EXAMEN DES ARTICLES

Article premier
Action de groupe en matière de recours abusif
à des travailleurs indépendants

Cet article propose d'étendre la procédure d'action de groupe au cas de recours par une entreprise à des travailleurs dont l'indépendance serait fictive.

La commission n'a pas adopté cet article.

I - Le dispositif proposé

A. L'action de groupe , un droit des consommateurs
progressivement étendu à d'autres domaines

L'action de groupe, introduite en France par la loi « Hamon » du 17 mars 2014 11 ( * ) , est une procédure de poursuite collective qui permet à plusieurs consommateurs , victimes d'un même préjudice de la part d'un professionnel, de se regrouper et d'agir en justice. Les plaignants peuvent ainsi se défendre avec un seul dossier et un seul avocat. L'action doit être introduite en justice par une association de consommateurs agréée.

La loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé 12 ( * ) a par ailleurs introduit une action de groupe en matière de santé . Les associations agréées d'usagers du système de santé peuvent ainsi intenter des actions de groupe en cas de manquement d'un producteur ou d'un fournisseur de certains produits de santé ou en cas de manquement d'un prestataire utilisant l'un de ces produits.

La loi du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXI e siècle 13 ( * ) a ensuite créé un cadre légal commun aux actions de groupe , à l'exception de celles liées aux litiges en matière de consommation, et étendu cette procédure aux litiges en matière environnementale, en matière de protection des données personnelles et en matière de discriminations subies au travail ou dans l'obtention d'un stage ou d'un emploi.

Enfin, la loi « ELAN » du 23 novembre 2018 14 ( * ) a ouvert l'action de groupe à la réparation des préjudices collectifs subis par les consommateurs à l'occasion de la location d'un bien immobilier .

Selon un rapport d'information des députés Philippe Gosselin et Laurence Vichnievsky en date du 11 juin 2020, le bilan de cette nouvelle procédure est modeste malgré l'élargissement progressif de son champ d'application : seules 21 actions de groupe ont été intentées depuis 2014, dont 14 dans le domaine de la consommation, 3 dans le domaine de la santé, 2 dans le domaine des discriminations et 2 dans le domaine de la protection des données personnelles. Aucune entreprise n'a encore vu sa responsabilité engagée . Trois actions en matière de consommation ont cependant obtenu une issue positive : deux actions ont fait l'objet d'un règlement amiable homologué et une action a fait l'objet d'une transaction à la suite de laquelle l'association s'est retirée 15 ( * ) .

Une procédure en trois phases

La procédure de l'action de groupe comprend trois phases :

- après avoir vérifié que les conditions d'une action de groupe sont remplies, le juge statue d'abord sur la responsabilité du défendeur . Il définit le groupe de personnes à l'égard desquelles la responsabilité du défendeur est engagée en fixant les critères de rattachement au groupe et détermine les préjudices susceptibles d'être réparés pour chacune des catégories de personnes constituant le groupe. Il fixe également le cadre du déroulement de la suite de la procédure, c'est-à-dire les mesures de publicité de la décision, les modalités et le délai d'adhésion au groupe ainsi que les conditions d'indemnisation des personnes ayant adhéré ;

- les personnes ayant adhéré au groupe adressent une demande de réparation à la personne déclarée responsable par le jugement. La loi du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXI e siècle prévoit que la réparation peut intervenir dans le cadre d'une procédure individuelle ou, dans certains cas et sur demande de l'association, d'une procédure collective de liquidation des préjudices. Le juge peut être saisi en cas de difficultés résultant de l'application du jugement ;

- la procédure se termine par un jugement soit constatant l'extinction de l'instance, soit liquidant les préjudices.

Dans le cadre fixé par la loi du 18 novembre 2016, et sauf si elle est exercée dans le domaine de la santé, l'action de groupe doit être précédée d'une mise en demeure du défendeur par l'association de cesser ou faire cesser le manquement ou de réparer les préjudices subis. L'action de groupe ne peut être introduite que passé un délai de quatre mois après cette mise en demeure à peine d'irrecevabilité 16 ( * ) .

