2

Programme 104

Intégration et accès à la nationalité française

AE

386,9

431,4

433,2

+ 1,8

+ 0,4 %

43

CP

386,3

431,4

433,3

+ 1,9

+ 0,4 %

43

Total mission

AE

2 004,6

1 927,8

1 757,8

- 170

- 8,8 %

62,3

CP

1 839,4

1 812,3

1 849,0

+ 36,7

+ 2 %

62,3

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

Évolution des crédits de la mission « Immigration, asile et intégration »

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

Le programme 303 « Asile et immigration » diminue de 11,5 % en AE (- 171,8 millions d'euros) et augmente de 2,5 % en CP (+ 34,8 millions d'euros) par rapport à 2020. La baisse constatée au niveau des AE s'explique par l'engagement en 2020 d'AE pluriannuelles pour l'hébergement des demandeurs d'asile.

Évolution des crédits par action du programme 303

(en millions d'euros)

LFI 2020

PLF 2021

Évolution PLF 2021 / LFI 2020 (volume)

Évolution PLF 2021 / LFI 2020 (%)

FDC et ADP attendus en 2021

Action 02

Garantie de l'exercice du droit d'asile

AE

1 377,1

1 187,1

- 190

- 13,8 %

11,3

CP

1 251,8

1 281,5

+ 29,7

+ 2,4 %

11,3

Action 04

Soutien

AE

5,7

5,7

0,0

0,0 %

2,1

CP

5,7

5,7

0,0

0,0 %

2,1

Action 03

Lutte contre l'immigration irrégulière

AE

113,1

131,2

+ 18,1

+ 15,9 %

5,8

CP

122,9

127,9

+ 5

+ 4,0 %

5,8

Action 01

Circulation des étrangers et politique des visas

AE

0,5

0,5

0,0

0,0 %

0,0

CP

0,5

0,5

0,0

0,0 %

0,0

Total programme 303

AE

1 496,4

1 324,5

- 171,9

- 11,5 %

19,2

CP

1 380,9

1 415,6

+ 34,7

+ 2,5 %

19,2

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

Les crédits accordés au programme 104 « Intégration et accès à la nationalité française » augmentent de 1,9 million d'euros en CP et en AE, soit une progression de 0,4 %.

Évolution des crédits par action du programme 104

(en millions d'euros)

LFI 2020

PLF 2021

Évolution PLF 2021 / LFI 2020 (volume)

Évolution PLF 2021 / LFI 2020 (%)

FDC et ADP attendus en 2021

Action 15

Accompagnement des réfugiés

AE

113,6

114,7

+ 1,1

+ 1,0 %

28,1

CP

113,6

114,7

+ 1,1

+ 1,0 %

28,1

Action 11

Accueil des étrangers primo-arrivants

AE

255,4

251,4

- 4

- 1,6 %

8,6

CP

255,4

251,4

- 4

- 1,6 %

8,6

Action 12

Actions d'accompagnement des étrangers en situation régulière

AE

53,2

58,0

+ 4,8

+ 9,0 %

6,4

CP

53,2

58,0

+ 4,8

+ 9,0 %

6,4

Action 14

Accès à la nationalité française

AE

1,0

1,0

0,0

+ 0,7 %

0,0

CP

1,0

1,1

+ 0,1

+ 0,6 %

0,0

Action 16

Accompagnement du plan de traitement des foyers de travailleurs migrants

AE

8,1

8,1

0,0

0,0 %

0,0

CP

8,1

8,1

0,0

0,0 %

0,0

Total programme 104

AE

431,3

433,2

+ 1,9

+ 0,4 %

43,1

CP

431,4

433,3

+ 1,9

+ 0,4 %

43,1

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

C. UNE PROGRAMMATION TRIENNALE CADUQUE, MAIS DONT LE DÉPASSEMENT DE PLUS DE 5 % TRADUIT LE DÉRAPAGE DES DÉPENSES D'ASILE

Les CP inscrits au PLF 2021 pour la mission « Immigration, asile et intégration » dépassent de 100,3 millions d'euros le montant programmé pour l'année 2021 dans la trajectoire du triennal 2020-2022 10 ( * ) .

Le contexte de crise sanitaire et le bouleversement des fondamentaux macroéconomiques qu'il entraine ont rendu largement caduque la trajectoire pluriannuelle .

Toutefois, la hausse constatée des crédits est en grande partie imputable, comme les années précédentes, à la réévaluation du coût de l'allocation pour demandeurs d'asile. Résultant d'une estimation incorrecte dans l'élaboration de la trajectoire pluriannuelle des flux de demandes d'asile, cette réévaluation n'est pas liée directement à la crise sanitaire.

Les crédits du programme 303 enregistrent une hausse de 111,9 millions d'euros (+ 9%) en CP par rapport au triennal 2021. En particulier, le financement de l'allocation pour demandeurs d'asile (ADA) concentre une augmentation de près de 95,3 millions d'euros , soit près de 85 % de l'augmentation constatée sur le programme. La hausse se répartit ensuite entre le financement de l'hébergement d'urgence des demandeurs d'asile (+ 18,3 millions d'euros) et la gestion des centres de rétention administrative (+ 1,7 million d'euros).

Cet écart s'explique notamment par une sous-estimation des prévisions de flux de demande d'asile retenues pour les années 2018 et 2019 . La prévision de dépenses en triennal 2021 s'appuyait sur un flux prévisionnel de + 10 % de demandes d'asile en 2017 et stable ensuite, alors que la demande d'asile a progressé de + 22,7 % entre 2017 et 2018 et de + 7 % entre 2018 et 2019.

Le montant retenu pour 2021 se fonde sur une projection d'un retour d'une demande d'asile en 2021 à un niveau comparable à ce qu'il était en 2019. Cette projection conservatrice semble témoigner d'une volonté de sincérisation de la dépense liée à l'ADA. Elle reste toutefois très incertaine compte tenu de l'impossibilité de prévoir la dynamique de demande d'asile en sortie de crise sanitaire. Elle témoigne en réalité de l'absence totale de maîtrise des dépenses liées à l'asile.

Les crédits du programme 104 « Intégration et accès à la nationalité française » demandés pour 2021 enregistrent quant à eux une baisse de 11,5 millions d'euros (- 2,6 %) en CP par rapport au triennal 2021.

Comparaison des crédits demandés à ceux prévus
programmés pour l'annuité 2021 du triennal
(lettre plafond 2019)

(en millions d'euros et en %)

PLF 2021

Programmation pour l'annuité 2021 du triennal 2020-2022

Évolution

Évolution LPFP 2020 / PLF 2020
en %

Mission « Immigration, asile et intégration »

1 818,1

1 748,8

+ 100,3

+ 5,7 %

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire budgétaire

D. UN RECOURS CONTESTABLE AU PLAN DE RELANCE POUR FINANCER DES ACTIONS DE LA MISSION

La mission « Plan de relance » ouvre une dépense de près de 100 milliards d'euros en 2021 visant à relancer l'activité économique et à accélérer la transition écologique. Une part de ce plan est fléchée vers des organes qui concourent à la politique d'immigration, d'asile et d'intégration.

