CHAPITRE III
LA LUTTE CONTRE LE RÉCHAUFFEMENT CLIMATIQUE
ET PRÉSERVATION DE LA BIODIVERSITÉ

Article 12
Réforme de la gouvernance de l'Ademe et délégation
d'une partie des fonds « chaleur » et « économie circulaire » aux régions

L'article 12 tend, d'une part, à améliorer la représentation des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre au sein du conseil d'administration de l'Ademe et, d'autre part, à déléguer la gestion d'un cinquième des montants des fonds « chaleur » et « économie circulaire » de l'Ademe aux régions volontaires.

La commission a adopté cet article après avoir renforcé l'effectivité et la portée des dispositifs proposés.

1. L'Ademe : un établissement public à la gouvernance duale, chargé de gérer les fonds « chaleur » et « économie circulaire »

1.1. La gouvernance de l'Ademe

L'agence de la transition écologique (Ademe) a été créée en 1990 par la loi n° 90-1130 du 19 décembre 1990 portant création de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie, et a été placée sous la co-tutelle des ministères de l'écologie et de l'enseignement supérieur et de la recherche.

Ainsi que l'a rappelé le Conseil d'État dans une décision récente 91 ( * ) , l'Ademe a le caractère d'une catégorie d'établissement public au sens de l'article 34 de la Constitution. Il en résulte que seul le législateur peut fixer et modifier ses règles constitutives.

En raison de son objet particulièrement transversal 92 ( * ) , le législateur a choisi d'instituer une gouvernance duale pour l'Ademe, reposant :

- d'une part, sur un conseil d'administration , chargé de gérer les affaires de l'Agence et aux attributions larges, notamment en fixant « les conditions générales d'attribution de subventions ou d'avances remboursables aux personnes publiques ou privées » 93 ( * ) ;

- d'autre part, sur un conseil scientifique , en particulier « consulté sur les programmes d'études et de recherches entrepris par l'agence » 94 ( * ) .

Seule la composition du conseil d'administration de l'Ademe , du fait de son rôle stratégique, est encadrée par de grands principes fixés par le législateur . Ainsi, il est prévu la représentation obligatoire de l'État, des élus locaux, des parlementaires, des associations de protection de l'environnement et groupements intéressés ainsi que des salariés de l'Agence, de manière à garantir la représentation des acteurs publics comme privés agissant dans les domaines d'attribution de l'Agence 95 ( * ) .

Toutefois, sur les vingt-sept sièges que comprend le conseil d'administration de l'Ademe, seuls trois sont pourvus par des représentants des collectivités territoriales .

Il ressort des auditions menées par les rapporteurs que les trois principales associations représentatives d'élus que sont l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité (AMF), l'Assemblée des départements de France (ADF) et Régions de France (ARF) disposent chacune d'un siège au conseil d'administration de l'Ademe.

La composition du conseil d'administration de l'Ademe

Afin d'assurer la représentation de l'ensemble des acteurs de la transition écologique, ainsi que défini par l'article R. 131-4 du code de l'environnement, les vingt-sept membres composant le conseil d'administration de l'Ademe sont les suivants :

- un député et un sénateur, désignés par leur assemblée ;

- neuf représentants de l'État nommés par décret, proposés par le ministre chargé de l'énergie, le ministre chargé de la recherche, le ministre chargé de l'industrie, le ministre chargé du logement, le ministre chargé de l'agriculture, le ministre chargé du budget, et le ministre de l'intérieur ;

- le délégué interministériel au développement durable ;

- le directeur général de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) ;

- trois représentants des collectivités territoriales ;

- cinq personnalités qualifiées ou représentants d'associations de protection de l'environnement agréées au titre de l'article l. 141-1 du code de l'environnement ou représentants de groupements professionnels intéressés ;

- six représentants des salariés élus par ces mêmes salariés selon les procédures définies au deuxième alinéa de l'article 4 de la loi n° 83-675 du 26 juillet 1983 relative à la démocratisation du secteur public.

En vertu de l'article R. 131-5 du code de l'environnement, le mandat des membres du conseil d'administration de l'Ademe est de cinq ans et est renouvelable une seule fois.

La composition du conseil d'administration a connu une récente modification visant à associer à la gouvernance de l'Ademe des représentants de l'Agence nationale de la cohésion des territoires, créée postérieurement à l'Ademe 96 ( * ) .

Les élus locaux déplorent, de longue date, l'absence de représentation des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre au sein du conseil d'administration de l'Ademe aux côtés des collectivités territoriales, alors même que le législateur a récemment renforcé les compétences des EPCI à fiscalité propre en matière de transition écologique, de gestion des déchets et de maitrise de l'énergie.

La modification en ce sens de la composition du conseil d'administration de l'Ademe apparait donc bienvenue.

1.2. Des fonds « chaleur » et « économie circulaire » pesant près de 700 millions d'euros

En vertu des dispositions de l'article L. 131-6 du code de l'environnement, l'Ademe peut attribuer des subventions, accorder des concours financiers et des aides remboursables .

Selon le rapport annuel de performance de 2020, l'Ademe a, outre les aides du programme d'investissements d'avenir, attribué 633 millions d'euros d'aides afin de soutenir 4 000 opérations ou projets . S'ajoutent à ce montant les 66 millions d'euros d'aides du plan de relance gérés par l'Ademe, utilisés pour soutenir des projets de gestion durable des déchets et des actions de décarbonation de l'industrie 97 ( * ) .

