II. UNE PROBLÉMATIQUE QUI APPELLE UNE RÉFORME PLUS LARGE DE NOTRE POLITIQUE DE SANTÉ SEXUELLE ET REPRODUCTIVE

A. L'INDISPENSABLE REVALORISATION DE L'ACTE D'IVG

Dans leur rapport d'information 26 ( * ) de septembre 2020 sur l'accès à l'IVG, les députées Marie-Noëlle Battistel et Cécile Muschotti font le constat d'une activité de l'IVG largement déconsidérée au sein de la communauté médicale et de plus en plus délaissée par notre système de soins hospitaliers . Partageant cette analyse, des représentants des gynécologues-obstétriciens et des centres d'IVG et de planning familial ont alerté la rapporteure sur la situation préoccupante des services d'orthogénie qui servent trop souvent de variable d'ajustement des établissements hospitaliers dans la gestion de leurs moyens humains, techniques et financiers.

1. Une clause de conscience spécifique à l'IVG qui continue d'entretenir une stigmatisation de l'IVG

Comme le reconnaît le CCNE dans son avis précité du 8 décembre 2020, la clause de conscience spécifique à l'IVG constituait l'un des deux éléments de compromis ayant contribué à l'adoption de la loi « Veil » 27 ( * ) en 1975 face à un Parlement fortement divisé sur la question de la dépénalisation de l'IVG, avec la condition de situation de détresse de la femme enceinte, condition supprimée en 2014 28 ( * ) . Le collège national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF) et le syndicat national des gynécologues et obstétriciens de France (Syngof) ont chacun rappelé leur attachement au maintien de cette clause de conscience spécifique. Dans son avis précité du 8 décembre 2020, le CCNE s'est rangé à cette position, estimant que « la clause de conscience spécifique souligne la singularité de l'acte médical que représente l'IVG ».

En revanche, le conseil national de l'ordre des sages-femmes considère que la suppression de la clause de conscience spécifique « pourrait avoir un fort impact sociétal en affirmant que l'IVG est à la fois un acte médical comme un autre sans clause de conscience spécifique et un droit à part entière » et que cette mesure « pourrait participer à une meilleure acceptation sociale de l'IVG » 29 ( * ) . Dans ses réponses adressées au questionnaire de la rapporteure, l'association nationale des centres d'IVG et de contraception (Ancic) s'est également prononcée en faveur de la suppression de la conscience spécifique.

45 ans après l'adoption de la loi « Veil », la question de la pertinence de cette clause de conscience spécifique doit être examinée à la lumière d'un contexte où, bien qu'il s'agisse d'un droit fondamental, l'IVG continue d'être considérée comme un acte « tabou » par une part non négligeable de professionnels de santé et reste peu valorisée dans la pratique de gynécologie-obstétrique . Or la consécration du droit à l'IVG comme une des composantes acquises du droit des femmes à disposer de leur corps et à maîtriser leur parcours sexuel et reproductif implique de ne plus le présenter symboliquement comme un drame culpabilisant pour la femme et inacceptable pour des soignants. Il convient de ne plus l'isoler dans un cadre médical distinct des autres actes de la médecine sexuelle et reproductive, comme la prescription de la contraception.

Comme l'a rappelé la commission spéciale du Sénat lors de l'examen, début 2020, du projet de loi « Bioéthique », une clause de conscience générale , permettant de ne pas accomplir un acte contraire à ses convictions, bénéficie en effet déjà aux professionnels de santé intervenant dans la réalisation des procédures d'IVG ou d'IMG. Cette clause de conscience générale est inscrite dans les codes de déontologie respectifs des médecins, des sages-femmes et des infirmiers, dont l' opposabilité juridique est garantie par leur intégration dans la partie réglementaire du code de la santé publique.

Dès lors, la commission spéciale du Sénat s'est opposée en février 2020 à l'introduction dans le code de la santé publique d'une clause de conscience spécifique à l'IMG à l'occasion de l'examen en première lecture du projet de loi « Bioéthique ».