Les crédits ouverts au titre du plan de relance et bénéficiant à la mission « Immigration, asile et intégration » le sont au titre du soutien à l'hébergement et de l'aide au retour des demandeurs déboutés du droit d'asile et représentent 37 millions d'euros en AE et 18,5 millions d'euros en CP pour 2021.

Ces crédits se structurent autour de deux dépenses de fonctionnement :

- la création de 500 places supplémentaires dans les centres d'accueil et d'examen des situations (CAES), pour une durée de deux ans. Cette dépense représente un coût de 4,5 millions d'euros en CP pour 2021 ;

- la création de 1 500 places temporaires de dispositifs de préparation aux retours (DPAR). Cette dépense doit permettre de renforcer la lutte contre l'immigration irrégulière et la politique d'incitation au retour volontaire. Elle représente un coût de 14 millions d'euros en CP pour 2021.

Par ailleurs, certaines opérations proposées dans le cadre de la rénovation des bâtiments publics doivent bénéficier directement aux services qui concourent à la politique d'immigration et d'asile. Elles ont pour objectif d'améliorer les performances énergétiques des bâtiments retenus :

- les centres de rétention administration (CRA) de Saint-Jacques de la Lande, Vincennes, du Mesnil-Amelot et de Palaiseau bénéficient de travaux d'amélioration thermique pour un montant de 1,7 million d'euros ;

- la création d'un nouveau CRA à Nice est budgétée à hauteur de 20 millions d'euros en AE et 6 millions d'euros en CP en 2021.

En réalité, le rapporteur spécial estime que ces dépenses ne constituent pas, à proprement parler, des dépenses de relance mais bel et bien un financement direct de la politique française de l'immigration.

SECONDE PARTIE
ANALYSE PAR PROGRAMME

I. LE PROGRAMME 303 « IMMIGRATION ET ASILE » : UNE AUGMENTATION DES DÉPENSES D'ASILE DANS UN CONTEXTE DE FORTE INCERTITUDE

A. UNE AUGMENTATION DES DÉPENSES LIÉES À L'ALLOCATION POUR DEMANDEUR D'ASILE EN CONSÉQUENCE DE L'AUGMENTATION DES DÉLAIS D'EXAMEN

1. Une aide financière allouée aux demandeurs d'asile

Créée par la loi du 29 juillet 2015 relative à la réforme du droit d'asile 11 ( * ) , l'allocation pour demandeur d'asile (ADA) est versée aux demandeurs d'asile pendant toute la durée de la procédure d'instruction de leur demande , y compris en cas de recours devant la Cour nationale du droit d'asile (Cnda). Cette allocation est familialisée et versée à l'ensemble des demandeurs d'asile dès lors qu'ils ont accepté l'offre de prise en charge qui leur a été présentée lors de leur admission au séjour . Les demandeurs d'asile relevant des dispositions du règlement Dublin peuvent également percevoir l'ADA jusqu'à leur transfert effectif vers l'État membre responsable de l'examen de leur demande. La gestion de l'ADA est assurée par l'Ofii.

Son montant est de 6,8 euros par jour pour une personne seule. Il augmente de 3,4 euros par membre de la famille supplémentaire. Le montant supplémentaire si aucune place d'hébergement n'a été proposée au demandeur est de 7,4 euros. Ainsi, le montant mensuel pouvant être versé à un demandeur d'asile seul, s'il ne s'est pas vu proposer de place d'hébergement, est de 426 euros mensuel. Il varie en fonction de la composition familiale, des ressources de la famille et du besoin et des modalités d'hébergement.

Montants journaliers de l'ADA, en fonction de la composition familiale
et du département d'enregistrement de la demande

Composition familiale

Métropole

Guyane/Saint-Martin

1 personne

6,80 €

3,80 €

2 personnes

10,20 €

7,20 €

3 personnes

13,60 €

10,60 €

4 personnes

17,00 €

14,00 €

5 personnes

20,40 €

17,40 €

6 personnes

23,80 €

20,80 €

7 personnes

27,20 €

23,20 €

8 personnes

30,60 €

27,60 €

9 personnes

34,00 €

30,00 €

10 personnes

37,40 €

34,40 €

Source : commission des finances, d'après l'Ofii

2. Une stabilisation du nombre de demandeurs d'asile sous l'effet de la crise sanitaire

La crise sanitaire liée à la Covid-19 a entrainé une forte diminution du flux de nouvelles demandes d'asile. Le nombre de premières demandes de majeurs atteignait 111 183 en 2018 et 116 520 en 2019. Il est en net recul pour les 7 premiers mois de 2020, avec un total de 37 203 nouvelles demandes, qui représente donc 30 % du niveau de 2019. À titre d'illustration, le nombre de demandes enregistrées en mai 2020 représentait 25 % du niveau de janvier 2020.

L'évolution du flux entrant de demandes d'asiles pour la seconde partie de 2020 est encore incertaine et très dépendante de la situation sanitaire. Il convient cependant d'anticiper un rattrapage du niveau d'avant-crise à la faveur de la levée des restrictions sanitaires.

Les mesures de confinement et de restriction sanitaire ont fortement dégradé l'activité de l'Ofpra et de la CNDA , ainsi que leur capacité de traitement des demandes d'asiles. La prévision pour le nombre de décisions rendues par l'Ofpra en 2020 s'établissait à 163 000 dans le PAP 2020. Elle a été révisée à 101 600 dans les documents annexés au PLF 2021, soit une diminution de près de 40 % de l'activité de traitement de l'Ofpra.

Les délais moyens de traitement des demandes d'asile sont considérablement allongés. À l'Ofpra ils ont presque été multipliés par deux, d'une prévision initiale de 150 jours de délais moyens dans le budget 2020 à près de 275 jours dans le PAP annexé au PLF 2021. À la CNDA, le délai moyen de jugement d'une affaire en procédure ordinaire est passé d'une prévision initiale de 5 mois, à près de 12 mois.

En conséquence le nombre de bénéficiaires de l'ADA se maintient autour de 150 000 individus sur le premier semestre 2020. Le montant mensuel moyen versé durant cette période se maintient également au niveau de 2019, soit près de 42 millions d'euros.

Situation de l'allocation pour demandeurs d'asile au 30 juin 2020

De janvier à juin 2020

Montant moyen (par mois, en euros)

41 982 559 €

Nombre moyen de ménages chaque mois

107 329

Nombre moyen d'individus chaque mois

150 580

Dépenses cumulées depuis
le 1er janvier (en euros)

251 895 356

Source : commission des finances, d'après l'Ofii (juillet 2020)

3. Des dépenses en hausse

La dotation budgétaire prévue en 2021 pour l'allocation pour demandeur d'asile (ADA) s'élève à 452,1 millions d'euros. Elle est donc en augmentation de près de 2,6 % par rapport à 2020.

La dotation inscrite au projet de loi de finances a été construite sur une hypothèse d'une reprise de la demande d'asile en 2021 et d'un niveau de demandes similaire au niveau observé en 2019. En conséquence, le nombre prévisionnel de demandes d'asile pour 2021 ayant servi à l'élaboration du PLF s'élève, mineurs inclus, à 132 800 demandes introduites à l'OFPRA.

Cette prévision de dépense s'inscrit dans un contexte de grande incertitude quant à la dynamique des flux migratoires et de la demande d'asile, compte tenu de l'incapacité à prévoir l'évolution de la situation sanitaire et des mesures de restriction sociales.

