EXAMEN EN COMMISSION

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MERCREDI 5 MAI 2021

M. François-Noël Buffet , rapporteur . - La discussion sur ce projet de loi constitutionnelle a pris une tournure quelque peu inhabituelle.

D'ordinaire, notre démarche de législateur consiste d'abord à nous fixer des objectifs ; ensuite, à déterminer les effets juridiques propres à atteindre ces objectifs ; et, enfin seulement, à trouver la rédaction la plus appropriée pour produire ces effets juridiques.

En l'espèce, le Gouvernement nous propose de suivre la démarche inverse. Ayant fortement élagué les propositions de la Convention citoyenne pour le climat qui relevaient de la loi ordinaire ou du règlement, il veut ici se montrer fidèle à la promesse de les transmettre « sans filtre » en vue de leur adoption. C'est pourquoi il nous soumet un projet de révision constitutionnelle dont la rédaction est presque identique à l'une des recommandations de la Convention. Après la troisième phrase du premier alinéa de l'article 1 er de la Constitution, serait insérée une phrase ainsi rédigée : « Elle [La France] garantit la préservation de l'environnement et de la diversité biologique et lutte contre le dérèglement climatique. »

Les effets juridiques de cette rédaction sont très incertains, comme l'ont abondamment confirmé nos auditions.

Par voie de conséquence, la discussion s'est focalisée sur le sens des mots choisis par le Gouvernement et l'interprétation que pourraient en donner les juridictions. Au lieu d'être politique, notre débat est sémantique...

Ce débat est, en outre, passablement embrouillé, le Gouvernement lui-même entretenant la confusion sur la portée juridique du texte qu'il propose par des déclarations soit manifestement erronées, soit contradictoires, soit obscures.

Nous sommes tous attachés à la protection de l'environnement, mais nous ne pouvons pas voter un texte à l'aveugle.

Contrairement à ce que prétend le Gouvernement, le projet de révision ne créerait pas de toutes pièces une obligation d'agir pour la protection de l'environnement incombant aux pouvoirs publics. Le droit constitutionnel en vigueur leur assigne déjà de fortes obligations en la matière. Ainsi, le législateur a l'obligation d'assortir de garanties suffisantes le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé, consacré à l'article 1 er de la Charte de l'environnement. Par ailleurs, les personnes publiques ont, comme toute autre personne, le devoir de prendre part à la préservation et à l'amélioration de l'environnement, prévu à l'article 2 de la Charte. Enfin, les pouvoirs publics ont l'obligation de mettre en oeuvre l'objectif de valeur constitutionnelle de protection de l'environnement en tant que patrimoine commun des êtres humains, dégagé par le Conseil constitutionnel du préambule de la Charte.

À ce propos, je me dois d'indiquer que le Gouvernement a tort d'affirmer qu'un objectif de valeur constitutionnelle n'emporte aucune obligation.

Comme cela a été fermement établi par la doctrine, à la lumière de la jurisprudence constitutionnelle et administrative, les objectifs de valeur constitutionnelle ont pleine valeur normative : ils ont à la fois une fonction d'obligation, d'interdiction et de permission. Les pouvoirs publics ont notamment l'obligation de « mettre en oeuvre », de « réaliser » ou de « contribuer à la réalisation » de ces objectifs, selon les termes du Conseil constitutionnel.

Il me semble également important d'insister sur le fait que la portée juridique d'une obligation dépend non seulement de son contenu, mais aussi de sa justiciabilité.

La Constitution, je l'ai dit, assigne déjà de fortes obligations aux pouvoirs publics en matière de protection de l'environnement. Toutefois, le législateur n'est pas placé à cet égard dans la même position que les autorités administratives nationales ou locales.

Le contrôle juridictionnel du respect, par le législateur, de ses obligations constitutionnelles est limité. Le Conseil constitutionnel n'exerce son contrôle que lorsqu'il est saisi d'une loi, et la seule sanction qu'il est habilité à prononcer - la déclaration d'inconstitutionnalité - consiste à empêcher une loi d'entrer en vigueur ou à imposer sa sortie de vigueur. En revanche, il ne dispose d'aucun pouvoir d'injonction qui lui permettrait de sanctionner une carence du législateur, et il n'est pas non plus habilité à condamner l'État à réparer les dommages causés par son action ou son inaction.

