VI. LE COMPTE D'AFFECTATION SPÉCIALE « DÉVELOPPEMENT AGRICOLE ET RURAL »

La mission « Développement agricole et rural » correspond au compte d'affectation spéciale éponyme, dit « CAS-DAR » .

Elle a pour objet le financement d'opérations de développement agricole et rural intégrant des innovations et leur diffusion.

Le CAS s'articule autour de deux programmes correspondant à ces objectifs : le programme 775 « Développement et transfert en agriculture » et le programme 776 « Recherche appliquée et innovation en agriculture ».

A. UNE GESTION FINANCIÈRE CRITIQUABLE

1. L'exemption des entreprises de l'aval de l'effort de contribution au CAS devrait faire l'objet d'une évaluation concertée

Les recettes du CAS proviennent de la taxe sur le chiffre d'affaires des exploitants agricoles, prévue par l'article 302 bis MB du code général des impôts (CGI), qui est auto-liquidée par les redevables.

L'assiette de la taxe est constituée d'une partie forfaitaire (90 euros) et d'une partie proportionnelle au chiffre d'affaires des exploitations agricoles (0,19 % jusqu'à 370 000 euros de chiffre d'affaires et 0,05 % au-delà) de l'année n-1.

Autrement dit, le produit de la taxe inscrit au compte en 2021 correspondra au chiffre d'affaires de l'année 2020.

Les opérateurs de l'amont et de l'aval de la filière agro-alimentaire ne sont pas soumis à cette taxe.

Cette exclusion est justifiée par le ministère au nom des principes des comptes d'affectation spéciale, qui supposent que les recettes soient ajustées à la nature des dépenses. Le ministère considère que les entreprises de l'amont et de l'aval n'étant pas bénéficiaires des dépenses du CAS, elles n'ont pas à en assumer le financement.

Cette affirmation n'est pas complètement exacte.

À travers les instituts techniques, des entreprises de l'aval bénéficient des crédits du CAS. Surtout, compte tenu des bénéfices indirects que les dépenses du CAS peuvent engendrer pour certaines de ces structures, cette position, qui traduit une interprétation excessivement littérale de la loi organique relative aux lois de finances, peut être jugée très contestable.

Cette question mériterait de faire l'objet d'une évaluation concertée avec les entreprises concernées, qui d'ores et déjà, sur certaines thématiques centrales (l'agriculture biologique notamment) apportent des financements à des projets pouvant relever des actions soutenues par le CAS.

2. Une mission dont les moyens, renforcés depuis 2015, rencontrent des difficultés d'évaluation en loi de finances initiale

Les recettes du CAS-DAR étaient jusqu'en 2014 constituées de 85 % du produit de la taxe sur le chiffre d'affaires des exploitants agricoles prévue à l'article 302 bis MB du code général des impôts.

Ce taux est passé à 100 % en 2015, et c'est désormais l'intégralité du produit de la taxe qui est affectée au compte.

Les rapporteurs spéciaux ont régulièrement fait valoir les difficultés rencontrées pour évaluer ex ante les recettes du compte.

Ces dernières apparaissent de fait assez nettement fluctuantes du fait de la variabilité de la conjoncture agricole.

Après avoir été fortement surévaluées en 2015 et 2016 - la loi de finances initiale pour 2015 les avait estimées à 147,5 millions d'euros pour une exécution budgétaire constatant une moins-value de recettes de 10,4 millions d'euros ; la loi de finances pour 2016 avait reconduit l'estimation de 2015 (147,5 millions d'euros de recettes) pour une nouvelle moins-value de 17 millions d'euros- les recettes ont été plus proches des estimations initiales en 2017 et 2018.

En 2018, une modeste plus-value de recettes a été constatée : 136,5 millions d'euros contre une prévision de 136 millions d'euros. En 2019, la recette évaluée à 136 millions d'euros a été exécutée à 142,9 millions d'euros, ce qui n'avait pas empêché la programmation pour 2020 d'arrêter la recette à 136 millions d'euros.

Pour 2021, la prévision de recette est abaissée. Elle est fixée à 126 millions d'euros, cette estimation étant « justifiée » par la situation sanitaire actuelle et par les impacts de la sécheresse sur les récoltes de céréales.