Elle repose sur des projections de demande d'asile qui tiennent compte de l'effet contrasté de la crise sanitaire. D'une part, en anticipant une diminution du flux entrant de demande d'asile. D'autre part, en tenant compte du ralentissement du traitement des demandes d'asile et de l'allongement de la durée de prise en charge.

4. Une sous-budgétisation chronique des dépenses d'asile

Les dépenses d'asile, et par extension la mission « Immigration, asile et intégration », font l'objet depuis plusieurs années d'une sous budgétisation persistante . Elle se concentre sur le Programme 303 « Immigration et asile », qui rassemble les principales interventions de guichet relatives à l'asile (logement et allocation). Son financement a entrainé un dépassement systématique en cours d'exercice des crédits initialement ouverts.

Le dépassement des crédits initiaux s'accélère tendanciellement depuis la fin des années 2000. Il est toujours supérieur à 100 millions d'euros depuis 2016. Ainsi, les ouvertures de crédits pour faire face à l'augmentation de la demande d'asile ont été de 188 millions d'euros en 2016, 367 millions d'euros en 2017, 103 millions d'euros en 2018 et 151,8 millions d'euros en 2019.

Ouvertures de crédits supplémentaires en cours de gestion
sur le programme « Immigration et asile »
afin de faire face à l'augmentation de la demande d'asile

(en millions d'euros et en nombre de demandeurs)

* Prévision.

Source : commission des finances, d'après les données transmises par le ministère de l'intérieur

B. LA LUTTE CONTRE L'IMMIGRATION IRRÉGULIÈRE : UNE HAUSSE DES DÉPENSES NÉCESSAIRE MAIS INSUFFISANTE SUR UNE ACTION EN TENSION

L'action 03 du programme 303 relative à la lutte contre l'immigration irrégulière finance trois principaux postes :

- les dépenses de fonctionnement des centres et locaux de rétention administrative et zones d'attente ;

- les frais d'éloignement des migrants en situation irrégulière ;

- diverses subventions aux associations chargées du suivi sanitaire, social et juridique des étrangers retenus .

Elle voit ses crédits augmenter de 15,95 % en AE et de 4,05 % en CP. Cette évolution s'explique particulièrement par une forte hausse de l'investissement en AE dans le parc immobilier de centres de rétention administrative (CRA).

1. Un développement du parc d'hébergement en CRA ralenti mais bénéficiant d'un investissement important

Le parc d'hébergement en CRA (centre de rétention administrative) fait face à une hausse constante des besoins. Ces structures logent les étrangers ayant fait l'objet d'une décision d'éloignement du territoire, dans l'attente de son exécution. Elles concourent à la bonne poursuite de la lutte contre l'immigration irrégulière, dans un contexte de hausse constante des flux migratoires vers la France. La loi du 18 septembre 2018, qui introduit un allongement de la durée de rétention administrative (de 45 à 90 jours) est venue également aggraver les tensions sur un parc immobilier déjà proche de la saturation.

En 2021, les crédits demandés au titre de l'investissement immobilier dans le parc d'hébergement des CRA atteignent 21,4 millions d'euros en CP, et 22,5 millions d'euros en AE. Ils traduisent donc une hausse importante de l'investissement par rapport au budget 2020, où les AE atteignaient 6,2 millions d'euros, et les CP 20,7 millions d'euros.

La dynamique de création de places ralentit en 2019. Entre début 2019 et début 2020, la capacité d'accueil en rétention a été portée de 1 814 à 1 891 places, soit une hausse de 77 places , contre 271 places supplémentaires l'année précédente. Le développement constaté en 2019 se fait au bénéfice du parc d'hébergement de métropole, qui atteint 1 664 places. Le nombre de places en outre-mer reste inchangé, soit 277 places. Au 30 juin 2020, le parc des centres de rétention administrative (CRA) est constitué de 25 centres dont 21 en métropole et 4 en outre-mer. L'augmentation du nombre de places depuis 2017 est donc de 35 %.

En 2020, seules 61 places sur les 91 nouvelles prévues seront ouvertes en raison de la crise sanitaire. La crise sanitaire a stoppé l'avancée des opérations immobilières : ainsi, la livraison de l'extension du CRA de Lille est repoussée à mars 2021. La livraison du CRA de Coquelles est toujours prévue au second semestre 2020.

Créations de places en CRA en 2020

Lyon

36

Coquelles

25

Lille

(30, décalé en mars 2021)

Total places créées

61

Source : ministère de l'intérieur

Le nombre de places dans les locaux de rétention administrative (LRA) est inchangé. Les 21 LRA actuellement en service correspondent à une capacité totale de 125 places (94 en métropole et 31 en outre-mer).

La forte hausse d'investissement immobilier portée en AE dans le PLF 2021 pourrait soulager une partie de la tension sur le parc d'hébergement 12 ( * ) . Cette hausse des AE de près de 16 millions d'euros doit permettre le financement de la tranche 2021 du plan d'extension des CRA, notamment les opérations d'Olivet, Bordeaux et le nouveau CRA de Lyon, pour un total de 370 places supplémentaires. Le rythme de création de places doit pallier la saturation des CRA, et assurer une politique efficace d'éloignement du territoire. Le rapporteur spécial s'inquiète toutefois du ralentissement observé en 2020 dans la création de places supplémentaires et appelle à rester attentif à la bonne exécution du plan d'extension des CRA.

2. Une augmentation insuffisante des crédits affectés à l'éloignement des migrants en situation irrégulière

L'augmentation des frais d'éloignement des migrants en situation irrégulière est dérisoire. Les crédits proposés pour 2021 atteignent 34,7 millions d'euros en CP et en AE. Ce volet porte sur l'organisation des procédures d'éloignement par voie aérienne et maritime des étrangers qui font l'objet d'une mesure d'éloignement dont la mise en oeuvre revient à la police aux frontières (PAF).

Le PLF 2021 confirme la stagnation des dépenses d'éloignement et traduit l'absence de volonté du gouvernement sur ce sujet. Ainsi, depuis 2015, les dépenses d'éloignement n'ont connu aucune augmentation significative et oscillent entre 30 et 34 millions d'euros.

Évolution du nombre et des crédits affectés aux reconduites à la frontière

(1) Pour 2012, le nombre de reconduites à frontière comprend également les retours volontaires, qui ne sont plus comptabilisés à compter de 2013.

Source : commission des finances, d'après les projets annuels de performances

Le volume de la dépense affectée aux reconduites à la frontière et sa dynamique apparaissent largement insuffisants dans un contexte de hausse de l'immigration irrégulière et d'une efficacité déclinante de la politique de renvoi.

Ainsi, le taux d'exécution des obligations de quitter le territoire français (OQTF), qui constituent la quasi-totalité des mesures d'éloignement prononcées 13 ( * ) , est en baisse constante depuis plusieurs années (cf. supra ). Après avoir atteint 22 % en 2012, il a connu une forte baisse, ne dépassant plus les 15 % depuis 2016, et atteignant moins de 13 % en 2018 comme en 2019.