Ce constat doit néanmoins être relativisé. En effet, d'une part, le Conseil constitutionnel parvient à sanctionner indirectement les carences du législateur en contrôlant que celui-ci a épuisé sa compétence et qu'en modifiant l'état du droit il n'a pas privé de garanties légales des exigences constitutionnelles. D'autre part, l'application d'une loi déclarée inconstitutionnelle par le Conseil engage désormais la responsabilité de l'État devant la juridiction administrative.

Par ailleurs, le juge administratif est pleinement en mesure d'assurer le respect des principes constitutionnels par les autorités administratives.

Ces mises au point étant faites, il nous reste à examiner si, oui ou non, l'obligation assignée aux pouvoirs publics par les nouvelles dispositions proposées va au-delà des obligations qui leur incombent d'ores et déjà.

Le Gouvernement prétend d'abord que son texte faciliterait l'engagement de la responsabilité des personnes publiques, notamment l'État et les collectivités territoriales, en mettant à leur charge une « quasi-obligation de résultat ». Cela résulterait en particulier de l'usage du verbe « garantir ».

Le Gouvernement s'abrite ici derrière l'avis du Conseil d'État. Mais si le Conseil d'État a lui-même employé cette expression, ce n'est pas pour fixer l'interprétation des dispositions proposées, mais, au contraire, pour en souligner le caractère incertain. La notion de « quasi-obligation de résultat » n'a jamais été définie en droit.

En droit civil comme en droit administratif, le mot « garantie » est employé pour désigner des dispositifs juridiques très divers, mais qui visent tous à prémunir contre un risque : ces dispositifs visent à assurer à une ou plusieurs personnes, pour le cas où un événement préjudiciable surviendrait, la réparation du préjudice qui en résulterait, en palliant les insuffisances des règles de responsabilité contractuelle ou extracontractuelle de droit commun.

Par exemple, en droit des contrats, « l'obligation de garantie » va au-delà de « l'obligation de résultat », puisque le débiteur ne peut même pas s'exonérer en cas de force majeure.

Du point de vue de la responsabilité des personnes publiques, les dispositions proposées par le Gouvernement se prêtent ainsi à trois interprétations principales.

Selon une première interprétation, l'État et les autres personnes publiques s'obligeraient à réparer tout dommage causé à l'environnement ou à la diversité biologique, quelle qu'en soit la cause. L'institution d'une telle garantie, au sens propre du terme, serait aberrante, les personnes publiques françaises n'ayant tout simplement pas les moyens de l'assumer.

Selon une deuxième interprétation, l'État et les autres personnes publiques s'obligeraient à réparer tout dommage de leur fait ou qu'ils auraient pu empêcher. Cet objectif n'est que partiellement satisfait par le droit en vigueur, puisque les obligations issues de la Charte de l'environnement doivent aujourd'hui être conciliées - j'insiste sur cette notion de conciliation - dans l'action des pouvoirs publics avec les autres exigences constitutionnelles ou d'intérêt général.

Selon une troisième interprétation, l'État et les autres personnes publiques s'obligeraient à réparer tout dommage causé par un manquement à l'obligation de ne rien faire qui porte atteinte à l'environnement et de faire tout ce qui est en leur pouvoir pour empêcher qu'il lui soit porté atteinte, sous réserve des autres exigences constitutionnelles et d'intérêt général. Un tel objectif est, cette fois, pleinement satisfait par le droit en vigueur, sous la seule réserve des limites fixées au contrôle juridictionnel d'éventuelles carences du législateur.

La même incertitude peut être observée en ce qui concerne les effets de la rédaction proposée sur la validité des actes des pouvoirs publics, c'est-à-dire sur le contrôle de constitutionnalité des lois et le contrôle de légalité des actes administratifs.

Les principes constitutionnels relatifs à la protection de l'environnement sont susceptibles d'entrer en conflit avec d'autres exigences constitutionnelles ou d'intérêt général, auquel cas il appartient au législateur et, dans leur domaine de compétence, aux autorités administratives de les concilier, sous le contrôle du juge. L'article 6 de la Charte de l'environnement pose, en outre, un principe spécial de conciliation entre la protection et la mise en valeur de l'environnement, le développement économique et le progrès social, conformément à une définition englobante du développement durable.

Quelle serait, à cet égard, l'incidence du projet de loi constitutionnelle ?

