B. LA NÉCESSITÉ DE TENIR COMPTE DE SITUATIONS D'IVG TARDIVES AUXQUELLES LE SYSTÈME DE SOINS N'OFFRE AUJOURD'HUI AUCUNE RÉPONSE SATISFAISANTE

1. Les délais légaux d'accès à l'IVG dans les principaux pays industrialisés

Si une partie des pays européens a fixé le délai légal d'accès à l'IVG à 12 semaines de grossesse, plusieurs pays ont institué une limite temporelle plus longue : 14 semaines de grossesse pour l'Espagne et l'Autriche, 16 semaines de grossesse (18 semaines d'aménorrhée) pour la Suède 10 ( * ) , 20 semaines pour l'Islande et 22 semaines de grossesse pour les Pays-Bas 11 ( * ) et le Royaume-Uni 12 ( * ) .

Le Canada n'a pas institué de délai légal, le recours à l'IVG y étant encadré par les ordres professionnels : une IVG médicamenteuse y est ainsi possible jusqu'à neuf semaines de grossesse et, pour les IVG pratiquées au-delà de 24 semaines, les patientes sont généralement redirigées aux États-Unis pour la réalisation de l'intervention 13 ( * ) . Un bilan 14 ( * ) de 2018 évalue à 11 % la proportion d'IVG pratiquées après 12 semaines de grossesse.

Panorama des délais légaux d'accès à l'IVG dans plusieurs pays industrialisés
exprimés en semaines de grossesse dans leur acception française

Panorama des délais légaux d'accès à l'IVG dans plusieurs pays industrialisés

Délai légal* d'interruption volontaire de grossesse

Délai légal* d'interruption médicale (danger pour la vie de la femme, maladie du foetus)

Est-il possible de dépasser le délai légal en cas d'indication médicale ?

Observations

Allemagne

12 semaines de grossesse

(14 semaines d'aménorrhée)

Pas de limite s'il existe un danger menaçant la vie de la femme enceinte ou pouvant porter gravement atteinte à sa santé physique ou mentale (du fait d'une maladie ou d'un handicap grave du foetus ou d'une raison médicale uniquement liée à l'état de la mère)

Aux termes des articles 218 et 218 a du code pénal, l'auteur d'une interruption de grossesse commet un acte illicite susceptible de sanctions pénales, hormis le cas où cet acte intervient :

- sur demande de la femme, après un entretien de conseil ( Beratung ) obligatoire dans un centre spécialisé et après un délai de réflexion de 3 jours ;

- en cas de danger pour la santé physique ou psychique de la mère ;

- à la suite d'un viol.

Australie

État de Tasmanie

(min)

14 semaines de grossesse

(16 semaines d'aménorrhée)

Peut aller au-delà de la 16 e semaine d'aménorrhée s'il existe un risque pour la santé physique ou mentale de la femme, après avis de deux médecins

Chaque État australien a ses propres règles et ses propres délais en matière d'IVG. La Nouvelle-Galles du Sud est le dernier État à avoir dépénalisé l'avortement le 2 octobre 2019

État de Nouvelle-Galles du Sud

(Sydney)

20 semaines de grossesse

(22 semaines d'aménorrhée)

Peut aller au-delà de 22 e semaine d'aménorrhée dans certaines circonstances médicales, après avis de deux médecins

État de Victoria

(max)

22 semaines de grossesse

(24 semaines d'aménorrhée)

Peut aller au-delà de la 24 e semaine d'aménorrhée dans des circonstances limitées, après avis de deux médecins

Autriche

14 semaines de grossesse

(16 semaines d'aménorrhée)

Pas de limite s'il existe un risque pour la future mère ou si une maladie physique grave de l'embryon est constatée lors du diagnostic prénatal

Selon le code pénal, l'interruption de grossesse n'est pas passible de condamnation si elle intervient dans les trois premiers mois de grossesse (14 semaines) et après avis d'un médecin. Cependant, dans les faits, peu de médecins pratiquent un avortement après la 12 e semaine de grossesse.