Évolution du nombre d'obligations de quitter le territoire français
prononcées (OQTF), exécutées et de leur taux d'exécution

Source : commission des finances, d'après les données transmises par le ministère de l'intérieur

Le rapporteur spécial regrette la dichotomie entre le nombre croissant de personnes déboutées et la stagnation des crédits affectés à la lutte contre l'immigration irrégulière. Entre 2015 et 2020, la demande d'asile a augmenté de près de 120 %, passant de 50 000 à près de 110 000 demandes. Sur la même période le taux d'admission de ces demandes se maintient à un niveau proche de 35 %, alors que le nombre de déboutés quittant effectivement le territoire suite à leur non-admission est stable, autour de 10 %. Il y a donc un effet mécanique de croissance significative des besoins concernant l'éloignement des personnes déboutées, qui ne s'est pourtant pas traduit par une hausse comparable des crédits qui n'atteint que 45 % sur la période.

C. UNE CROISSANCE DU NOMBRE DE PLACES D'HÉBERGEMENT, DONT L'ARTICULATION DEMEURE INSUFFISAMMENT RATIONALISÉE

1. Un développement important du parc d'hébergement CADA et CAES

Les centres d'accueil pour demandeur d'asile (CADA) sont des structures spécifiques d'hébergement à destination des demandeurs d'asile . Ils constituent leur principale solution d'accueil, en leur proposant, outre l'hébergement, des prestations d'accompagnement social et administratif. Leur nombre est en augmentation constante : il s'élève à près de 360 centres en 2020.

Dans un contexte de hausse constante de la demande d'asile, l'État a engagé un effort soutenu de développement de la capacité d'hébergement des CADA. Le présent projet de loi de finances prévoit l'ouverture de 332,8 millions d'euros en AE et en CP en 2021, soit une augmentation de près de 15 millions d'euros par rapport à 2020.

La dotation doit permettre la création de 3 000 places supplémentaires sur l'année 2021, ce qui porterait la capacité d'accueil dans les CADA à 46 632 places à la fin de l'exercice.

Évolution du nombre de places en Cada

Source : commission des finances, d'après les documents budgétaires

Les centres d'accueil et d'examen des situations (CAES) proposent un premier accueil aux personnes migrantes , d'où elles débutent leurs démarches administratives, avec une durée d'hébergement fixée à un mois.

Lancés en 2018, leur capacité d'accueil est en hausse constante : 2 986 places en 2018, 3 136 en 2019. Il est prévu de porter le nombre de places en CAES à 4 136 d'ici la fin 2021, soit une augmentation de 1 000 places.

Le présent projet de loi de finances prévoit le financement des CAES à hauteur de 76,6 millions d'euros en AE et 38,3 millions d'euros en CP en 2021, en augmentation de 145 % en AE et 25 % en CP.

Par ailleurs, une part supplémentaire de l'augmentation du nombre de places en CAES est financée à travers la mission « plan de relance ». Elle prévoit une dépense de 4,5 millions d'euros en CP en 2021 afin de financer 500 places supplémentaires, portant le total de créations projetées à 1 500 places .

Le rapporteur spécial regrette ce financement par le plan de relance, qui procède d'une volonté de diminuer artificiellement le volume des crédits portés à la politique d'immigration, notamment les dépenses d'asile et d'hébergement.

2. Une rationalisation lente des dispositifs d'accueil et une stagnation du parc HUDA

Le dispositif d'hébergement d'urgence des demandeurs d'asile (HUDA) désigne la totalité du parc d'hébergement d'urgence dédié, principalement, aux demandeurs d'asile en procédure accélérée et sous procédure Dublin.

Ce parc est composé de différents dispositifs, à savoir : les hébergements d'urgence pour demandeurs d'asile (HUDA) à gestion déconcentrée ; les hébergements du programme d'accueil et d'hébergement des demandeurs d'asile (PRAHDA) ; et les centres d'accueil et d'orientation (CAO), des places de « halte de nuit » créées à Paris en 2019 pour des familles en demande d'asile ainsi que des nuitées hôtelières à titre transitoire.

Les crédits affectés à l'hébergement d'urgence sont en diminution. Fin 2019, les crédits ouverts atteignent 562,8 millions d'euros en AE et 421,1 millions d'euros en CP après l'ouverture de 15,6 millions d'euros en AE et 16,5 millions d'euros de crédits supplémentaires en cours d'exécution. Ce dépassement résulte d'une hausse de la demande d'asile supérieure aux prévisions. Pour 2020, la prévision de dépense à la fin de l'année s'élève à 532,9 millions d'euros en AE et à 410,2 millions d'euros en CP. Cette prévision comprend 5,5 millions d'euros de dépenses exceptionnelles engagées par les opérateurs de l'hébergement d'urgence pour protéger les demandeurs d'asile ainsi que leurs salariés pendant l'état d'urgence sanitaire.

Pour 2021, les crédits demandés au titre de l'HUDA poursuivent leur diminution. Ils s'élèvent à 222,8 millions d'euros en AE et 355,5 millions d'euros en CP, soit une diminution de respectivement 310 millions d'euros en AE et 54,7 millions d'euros . Cette évolution à la baisse interroge au regard de la prévision retenue par le gouvernement concernant le niveau de demande d'asile en 2021. Si la demande d'asile devait effectivement revenir à son niveau de 2019, les crédits ouverts initialement au titre de l'HUDA pourraient être à nouveau dépassés, comme en 2018 et 2019.

Par ailleurs, l'effort de rationalisation des différents dispositifs HUDA s'accompagne d'une stagnation du nombre de places ouvertes qui apparaît préoccupante au regard de la dynamique de demande d'asile.

Évolution du nombre de places en HUDA depuis 2009

Source : commission des finances, d'après les données transmises par le ministère de l'intérieur et les documents budgétaires

Le développement de la capacité totale d'accueil des personnes migrantes est bienvenu, compte tenu du défi croissant posé par la hausse de la demande d'asile. Les augmentations projetées dans le présent projet de loi de finances doivent porter le parc d'hébergement des demandeurs d'asile à un total de 103 064 places en 2021, contre 98 500 places en 2020.

Toutefois, la croissance simultanée des différents dispositifs, ainsi que la confusion résiduelle entre les différentes places répertoriées en HUDA sont en contradiction avec la volonté affichée du gouvernement de rationaliser l'organisation de l'hébergement.

Le rapporteur spécial regrette que le gouvernement n'ait pas tenu compte du diagnostic posé à ce sujet par la Cour des comptes en mai 2020 14 ( * ) . La confusion sur les différentes catégories d'hébergement d'urgence est entretenue quand bien même la pratique d'hébergement fait en réalité peu de cas de l'étiquette juridique des établissements et tient surtout compte des disponibilités : hébergement d'urgence des demandeurs d'asile (HUDA) divisé entre HUDA « local » et le programme d'accueil et d'hébergement des demandeurs d'asile (PRAHDA), centre d'accueil et d'examen des situations (CAES), centres provisoires d'hébergement (CPH, dont le financement dépend du programme 104 « Intégration et accès à la nationalité française »).

Les différences constatées quant au coût journalier de l'accueil entre les différentes catégories d'établissement apparaissent peu justifiées compte tenu de prestations similaires, à l'exception des CADA qui offrent un accompagnement social et administratif extensif. Il est regrettable que le présent projet de loi ne prévoie pas une harmonisation des coûts cibles journaliers des différentes structures.