Le Gouvernement déclare que l'un des objectifs du texte est de « rehausser la place de la préservation de l'environnement dans notre Constitution », mais il précise par ailleurs que « rehaussement ne signifie pas hiérarchie ». « Le Gouvernement n'entend pas introduire une échelle de valeurs entre les principes constitutionnels qui, demain comme hier, seront tous de valeur égale. » Il ne nous aide pas à y voir clair...

En réalité, il convient de distinguer deux formes de hiérarchie matérielle entre des normes : la priorité d'une norme sur l'autre, au sens où la seconde ne peut recevoir un commencement d'application qu'à condition que la première soit intégralement satisfaite ; la prépondérance d'une norme sur l'autre, au sens où il est donné plus de poids à la première qu'à la seconde dans leur conciliation.

En l'état du droit, il n'existe effectivement aucun ordre de priorité entre les principes de fond posés par la Constitution. En revanche, il serait aventureux d'affirmer qu'aucun de ces principes n'a plus de poids que les autres. La doctrine s'est souvent essayée à dégager une liste de droits, libertés ou autres principes de premier rang, bénéficiant d'une protection renforcée du juge constitutionnel. L'intensité du contrôle de proportionnalité opéré par le Conseil constitutionnel varie, par exemple, selon le principe auquel il est porté atteinte.

Si l'on en croit les déclarations entendues, le projet de révision aurait seulement pour objectif de « donner plus de poids » au principe de préservation de l'environnement par rapport aux autres normes constitutionnelles. Cela résulterait de son inscription à l'article 1 er de la Constitution, de l'emploi de « verbes d'action forts » et de l'adoption éventuelle de cette révision constitutionnelle par référendum. Ces différentes considérations sont tout à fait hasardeuses.

En revanche, l'usage du verbe « garantir » peut laisser à penser que les pouvoirs publics se verraient imposer non pas seulement une obligation constitutionnelle plus forte, mais une obligation prioritaire. Lors de son audition, le professeur Bertrand Mathieu s'est plus particulièrement interrogé sur l'articulation des nouvelles dispositions avec l'article 6 de la Charte de l'environnement. Selon lui, le fait que la « conciliation des objectifs environnementaux, sociaux et économiques » ne soit pas mentionnée pourrait éventuellement « conduire le juge constitutionnel à glisser d'une conciliation à une hiérarchisation ».

Nous ne pouvons pas accepter de voter un texte dont les effets juridiques sont aussi incertains. Cela reviendrait, pour le Parlement agissant en tant que Constituant, à se défausser entièrement sur le juge du soin de déterminer la portée des nouvelles dispositions.

C'est pourquoi je propose de retenir la rédaction suggérée par le Conseil d'État, qui supprime toute référence à la notion de garantie, dont le sens est ici beaucoup trop flou, et qui remplace le verbe « lutter » par le verbe « agir ». Cela ne change rien au fond, mais c'est plus sobre d'un point de vue rhétorique. La préservation des équilibres climatiques mérite mieux que des effets de manche.

Il faudrait également préciser que le principe ainsi énoncé à l'article 1 er de la Constitution s'applique dans les conditions prévues par la Charte de l'environnement, afin d'éviter tout problème d'articulation entre les deux textes.

Mon amendement vise donc à rédiger ainsi l'article unique : « Elle préserve l'environnement ainsi que la diversité biologique et agit contre le dérèglement climatique, dans les conditions prévues par la Charte de l'environnement de 2004 . »

M. Guillaume Chevrollier , rapporteur pour avis de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable . - La commission de l'aménagement du territoire et du développement durable a adopté le même amendement hier. L'introduction dans la Constitution des références à la diversité biologique et au dérèglement climatique a une valeur symbolique et politique forte. Mais nous partageons l'analyse de votre rapporteur quant aux risques juridiques. La Charte de l'environnement, fondée sur la conciliation et non la hiérarchisation, est équilibrée.

M. Philippe Bas . - Je souscris totalement aux analyses, aux conclusions et à la proposition du rapporteur, qui n'a rien laissé dans l'ombre.

Que reste-t-il de ce projet de révision constitutionnelle une fois que l'on en a retiré le venin ? On peut se le demander... Néanmoins, cet amendement est un témoignage de bonne volonté. Il répond aussi à une exigence politique : marquer la préoccupation que doit exprimer le Sénat pour la protection de la planète. Et puisque le marqueur politique ultime, aujourd'hui, consiste à ajouter une nouvelle disposition aux principes fondamentaux de la Constitution, pourquoi pas.

