III. LE REFUS PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE DE LA PROROGATION DU RÉGIME DE SORTIE DE L'ÉTAT D'URGENCE SANITAIRE

La principale modification apportée au projet de loi lors de son examen en première lecture par l'Assemblée nationale consiste en la suppression de son article 3, qui prévoyait de prolonger jusqu'au 30 septembre 2021 la durée d'application du régime de sortie de l'état d'urgence sanitaire défini à l'article 1 er de la loi du 9 juillet 2000. Cette suppression a fait l'objet du plus large consensus parmi les députés , puisqu'elle résulte de l'adoption en commission d'amendements identiques du rapporteur, du groupe La République en marche, de Philippe Gosselin et plusieurs membres du groupe Les Républicains, de Danièle Obono et plusieurs membres du groupe La France insoumise, ainsi que de Paul Molac et Jean-Félix Acquaviva, membres du groupe Libertés et territoires. Le régime de sortie de l'état d'urgence sanitaire expirerait donc à la date actuellement prévue, soit le 1 er avril prochain - sans d'ailleurs avoir trouvé à s'appliquer jusque-là, sauf à ce qu'il soit mis fin dans l'intervalle à l'état d'urgence sanitaire sur tout ou partie du territoire national.

Par cohérence, les dispositions de l'article 5 étendant cette prolongation à l'ensemble du territoire de la République ont également été supprimées, et l'intitulé du projet de loi a été modifié 19 ( * ) .

IV. LA POSITION DE LA COMMISSION DES LOIS : ACCEPTER LA PROROGATION DE L'ÉTAT D'URGENCE SANITAIRE POUR UNE DURÉE RAISONNABLE, TOUT EN ADAPTANT SON RÉGIME

Dans la situation sanitaire actuelle, qui demeure très dégradée et porteuse d'incertitudes, l'esprit de responsabilité commande d'accorder au Gouvernement les pouvoirs exceptionnels qu'il sollicite pour combattre l'épidémie . Le Sénat ne les lui a jamais refusés , aussi un accord a-t-il été trouvé sans difficulté avec l'Assemblée nationale lors de l'instauration de l'état d'urgence sanitaire par la loi du 23 mars 2020, puis lors de la prolongation de ce régime par la loi du 11 mai 2020.

En revanche, le Sénat s'est opposé aux mesures d'affichage, comme l'instauration par la loi du 9 juillet 2000 d'un régime de sortie de l'état d'urgence sanitaire fort proche de celui de l'état d'urgence sanitaire lui-même , qu'il aurait été aussi expédient de maintenir en vigueur, sans d'ailleurs que les autorités de l'État aient obligatoirement et constamment à en exploiter toutes les potentialités - puisque au contraire les mesures de police sanitaire doivent, à tout instant et en tout lieu, être adaptées aux circonstances, strictement nécessaires et proportionnées.

Le Sénat s'est également opposé à ce que le Parlement soit trop longtemps dépossédé de la prérogative qui est la sienne d'autoriser la prolongation de régimes d'exception, à échéances régulières et en fonction de la situation du moment . C'est pourquoi il n'a pu accepter que la loi du 14 novembre 2020, d'une part, prolonge jusqu'au 16 février 2021 l'état d'urgence sanitaire, d'autre part, reporte au 1 er avril 2021 la date de caducité du régime de sortie de l'état d'urgence sanitaire, ce qui aurait pu permettre au Gouvernement de continuer à user de pouvoirs exceptionnels sans nouvelle habilitation législative pour une durée de quatre mois et demi.

Le rapporteur se félicite donc que le principal point d'achoppement qui aurait pu apparaître entre les deux assemblées, à propos du projet de loi actuellement en discussion, ait disparu lors de l'examen du texte par l'Assemblée nationale, puisque celle-ci a refusé la prolongation jusqu'au 30 septembre 2020 - pour huit mois ! - du régime « en trompe-l'oeil » 20 ( * ) de sortie de l'état d'urgence sanitaire .

Cela étant, la commission a apporté plusieurs modifications au texte soumis à son examen.

A. AJUSTER LE RÉGIME DE L'ÉTAT D'URGENCE SANITAIRE POUR EN ASSURER LA LISIBILITÉ ET LA ROBUSTESSE JURIDIQUE

La commission a accepté , à l'article 1 er , le report de la date de caducité des dispositions du code de la santé publique fixant le régime de l'état d'urgence sanitaire au 31 décembre prochain , dans l'attente de l'examen par le Parlement du projet de loi instituant un régime pérenne de gestion des urgences sanitaires . Il convient de rappeler, à cet égard, que ce report d'entraîne pas, par lui-même, le maintien en vigueur de l'état d'urgence sanitaire jusqu'à la fin de l'année : il devrait au contraire être prolongé par la loi au-delà de la date fixée à l'article 2, ou déclaré à nouveau par décret après son expiration.