Coût moyen journalier d'une place
dans les différents dispositifs d'hébergement

CAES

25 € (32 € en Ile-de-France)

CADA

19,5 €

CPH

25 €

HUDA coût moyen

19,1 €

HUDA local

Non communiqué

PRAHDA

17,24 €

Source : commission des finances, d'après les documents budgétaires et les données transmises par le Ministère de l'Intérieur

D. UNE SUBVENTION DE L'OFPRA EN STAGNATION DANS UN CONTEXTE D'AUGMENTATION DES DÉLAIS DE TRAITEMENT DES DEMANDES D'ASILE

L'Ofpra est l'office chargé, en première instance, d'accorder ou non la protection de la France aux demandeurs d'asile qui la sollicitent . Établissement public administratif de l'État placé sous la tutelle du ministre de l'intérieur depuis 2010, il bénéficie de l'indépendance fonctionnelle. Son financement est assuré presque intégralement par une subvention pour charges de service public versée par le ministère.

Les subventions accordées à l'Ofpra s'étaient vues augmentées de près de 30 % en LFI 2020, en cohérence avec l'objectif de réduction des délais de traitement des demandes affiché dans le cadre de la réforme de l'asile à trois mois (sans compter un éventuel appel auprès de la Cnda).

Après la forte augmentation portée en 2020, le PLF 2021 prévoit un niveau de subvention très légèrement augmenté pour l'Ofpra.

Comme le montre le graphique ci-dessous, l 'Ofpra voit, pour 2021, sa subvention pour charges de service public augmenter de 1 % et ses effectifs diminuer de 2 ETPT.

Évolution des moyens accordés à l'Ofpra

Source : commission des finances, d'après les documents budgétaires

En 2020, l'activité de l'Ofpra et le contexte migratoire dans lequel l'opérateur évolue ont été fortement dégradés par la crise sanitaire liée à la Covid-19 .

La demande d'asile a connu une forte baisse , en particulier pendant la période de confinement. Elle a atteint en avril et mai 2020 un niveau qui représentait 16 % de la demande introduite en janvier et février 2020.

Pour autant, l'activité de traitement des demandes par l'Ofpra a été elle aussi très affectée par la mise en place de restrictions sanitaires et la période de confinement. L'activité d'entretiens à l'Ofpra sur la période en est l'illustration : presque complètement interrompue jusqu'à la mi-mai, elle se trouvait à 30 % du niveau habituel jusqu'à la mi-juin, puis 50 % jusqu'à fin juillet avant de se rapprocher de 75 % d'un niveau habituel en août et septembre 2020.

En conséquence, le nombre de décisions rendues est fortement en deçà du niveau initialement prévu pour 2020. 101 600 décisions sont ainsi attendues en 2020 au lieu de 163 000 estimées initialement. Le délai moyen de traitement a également subi une forte inflation, d'une prévision initiale de 150 jours de délais moyens dans le budget 2020 à près de 275 jours 15 ( * ) .

La réduction prévue du stock de demandes d'asile s'en trouve entravée, et ce malgré les hausses d'emplois et de moyens opérées en 2020. L'objectif de réduction du délai moyen de traitement d'un dossier à 60 jours est repoussé à 2023, avec un objectif intermédiaire de 112 jours en 2021. La bonne poursuite de cet objectif dépendra largement de l'évolution de la dynamique de demande d'asile, elle-même étroitement corrélée à la situation sanitaire.

La réduction des délais d'instruction des demandes reste un important levier d'économie, compte tenu du coût budgétaire mensuel élevé de la demande d'asile, estimé à plus de 100 millions d'euros en 2019, et probablement supérieur en 2020 compte tenu de la persistance d'un stock élevé de demandes non traitées.

II. LE PROGRAMME 104 « INTÉGRATION ET ACCÈS À LA NATIONALITÉ FRANÇAISE » : LA LENTE CONCRÉTISATION DE LA RÉFORME DU PARCOURS D'INTÉGRATION

A. LA MISE EN oeUVRE DU NOUVEAU PARCOURS D'INTÉGRATION RALENTIE

L'année 2020 représentait la première année de mise en oeuvre des mesures d'intégration des étrangers en situation régulière , qui résultent notamment de la loi du 7 mars 2016 relative aux droits des étrangers en France 16 ( * ) . Cette dernière a réformé le dispositif d'accueil et d'intégration des étrangers accédant pour la première fois au séjour en France et désireux de s'y installer durablement en remplaçant l'ancien « contrat d'accueil et d'intégration » par un « contrat d'intégration républicaine ».

L'article 48 de la loi du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie 17 ( * ) a précisé et enrichi le contenu du contrat d'intégration républicaine (CIR), notamment :

- en indiquant que la formation en langue française dispensée dans le cadre du CIR est suffisante pour permettre à l'étranger primo-arrivant d'occuper un emploi et de s'intégrer dans la société française, et que cette formation peut donner lieu à une certification standardisée permettant d'évaluer le niveau de langue de l'étranger. On peut y rattacher le doublement du volume des formations linguistiques proposées et le choix de dédier un module spécifique, d'une durée de 600 heures, aux stagiaires non lecteurs, non-scripteurs, décidé par le comité interministériel à l'intégration du 5 juin 2018 ;

- en ajoutant au contenu du CIR un conseil en orientation professionnelle et un accompagnement destiné à favoriser l'insertion professionnelle de l'étranger. Un entretien de fin de CIR est destiné à faire le bilan des formations suivies lors de celui-ci mais aussi de faire le bilan de la situation du signataire vis-à-vis de l'emploi et de l'orienter, selon sa situation, vers l'acteur pertinent au sein du service public de l'emploi (selon les cas, Pôle Emploi, missions locales, Cap Emploi, APEC), et de faciliter la prise d'un rendez-vous avec ce service, auprès duquel le primo-arrivant bénéficiera d'un entretien approfondi.

En conséquence, les crédits ouverts avaient connu une forte hausse entre 2019 et 2020, de près de 7 % en AE et en CP.

Dans un contexte de crise sanitaire, la mise en oeuvre de ce nouveau parcours d'intégration a été ralentie. La suspension de l'accueil au sein des organes de l'Ofii et des formations linguistiques en présentiel ont notamment freiné les parcours d'intégration. Le rythme de signature des contrats s'en est également ressenti. Ce contexte rend difficile la réalisation d'un premier bilan de la stratégie nationale pour l'accueil et l'intégration des réfugiés présentée le 5 juin 2018.

Pour 2021, les crédits accordés au programme 104 « Intégration et accès à la nationalité française » augmentent faiblement : de 1,9 million d'euros en CP et en AE, soit une augmentation de 0,4 % . L'objectif visé est celui d'une mise en oeuvre effective des mesures décidées en 2018.

La dépense proposée à l'action 11 « Accueil des étrangers primo-arrivants » diminue de 1,57 % en CP et en AE , soit une baisse de 4 millions d'euros.

Les crédits de l'action 12 « Actions d'intégration des primo-arrivants » concentrent la plus forte augmentation de la mission avec 4,8 millions d'euros supplémentaires en CP et en AE, soit une hausse de 9 %. Cette augmentation doit permettre d'adapter les dispositifs d'intégration et d'accueil des étrangers primo-arrivants, en structurant notamment l'action des acteurs institutionnels et associatifs.