Elle a ainsi opté pour une formulation équilibrée qui maintient dans la loi le principe selon lequel tout refus de pratiquer une IMG s'accompagne d'une obligation de référer la patiente à un praticien susceptible de réaliser l'intervention. En deuxième lecture, l'Assemblée nationale a adopté conforme la rédaction votée par le Sénat.

En cohérence, l' article 2 de la proposition de loi aligne la rédaction de l'article L. 2212-8 du code de la santé publique sur celle envisagée par le projet de loi « Bioéthique » pour les conséquences qu'emportent les refus opposés par les professionnels de santé à des demandes d'IMG sur le fondement de leur clause de conscience générale : la référence explicite à une clause de conscience spécifique à l'IVG est ainsi supprimée et est préservée l'obligation pour tout professionnel de santé refusant de pratiquer une IVG d'informer sans délai l'intéressée de son refus et de lui communiquer le nom de praticiens susceptibles de réaliser cette intervention .

2. Accompagner l'extension de la compétence des sages-femmes en matière d'IVG

Depuis la loi « Santé » 30 ( * ) du 26 janvier 2016, les sages-femmes se sont vu reconnaître la compétence pour prescrire et pratiquer des IVG médicamenteuses. Les IVG médicamenteuses représentent désormais 70 % des IVG réalisées en 2019, contre 30 % en 2001 31 ( * ) .

Selon des données transmises par le CNOSF, 3,5 % des sages-femmes libérales sont conventionnées avec un établissement pour pratiquer des IVG médicamenteuses, soit un peu plus de 200 sages-femmes en 2018. Celles-ci ont réalisé 5 100 IVG en 2018, soit près de 10 % des IVG pratiquées hors établissement de santé.

Le CNOSF indique que près de 400 sages-femmes devraient être conventionnées en 2020 . Le succès de cette extension de la compétence des sages-femmes en matière d'IVG tient au renforcement du suivi gynécologique dans la formation initiale des sages-femmes et à leur pratique quotidienne, ainsi qu'au développement d'une formation complémentaire de qualité et d'une bonne coopération avec les établissements et centres pratiquant des IVG.

Dans le souci de renforcer l'offre territoriale de soins et donc l'accès à l'IVG, l' article 1 er bis de la proposition de loi vise à autoriser les sages-femmes à pratiquer des IVG chirurgicales jusqu'à la fin de la dixième semaine de grossesse. L'objectif de cette extension a finalement été repris par l' article 70 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2021 32 ( * ) qui prévoit l' expérimentation pour une durée de trois ans de l'extension aux sages-femmes de la possibilité de réaliser des IVG instrumentales en établissement de santé, sous réserve du suivi d'une formation complémentaire spécifique et d'un niveau de pratique suffisant.

3. Réhabiliter l'acte d'IVG comme un soin prioritaire dans notre système hospitalier

La rapporteure se félicite de l'introduction dans la proposition de loi de dispositions complémentaires de nature à améliorer l'accès à l'IVG, dont certaines ont d'ores et déjà été rendues effectives par la LFSS pour 2021 :

- l'extension du tiers payant à la prise en charge des frais relatifs à une IVG et la consécration du principe de la protection du secret pour la prise en charge de l'IVG et de l'anonymat pour toutes les personnes intéressées, prévues par l' article 1 er ter A , ont été intégralement reprises à l' article 63 de la LFSS pour 2021 ;

- l' article 1 er ter supprime le délai de deux jours que la femme enceinte doit observer à l'issue de l'entretien psychosocial - dans le cas où elle accepte de recevoir un tel entretien - avant de confirmer par écrit son souhait de recourir à une IVG. Il s'agit du seul délai de réflexion obligatoire qui subsiste encore en droit en matière d'IVG ;

- le dernier alinéa de l'article 2 prévoit la publication par les agences régionales de santé (ARS) d'un répertoire recensant, sous réserve de leur accord, les professionnels de santé et les structures pratiquant l'IVG ;

- l'article 2 bis A permet de préciser qu'un professionnel de santé qui refuse la délivrance d'un contraceptif en urgence méconnaît ses obligations professionnelles et peut être sanctionné à ce titre dans le cadre du dispositif de sanction des refus de soins.