Belgique

12 semaines de grossesse

(14 semaines d'aménorrhée)

Peut aller au-delà de la 12 e semaine « si la poursuite de la grossesse met en péril grave la santé de la femme ou lorsqu'il est certain que l'enfant à naître sera atteint d'une affection d'une particulière gravité et reconnue comme incurable au moment du diagnostic. Dans ce cas, le médecin sollicité s'assure le concours d'un deuxième médecin, dont l'avis est joint au dossier. »

Délai de réflexion de 6 jours

Canada

Aucun délai limite fixé par la loi, même si les avortements tardifs sont rares et, dans ce cas, souvent adressés aux États-Unis

L'avortement a été décriminalisé par la Cour suprême en 1988.

Danemark

10 semaines de grossesse

(12 semaines d'aménorrhée)

Peut aller au-delà de la 12 e semaine de « grossesse » (selon une ligne directrice officielle de 2006, « le délai de 12 semaines est généralement calculé à partir du premier jour de la dernière période menstruelle ») en cas de danger pour la vie de la femme, de viol ou de maladie grave du foetus

Espagne

14 semaines de « gestation »

(terme non défini, délai apprécié par le médecin)

Jusqu'à la 22 e semaine de gestation en cas de pathologie foetale ou de risques importants pour la santé de la mère (physique ou psychique). Peut aller au-delà de 22 semaines de gestation en cas d'anomalie ou de maladie extrêmement graves et incurables détectées chez le foetus

Délai de réflexion de 3 jours entre la première consultation médicale et l'interruption de grossesse

États-Unis

Varie de 18 semaines de grossesse (Arkansas) à aucun délai (situation au 1 er juin 2020 : https://ballotpedia.org/Abortion_regulations_by_state )

« L'arrêt de la Cour suprême Roe versus Wade (1973) pose un cadre général d'autorisation de l'IVG aux États-Unis et définit la viabilité foetale entre 24 et 28 semaines d'aménorrhée.

Cependant, chaque État est compétent pour adapter ce cadre et introduire des restrictions. Il y a donc des disparités importantes d'un État à l'autre : 43 États imposent des restrictions à l'avortement en fonction du stade de la grossesse et 7 États (Alaska, Colorado, Oregon, Nouveau-Mexique, New-Jersey, New-Hampshire, Vermont) plus Washington DC ne prévoient aucun délai légal maximal pour l'interruption de grossesse. »

Texas

20 semaines de grossesse

(22 semaines d'aménorrhée)

Peut aller au-delà de 20 semaines de grossesse en cas de danger menaçant la vie de la femme ou maladie grave du foetus

New-York

24 semaines de grossesse

(26 semaines d'aménorrhée)

Peut aller au-delà de 24 semaines de grossesse en cas de menace pour la vie de la femme ou de non-viabilité du foetus

Californie

Jusqu'à la viabilité foetale (limite fixée par Roe versus Wade entre 24 et 28 semaines d'aménorrhée)

Peut aller au-delà de la viabilité foetale si la vie ou la santé de la femme est menacée

Finlande

10 semaines de grossesse

(12 semaines d'aménorrhée)

18 semaines de grossesse

(20 semaines d'aménorrhée) si circonstances particulières, par exemple si la femme a moins de 17 ans ou en cas de viol ou inceste

Peut aller jusqu'à 24 semaines d'aménorrhée en cas d'anomalie grave du foetus

France

12 semaines de grossesse

(14 semaines d'aménorrhée)

Peut aller au-delà de 12 semaines si la grossesse met en péril grave la santé de la femme ou s'il existe une forte probabilité pour que l'enfant à naître soit atteint d'une affection grave reconnue comme incurable au moment du diagnostic

Irlande du Nord

(Ulster)

10 semaines de grossesse

(12 semaines d'aménorrhée)

Peut aller jusqu'à 24 semaines d'aménorrhée en cas de risques d'atteinte à la santé physique ou mentale de la femme.

Pas de limite en cas de risques pour la vie de la mère et anomalies sévères du foetus

Irlande

(Éire)

10 semaines de grossesse

(12 semaines d'aménorrhée)

Peut aller au-delà de 10 semaines de grossesse en cas d'urgence pour la vie ou la santé de la mère (jusqu'à la viabilité foetale en l'absence d'urgence) ou en cas d'anomalie grave du susceptible mettant en cause la viabilité de l'enfant à naître (après l'avis de deux médecins)

Islande

20 semaines de grossesse

(22 semaines d'aménorrhée)

Mais recommandé avant la fin de la 12 e semaine de grossesse

Peut aller au-delà de la 22 e semaine d'aménorrhée en cas de risque sérieux pour la santé de la mère ou d'anomalie du foetus