Les rapporteurs spéciaux relèvent que ces considérations sont moins mentionnées au sujet de la programmation des crédits de la mission. Ils soulignent que la prévision de recettes suppose une forte réduction du rendement de la taxe par rapport au produit encaissé en 2019. Le recul atteint 11,8 %.

À défaut de disposer d'éléments fins de suivi de la conjoncture agricole, il serait hasardeux de discuter cette prévision, qui, en tout état de cause, n'est pas un élément déterminant de la budgétisation des soutiens du CAS pour 2021.

Toutefois, selon la note de conjoncture de l'INSEE publiée en septembre 2020, le chiffre d'affaires de l'agriculture serait revenu au 3 ème trimestre de l'année à un niveau proche de celui du 4 ème trimestre 2019, le creux constaté entre mars et juin (une chute de 6 % du chiffre d'affaires) ayant été à peu près comblé.

Si l'on pourrait ainsi raisonnablement estimer que la prévision de recettes se trouve sous-estimée, il faut envisager l'éventualité d'effets asymétriques selon les exploitations, les petites exploitations pouvant avoir des difficultés significatives à acquitter la taxe.

3. Une réserve mobilisable pour de nouvelles dépenses

Quoi qu'il en soit, malgré les surévaluations qu'ont pu connaître les recettes dans le passé, l es soldes d'exécution positifs se sont succédé , la consommation effective des crédits étant généralement très en-deçà des ouvertures, mais aussi des recettes effectives.

Exécution et prévision des recettes et des dépenses du CAS-DAR

(en millions d'euros)

Année

Recettes

Dépenses (CP)

Écart

2006

146,00

99,70

46,30

2007

102,00

101,35

0,65

2008

106,84

98,47

8,37

2009

113,50

110,55

2,95

2010

105,06

108,50

- 3,44

2011

110,45

108,38

2,07

2012

116,75

114,35

2,40

2013

120,47

106,98

13,49

2014

117,10

132,40

- 15,30

2015

137,10

131,20

5,90

2016

130,80

129,20

1,60

2017

133,4

128, 9

4,5

2018

136,5

131,2

5,2

2019

142,9

130,5

12,4

Source : commission des finances du Sénat

Cet historique a contribué à l'accumulation de ressources susceptibles d'être mobilisées pour financer les dépenses du compte dont la forte augmentation, du moins en prévision, doit être relevée.

Le solde cumulé du compte atteignait 67,6 millions d'euros à fin 2018. L'exécution 2019 a renforcé les ressources mobilisables qui à la fin de l'exercice ont atteint 80 millions d'euros.

Dans le passé, la régulation budgétaire sur les crédits ouverts n'a pas manqué de s'exercer.

Ainsi, en 2015, 8,8 millions d'euros, soit plus de 10 % des dotations initiales, avaient été annulés sur le programme 775, le programme 776 ayant fait l'objet la même année de mesures de régulation très fortes : plus de 34 millions d'euros de crédits avaient alors été annulés en cours d'exercice.

Ces annulations contribuent à limiter le déficit budgétaire. Elles représentent une affectation des recettes prélevées sur les agriculteurs pour financer les interventions du CAS, qui ne coïncide pas avec l'objet du prélèvement.

Ces dernières années n'ont pas été marquées par de telles régulations.

Les reports successifs de crédits ont entraîné la constitution d'un potentiel de dépenses qui excède largement les dépenses annuelles.

Ainsi, les crédits de paiement ouverts en 2018 ont atteint 190 millions d'euros soit 45 % de plus que les crédits consommés au cours de l'année. L'année 2019 a encore accentué le disponible avec un montant de 195,8 millions d'euros.

Dépense et gestion des crédits de paiement du CASDAR en 2019

(en millions d'euros)

Programme 775

Programme 776

Total

LFI

65

71

136

Reports

14,3

45,5

59,8

Crédits disponibles

79,3

116,5

195,8

Crédits consommés

62,7

67,8

130,5

Crédits non consommés

16,6

48,7

65,3

Source : ministère de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt

Au total, à l'entrée de 2020, les ressources disponibles étaient de 216 millions d'euros à comparer avec un potentiel de dépenses de 136 millions d'euros (les crédits de paiement inscrits en loi de finances pour 2020) auxquels avaient vocation à s'ajouter les crédits reportés de 2019 sur 2020, soit potentiellement 65,3 millions d'euros, pour un total de crédits pouvant être rendus disponibles de 201,3 millions d'euros, enchaînement confirmé à la lecture du projet annuel de performances pour 2021.