Le rapport Gosselin-Vichnievsky relève que les praticiens, confrontés aux conditions restrictives de l'action de groupe, ont continué de privilégier la mise en oeuvre d'actions collectives , qui regroupent des plaintes individuelles sous forme d'actions conjointes ou d'actions en représentation conjointe, qui permettent notamment un traitement coordonné et une mutualisation du coût des procédures. Ainsi des plateformes en ligne d'avocats se sont-elles spécialisées dans la mise en oeuvre de telles actions collectives.

B. L'extension de l'action de groupe à une nouvelle matière

Le présent article crée un nouvel article au sein du code de commerce tendant à ouvrir l'action de groupe aux préjudices subis par plusieurs travailleurs placés dans une situation similaire du fait du « recours à un statut fictif de travailleur indépendant » par une entreprise .

Une telle action de groupe pourrait être exercée :

- par des organisations syndicales ayant pour objet la défense de travailleurs indépendants ;

- comme pour l'action de groupe en matière de discrimination 17 ( * ) , par des organisations syndicales représentatives au niveau de l'entreprise, au niveau de la branche ou au niveau national et interprofessionnel ;

- par toute association ayant au moins deux ans d'ancienneté et intervenant dans le domaine de la défense des travailleurs indépendants.

La liste des personnes ayant qualité à agir est donc définie de manière relativement large . En effet, dans le cadre général des procédures d'action de groupe, seules les associations agréées et les associations régulièrement déclarées depuis cinq ans au moins dont l'objet statutaire comporte la défense d'intérêts auxquels il a été porté atteinte peuvent exercer une telle action 18 ( * ) .

Une telle action de groupe pourrait avoir pour but soit la cessation du manquement, notamment par la reconnaissance immédiate du statut de salarié aux travailleurs concernés, soit la réparation des préjudices subis, soit encore ces deux objectifs conjointement.

Sous ces réserves, le cadre fixé par la loi du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXI e siècle s'appliquerait aux actions ouvertes sur le fondement de cet article. En particulier, l'action devrait être introduite par une assignation devant le tribunal judiciaire , et non devant le conseil de prud'hommes qui est habituellement compétent en matière de contentieux de la requalification.

II - La position de la commission

Le rapporteur considère que la création des actions de groupe, sous le quinquennat précédent, a constitué, en dépit de certaines limites, une avancée importante dans les droits des citoyens.

Le développement du travail via des plateformes numériques de mise en relation concerne plusieurs dizaines de milliers de travailleurs, qui sont placés dans des situations similaires. Or, ces travailleurs, compte tenu de leur dispersion et de leur précarité, peuvent avoir des difficultés à saisir la justice afin qu'elle reconnaisse l'existence d'une relation de subordination vis-à-vis des plateformes.

La reconnaissance par la Cour de cassation du caractère fictif
de l'indépendance des travailleurs des plateformes

La notion d'indépendance fictive a été consacrée par la Cour de cassation dans son arrêt « Uber » du 4 mars 2020 19 ( * ) concernant la requalification de la relation de travail entre un chauffeur de VTC et une plateforme numérique.

La Cour a en effet considéré que le chauffeur travaillant pour la plateforme en question ne se constituait pas de clientèle propre et ne fixait pas librement ses tarifs, ni les conditions d'exécution de sa prestation. À l'inverse, la plateforme disposait d'un pouvoir de sanction au travers de la possibilité d'empêcher, temporairement ou définitivement, le chauffeur de se connecter et donc de travailler.

La Cour a jugé que ces éléments caractérisaient l'existence d'un lien de subordination entre le chauffeur et la plateforme, le statut de travailleur indépendant n'étant par conséquent que fictif.

L'absence d'obligation de se connecter était, selon la Cour, sans effet sur l'existence de ce lien de subordination.

Bien que cette décision ne s'applique qu'au cas d'espèce, le rapporteur estime que le raisonnement suivi pourrait être étendu à la plupart des travailleurs des plateformes.

Ces difficultés sont renforcées par la longueur des procédures 20 ( * ) , liée notamment à l'encombrement des conseils de prud'hommes.