Si elles participent indéniablement d'une sécurisation du parcours de soins des femmes souhaitant interrompre leur grossesse, ces mesures ne permettront toutefois pas de répondre dans sa globalité à la problématique d'une activité d'orthogénie et de planning familial jugée non rentable et devenue le parent pauvre de la politique d'organisation des soins conduite par la plupart des établissements de santé. Peu valorisée sur le plan tarifaire et encore relativement déconsidérée dans la pratique de gynécologie-obstétrique, l'IVG n'est en effet pas considérée comme prioritaire dans les besoins de recrutement des établissements hospitaliers, notamment de praticiens hospitaliers et de secrétaires. Dans ces conditions, en dépit de l'interdiction pour tout établissement disposant d'un service de gynécologie ou de chirurgie de refuser de pratiquer des IVG 33 ( * ) , le principe selon lequel une offre d'orthogénie doit être proposée par tout établissement doté d'un service de gynécologie ou de chirurgie n'est , selon les termes du CCNE, « respecté que très inégalement sur le territoire » 34 ( * ) .

Face à une rémunération peu attractive de l'activité d'IVG 35 ( * ) , le CNGOF propose que les actes liés à l'IVG soient revalorisés sur le plan tarifaire ou que des crédits des missions d'intérêt général et de l'aide à la contractualisation (Migac) puissent être mobilisés pour financer cette activité , au titre de l'amélioration de la qualité de la prise en charge. Pour sa part, le Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes préconise la suppression de la forfaitisation de l'IVG . Enfin, le CNGOF recommande que des postes de praticiens hospitaliers soient fléchés sur l'activité d'IVG , les recrutements pouvant être assortis d'un engagement sur un volume d'activité, dans le sillage de la proposition n° 11 du rapport d'information précité de septembre 2020 de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité entre les hommes et les femmes de l'Assemblée nationale.

Les difficultés persistantes d'accès à l'IVG requièrent une intervention résolue de l'État dans l'amélioration de l'offre de soins en orthogénie, sans quoi sa responsabilité pourrait, selon la rapporteure, être engagée à l'occasion de contentieux pour négligence ou inaction . L'État a en effet déjà été condamné à plusieurs reprises pour défaut d'organisation du service public. Il a par exemple déjà fait l'objet d'une condamnation pour faute lourde en mars 2020 par le tribunal judiciaire de Paris, en raison d'une « négligence fautive » des services de police qui n'ont pas mis tout en oeuvre pour prévenir la commission de trois assassinats dont un féminicide.


* 26 Rapport d'information n° 3343 de Mmes Marie-Noëlle Battistel et Cécile Muschotti, fait au nom de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes de l'Assemblée nationale, sur l'accès à l'interruption volontaire de grossesse, enregistré le 16 septembre 2020.

* 27 Loi n° 75-17 du 17 janvier 1975 relative à l'interruption volontaire de la grossesse.

* 28 Par l'article 24 de la loi n° 2014-873 du 4 août 2014 pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes.

* 29 Contribution adressée à la rapporteure.

* 30 Article 127 de la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé.

* 31 Drees, Les interruptions volontaires de grossesse : une hausse confirmée en 2019 , collection « Études et résultats », n° 1163, septembre 2020.

* 32 Loi n° 2020-1576 du 14 décembre 2020 de financement de la sécurité sociale pour 2021.

* 33 Article R. 2212-4 du code de la santé publique.

* 34 Opinion du CCNE du 8 décembre 2020 sur l'allongement du délai légal d'accès à l'IVG de 12 à 14 semaines de grossesse, réponse à la saisine du ministre des solidarités et de la santé du 2 octobre 2020.

* 35 Lors de son audition par la rapporteure, le CNGOF a ainsi relevé que le tarif d'une aspiration pour fausse couche (57,60 euros) est supérieur à celui pratiqué pour une IVG par aspiration, pouvant conduire certains médecins à faire passer des IVG pour des fausses couches afin de pratiquer des dépassements d'honoraires.

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