En bref, à supposer que tous les crédits potentiellement utilisables le soient en 2020, hypothèse d'autant plus conventionnelle que les conditions de l'exécution budgétaire ont été très défavorables en cours d'année, il existerait un solde des recettes sur les dépenses, positif à la sortie de 2020 à hauteur de près de 15 millions d'euros.

Compte tenu de la prévision de recettes pour 2021, cela porte les ressources mobilisables à 141 millions d'euros, soit 15 millions d'euros au-delà des crédits ouverts.

Les données techniques budgétaires invitent donc à juger que la crédits ouverts en 2021 sont d'emblée inférieurs au potentiel laissé par les ressources disponibles.

Cependant, il faut tenir compte de la capacité du compte à dépenser les dotations ouvertes. A cet égard, la consommation des crédits en 2019 (130,5 millions d'euros) aura été supérieure aux crédits ouverts en 2021 mais légèrement en-deçà du potentiel de dépenses accessible compte tenu des ressources mobilisables. La marge est toutefois étroite.

Il n'en reste pas moins qu'alors que la compétitivité de l'agriculture française et sa capacité à atteindre les objectifs de transition agro-écologique dépendent crucialement de l'enrichissement en savoir-faire des productions, le signal donné aux différents acteurs de la recherche et de l'innovation n'est pas bon.

Il faut ajouter que la situation de nombre d'instituts techniques a été dégradée par la réforme des conditions de financement des projets de recherche qui suppose de leur part un effort liminaire en trésorerie mais aussi parfois budgétaire que tous ne peuvent supporter également.

La réforme des conditions du subventionnement
des projets de recherche par l'État

Le décret 2018-514 relatif aux subventions de l'État pour les projets d'investissement, la recherche appliquée et le développement étant considérés comme des investissements immatériels, a modifié les modalités de gestion financière du CAS DAR.

Ce décret (qui ne concerne que les personnes physiques ou morales de droit privé ainsi que les personnes publiques, à l'exception des établissements publics de l'État) a induit des modification introduites en 2019 dans les conventions liant l'État aux porteurs de programmes annuels relevant du droit privé (instituts techniques agricoles et ONVAR) ou aux porteurs de projets lauréats des appels à projets financés par le CASDAR. La principale modification porte sur le taux d'avance versé à la signature de la convention qui est limité à 30 %.

Pour le reste, les conventions portant sur les programmes annuels (qui représentent environ les 2/3 des versements du CAS une année donnée) permettent au porteur d'appeler le versement d'un acompte d'un maximum de 50 % dès la consommation de 30 % de leurs dépenses prévisionnelles, la régularisation de l'avance intervenant alors au moment du solde, l'année suivante. Les instituts techniques et ONVAR perçoivent donc 80 % de leur subvention annuelle dans le courant de l'année, en deux fois au lieu d'une comme c'était le cas avant 2019. Le décalage de trésorerie porte au maximum sur trois mois.

Les conventions portant sur les projets d'une durée de 3,5 ans, lauréats d'un appel à projets en 2019 ou 2020 permettent en général au porteur d'appeler le versement d'un acompte de 30 % lorsqu'il a réalisé 60 % de ses dépenses prévisionnelles, la régularisation de l'avance intervenant alors au moment de l'appel de l'acompte. Pour les projets lauréats d'appels à projets d'années antérieures à 2019, les avances et acomptes sont en général de 80 %, la régularisation de l'avance se faisant au moment du solde. Les nouvelles modalités impliquent effectivement une avance de trésorerie plus importante de la part des porteurs et partenaires du projet. Le ministère indique qu' « elles portent toutefois sur des sommes nettement inférieures à celles des programmes annuels et la régularisation de l'avance au moment de l'acompte permet d'éviter d'avoir à demander des remboursements aux porteurs en cas de sous-réalisation importante par rapport aux dépenses prévisionnelles du projet » .

Il n'empêche que, compte tenu de la robustesse financière très différenciée des intervenants, la charge en risque induite par le décret peut apparaître très significative.

Dans ces conditions, en l'absence d'information sur les reports de crédits envisagés pour 2021, la dotation en crédits pour 2021 mériterait d'être relevée.

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