Délai légal étendu en 2019 de la 16 e à la 22 e semaine d'aménorrhée

Israël

En principe, non disponible. En pratique, l'interruption de grossesse est légale et largement accessible, les cas de refus étant rares

Possible jusqu'à 24 semaines d'aménorrhée (22 semaines de grossesse) après avis d'une commission spéciale et si l'une des conditions suivantes prévues par la loi est remplie :

- être âgée de moins de 18 ans ou de plus de 40 ans ;

- grossesse hors mariage ;

- grossesse résultant d'un viol ou d'un inceste ;

- risque pour la santé ou la vie de la femme ;

- handicap physique ou mental du foetus

Peut aller au-delà de 24 semaines d'aménorrhée pour des raisons médicales, après avis d'une commission spéciale

Le code pénal interdit l'interruption de grossesse sauf si elle est autorisée par l'une des 41 commissions prévues à cet effet et que l'une des conditions limitativement énumérées par la loi est remplie. Toutefois, en pratique, l'interruption de grossesse est légale et largement accessible, les cas de refus étant rares. (source : Haaretz)

Italie

90 jours d'aménorrhée

(soit environ 10,8 semaines de grossesse ou 12,8 semaines d'aménorrhée)

Peut aller au-delà de 90 jours d'aménorrhée en cas de danger grave pour la vie de la femme ou d'anomalie du foetus pouvant mettre en danger la santé physique ou mentale de la femme

Délai de réflexion de 7 jours qui peut s'ajouter au délai de 90 jours

Norvège

10 semaines de grossesse

(12 semaines d'aménorrhée)

Peut aller au-delà de 12 semaines d'aménorrhée à condition que l'avortement soit pratiqué dans un hôpital public et après avis d'un comité composé de 2 médecins

L'approche est de plus en plus restrictive une fois dépassés les délais de 18 semaines d'aménorrhée et la viabilité du foetus (définie à 22 semaines d'aménorrhée).

Nouvelle-Zélande

18 semaines de grossesse

(20 semaines d'aménorrhée)

Peut aller au-delà de 20 semaines d'aménorrhée sur avis d'un médecin spécialisé en cas d'anomalie sérieuse du foetus ou de risque pour la vie de la femme

Pays-Bas

22 semaines de grossesse

(24 semaines d'aménorrhée)

Peut aller au-delà de 24 semaines d'aménorrhée pour des raisons médicales sérieuses comme la non viabilité du foetus

Selon le code pénal, l'interruption de grossesse est autorisée jusqu'au stade de viabilité du foetus, défini à 24 semaines d'aménorrhée.

En pratique, les docteurs appliquent une marge d'erreur de 2 semaines et se limitent à 22 semaines d'aménorrhée.

Délai de réflexion de 5 jours

Pologne

Interdit

Interruption médicale sans limite en cas de menace pour la vie de la femme et jusqu'à 12 semaines de grossesse en cas de viol ou d'inceste

Le 22 octobre 2020, le Conseil constitutionnel polonais a rendu un arrêt très controversé stipulant que les IVG même dans le cas d'une « malformation grave et irréversible du foetus » et d'une « maladie incurable ou potentiellement mortelle » étaient inconstitutionnels. À la suite de manifestations, le 4 novembre 2020, le gouvernement a décidé de ne pas publier cette décision.

Portugal

8 semaines de grossesse

(10 semaines d'aménorrhée)

Au-delà de 10 semaines et jusqu'à 16 semaines d'aménorrhée, en cas de viol ou de raison médicale liée à la santé de la femme

Jusqu'à 24 semaines d'aménorrhée, pour anomalie et malformation foetales graves

Délai de réflexion de 3 jours

République tchèque

10 semaines de grossesse

(12 semaines d'aménorrhée)

Peut aller au-delà de 12 semaines d'aménorrhée pour raisons médicales

Royaume-Uni

(hors Irlande du Nord)

22 semaines de grossesse

(24 semaines d'aménorrhée)

Peut aller au-delà de la 24 e semaine d'aménorrhée dans des circonstances limitées (risque pour la vie de la femme, atteinte grave du foetus)

Suède

16 semaines de grossesse

(18 semaines d'aménorrhée)

Peut aller au-delà de la 18 e semaine d'aménorrhée, après avis du conseil national pour la santé ( socialstyrelsen ) en cas de risque pour la santé de la femme, de maladie ou de malformation grave du foetus

Les avortements pour raisons médicales liées à l'état de santé de la mère sont généralement autorisés par le conseil national jusqu'au stade de la viabilité du foetus (soit environ 22 semaines d'aménorrhée).