La dépense proposée à l'action 14 « Accès à la nationalité française » augmente de 0,68 % en AE et de 0,64 % en CP, soit une hausse proche de 0,1 million d'euros en AE et en CP.

L'action 15 « Accompagnement des réfugiés » augmente de 1 %, soit une augmentation de 1,1 million d'euros en CP et en AE.

Les crédits proposés pour l'action 16 « accompagnement du plan de traitement des foyers de travailleurs migrants » n'évoluent pas.

B. UNE AUGMENTATION DES CRÉDITS À DESTINATION DE L'OFII PORTÉE PAR LES DÉPENSES D'ASILE

L'Office français de l'immigration et de l'intégration (Ofii) est un organe chargé de plusieurs missions dans le champ de l'intégration, de l'asile et de l'aide au retour, notamment :

- l'accueil des demandeurs d'asile, la gestion des procédures régulières d'immigration et d'asile notamment le versement de l'allocation pour demandeurs d'asile (ADA) ;

- l'accueil et l'intégration des immigrés autorisés à séjourner durablement en France notamment via la signature du contrat d'intégration républicaine;

- l'aide au retour et à la réinsertion des étrangers dans leur pays d'origine.

L'extension des missions de l'Ofii opérée depuis 2015, en même temps que la hausse constante de la demande d'asile, ont entrainé une forte augmentation de ses moyens financiers. Pour 2021, les crédits proposés au titre de la subvention pour charges de service public de l'Ofii s'élèvent à 247,8 millions d'euros.

Évolution de la subvention totale pour charges de service public

(en millions d'euros)

Source : commission des finances, d'après les réponses aux questionnaires et les documents budgétaires

Pour 2021, le financement de l'Ofii au titre de son action dans le cadre du programme 104 diminue de 3,9 millions d'euros

Toutefois, le financement total par l'État de l'Ofii est en augmentation de 7,5 millions, en raison de l'augmentation des frais de gestion de l'allocation pour demandeurs d'asile (ADA) porté au programme 303 « Immigration et asile ».

EXAMEN DE L'ARTICLE RATTACHÉ

ARTICLE 54 quaterdecies (nouveau)

Extension de l'obligation, pour l'autorité judiciaire, de transmettre
tout élément de nature à faire suspecter le caractère frauduleux
d'une demande d'asile ou de protection à l'Ofii

L'autorité judiciaire est tenue de communiquer au directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) et au président de la Cour nationale du droit d'asile (Cnda), sur demande ou d'office, tout élément recueilli au cours d'une instance civile ou d'une information criminelle ou correctionnelle, y compris lorsque celle-ci s'est terminée par un non-lieu, de nature à faire suspecter le caractère frauduleux d'une demande d'asile ou du statut d'apatride.

Cette obligation ne vise pas l'Office français de l'immigration et de l'intégration (Ofii), alors que ce dernier est chargé depuis 2015 de l'accueil des demandeurs d'asile et du versement de l'allocation pour demandeur d'asile (ADA).

Le présent article étend donc cette obligation de transmission à l'Ofii. Cette évolution est bienvenue car elle pourrait permettre à l'Ofii d'améliorer sa politique de lutte contre la fraude à l'ADA.

La commission propose d'adopter cet article sans modification.

I. LE DROIT EXISTANT : UNE OBLIGATION POUR L'AUTORITÉ JUDICIAIRE DE TRANSMETTRE À L'OFPRA TOUT ÉLÉMENT SUSCEPTIBLE DE FAIRE SUSPECTER LE CARACTÈRE FRAUDULEUX D'UNE DEMANDE D'ASILE

Aux termes de l'article L. 713?6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, « l'autorité judiciaire communique au directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et au président de la Cour nationale du droit d'asile, sur demande ou d'office, tout élément recueilli au cours d'une instance civile ou d'une information criminelle ou correctionnelle, y compris lorsque celle-ci s'est terminée par un non-lieu, de nature à faire suspecter le caractère frauduleux d'une demande d'asile ou du statut d'apatride ».

Cette disposition vise à assurer l'information des instances de l'asile (Ofpra et Cnda) en cas de suspicion de fraude. En 2019, selon le gouvernement, cet article a permis à l'Ofpra de solliciter l'autorité judiciaire à plus de 200 reprises.

Cet article n'inclut cependant pas l'Ofii parmi les destinataires des signalements de l'autorité judiciaire ni dans les personnes morales susceptibles de saisir cette autorité alors même que cet opérateur est en charge du versement de l'allocation pour demandeur d'asile.

II. LE DISPOSITIF ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE : UNE EXTENSION DU DISPOSITIF À L'OFII

Le présent article, adopté par l'Assemblée nationale à l'initiative de Jean-Noël Barrot, rapporteur spécial, avec l'avis favorable du gouvernement, modifie l'article L. 713-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en précisant que « l'autorité judiciaire communique [ tout élément recueilli au cours d'une instance civile ou d'une information criminelle ou correctionnelle, y compris lorsque celle-ci s'est terminée par un non-lieu, de nature à faire suspecter le caractère frauduleux d'une demande d'asile ou du statut d'apatride] , sur demande ou d'office, au directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration lorsqu'ils sont de nature à faire suspecter le caractère frauduleux d'une demande d'asile. »

III. LA POSITION DE LA COMMISSION DES FINANCES : UNE EXTENSION BIENVENUE EU ÉGARD AUX MISSIONS DE L'OFII EN MATIÈRE DE DÉLIVRANCE DE L'ALLOCATION POUR DEMANDEUR D'ASILE

Depuis 2015, l'Ofii est, en sus de ses prérogatives en matière d'intégration, chargé de l'accueil des demandeurs d'asile, et du versement et de la gestion de l'allocation pour demandeurs d'asile (ADA). L'Ofii ne peut donc être informé de certaines fraudes à cette allocation alors qu'elle en est le gestionnaire (par exemple lorsque des demandeurs d'asile ont dissimulé leur véritable identité et présenté des demandes d'ADA sous des identités différentes).

Le présent article met fin à cette situation en permettant à l'autorité judiciaire de communiquer, sur demande ou d'office, au directeur général de l'OFII tout élément recueilli au cours d'une instance civile ou d'une information criminelle ou correctionnelle, y compris lorsque celle-ci s'est terminée par un non-lieu, de nature à faire suspecter le caractère frauduleux d'une demande d'asile. Cette évolution pourrait permettre à l'Ofii d'améliorer sa politique de lutte contre la fraude à l'ADA.

Décision de la commission : la commission propose d'adopter cet article sans modification.

EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 4 novembre 2020, sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission a examiné le rapport de M. Sébastien Meurant, rapporteur spécial, sur la mission « Immigration, asile et intégration ».

M. Claude Raynal , président . - Je salue la présence parmi nous de Muriel Jourda, rapporteur pour avis de la commission des lois sur les crédits de la mission « Asile, immigration et intégration ».

M. Sébastien Meurant , rapporteur spécial . - Les années se suivent, les ministres se succèdent, mais les mauvaises habitudes perdurent. Il est difficile, concernant cette mission, d'avoir des chiffres fiables. Nous sommes de nouveau en présence d'un budget insincère que je vous inviterai donc à rejeter.