Toutefois, je retiendrai de cet épisode une nouvelle manifestation du cynisme en politique. Tout s'est effectué au mépris du fonctionnement normal des institutions démocratiques. L'affirmation selon laquelle les membres de la prétendue Convention citoyenne, sorte de « comité de salut public 3.0 », auraient été tirés au sort est mensongère. Ils ont été sélectionnés conformément aux méthodes en vigueur dans les organismes de sondages : des catégories plus ou moins représentatives de la population ont été déterminées, et c'est seulement au sein de chacune d'elles que le hasard est intervenu. D'ailleurs, la plupart des personnes sollicitées se sont récusées. Du point de vue de la représentativité, cette instance relève d'une véritable imposture. L'autoproclamation de légitimité de ses membres est un scandale démocratique.

Le Président de la République, à l'origine de ce processus toxique pour le fonctionnement de la démocratie, avait dit que les propositions de la Convention seraient reprises sans filtre. C'est en effet le cas. Pour un chef d'État, reprendre sans filtre les propositions d'une instance illégitime et les introduire dans le texte constitutionnel est une véritable abdication. Ne pas défendre les principes fondamentaux du fonctionnement des institutions républicaines illustre une totale abolition de l'esprit critique.

Notre réunion d'aujourd'hui marque le retour au fonctionnement normal des institutions. En prévoyant que notre texte fondamental ne pourrait pas être révisé sans un vote préalable des deux assemblées, le Constituant de 1958 a fait preuve de discernement. En outre, le Sénat est une assemblée libre, indépendante, non alignée. Notre responsabilité est essentielle. Nous devons brandir haut et fort notre drapeau, celui de la défense des principes de la République.

Quelle politique écologique voulons-nous ? Une écologie dogmatique, de la décroissance, qui fait prévaloir la préservation de l'environnement sur toute autre considération, dont le développement économique et le progrès social ? Ou une politique de développement durable, défini à l'article 6 de la Charte de l'environnement comme la conciliation entre la protection de l'environnement, le développement économique et le progrès social ? Si nous voulons rompre avec cette recherche d'équilibre, prenons le texte du Gouvernement et acceptons le saut dans l'inconnu consistant à remettre les clés du pouvoir législatif en matière d'environnement au Conseil constitutionnel. C'est l'écologie radicale, l'écologie de la décroissance, qui triomphera.

Au-delà du débat juridique, alors que la question du réchauffement climatique est devenue prégnante, c'est à ce niveau-là qu'il faut situer l'enjeu.

Mme Agnès Canayer . - La jurisprudence du Conseil constitutionnel est constante depuis 1971. Les principes constitutionnels ne sont pas hiérarchisés mais doivent être conciliés.

La Constitution de 1958 repose sur un équilibre subtil : le texte est rigide dans sa révision, mais souple dans son interprétation. Il a su intégrer un certain nombre de réformes structurelles : décentralisation, construction européenne, etc. Cet équilibre subtil ne doit pas être remis en cause, même si - nous en sommes tous convaincus ici - la protection de l'environnement est un enjeu fondamental. Je me félicite de la solution retenue par le rapporteur.

On a laissé entendre que la Charte de l'environnement ne pouvait pas servir de base à des questions prioritaires de constitutionnalité (QPC). Est-ce bien le cas ?

M. Philippe Bonnecarrère . - La protection de l'environnement fait déjà partie du bloc de constitutionnalité. Nombre de constitutionnalistes s'interrogent sur l'apport que pourrait représenter la révision proposée. Elle ne serait opérationnelle qu'en cas de changement de hiérarchie des normes juridiques, mettant en cause le principe de conciliation visé à l'article 6 de la Charte de l'environnement. Ce serait extrêmement périlleux.

La rédaction proposée par le rapporteur, qui s'inscrit dans une logique de conciliation même si le mot n'est pas employé, présente plusieurs avantages.

D'abord, la société occidentale s'est construite selon une logique de progrès scientifique, social et économique. La croissance doit être durable. N'instituons pas une hiérarchie des règles juridiques qui pourrait nous conduire à un modèle de décroissance.