Dans certains cas, la nécessité de réunir des preuves matérielles du lien de subordination individuel peut être difficile à rapporter. Il peut être plus aisé de démontrer que, de manière systémique, le fonctionnement d'une plateforme vis-à-vis des travailleurs qui l'utilisent s'apparente à la relation d'un employeur vis-à-vis de ses salariés.

Le rapporteur estime donc qu'ouvrir l'action de groupe aux travailleurs concernés est une manière pertinente de les aider à faire valoir leurs droits et réduirait quelque peu le déséquilibre entre les plateformes et les travailleurs. Il considère que la définition large des personnes ayant qualité à agir devrait permettre de surmonter certains freins auxquels s'est heurté le développement des actions de groupe dans d'autres domaines.

Cet article confère en particulier aux organisations syndicales une « force de frappe » qui complète les capacités d'agir en justice que le code du travail met déjà à leur disposition. Ainsi, « les syndicats peuvent, devant toutes les juridictions, exercer tous les droits réservés à la partie civile relativement aux faits portant un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif de la profession qu'ils représentent 21 ( * ) ». Dans ce cadre, un syndicat peut notamment se porter partie civile dans le cadre d'une action pénale pour travail dissimulé 22 ( * ) .

Il convient de relever que ce dispositif n'est pas limité aux plateformes numériques de mise en relation et pourrait être utilisé contre toute entreprise ayant recours de manière abusive à des travailleurs indépendants.

Enfin, cette action de groupe en matière de requalification n'exclurait naturellement pas les actions individuelles que les travailleurs concernés pourraient vouloir mener s'ils avaient à faire valoir un droit ou une situation qui leur sont propres.

Toutefois, la commission a considéré que le salariat n'est pas compatible avec les formes d'activité concernées et que la bonne approche consiste à chercher à améliorer la protection des travailleurs indépendants sans créer de statut intermédiaire entre le salariat et l'indépendance.

La commission n'a pas adopté cet article.

Article 2
Présomption de salariat des travailleurs des plateformes

Cet article propose d'abroger les dispositions instituant une présomption de travail indépendant et d'instituer une présomption de travail salarié au bénéfice des travailleurs dont les deux tiers du revenu proviennent du travail avec une plateforme.

La commission n'a pas adopté cet article.

I - Le dispositif proposé

A. Une distinction entre travail indépendant et travail salarié contrôlée par le juge

1. Le contrôle du juge sur la relation contractuelle

On distingue traditionnellement le travail salarié, encadré par le code du travail, et le travail indépendant, régi par le code de commerce. La nature de la relation de travail entre les co-contractants a ainsi des conséquences importantes en matière de garanties pour le travailleur.

Une relation de travail salarié peut exister même en l'absence de contrat écrit et même lorsque les parties ont choisi explicitement de se placer dans le cadre d'une relation commerciale.

En effet, selon une jurisprudence constante, l'existence d'une relation de travail salarié dépend des conditions de fait dans lesquelles s'exécute l'activité, et notamment de l'existence d'un lien de subordination du travailleur vis-à-vis du donneur d'ordres.

Ce lien de subordination est apprécié in concreto par le juge sur la base d'un faisceau d'indices, dont notamment l'autonomie du travailleur, l'exclusivité de la relation, l'existence d'un pouvoir de contrôle et de sanction, la détermination unilatérale par le donneur d'ordre des conditions de travail et de la rémunération ou encore l'utilisation de matériel fourni par le donneur d'ordre.

Même lorsqu'il avait initialement accepté les conditions de travail, le travailleur dont la relation avec son donneur d'ordres est requalifiée en contrat de travail peut obtenir le paiement des rappels de salaires et, le cas échéant, l'indemnisation de la rupture de ce contrat. Les organismes de sécurité sociale peuvent également réclamer le versement d'un rappel de cotisations sociales non versées.