Nous avons eu du mal à obtenir des chiffres pour 2020 concernant un certain nombre d'organismes jouant un rôle important dans la mission « Immigration, asile et intégration ». Certes, la covid-19 a beaucoup perturbé les services, mais c'est tout de même inquiétant.

Je considère comme absurde le périmètre de cette mission. Hier, nous avons abordé avec notre collègue Christian Klinger l'aide médicale d'État (AME), dont le coût dépasse le milliard d'euros. Je rappelle que les immigrés clandestins en sont les principaux bénéficiaires, alors qu'ils n'ont normalement aucune raison d'être présents sur notre sol. Pour avoir une vision plus consolidée de la situation, j'estime que l'aide médicale d'État devrait être rattachée à cette mission et non à la mission « Santé ».

Les députés Rodrigue Kokouendo et François Cornut-Gentille ont réalisé un rapport d'information en 2018 sur l'évaluation de l'action de l'État dans l'exercice de ses missions régaliennes en Seine-Saint-Denis. L'estimation du nombre de clandestins dans ce département par les services de l'État varie de 60 000 à 200 000, c'est dire le flou ! Certains évoquent même le chiffre de 400 000 personnes, pour un département de 1,6 million d'habitants. Il faut avoir bien du talent pour trouver dans le document de politique transversale (DPT) un chiffre consolidé au sujet de la politique française de l'immigration. Le coût consolidé pour l'État de la politique française de l'immigration est estimé à 6,9 milliards d'euros en 2021. De nombreuses dépenses ne sont toutefois pas incluses, comme celles relevant des départements en faveur des mineurs étrangers isolés.

Cette mission n'échappe pas à la sage volonté d'une programmation triennale afin d'anticiper au mieux les évolutions démographiques et adapter notre politique migratoire. Cette année, le budget de la mission continue à augmenter et il dépasse d'environ 100 millions d'euros la programmation triennale, ce qui témoigne de l'incapacité du gouvernement à maîtriser les dépenses dans ce domaine. Cette absence de vison d'ensemble et de long terme pose problème. Le ministre de l'intérieur, qui considérait naguère le candidat Macron comme un « bobo populiste », a surtout retenu le côté bobo et ne semble pas estimer que l'immigration est un immense problème pour la survie même de la France. Le budget qu'il nous présente demeure empreint d'un irénisme d'autant plus inquiétant que nous en discutons après plusieurs attentats. Il croit peut-être, comme son nouveau mentor, à la mondialisation heureuse et à la pacification du monde par le doux commerce ? Je crois plutôt au tragique de l'histoire longue et à la permanence des civilisations. Il ne me semble pas évident de transformer en quelques décennies des millions d'étrangers qui arrivent en France non seulement à l'état civil, mais aussi culturellement, moralement, politiquement. Il me semble encore plus difficile d'intégrer en quelques décennies des millions de musulmans héritiers d'une civilisation non pas seulement étrangère, mais aussi hostile à la nôtre pendant des siècles. Confer les nombreuses vidéos de M. Erdogan qui circulent sur le net ou celles de drapeaux français brûlés au Mali, au Pakistan et au Bangladesh. Une fatwa a été lancée contre notre président, Emmanuel Macron. Je vous rappelle aussi qu'à Nice, il y a quelques jours, un clandestin passé par l'île de Lampedusa a commis un attentat.

M. Pascal Savoldelli . - Hors sujet !

M. Sébastien Meurant , rapporteur spécial . - Bref, la fiabilité des données est pour le moins hasardeuse. Le nombre de mineurs isolés s'établit selon le ministère de la justice à 16 770 en 2019. On a du mal à obtenir des éléments département par département, mais d'après l'Assemblée des départements de France (ADF) le chiffre des mineurs isolés s'élèverait à 40 000, soit presque le triple ! En termes de budget, l'ADF parle de 2 milliards d'euros.

Le Gouvernement nous propose de voter cette mission « Immigration, asile et intégration » sans que nous disposions des moyens d'apprécier la situation et son évolution. Nous travaillons depuis trop longtemps à l'aveuglette. Par ailleurs, je trouve fou, en cette période à tous égards étrange, de trouver à côté de cette mission des crédits du plan de relance. Comment justifier cela sur le plan des principes ? Pourquoi le plan de relance viendrait-il financer le retour volontaire des étrangers dans leur pays ? J'avais compris que le plan de relance consistait en un effort financier important de la nation pour soutenir l'économie française mise à mal par la crise sanitaire. Je ne vois aucune raison d'en détourner ne fusse qu'un seul centime pour financer l'économie de pays tiers, a fortiori les filières de trafiquants !

Pour conclure, j'évoquerai la question préoccupante des obligations de quitter le territoire français (OQTF). Il s'agit de décisions de justice. Ces OQTF connaissaient en 2018-2019 un taux d'exécution s'établissant à environ 12 %, qui est aujourd'hui passé en deçà de 8 %. Nous avons tous entendu les déclarations du ministre de l'intérieur et du Président de la République. Or il faut savoir que les OQTF prononcées deviennent caduques au bout d'un an : elles ne sont pas valables par tacite reconduction. Il se trouve que des juges se prévalent de ces OQTF non exécutées pour accorder des titres de séjour. Nous sommes dans l'absurde ! Une prise de conscience s'impose, au-delà des aspects budgétaires. Pour mémoire, 41 % du contentieux administratif de la nation concerne le droit des étrangers et l'appel 51 %.

Pour toutes ces raisons, je vous propose de rejeter ce budget. En 2020, je n'ai pu réaliser qu'un contrôle à l'extérieur concernant l'association France terre d'asile. Je n'ai pas réussi à obtenir les rémunérations de ses dirigeants, mais sachez que ses effectifs sont passés entre 1998 et 2020 de 30 équivalents temps plein à 1 100 ...

M. Claude Raynal , président . - Merci, monsieur le rapporteur spécial. Vous vous êtes quelque peu écarté de la question budgétaire et vous avez dérivé vers une vision plus large de la politique d'immigration, d'asile et d'intégration.

Mme Muriel Jourda , rapporteur pour avis de la commission des lois sur les crédits de la mission « Asile, immigration et intégration » . - Cet avis budgétaire ne m'étant échu que depuis quelques jours, je n'ai aucune observation à faire à ce stade.

M. Jean-François Husson , rapporteur général . - La mission « Immigration, asile et intégration » devrait également bénéficier de crédits du plan de relance, notamment pour la création de places d'hébergement et d'un centre de rétention administrative (CRA). Pouvez-vous détailler l'utilisation de ces crédits ? Surtout, pensez-vous qu'ils ont bien leur place au sein du plan de relance ? Les dépenses d'asile font l'objet d'une sur-exécution assez forte. Pensez-vous que le mouvement va se poursuivre en 2021, malgré la crise sanitaire ?

Mme Sophie Taillé-Polian . - Je suis choquée par un certain nombre de propos et d'amalgames du rapporteur spécial, qui s'écartent de l'analyse budgétaire. Je rejetterai ces crédits parce qu'ils ne me semblent pas en relation avec la réalité, mais je rejetterai aussi cette présentation de rapport.