Suisse

10 semaines de grossesse

(12 semaines d'aménorrhée)

Peut aller au-delà de 12 semaines d'aménorrhée si un avis médical démontre que l'interruption est nécessaire pour écarter le danger d'une atteinte grave à l'intégrité physique ou d'un état de détresse profonde de la femme enceinte

*Selon l'usage en France, le terme de « grossesse » utilisé dans le présent tableau a pour point de départ la fécondation ; l'aménorrhée correspond au premier jour des dernières règles. Certains pays (Danemark, Finlande, Irlande...) utilisent uniquement le terme de « grossesse » mais en la définissant comme débutant à partir du premier jour des dernières règles.

Les délais mentionnés s'entendent jusqu'à l'atteinte effective de la semaine complète indiquée. Certains États permettent d'ajouter à ce délai le délai de réflexion.

Points de vigilance sur la comparaison des délais légaux
d'interruption de grossesse entre pays

En France, la loi fixe le délai d'interruption de grossesse en nombre de « semaines de grossesse », comptabilisées à partir du jour estimé de la fécondation, et non en nombre de semaines d'aménorrhée.

Or tous les pays ne retiennent pas la même approche pour comptabiliser le délai légal d'interruption de grossesse. De plus, le terme de « grossesse » recouvre parfois des significations différentes, ce qui peut entraîner des confusions lorsque l'on souhaite comparer les délais en vigueur dans différents pays.

L'Allemagne et la Belgique retiennent une approche comparable à celle de la France : l'article 218a du Code pénal allemand établit que le délai légal d'interruption volontaire de grossesse ne doit pas dépasser « 12 semaines depuis la conception ». La loi belge fixe également le délai légal d'IVG à « 12 semaines de grossesse » à compter de la conception. Le planning familial allemand et le planning familial belge précisent que ces délais correspondent à 14 semaines d'aménorrhée.

En revanche, une grande majorité de pays européens se fonde sur le premier jour des dernières règles pour établir le délai d'interruption volontaire de grossesse. La législation suisse fixe ainsi ce délai à « 12 semaines suivant le début des dernières règles ». La loi irlandaise précise quant à elle que « les 12 semaines doivent être interprétées en accord avec le principe médical selon lequel la grossesse est généralement datée à compter du premier jour des dernières règles d'une femme ».

L'Autriche, l'Italie, les Pays-Bas, le Portugal et le Royaume-Uni conçoivent également le délai légal d'IVG en « semaines de grossesse » comptabilisées à partir des dernières règles - ce qui correspond alors à l'aménorrhée - sans toutefois que ceci soit indiqué directement dans la loi. Les sites internet gouvernementaux, de municipalités, de plannings familiaux ou d'associations précisent toutefois que les semaines de « grossesse » sont calculées à partir du premier jour des dernières règles (voir par exemple le site du NHS britannique, du gouvernement autrichien ou du Service national de santé portugais).

Les pays scandinaves - Danemark, Suède - et la Finlande se réfèrent également aux dernières règles pour comptabiliser le délai légal d'IVG, tout en utilisant le terme générique de « semaines de grossesse ». Si la méthode de comptabilisation et la terminologie ne sont pas définis dans la loi, ni explicités dans les sites d'information grand public, des lignes directrices officielles confirment la référence aux dernières règles. A titre d'exemple, au Danemark, le délai légal d'IVG est fixé à 12 semaines de « grossesse » selon la traduction littérale de la loi, ce qui correspond à 10 semaines de grossesse et 12 semaines d'aménorrhée selon l'approche française.

En Espagne, la loi organique de 2010 fixe le délai légal d'IVG à « 14 semaines de gestation », sans définir ce terme. Le ministère de la santé espagnol, dans le cadre de la présentation des statistiques annuelles d'interruption de grossesse, se borne à indiquer que les semaines de gestation sont « évaluées par le médecin ». Les recherches n'ont pas permis d'identifier de définition officielle de ce concept de « gestation » dans la réglementation, la jurisprudence ou même les sites d'information grand public. Une marge d'appréciation de la part du corps médical semble donc exister pour apprécier le délai légal.