Ensuite, la proposition du rapporteur permet d'en rester aux droits de la personne humaine. La conception occidentale donne une définition strictement individuelle à nos droits, là où d'autres pensent que la notion de droit doit être interprétée de manière collective : il existerait des droits « subjectifs » et des droits « objectifs ». La conception française est à l'évidence une conception de droits subjectifs. Si des droits objectifs, ceux de l'environnement, devenaient supérieurs aux droits subjectifs, notamment les droits de l'homme, ce serait une modification complète de notre conception, voire un danger pour la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

M. Éric Kerrouche . - J'ai trouvé l'intervention de Philippe Bas consternante. Si certaines questions sur la représentativité de la Convention citoyenne sont légitimes, considérer que les citoyens, une fois correctement informés, ne seraient pas suffisamment intelligents pour élaborer collectivement des orientations me semble relever d'une conception pour le moins curieuse de la démocratie.

En revanche, je rejoins certaines des remarques de forme. La tactique politique du Gouvernement nous éloigne beaucoup du fond. Lors de nos auditions, je songeais à la formule de Jean Giraudoux selon laquelle le droit est « la plus puissante des écoles de l'imagination ».

Nous nous sommes focalisés sur un débat de pharisiens, en nous interrogeant sur les termes, et non sur le fond. Monsieur le rapporteur, vous avez omis de mentionner Dominique Rousseau qui, lors de son audition, avait insisté sur l'autonomie des significations entre les différents versants du droit. La portée du verbe « garantir » n'est pas la même en droit constitutionnel, en droit civil ou en droit pénal.

D'autres personnes auditionnées ont souligné l'intérêt qu'il y aurait à voter cette révision essentiellement symbolique pour placer la France parmi les pays du Nord qui affichent une nouvelle volonté en matière de lutte contre le dérèglement climatique.

En fait, ce n'est pas nous qui sommes directement concernés par ce texte. La question est simple : voulons-nous ou non laisser les Français s'exprimer ? Les priver de cette parole putative est un choix politique.

Vous avez indiqué vouloir corriger des difficultés qui viendraient du texte du Gouvernement. Mais comme vous avez repris les termes « préserver » et « agir », nous allons retomber dans les mêmes débats sémantiques.

La Charte de l'environnement est-elle suffisante ? Regardons autour de nous, écoutons les personnes que nous avons auditionnées et observons la disparition de la biodiversité. Manifestement, au-delà des protections qui existent, les textes ne sont pas assez forts. Perdre de vue la finalité serait une erreur.

Notre groupe regrette que la notion de « biens communs » ne soit pas prise en compte dans le cadre du projet de révision constitutionnelle. Cette notion correspond à une vision universaliste du développement en France et dans le monde.

Mme Éliane Assassi . - J'ai également été un peu choquée par les propos de Philippe Bas. La Convention citoyenne, quoi que l'on en pense, a tout de même produit des idées pertinentes. Ce que l'on peut regretter, c'est l'utilisation politicienne qui en a été faite par le Président de la République, suscitant d'ailleurs la colère de nombreux membres.

Selon le Gouvernement, la modification de l'article 1 er de la Constitution instaure un principe d'action positif. En réalité, ce texte n'apportera rien à l'existant. Aucune obligation de résultat ne pèsera sur les pouvoirs publics. Il s'agit donc d'une mention inutile, la Charte de l'environnement ayant déjà - cela a été rappelé - une valeur constitutionnelle. Je pourrais également évoquer la jurisprudence du Conseil constitutionnel ou les engagements internationaux de la France, sur lesquels se fonde, par exemple, le recours administratif contre l'État pour carence fautive dans ce que l'on a appelé « l'affaire du siècle ».

L'opposition entre les verbes « garantir » et « favoriser » est un faux débat. D'autres évolutions constitutionnelles ou législatives auraient pu avoir un effet réel et direct pour la protection de l'environnement et la lutte contre le changement climatique. La Charte de l'environnement pourrait être complétée par les principes de « solidarité écologique », d'« utilisation durable des ressources » et, surtout, de « non-régression ».

L'amendement du rapporteur ne me convient donc pas plus que le texte original. Face à l'urgence climatique et à la défense du climat, nous sommes loin du compte.