2. Travail dissimulé et présomption d'indépendance

Aux termes de l'article L. 8221-5 du code du travail, le fait pour un employeur de se soustraire intentionnellement à l'obligation de déclaration préalable d'embauche, à la délivrance d'un bulletin de paie ou aux formalités déclaratives relatives aux salaires et aux cotisations sociales constitue une forme de travail dissimulé, par dissimulation d'emploi salarié 23 ( * ) . L'infraction de travail dissimulé est passible, pour une personne morale, de 225 000 euros d'amende et, le cas échéant, de peines complémentaires dont la fermeture administrative 24 ( * ) .

L'article L. 8221-6 prévoit une présomption d'indépendance vis-à-vis du donneur d'ordre , applicable notamment aux personnes physiques immatriculées au registre du commerce et des sociétés (RCS), au répertoire des métiers ou auprès des unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (Urssaf), aux personnes inscrites au registre des entreprises de transport routier de personnes, ainsi qu'aux dirigeants des personnes morales immatriculées au RCS.

Cette présomption peut être renversée par le juge lorsqu'il est établi que le travail est réalisé dans des conditions qui placent le travailleur dans un lien de subordination juridique permanente vis-à-vis du donneur d'ordre. Dans ce cas, lorsque l'intentionnalité est établie, le donneur d'ordre peut être reconnu coupable de dissimulation d'emploi salarié.

L'article L. 8221-6-1 étend cette présomption d'indépendance à tout travailleur dont les conditions de travail sont définies uniquement par lui-même ou de manière contractuelle avec son donneur d'ordre.

B. Le statut encore ambigu des travailleurs des plateformes

La loi du 8 août 2016 25 ( * ) a créé, au sein de la partie du code du travail relative à certaines formes particulières d'emploi, un titre relatif aux travailleurs utilisant une plateforme de mise en relation.

Le législateur n'est pour autant pas allé jusqu'à prévoir pour ces travailleurs la présomption de travail salarié qu'il reconnaît aux journalistes 26 ( * ) , aux artistes du spectacle 27 ( * ) , aux mannequins 28 ( * ) ou encore aux voyageurs, représentants ou placiers 29 ( * ) . Ils sont donc présumés indépendants en application de l'article L. 8221-6 du code du travail, puisque la collaboration avec une plateforme requiert généralement une immatriculation au RCS.

Ainsi, la relation entre les travailleurs des plateformes et ces dernières continue d'être appréciée au cas par cas par les juges, sur la base d'un faisceau d'indices permettant de déterminer l'existence ou non d'un lien de subordination.

L'évolution constante des conditions de travail proposée par les plateformes, notamment en réaction aux décisions de requalification prononcées par les tribunaux, empêche à ce jour de dégager une règle générale quant à la nature de cette activité.

Une jurisprudence qui n'est pas encore stabilisée

Au cours de la période récente, la Cour de cassation a eu l'occasion de faire application de sa jurisprudence classique pour apprécier l'existence d'une relation salariée entre des travailleurs et des plateformes numériques.

Dans un arrêt du 28 novembre 2018 30 ( * ) , la Cour a ainsi jugé que les conditions dans lesquelles un coursier travaillait pour la société Take Eat Easy 31 ( * ) étaient constitutives d'un lien de subordination. Les juges ont notamment relevé que l'application utilisée était dotée d'un système de géolocalisation et que la société disposait d'un pouvoir de sanction à l'égard du coursier.

Dans un arrêt du 4 mars 2020 32 ( * ) , la Cour de cassation a confirmé un arrêt de la cour d'appel de Paris affirmant l'existence d'un lien de subordination entre un chauffeur de VTC et la société Uber . Dans ce cas d'espèce, la Cour a retenu que le chauffeur ne se constituait pas de clientèle propre, que l'itinéraire des courses lui était imposé sous peine de correction tarifaire ou encore que la société avait la faculté de déconnecter temporairement ou définitivement le chauffeur.

Il convient toutefois de noter que, dans des décisions récentes, plusieurs cours d'appel ont fait application du même raisonnement pour constater l'inexistence de contrat de travail. La cour d'appel de Lyon a ainsi rejeté en janvier 2021 la demande d'un chauffeur travaillant avec la société Uber 33 ( * ) et la cour d'appel de Paris a rejeté en avril 2021 la demande d'un livreur travaillant avec la société Deliveroo 34 ( * ) . Dans les deux cas, les juges d'appel ont confirmé le jugement de la juridiction prud'homale et considéré que les conditions d'exercice du travail ne traduisaient pas l'existence d'un lien de subordination.