En revanche, conformément à la position qui était la sienne lors de l'examen du précédent texte, la commission a adopté plusieurs modifications du régime de l'état d'urgence sanitaire , tel que défini par le code de la santé publique, afin notamment d'en assurer la lisibilité et la robustesse juridique ( amendement COM-27 du rapporteur à l'article 1 er ).

En premier lieu, la commission a modifié la rédaction du 6° du I de l'article L. 3131-15 de ce code, qui, en l'état, autorise le Premier ministre à « limiter ou interdire les rassemblements sur la voie publique ainsi que les réunions de toute nature », afin d' empêcher toute limitation des réunions dans les locaux d'habitation . Quoique la jurisprudence du Conseil constitutionnel ne soit pas tout à fait explicite sur ce point 21 ( * ) , il est vraisemblable qu'une telle limitation, même dans le but de limiter l'étendue d'une catastrophe sanitaire, porterait une atteinte disproportionnée aux droits et libertés constitutionnellement garantis, notamment le droit au respect de la vie privée et le droit de mener une vie familiale normale. Le Gouvernement s'est d'ailleurs rallié à la position du Sénat, puisque son projet de loi instituant un régime pérenne de gestion des urgences sanitaires écarte lui aussi expressément « toute réglementation des conditions de présence ou d'accès aux locaux à usage d'habitation ». La commission des lois a repris à l'identique cette rédaction suggérée par le Conseil d'État.

En deuxième lieu, la commission a supprimé le 8° du I du même article L. 3131-15 , qui permet au Premier ministre de « prendre des mesures temporaires de contrôle des prix de certains produits rendues nécessaires pour prévenir ou corriger les tensions constatées sur le marché de certains produits », à la seule condition d'en informer le Conseil national de la consommation (CNC). L'article L. 410-2 du code de commerce autorise déjà le Gouvernement à prendre des mesures de contrôle des prix , après avoir consulté ledit conseil, formalité qui ne paraît pas insurmontable dans le contexte actuel et qui garantit l'association des organisations professionnelles et des associations de consommateurs à la prise de décision. D'ailleurs, les dernières mesures de contrôle des prix des masques, gels et solutions hydro-alcooliques avaient été prises par un décret du 10 juillet 2020 22 ( * ) sur le fondement de ces dispositions de droit commun ; elles ne sont plus en vigueur depuis le 11 janvier dernier.

En troisième lieu, la commission a ajusté le régime des mesures de quarantaine et d'isolement , afin de tenir compte d'une réserve d'interprétation formulée par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2020-800 DC du 11 mai 2020. Elle a ainsi précisé que de telles mesures ne peuvent être prolongées au-delà d'une durée de quatorze jours que sur autorisation du juge des libertés et de la détention , dès lors qu'elles imposent à la personne concernée de demeurer à son domicile ou dans son lieu d'hébergement pendant une plage horaire de plus de douze heures par jour , ce qui conduit à les qualifier de mesures privatives de liberté.

Ces différentes modifications du régime de l'état d'urgence sanitaire ont été rendues applicables à Wallis-et-Futuna, en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie par l' amendement COM-31 du rapporteur à l'article 5.


* 19 L'intitulé, après avoir été modifié une première fois en commission des lois, l'a été une seconde fois en séance publique, par l'adoption d'un amendement du rapporteur. Le texte transmis s'intitule donc simplement : projet de loi prorogeant l'état d'urgence sanitaire .

* 20 Selon l'expression du rapporteur dans son précédent rapport, n° 540 (2019-2020), sur le projet de loi organisant la sortie de l'état d'urgence sanitaire .

* 21 Le Conseil constitutionnel a seulement énoncé que le pouvoir d'« ordonner la fermeture provisoire et réglementer l'ouverture, y compris les conditions d'accès et de présence, d'une ou plusieurs catégories d'établissements recevant du public ainsi que des lieux de réunion », prévu au 5° du I de l'article L. 3131-15 du code de la santé publique, ne s'étendait pas aux lieux de réunions. Cette considération, parmi d'autres, l'a fait conclure à la constitutionnalité de cette disposition. Voir la décision du Conseil constitutionnel n° 2020-800 DC du 11 mai 2020, cons. 22.

* 22 Décret n° 2020-858 du 10 juillet 2020 relatif aux prix de vente des gels et solutions hydro-alcooliques et des masques de type ou de forme chirurgicale à usage unique .

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