M. Jean-Pierre Sueur . - Si je partage les réticences du rapporteur quant au projet de révision constitutionnelle, je ne peux que constater que le texte qu'il nous propose est une aporie. Il y est indiqué qu'il faut préserver l'environnement, conformément à la Charte de l'environnement. Or celle-ci a déjà valeur constitutionnelle. Quel est l'intérêt d'inscrire dans la Constitution qu'une disposition à valeur constitutionnelle s'applique ? Je suis sceptique sur cette rédaction.

M. Thani Mohamed Soilihi . - Nous sommes, je le crois, tous d'accord sur un point : notre planète est en danger, et il faut la préserver. Si les dispositions actuelles étaient suffisantes, cela se saurait. Il faut donc aller plus loin et tenter une action forte. C'est l'objectif du présent projet de révision constitutionnelle.

Ce texte reprend une proposition de la Convention citoyenne pour le climat approuvée par une large majorité de ses membres. Le Président de la République s'était engagé à donner suite aux travaux de celle-ci, qui ont constitué la première étape. Nous sommes en train de travailler sur la deuxième. La troisième serait, le cas échéant, le référendum. Beaucoup de nos concitoyens manifestent pour avoir la parole. Il est important de la leur donner. Le processus n'est peut-être pas parfait, mais c'est une manière supplémentaire d'engager les citoyens dans une démarche démocratique.

La préservation de l'environnement deviendrait un principe constitutionnel, et non plus seulement un objectif à valeur constitutionnelle. Un principe d'action positif des pouvoirs publics en faveur de l'environnement serait instauré, et le dérèglement climatique explicitement mentionné dans la Constitution.

Si l'emploi du verbe « garantir » ne fait pas consensus, le Gouvernement a retenu une position médiane. Comme cela a été rappelé durant nos auditions, le terme figure déjà à l'article 11 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, en vertu duquel la Nation « garantit à tous, notamment à l'enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs ».

Le projet de révision constitutionnelle est à nos yeux équilibré. Nous n'irons pas dans le sens suggéré par le rapporteur, malgré le brio de son analyse.

M. Guy Benarroche . - Mon sentiment est mitigé. Tout le monde prétend avoir conscience que la planète est en danger et qu'il faut la sauver, ce qui est une nouveauté. Mais quels moyens mettons-nous en oeuvre pour sauver la planète ? Nous refusons d'admettre qu'il y a des priorités et de prendre les mesures nécessaires.

Nous devrions laisser les citoyens débattre et se prononcer par référendum. Or nous allons les en empêcher, au nom d'arguments sémantiques.

Philippe Bas a raison de parler de cynisme politique. Mais le cynisme est partagé : le Président de la République a voulu faire un instrument politique de ce texte, et d'autres font de même aujourd'hui.

Il y aurait plusieurs écologies. Pour ma part, je n'en connais qu'une : celle qui permet à la fois le développement économique, le progrès social et la sauvegarde de la planète. Certains invoquent l'épouvantail de la décroissance sans préciser de quelle croissance il s'agit. Nous sommes tous pour la décroissance des émissions de gaz à effet de serre ou de l'utilisation d'énergies fossiles.

En fait, il y a une sorte de peur du changement.

Nous ne voterons pas l'amendement du rapporteur. La modification de l'article 1 er de la Constitution est une nécessité à la fois juridique et symbolique.

Lors de son audition, Bertrand Mathieu a indiqué que l'emploi du verbe « garantir » ne changeait pas la nature des protections constitutionnelles. Éric Kerrouche a rappelé les propos de Dominique Rousseau sur l'utilisation de ce verbe en droit. Et, comme l'a souligné Thani Mohamed Soilihi, le terme figure déjà dans le Préambule de 1946. Faisons confiance au juge pour arbitrer entre plusieurs principes constitutionnels.

Malgré le cynisme, malgré l'épouvantail de la décroissance, malgré la peur du changement, il est nécessaire de proposer aux citoyens français de passer à une étape supérieure. Ajouter dans la Constitution une garantie de préserver la planète et de lutter contre le dérèglement climatique y contribuera.

Mme Cécile Cukierman . - Il est indispensable de respecter l'exercice démocratique, dont l'acte de référendum. Il ne faut pas instrumentaliser les citoyens sous prétexte de leur demander leur avis. On ne peut pas se satisfaire que le Gouvernement retienne aujourd'hui certaines propositions de la Convention, organise un référendum sur l'une d'elles et balaye les autres d'un revers de main.