Enfin, aux États-Unis, chaque État fédéré est compétent pour adapter le cadre général d'autorisation de l'IVG fixé par l'arrêt de la Cour suprême Roe vs. Wade . Ainsi, non seulement les délais varient très fortement d'un État à l'autre (de 18 semaines à aucun délai) mais aussi leur modalité de comptabilisation. Par exemple, la Virginie et le Kansas fixent le délai limite pour avorter à compter des dernières règles (semaines d'aménorrhée), le Texas et une majorité d'autres États à partir de la fécondation et le Massachussetts à partir de l'implantation (nidation) du foetus.

Source : Division de la législation comparée de la direction de l'initiative parlementaire et des délégations

En outre, la durée du délai légal d'accès à l'IVG ne semble pas avoir d'impact sur la proportion des IVG par rapport au nombre de naissances. Comme le rappelle le comité consultatif national d'éthique pour les sciences de la vie et de la santé (CCNE) dans son avis 15 ( * ) du 8 décembre 2020 sur l'allongement du délai légal d'IVG, le nombre d'IVG rapporté annuellement au nombre total de naissances vivantes s'est établi en France à 0,31 en 2019, soit un ratio similaire à celui enregistré au Royaume-Uni et en Suède (0,32) qui ont pourtant des délais légaux d'accès à l'IVG significativement plus longs que le délai français. Le ratio français est même sensiblement supérieur au ratio espagnol (0,22) et au ratio néerlandais (0,18), alors que ces deux pays ont fixé un délai légal d'accès à l'IVG respectivement à la fin de la 14 e et de la 22 e semaine de grossesse.

2. Un système de soins qui n'offre pas de réponse adaptée aux femmes ayant dépassé le délai légal des douze semaines de grossesse

Le développement des IVG médicamenteuses , notamment en ville 16 ( * ) , a significativement bouleversé les équilibres entre les méthodes abortives. Les IVG instrumentales ne représentent désormais plus que 30 % du total des IVG réalisées. En outre, un peu plus de 25 % des IVG pratiquées dans l'hexagone l'ont été en dehors d'une structure hospitalière, cette part atteignant près de 42 % dans les DROM.

La rapporteure rappelle néanmoins que le développement de l'offre d'orthogénie médicamenteuse en ville et à l'hôpital ne doit pas s'envisager comme une solution de substitution aux insuffisances de l'offre en IVG instrumentale, au risque de compromettre la liberté de la femme dans le choix de la méthode abortive 17 ( * ) par la systématisation de la prescription d'une IVG médicamenteuse avant sept semaines de grossesse. Les femmes doivent pouvoir choisir elles-mêmes la méthode d'IVG qu'elles souhaitent et les deux options doivent leur être proposées.

L'enquête réalisée à la demande de la ministre des solidarités et de la santé par les ARS en 2019 sur les obstacles à l'accès à l'IVG fait état de « difficultés d'accès voire [de] refus ponctuels de prise en charge des IVG tardives », c'est-à-dire au-delà de 10 semaines de grossesse. Selon l'étude précitée de la Drees de 2020, les IVG tardives, réalisées entre les 10 e et 12 e semaines de grossesse, représenteraient 5 % des IVG pratiquées en 2017.

Dans sa contribution transmise à la rapporteure, le conseil national de l'ordre des sages-femmes rappelle qu'en 2018, 13 % des établissements publics n'ont pas réalisé d'IVG tardive et que cette proportion fait plus que doubler dans le secteur hospitalier privé qui affiche un taux de 30 % d'établissements n'ayant pas réalisé d'IVG tardive. L'IVG n'est donc pas partout un droit réel tel que la loi le garantit pourtant.

Selon des données communiquées par le CNOSF, le Planning familial comptabiliserait en 2018 pas moins de 45 hôpitaux où les IVG instrumentales ne sont plus réalisées après 12 semaines d'aménorrhée 18 ( * ) .

Les IVG de patientes résidant en France et réalisées à l'étranger au-delà du délai légal de la fin de la 12 e semaine de grossesse sont désormais une réalité de mieux en mieux objectivée.

