II. PÉRENNISER DE TELS ACCORDS : UN ENJEU DE DROIT EUROPÉEN POUR LE VOLET « SÉCURITÉ SOCIALE » ET DE CONVENTIONS BILATÉRALES POUR LE VOLET FISCAL

A. RELEVER LE SEUIL DE 25 % À 40 % POUR LES TRAVAILLEURS FRONTALIERS, SUR LE VOLET SOCIAL

Les rapporteures considèrent, comme l'auteur de la proposition de résolution ici examinée, qu'il est nécessaire d'encourager, tout en l'encadrant, l'évolution de l'organisation du travail permise dans le contexte de la pandémie.

Selon les informations communiquées aux rapporteures, la France avait proposé à l'Allemagne , sous la présidence allemande au second semestre 2020 dans le cadre des négociations du nouveau règlement de sécurité sociale, d'initier un débat entre la Commission et les États membres sur ce sujet et de lancer une étude d'impact.

Il avait été alors proposé d'introduire dans le règlement de coordination de sécurité sociale une disposition spécifique au télétravail, distincte de celles existantes en matière de pluriactivité, afin de ne pas bouleverser des règles de détermination de la législation de sécurité sociale pour les autres situations de pluriactivité. Cette proposition n'a toutefois pas abouti dans un contexte de négociations difficiles voire tendues , en particulier sur les dispositions visant à encadrer le détachement et celles portant sur l'assurance chômage.

Les rapporteures se montrent ainsi plutôt favorables au principe, proposé dans la proposition de résolution, d'un seuil fixé à 40 %, qui s'apprécierait de manière hebdomadaire (soit deux jours par semaine), en cohérence avec la définition du travailleur frontalier. Au-delà de ce seuil, le principe de la lex loci labori , c'est-à-dire l'affiliation au régime de sécurité sociale de l'État de résidence, s'appliquerait.

Il leur semble toutefois raisonnable, d'une part, de ne pas aller au-delà de ces deux jours de télétravail par semaine et, d'autre part, de limiter ce dispositif aux frontaliers, pour éviter des effets d'aubaine ou d'optimisation . Ce dispositif spécifique serait ainsi à dissocier des règles générales déjà complexes liées à la pluriactivité, qu'il convient de ne pas remettre en question.

Réserver ce dispositif aux travailleurs frontaliers ne constituerait pas une mesure discriminatoire , selon les informations communiquées aux rapporteures. En effet, des mesures spécifiques pour les frontaliers sont déjà prévues par les règlements européens ou le droit national , sans que ces mesures ne soient qualifiées de discriminatoires : droit d'option pour la Suisse, spécificité en termes d'assurance-chômage, contribution sociale généralisée (CSG) ne s'appliquant pas aux travailleurs domiciliés en France et exerçant leur activité dans un autre État membre... Sur ce dernier point, la Cour de justice des communautés européennes, dans un arrêt du 15 février 2000, avait pu juger que la différence de traitement qui en résulte n'était pas discriminatoire.

Bien que le travail frontalier puisse constituer une charge pour l'État français, les rapporteures estiment que la France pourrait retirer, d'un recours accru des frontaliers au télétravail, des avantages économiques certains .

Il convient ainsi de noter que l'indemnisation du chômage des frontaliers (cotisation dans un pays de l'UE, indemnisation en France sur la base du salaire perçu à l'étranger), coûte environ 600 millions d'euros par an à l'Unedic , en grande partie du fait des frontaliers travaillant en Suisse. Toutefois, encourager le télétravail des travailleurs frontaliers permettrait notamment, à la France, d'éviter des investissements coûteux en termes d'infrastructures, et de bénéficier du fort pouvoir d'achat des frontaliers qui consommeraient davantage sur le territoire. Cela permettrait également de retenir des frontaliers qui souhaiteraient déménager dans leur État d'emploi . Par ailleurs, les rapporteures estiment qu'une telle réglementation pourrait inciter à une contractualisation des travailleurs indépendants, et constituer une forme de garantie contre le phénomène d'ubérisation.

Outre cette pérennisation du seuil de télétravail autorisé à 40 %, les rapporteures ont envisagé prévoir, en cas d'urgence et de situation de crise, des possibilités de dérogation aux règlements en vigueur pour tous les travailleurs mobiles . Il semble, toutefois, que de telles dispositions ne soient pas nécessaires : celles relatives au cas de force majeure prévues par lesdits règlements constituent des bases juridiques suffisantes et souples pour gérer les situations de crise, comme l'a confirmé l'audition de la direction de la Sécurité sociale.

Les sénatrices sont donc favorables au dispositif proposé par la proposition de résolution sur le volet social et encouragent le Gouvernement à porter ce sujet dans les discussions au sein du Conseil .

Toutefois, elles s'interrogent sur le fait de savoir si ce sujet devrait être discuté dès à présent dans les négociations en cours - déjà difficiles - des règlements de coordination de sécurité sociale, au risque d'introduire de la complexité supplémentaire dans le jeu des alliances, ou s'il devrait être réintroduit plus tard, à l'occasion d'autres initiatives de la Commission européenne . Ce point pourrait, en effet, être discuté dans le cadre des travaux préparatoires qui sont en cours au sujet d'une initiative prochaine de la Commission sur la facilitation du recours au télétravail et le droit à la déconnexion.

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