Il existe une urgence climatique, environnementale, comme il existe une urgence en matière d'égalité sociale. Il ne suffit pas d'écrire une chose dans la Constitution pour qu'elle devienne réalité.

L'ajout d'une phrase à l'article 1 er de la Constitution répond à une aspiration un peu populiste. Elle permet de contenter certains, et ceux qui dirigeront demain le pays pourraient s'en satisfaire pour ne pas agir plus contre le dérèglement climatique. Or il existe déjà des moyens d'agir, dont la Charte de l'environnement.

L'article 11 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 dispose que la Nation garantit aussi les « loisirs ». Peut-on se gargariser de garantir constitutionnellement les loisirs quand nombre de familles ont du mal à nourrir leurs enfants dès le 10 du mois ?

La manoeuvre du Président de la République et du Gouvernement, qui consiste à utiliser le référendum à des fins peu respectueuses du pacte démocratique, ne changera rien en matière d'environnement et de climat si la volonté politique n'est pas au rendez-vous.

M. Patrick Kanner . - Nous pourrions parler longuement de la différence entre droits réels et droits formels, selon la formule de Karl Marx...

Il faut ici distinguer le texte et le contexte.

Le texte, c'est un projet de révision constitutionnelle voté par l'Assemblée nationale avec beaucoup d'abstentions dans tous les groupes, signe que les interrogations de fond et de forme étaient nombreuses. Ce texte est imparfait, mais nous ne sommes pas certains que la rédaction proposée par le rapporteur soit meilleure. Nous ne participerons donc pas au vote de ce matin. Le 10 décembre dernier, notre groupe défendait une proposition de révision constitutionnelle relative à la préservation des biens communs. Seuls quatre-vingt-douze sénatrices et sénateurs, tous de la gauche de l'hémicycle, ont voté ce texte. Cela montre aussi les limites de l'engagement des uns et des autres.

Le contexte est celui d'un piège tendu par le Président de la République, qui a annoncé vouloir interroger les Français sur cette révision constitutionnelle, suggérant que, s'il n'y avait pas de référendum, ce serait à cause de l'obstruction du Sénat. Je trouve regrettable de faire de la tactique électorale sur de tels sujets.

Nous devons nous interroger sur le vote que nous émettrons en séance. Un enjeu aussi grave mérite bien mieux qu'une certaine forme de tambouille politique.

M. François-Noël Buffet , rapporteur . - Nous sommes saisis d'un texte dont nous n'avons pas pris l'initiative. Nous avons le devoir de nous positionner.

Les auditions que nous avons menées ont mis en lumière les divergences d'opinion quant à la rédaction proposée. Elles ont surtout montré à quel point l'interprétation à donner du verbe « garantir » est douteuse. La décision que nous devons prendre dans ce contexte est d'autant plus importante qu'il s'agit de modifier la Constitution. Je me refuse, pour ma part, à constitutionnaliser le doute, en cherchant à concilier le symbole et le droit ! Il faut se départir de la mode consistant à utiliser la Constitution comme un outil de communication.

Le verbe « garantir », je l'ai dit, est porteur d'insécurité juridique. Il risque notamment d'introduire une forme de hiérarchisation entre différents principes constitutionnels. Nous devons trouver une rédaction permettant de réaffirmer notre volonté de préserver l'environnement, objectif auquel nous souscrivons sous réserve du respect du principe de conciliation figurant à l'article 6 de la Charte de l'environnement.

Madame Canayer, l'article 1 er de la Charte de l'environnement, qui consacre le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé, est invocable en QPC. Il en va de même de plusieurs autres dispositions de la Charte, qui constituent le corollaire de ce droit.

J'ai essayé de faire en sorte de ne pas nous engager dans une aventure juridique contraire à l'objectif d'équilibre entre préservation de l'environnement, développement économique et progrès social. L'introduction d'une référence au climat dans la Constitution est une véritable avancée.

Examen de l'article unique

Mme Catherine Di Folco , présidente . - Je rappelle que, dans le cadre de l'examen d'un projet de loi constitutionnelle, la commission saisie au fond n'établit pas le texte. C'est donc le texte du Gouvernement qui sera examiné en séance, même si nous adoptons l'amendement.

M. Jean-Pierre Sueur . - Le groupe socialiste, écologiste et républicain ne prendra pas part au vote.

L'amendement LOIS.1 est adopté .

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