C. UNE AUGMENTATION CONTINUE DU CONTENTIEUX QUI TOUCHE ÉGALEMENT LES JURIDICTIONS ADMINISTRATIVES NON SPÉCIALISÉES, IMPLIQUANT UN RENFORCEMENT DES MOYENS

1. Une croissance durable et soutenue des entrées devant les juridictions administratives résultant notamment de l'incidence des réformes de 2015 et de 2016 sur le droit d'asile et le droit des étrangers

À l'instar de la CNDA, les juridictions administratives non spécialisées ont connu ces dernières années une augmentation considérable du contentieux , tant par le nombre de recours que par celui des domaines concernés.

L'augmentation des recours devant les juridictions administratives atteint plus de 5 % en moyenne annuelle depuis près de 50 ans. De 2000 à 2019, les entrées contentieuses en données nettes ont progressé de 105 % en première instance et de 116 % en appel.

Cette dynamique s'est accentuée durant les deux dernières années pour tous les niveaux de juridiction. Devant les cours administratives d'appel (CAA), les entrées ont progressé de 8 % en 2018 et de 5,7 % en 2019 ; dans les tribunaux administratifs, la hausse a été de 8 % en 2018 et de 8,6 % en 2019.

Évolution de l'activité des juridictions administratives depuis 2014

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

Le nombre d'affaires en instance a fait l'objet d'un important effort de réduction, en particulier concernant le stock des affaires de plus de 24 mois . La part de ces affaires dans les affaires en stocks s'élève en 2019 à 7 % dans les tribunaux. La part des affaires de plus de 24 mois dans le stock global est de 3 % dans les cours administratives d'appel en 2019.

Sept contentieux représentent plus de 80 % des affaires enregistrées dans les tribunaux administratifs en 2019, et en premier lieu le contentieux des étrangers (41 %), celui des fonctionnaires (9 %) et le contentieux fiscal (7 %).

Le contentieux des étrangers représente à lui seul 41 % des requêtes présentées dans les tribunaux administratifs . Il a connu une très forte augmentation en volume avec une progression de 63 % en 5 ans devant les tribunaux administratifs. Devant les cours administratives d'appel, la proportion représentée par le contentieux des étrangers est de 51 % des entrées, en progression de 31 % en 5 ans. En 2019, l'augmentation du contentieux des étrangers représente 80 % de l'augmentation totale des entrées.

2. Une nécessaire vigilance sur le délai constaté de jugement

Malgré la hausse des flux d'entrée, les délais de jugement, qui représentent la capacité d'une juridiction à résorber son stock si le flux d'entrées s'interrompait, ont été considérablement raccourcis.

Le délai prévisible moyen de jugement est ainsi d'un an aujourd'hui, contre deux ans en première instance et de plus de trois ans en appel il y a vingt ans.

Délai moyen de jugement par niveau de juridiction hors procédures d'urgence

2015

2016

2017

2018

2019

Tribunaux administratifs

1 an, 9 mois
et 7 jours

1 an, 8 mois et 22 jours

1 an, 9 mois et 21 jours

1 an 9 mois et 2 jours

1 an et 8 mois

Cours administratives d'appel

1 an, 1 mois
et 15 jours

1 an, 1 mois
et 26 jours

1 an, 2 mois et 13 jours

1 an 3 mois et 7 jours

1 an 2 mois et 29 jours

Conseil d'État

1 an, 2 mois et 2 jours

1 an et 12 jours

1 an et 1 jour

11 mois et 29 jours

1 an et 6 jours

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

Entre 2002 et 2019, le délai prévisible moyen de jugement est passé en 1ère instance de près de 20 mois à moins de 10 mois (9 mois et 10 jours en 2019). En appel, ce délai est passé de 3 ans et 1 mois à moins de onze mois (10 mois et 25 jours en 2019).

Il importe toutefois de distinguer les délais de jugement obtenus par la procédure ordinaire de ceux obtenus par des procédures à délais contraints, notamment les référés.

L'incidence des délais contraints est donc négative sur le délai moyen constaté pour les affaires ordinaires, (c'est-à-dire précisément hors ordonnances et contentieux dont le jugement est enserré dans des délais particuliers) qui est l'indicateur le plus sensible pour les justiciables : il était en 2019 de 1 an et 8 mois. Depuis 2014 il stagne, devant les tribunaux administratifs, autour d'1 an 9 mois et 5 jours après avoir augmenté de 3 jours en 2015.

On constate donc un effet d'éviction des contentieux dits « urgents » au détriment de ceux relevant de la procédure ordinaire.

L'impact sur les délais de jugement des procédures de référés

Les référés administratifs sont des procédures devant les juridictions administratives, le plus généralement fondées sur l'urgence, permettant d'obtenir du juge, généralement statuant seul, le prononcé rapide de diverses mesures protectrices des droits des administrés.

La part des référés dans les affaires traitées est croissante depuis la dernière décennie, alors que le nombre de référés augmente également.

Le référé est devenu un outil de gestion et de régulation du contentieux, en ce qu'ils influent mécaniquement sur la structure du contentieux. Plus les juridictions enregistrent de référés, plus le délai de jugement sera inférieur à celui de l'année précédente. Il se dégradera toutefois l'année suivante, les dossiers non insérés dans des délais particuliers n'ayant pas été traités pour faire face aux urgences.