Le CCNE situe le nombre de femmes se rendant au Royaume-Uni, aux Pays-Bas et en Espagne pour recourir à un avortement dans une fourchette de 1 500 à 2 000 en 2018 19 ( * ) .

Une étude de septembre 2020 montre qu'au sein d'un échantillon de 204 femmes 20 ( * ) s'étant rendues dans ces trois pays pour effectuer une IVG entre juillet 2017 et mars 2019, « 70 % d'entre elles ont fait le diagnostic de grossesse après 14 semaines d'aménorrhée pour diverses raisons incluant notamment l' irrégularité des cycles menstruels , l' absence de signes cliniques de grossesse et parfois la persistance des menstruations » 21 ( * ) . Par ailleurs, un rapport de l'inspection générale des affaires sociales de 2009 22 ( * ) relevait le niveau préoccupant des échecs contraceptifs , en rappelant que « 72 % des IVG sont réalisées par des femmes qui étaient sous contraception » et que « dans 42 % des cas, cette contraception reposait sur une méthode médicale, théoriquement très efficace (pilule ou stérilet) » 23 ( * ) .

Au-delà des situations de découverte tardive de la grossesse, d'autres facteurs peuvent expliquer l'impossibilité pour certaines femmes d'exercer leur droit à l'IVG dans le respect du délai légal :

- des changements notables peuvent intervenir dans la situation matérielle, sociale ou affective 24 ( * ) de la patiente à la fin ou au-delà du délai de 12 semaines de grossesse ;

- certaines femmes peuvent se voir proposer un rendez-vous bien trop tardif par rapport au terme de la grossesse, soit en raison d'un manque d'offre d'orthogénie , soit en raison d'une mauvaise prise en compte de l'urgence de la situation par les services d'orthogénie.

Outre le coût d'une IVG effectuée à l'étranger qui demeure à la charge de la femme enceinte - le CCNE évalue le montant des procédures d'IVG réalisées à l'étranger entre 800 et 950 euros, mais la consultation de sites de centres d'IVG espagnols fait apparaître des coûts variant de 300 euros à 2 200 euros selon la méthode et l'état d'avancement de la grossesse -, cette situation emporte des conséquences sanitaires potentiellement lourdes dès lors que l'intéressée ne bénéficie pas toujours d'un suivi médical à son retour en France pour prévenir d'éventuelles complications.

Par ailleurs, les données disponibles sur le nombre de femmes résidant en France et contraintes de recourir à une IVG à l'étranger ne tiennent pas compte d'une situation par nature délicate à objectiver : le nombre de grossesses non désirées mais poursuivies en raison de l'impossibilité pour la femme d'exercer son droit à l'IVG .

Enfin, le recours à une interruption médicale de grossesse (IMG) pour motif de détresse psychosociale ne constitue pas toujours une réponse adaptée à la situation dans laquelle se retrouvent des femmes n'ayant pu recourir à une IVG dans le respect du délai légal. Au-delà du caractère plus long et contraignant de la procédure d'IMG qui peut aggraver la souffrance psychique de la patiente, la décision de réaliser l'IMG échappe en grande partie à la femme : sa réalisation reste en effet subordonnée à l'appréciation de deux médecins, membres d'une équipe pluridisciplinaire 25 ( * ) , qui doivent attester de la mise en péril de la santé de la femme ou de l'existence d'une forte probabilité que l'enfant à naître soit atteint d'une affection particulièrement grave et incurable au moment du diagnostic.

L' article 1 er de la proposition de loi, qui prévoit un allongement du délai légal de recours à l'IVG de deux semaines, le rendant possible jusqu'à la fin de la 14 e semaine de grossesse, soit 16 semaines d'aménorrhée, répond à une nécessité sanitaire et sociale.

L'allongement du délai légal d'accès à l'IVG est désormais conforté par l'avis du CCNE du 8 décembre 2020.

Le CCNE estime en effet, dans son avis précité du 8 décembre 2020, que les conditions ne sont aujourd'hui pas pleinement réunies pour permettre à toutes les femmes d'exercer leur droit à l'IVG dans des conditions optimales, identifiant parmi ces conditions notamment « une information exhaustive et accessible à tous », « un accès équitable à l'IVG » et « une prise en charge dans des délais considérant la situation d'une femme choisissant d'avoir recours à l'IVG comme une situation d'urgence ».