M. Rémi Féraud . - Je m'associe aux propos de Sophie Taillé-Polian. Je n'ai pas d'autre exemple de rapport aussi peu budgétaire et aussi polémique politiquement. Je garderai donc mes questions budgétaires pour moi. Je souligne néanmoins qu'une politique d'asile qui se veut sérieuse doit disposer de crédits suffisants. Le rapporteur nous propose-t-il de ramener à une trentaine de postes, comme en 1998, les effectifs de France Terre d'asile ? Il me paraît que les effectifs de cette association sont insuffisants au vu du travail à réaliser.

M. Jérôme Bascher . - Le nombre de places en CRA a largement augmenté. Comment ces derniers ont-ils fonctionné durant le confinement ? Des économies ont-elles pu être réalisées ? Si oui, qu'en faisons-nous ? Même question pour l'allocation pour demandeur d'asile (ADA).

M. Jean Bizet . - Comment améliorer le ratio entre le nombre d'OQTF prononcées et celles réellement exécutées ? Un accord a été conclu à La Valette, mais à défaut d'une cohérence d'ensemble il est impossible d'obtenir un résultat. S'agit-il d'un manque de moyen ou d'un manque de volonté politique ?

M. Vincent Éblé . - Je m'associe aux interventions de Sophie Taillé-Polian et de Rémi Féraud et je me désolidarise totalement des propos de notre collègue Sébastien Meurant, même si je vais le rejoindre en émettant un vote négatif. Non seulement je conteste la philosophie de notre collègue, mais je conteste aussi d'un point de vue matériel certaines de ses affirmations. Les OQTF sont prises par arrêtés préfectoraux et ne sont la plupart du temps pas du tout des décisions de justice, même si elles peuvent, bien entendu, se contester devant les tribunaux.

M. Sébastien Meurant , rapporteur spécial . - Je m'intéresse uniquement aux faits et aux réalités de terrain, je ne suis pas dans l'idéologie ni dans le parti pris. Les chiffres que je vous présente sont le fruit d'une politique qui nous amène tous à rejeter ces crédits.

Le plan de relance se traduit par un effort de l'État sur l'hébergement. De multiples dispositifs ont été créés, avec des coûts différenciés. Les prévisions d'arrivée de migrants à héberger sont difficiles à réaliser, mais année après année le budget est en sur-exécution dans la mesure où le nombre de migrants a été systématiquement minoré. Après le Covid-19, l'État annonce un nombre de migrants égal à celui de 2019. Pour répondre à Jérôme Bascher, plus il y a de migrants, plus on a besoin d'ADA. On aurait pu penser que ces budgets allaient diminuer eu égard à la baisse des arrivées pour 2020, mais ce n'est pas le cas. Les délais de traitement de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) sont passés à 275 jours, et je rappelle qu'un mois en plus de traitement des demandes entraine une dépense de 42 millions d'euros supplémentaires pour l'ADA. Il n'y a donc pas de baisse de dépenses sur lignes.

Heureusement, cher Rémi Féraud et chère Sophie Taillé-Polian, que chacun a encore sa liberté de parlementaire ! Je le redis : mon intervention ne se veut absolument pas polémique. Je note, comme vous, que les crédits de cette mission, dont je m'occupe depuis trois ans, sont volontairement insuffisants, ce qui est grave. Mes collègues en région parisienne voient comme moi le nombre de malheureux qui dorment sur nos trottoirs : c'est ignoble pour un grand pays comme la France !

L'exécution des OQTF s'inscrit dans une politique d'ensemble. Le ministre de l'intérieur s'est d'ailleurs rendu à cette fin dans différents pays. Évidemment, les OQTF peuvent toujours être contestées devant les tribunaux. Plusieurs parlementaires ont aussi manifesté leur étonnement parce que de nombreux pays que nous aidions, comme le Mali, refusent de reprendre des laissez-passer consulaires. Pour améliorer le taux de retours, il faut une pression politique. Certes, tout cela sort de la question budgétaire, mais les chiffres trahissent l'absence de volonté politique de traiter cet aspect de la question. Ces dernières vingt-quatre heures, plus de 600 migrants sont arrivés à Lampedusa. Est-il raisonnable de laisser entrer toutes ces personnes sur notre territoire une semaine après le drame de Nice ?

Les seuls efforts consentis budgétairement parlant portent sur les hébergements, notamment via la création de CRA et de places supplémentaires pour les centres d'accueil pour demandeurs d'asile (CADA). Néanmoins, ces efforts sont systématiquement insuffisants, j'en veux pour preuve le nombre de malheureux qui dorment sur les trottoirs de nos grandes villes. La difficulté à obtenir des informations pour 2020 de la part du Gouvernement n'est pas un signe positif. Idem en ce qui concerne les décisions de justice relatives à l'éloignement. Depuis trois ans, les budgets consacrés à l'éloignement stagnent à un peu moins de 40 millions d'euros. La police aux frontières (PAF) ne dispose que d'un avion de type Beechcraft 1900 de 19 places parvenant à peine à traverser la Méditerranée et le Gouvernement songe à utiliser les nouveaux Dash de la sécurité civile destinés à la lutte contre les incendies de forêt afin d'exécuter les éloignements.

La commission a décidé de proposer au Sénat de ne pas adopter les crédits de la mission « Immigration, asile et intégration ».

*

* *

Réunie à nouveau le jeudi 19 novembre 2020, sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission des finances, après avoir pris acte des modifications adoptées par l'Assemblée nationale, a confirmé sa décision de proposer au Sénat de ne pas adopter les crédits de la mission. Elle a également décidé de proposer au Sénat d'adopter l'article 54 quaterdecies sans modification.


* 1 Réponses aux questionnaires budgétaires.

* 2 Assemblée des départements de France, Fiche info « L'accueil des MNE dans les départements », février 2019.

* 3 Dont ils représentent environ 15 % des bénéficiaires.

* 4 Assemblée des départements de France, Fiche info « L'accueil des MNE dans les départements », février 2019.

* 5 Edition 2020 des perspectives des migrations internationales, OCDE, Octobre 2020.

* 6 Audition de M. Fabrice Leggeri, directeur exécutif de Frontex (par audioconférence) du 18 avril 2020 par la commission des affaires européennes du Sénat.

* 7 Les autres mesures sont les interdictions de territoire et les expulsions, qui connaissent des taux d'exécution bien supérieurs à celui des OQTF.

* 8 Audition de M. Fabrice Leggeri, directeur exécutif de Frontex (par audioconférence) du 18 avril 2020 par la commission des affaires européennes du Sénat.

* 9 Règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride.

* 10 Loi n° 2018-32 du 22 janvier 2018 de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022.

* 11 Loi n° 2015-925 du 29 juillet 2015 relative à la réforme du droit d'asile.

* 12 Le taux d'occupation des CRA est situé entre 80 et 90 %.

* 13 Les autres mesures sont les interdictions de territoire et les expulsions, qui connaissent des taux d'exécution bien supérieurs que les OQTF.

* 14 Cour des comptes, « L'entrée, le séjour et le premier accueil des personnes étrangères », mai 2020.

* 15 Projet annuel de performance de la mission « Immigration, asile et intégration ».

* 16 Loi n° 2016-274 du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France.

* 17 Loi n° 2018-778 du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie.

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