C. L'inversion de la présomption au bénéfice des travailleurs de plateformes

Le présent article tend à supprimer toute présomption d'indépendance et à créer une présomption de travail salarié en faveur des travailleurs des plateformes .

Il abroge à cette fin l'article L. 8221-6-1 du code du travail et propose une nouvelle rédaction de l'article L. 8221-6, aux termes de laquelle tout travailleur dont au moins les deux tiers du revenu professionnel annuel résultent de « l'utilisation d'un algorithme exploité directement ou indirectement par une personne » , serait présumé être lié à cette personne par un contrat de travail.

Cette présomption pourrait être renversée si la personne exploitant l'algorithme démontrait l'absence de tout lien de subordination juridique.

Les dispositions des articles L. 7341-1 et suivants du code du travail, relatives aux travailleurs utilisant une plateforme de mise en relation par voie électronique et à la responsabilité sociale de ces plateformes, ne seraient pas abrogées et resteraient applicables aux travailleurs indépendants ne remplissant pas la condition fixée par cet article.

II - La position de la commission

Au vu de l'ampleur que prend le phénomène du travail via des plateformes électroniques et des hésitations de la jurisprudence, le rapporteur considère qu'il est nécessaire que le législateur intervienne pour clarifier les choses.

De plus, l'inversion de la charge de la preuve permise par cet article contribuerait à rééquilibrer au profit des travailleurs un rapport de force actuellement très favorable aux plateformes en retirant à ces dernières les avantages procéduraux que la présomption de non-salariat leur procure.

Là encore, le dispositif ne se limite pas aux plateformes de mise en relation et pourrait s'appliquer à toute forme de relation de travail dans laquelle un algorithme intervient.

La commission, considérant qu'il est préférable de chercher à améliorer la protection des travailleurs indépendants sans leur imposer statut qui ne correspond pas à leur réalité, a toutefois estimé que la solution proposée pouvait sembler disproportionnée et que le critère retenu ne ciblait pas assez précisément les travailleurs concernés.

La commission n'a pas adopté cet article.

Article 3
Production des algorithmes devant le conseil de prud'hommes

Cet article propose de donner au conseil de prud'hommes la faculté d'ordonner la production des algorithmes utilisés par une plateforme numérique lorsqu'elle est justifiée par la protection des droits d'un travailleur.

La commission n'a pas adopté cet article.

I - Le dispositif proposé

A. Les prérogatives du juge prud'homal en matière de communication de pièces

En matière de communication de pièces, la procédure devant les juridictions prud'homales est régie par les articles 138 à 142 du code de procédure civile, de nature réglementaire.

Si, dans le cours d'une instance, une partie entend faire état d'une pièce détenue par un tiers, elle peut demander au juge d'ordonner la délivrance d'une expédition ou la production de la pièce. S'il estime cette demande fondée, le juge ordonne la délivrance ou la production de la pièce , en original, en copie ou en extrait selon le cas, dans les conditions et sous les garanties qu'il fixe, au besoin à peine d'astreinte.

La même procédure est applicable aux demandes de production des éléments de preuve détenus par les parties et à leur production 35 ( * ) .

B. L'introduction d'une prérogative spécifique en matière de production des algorithmes

Le présent article crée un nouveau chapitre au sein du titre du code du travail relatif à la procédure devant le conseil de prud'hommes, intitulé « Protection des travailleurs de plateformes numériques ».

Ce chapitre comporterait un unique article L. 1458-1 aux termes duquel le conseil de prud'hommes pourrait ordonner la production des algorithmes utilisés par une plateforme numérique de mise en relation lorsque la protection des droits d'un travailleur est en jeu. Le cas échéant, la juridiction pourrait désigner un ou plusieurs experts .