Or le délai national moyen de 7,4 jours constaté entre la formulation de la première demande d'IVG et la réalisation effective de l'acte ne permet pas, selon le CCNE, « une prise en charge suffisamment rapide et les déficits d'information, d'éducation et d'égalité territoriale participent à rallonger le temps potentiel d'errance de la femme en amont même de sa première demande de rendez-vous ».

Soulignant qu'« il n'existe que peu, voire pas de différence entre 12 et 14 semaines de grossesse » et « en axant sa réflexion sur les principes d'autonomie, de bienfaisance, d'équité et de non malfaisance à l'égard des femmes », le CCNE a ainsi considéré qu'« il n'y a pas d'objection éthique à allonger le délai d'accès à l'IVG de deux semaines passant ainsi de 12 à 14 semaines de grossesse ». Le CCNE insiste néanmoins sur le fait que l'allongement du délai légal, s'il est mis en oeuvre, ne doit pas être envisagé comme un palliatif des déficiences de notre politique publique de santé reproductive mais doit s'accompagner de mesures propres à garantir une prise en charge la plus précoce possible des femmes désirant interrompre leur grossesse.


* 10 La grossesse est calculée en Suède à compter du premier jour des dernières règles, soit le même calcul qu'en France pour les semaines d'aménorrhée. Par conséquent, le délai de 18 semaines de grossesse correspond, en Suède, à l'équivalent de 18 semaines d'aménorrhée en France. Le délai peut être allongé à 22 semaines sous conditions, voire au-delà en fonction de la situation. Une disposition prévoit néanmoins que l'IVG ne peut être autorisée au-delà d'un stade pour lequel il y a lieu de considérer que le foetus est viable, en dehors d'une interruption pour motif médical.

* 11 Des IVG pour raisons médicales peuvent être réalisées jusqu'à 24 semaines de grossesse.

* 12 En théorie, l'IVG doit être justifiée par un risque pour la santé physique ou mentale de la femme, mais la plupart des médecins considèrent que la poursuite d'une grossesse non souhaitée représente un danger suffisamment sérieux pour la santé de la femme pour justifier l'IVG.

* 13 Fédération du Québec pour le planning des naissances ( http://www.fqpn.qc.ca/public/informez-vous/grossesse-non-planifiee/avortement/ ).

* 14 La coalition pour le droit à l'avortement au Canada, Statistiques - Avortement au Canada , mis à jour le 27 mars 2020.

* 15 Opinion du CCNE du 8 décembre 2020 sur l'allongement du délai légal d'accès à l'IVG de 12 à 14 semaines de grossesse, réponse à la saisine du ministre des solidarités et de la santé du 2 octobre 2020.

* 16 Les médecins libéraux sont autorisés à pratiquer une IVG médicamenteuse depuis 2004 et les sages-femmes depuis 2016.

* 17 Liberté de choix inscrite au deuxième alinéa de l'article L. 2212-1 du code de la santé publique.

* 18 Données rappelées dans la contribution du CNOSF adressée à la rapporteure.

* 19 Opinion du CCNE du 8 décembre 2020 sur l'allongement du délai légal d'accès à l'IVG de 12 à 14 semaines de grossesse, réponse à la saisine du ministre des solidarités et de la santé du 2 octobre 2020.

* 20 Dont 47 Françaises.

* 21 Données de l'étude de Zordo S., Zanini G., Mishtal J., Garnsey C., Ziegler A.-K., Gerdts C. (2020), « Gestational age limits for abortion and cross-border reproductive care in Europe: a mixed-methods study », BJOG , 25 septembre 2020, ( https://doi.org/10.1111/1471-0528.16534 ), reprises dans l'avis du CCNE du 8 décembre 2020.

* 22 Claire Aubin, Danièle Jourdain Menninger et Laurent Chambaud, Évaluation des politiques de prévention des grossesses non désirées et de prise en charge des interruptions volontaires de grossesse suite à la loi du 4 juillet 2001 , rapport de synthèse de l'inspection générale des affaires sociales, n° RM2009-112P, octobre 2009.

* 23 Équipe COCON, « Contraception: from accessibility to efficiency », Human Reproduction , Vol. 18, n° 5, 2003.

* 24 Perte d'emploi ou de logement, séparation, exclusion familiale, etc.

* 25 Prévue à l'article L. 2213-1 du code de la santé publique.

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