La fixation de délais contraints de jugement induit ainsi mécaniquement un effet d'éviction des autres contentieux et un allongement de leur délai de traitement .

3. Un effet limité de la crise sanitaire sur la dynamique de maîtrise du stock

La crise sanitaire a impliqué l'arrêt partiel des juridictions pendant la période de mars à mai 2020. Ce faisant, elle a entraîné un nouvel allongement des délais de jugement, ainsi que, par voie de conséquence, une augmentation du stock d'affaires en cours . Celui-ci a donc augmenté de 8 % par rapport au premier semestre 2019.

Évolution des recours devant les tribunaux administratifs et les CAA entre les premiers semestres 2019 et 2019

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

Ces données, qui sont relatives à la période d'état d'urgence sanitaire, doivent toutefois être lues avec précaution. Les données enregistrées pendant l'été montrent qu'un rattrapage est en cours ce qui devrait rapprocher les résultats finaux de 2020 de ceux de l'année 2019, sous réserve de l'évolution de la situation sanitaire.

Comparaison de l'activité des juridictions administratives
durant les mois de mars à mai

Tribunaux administratifs

Cours administratives d'appel

2019

Affaires enregistrées de mars à mai

59 933

9 112

Affaires traitées de mars à mai

60 309

9 280

En stock au 31 mai

169 588

30 432

2020

Affaires enregistrées de mars à mai

29 748

5 542

Affaires traitées de mars à mai

23 545

5 034

En stock au 31 mai

184 481

32 189

Affaires enregistrées

Écart des affaires enregistrées de mars à mai

-30 185

-3 570

Évolution affaires enregistrées

-50,4 %

-39,2 %

Affaires traitées

Écart des affaires traitées de mars à mai

-36 764

-4 246

Évolution affaires traitées

-61,0 %

-45,8 %

Affaires en stock

Écart des affaires en stock au 31 mai

+14 893

+1 757

Évolution affaires en stock

+8,8 %

+5,8 %

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

L'incidence de la crise sanitaire sur les stocks de requête est donc relativement limitée du fait d'une baisse concomitante des entrées (hors contentieux particuliers, notamment électoral). Ce constat est également valable pour la CNDA. La capacité de jugement des juridictions administratives ne devrait pas être affectée outre mesure, notamment du fait de la numérisation de certaines activités.

Plus généralement, la crise sanitaire ne devrait pas avoir d'impact significatif sur les délais de jugement, selon les informations fournies au rapporteur spécial.

4. Une hausse des crédits demandés en lien avec la création d'une neuvième chambre d'appel

Les crédits demandés pour la justice administrative augmentent de 2 % en CP toutes instances confondues hors CNDA .

Concernant les dépenses de titre 2, l'évolution de cette dotation s'explique notamment par la prise en compte de 28 créations d'emplois autorisées en 2021 destinées, d'une part au renforcement des tribunaux administratifs, d'autre part à la nouvelle cour administrative d'appel de Toulouse.

Répartition par niveau de juridiction des ETPT consommés au 31 juillet 2020

Conseil d'État

637

Tribunaux administratifs et cours administratives d'appel

2 810

Commission du contentieux du stationnement payant (CCSP)

12

Total

4090

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

En AE, les crédits ouverts au titre de l'action 6 « Soutien », qui englobe l'ensemble des dépenses hors titre 2 au titre des fonctions support, diminuent toutefois de 23 %. Par rapport à la LFI 2020, les crédits demandés hors titre 2 consacrés à la justice administrative sont en baisse de 43,5 millions d'euros en AE et en hausse de 6,1 millions d'euros en CP. Ils ont été fixés à 102,1 millions d'euros en AE (-29,9 %) et à 84,4 millions d'euros en CP (+7,8 %) .

Cette augmentation en CP est due à l'évolution tendancielle des dépenses et aux mesures nouvelles destinées au renforcement de la CNDA et à la création de la cour administrative d'appel de Toulouse. En outre, le budget 2021 intègre les décalages, dus à la crise sanitaire, des dépenses de travaux.

La baisse des AE s'explique principalement par les renouvellements et prises à bail, dont le montant global est inférieur en 2021 à celui fixé en LFI 2020.

D'ici à la fin de l'année 2021, la juridiction administrative sera renforcée par la création de la 9ème cour administrative d'appel . Située à Toulouse, elle comportera quatre chambres et sera compétente pour les appels formés contre les jugements des tribunaux administratifs de Toulouse, Montpellier et Nîmes. L'objectif est de permettre de mieux équilibrer la répartition des cours administratives d'appel sur le territoire national.

Elle impliquera le redéploiement des emplois de magistrats et des agents de greffe des cours administratives d'appel de Bordeaux et de Marseille pour la Cour d'Occitanie ainsi que la création nette de 18 emplois.

Le coût de construction du bâtiment hébergeant la cour est estimé à 7,15 millions d'euros sur 3 ans . Le coût d'installation (équipements, mobilier, informatique) est évalué à 0,5 million d'euros. Les dépenses courantes annuelles (fonctionnement courant, frais de justice, services au bâtiment) devraient être de l'ordre de 0,19 million d'euros.

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