La transparence des algorithmes, un impensé du droit du travail

Selon la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL), un algorithme est « la description d'une suite d'étapes permettant d'obtenir un résultat à partir d'éléments fournis en entrée » 36 ( * ) . Lorsqu'ils sont mis en oeuvre par un ordinateur, les algorithmes sont exprimés dans un langage informatique sous la forme d'une application.

La loi du 7 octobre 2016 pour une République numérique 37 ( * ) a imposé des obligations de transparence en matière d'algorithmes publics : une décision individuelle prise par une administration sur le fondement d'un traitement algorithmique doit notamment comporter une mention explicite en informant l'intéressé, laquelle indique la finalité poursuivie par le traitement 38 ( * ) . En outre, les codes sources des algorithmes utilisés par l'administration ont été inscrits au nombre des documents communicables 39 ( * ) .

En revanche, bien que plusieurs rapports aient identifié de nouvelles formes de management par les algorithmes en lien avec le développement des plateformes numériques 40 ( * ) , aucune disposition du code du travail ne garantit la transparence des algorithmes à l'égard des travailleurs .

II - La position de la commission

Si le conseil de prud'hommes peut déjà ordonner, sur le fondement du code de procédure civile, la production de l'algorithme utilisé par une plateforme, l'apport principal de cet article est de prévoir la possibilité de recourir à un expert afin de l'analyser. En effet, une grande partie des difficultés causées par les algorithmes tient à leur complexité , si bien que, même si leur code était rendu transparent, ils resteraient inintelligibles au plus grand nombre.

Pour le rapporteur, la transparence des algorithmes exploités par les plateformes constitue un besoin évident car il s'agit d'« algorithmes de management » qui ne sauraient être protégés par le secret des affaires lorsque les droits des travailleurs sont en jeu.

La commission n'a pas adopté cet article.


* 11 Loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation - Article 1 er .

* 12 Loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé - Article 184.

* 13 Loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXI e siècle - Articles 60 à 92.

* 14 Loi n°2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique.

* 15 Rapport n° 3085 déposé par la mission d'information de l'Assemblée nationale sur le bilan et les perspectives des actions de groupe, présenté par M. Philippe Gosselin et Mme Laurence Vichnievsky, 11 juin 2020.

* 16 Ce délai est de 6 mois pour les actions de groupe intentées en matière de discrimination.

* 17 Art. L. 1134-7 du code du travail.

* 18 Article 63 de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXI e siècle.

* 19 Cour de cassation, 4 mars 2020, arrêt n° 374.

* 20 La décision Take Eat Easy de 2018, concernant des faits datant de 2016, est intervenue alors que la société avait déjà été dissoute.

* 21 Art. L. 2132-3 du code du travail.

* 22 Cass. crim., 6 décembre 2011, n° 10-86.829, Bull. crim. n° 244.

* 23 L'autre forme de travail dissimulé résulte de la dissimulation d'activité et est défini à l'article L. 8221-3.

* 24 Art. 131-9 du code pénal.

* 25 Loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels.

* 26 Art. L. 7112-1 du code du travail.

* 27 Art. L. 7121-3.

* 28 Art. L. 7123-3.

* 29 Art. L. 7313-1.

* 30 Cour de cassation, arrêt n°1737 du 28 novembre 2018 (17-20.079).

* 31 La société Take Eat Easy avait disparu au moment de cette décision.

* 32 Cour de cassation, arrêt n°374 du 4 mars 2020 (19-13.316).

* 33 Cour d'appel de Lyon, 15 janvier 2021, n° 19/08056.

* 34 Cour d'appel de Paris, 7 avril 2021, n° 18/02846.

* 35 Art. 142 du code de procédure civile.

* 36 Description consultable via le lien suivant : https://www.cnil.fr/fr/definition/algorithme

* 37 Loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016 pour une République numérique.

* 38 Art. L. 311-3-1 du code des relations entre le public et l'administration.

* 39 Art. L. 300-2 du code des relations entre le public et l'administration.

* 40 Voir notamment le rapport de l'Institut Montaigne « Travailleurs des plateformes : liberté oui, protection aussi », avril 2019.

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