Deux principaux instruments de soutien aux projets de transition énergétique sont gérés par l'Ademe : le fonds « chaleur » et le fonds « économie circulaire » . Ces derniers permettent à l'Agence de soutenir financièrement des projets très variés sous forme de subventions, d'aides à l'investissement ou d'avances remboursables.

a) La récente montée en puissance du fonds « chaleur »

Créé en 2009 par la loi Grenelle de l'environnement II, le fonds « chaleur » est l'un des mécanismes de soutien aux énergies renouvelables les plus importants. Il vise à soutenir et accompagner les projets de production comme de distribution de chaleur renouvelable.

Il bénéficie à deux principaux types de projets : d'une part, les installations de petite et moyenne tailles et, d'autre part, les installations de grande taille en matière de biomasse dans le cadre des appels à projet nationaux annuels en la matière.

Ce fonds est l'un des outils mobilisés afin d'atteindre les objectifs fixés par la loi n° 2015-992 du 17 aout 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte qui prévoit la multiplication par cinq de la quantité de chaleur renouvelable produite entre France entre 2015 et 2030.

Les montants engagés depuis la création du fonds « chaleur » en 2009 jusqu'en 2019 représentent près de 2,3 milliards d'euros , représentant un montant significatif des aides et subventions accordées par l'État aux projets en matière de transition énergétique 98 ( * ) . Ce fonds a connu une récente montée en puissance à partir des années 2018 et 2019, portant ses crédits à plus de 250 millions par an 99 ( * ) .

Source : commission des finances du Sénat

La trajectoire financière du fonds doit rester stable en 2021 puisque la loi de finances pour 2021 a prévu de le doter de 350 millions d'euros de crédits d'engagement , confortant son rôle primordial dans le financement des projets d'énergie renouvelable 100 ( * ) .

b) Le fonds « économie circulaire » connaît une forte dynamique sous l'impulsion du plan de relance pour 2021

Ayant pour objectif principal d'accompagner les projets liés à la politique des déchets, le fonds « économie circulaire » crée en 2009 est principalement consacré au soutien des opérations de lutte contre le gaspillage et de développement de l'économie circulaire .

Les montants cumulés depuis sa création par la loi Grenelle de l'environnement II précitée s'établissement à près de 1,6 milliard d'euros , représentant près de 35 % du budget annuel d'intervention de l'Ademe au cours de cette période.

Le plan de relance de 2021 a doublé les crédits affectés à ce fonds , initialement doté de 164 millions d'euros en 2020, pour le porter à plus de 360 millions d'euros en 2021 101 ( * ) .

Du fait de l'importance de ces fonds et du rôle accru des régions en matière de transition écologique, le Sénat a proposé, dans le rapport « 50 propositions pour le plein exercice des libertés locales », le transfert de la gestion de ces fonds de l'Ademe aux régions 102 ( * ) .

2. Le dispositif proposé : assurer une meilleure représentation des EPCI à fiscalité propre et déléguer une partie de la gestion du fonds « chaleur » et du fonds « économie circulaire » de l'Ademe aux régions

2.1. Un renforcement en trompe l'oeil de la participation des EPCI à fiscalité propre à la gouvernance de l'Ademe

L'article 12 du projet de loi vise, en premier lieu, à ajouter à la liste des membres du conseil d'administration de l'Ademe , aux côtés des collectivités territoriales, les EPCI à fiscalité propre , afin de renforcer leur association aux décisions de l'Agence.

Pour ce faire, il est prévu d'ajouter à l'article L. 131-4 du code de l'environnement qui fixe la composition du conseil d'administration, des représentants « des établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre ».

Cette modification doit entrer en vigueur à l'expiration des mandats des représentants des collectivités territoriales siégeant au conseil d'administration de l'Ademe.

De l'aveu même de l'étude d'impact, cette modification serait réalisée à nombre de sièges constants au sein du conseil d'administration de l'Ademe, vidant de sa portée effective l'évolution proposée par le Gouvernement 103 ( * ) .

2.2. La timide délégation de gestion d'un cinquième du montant des fonds « chaleur » et « économie circulaire » de l'Ademe aux régions volontaires

Le Gouvernement propose également d'instituer un mécanisme de délégation aux régions volontaires de l'attribution des aides et subventions à hauteur d'un cinquième des montants totaux des fonds « chaleur » et « économie circulaire » gérés par l'Ademe .

Dès lors, les régions qui le souhaitent seraient compétentes pour attribuer des subventions et concours financiers dans les domaines de la transition énergétique et l'économie circulaire. Il est prévu que cette délégation, inspirée par la délégation de gestion des fonds structurels européens d'investissement aux régions par la loi n° 2014-58 du 27 janvier 2014 dite « MAPTAM » 104 ( * ) , soit formalisée par la signature d'une convention entre l'agence et la région volontaire .

En l'état de sa rédaction, le projet de loi prévoit que ladite convention contienne des dispositions relatives à la durée, au montant du financement délégué, aux critères d'attributions des aides, aux objectifs que la région devra atteindre et aux règlement des charges de cette délégation.

Selon l'étude d'impact, le montant des fonds délégué aux régions serait de 70 millions d'euros pour le fonds « chaleur » et de 30 millions d'euros pour le fonds « économie circulaire » , loin du montant total cumulé de ces fonds qui s'établit à plus de 500 millions d'euros 105 ( * ) .

3. La position de la commission : garantir l'effectivité de la représentation des EPCI à fiscalité propre et approfondir les possibilités de délégation des fonds gérés par l'Ademe aux régions

3.1. Garantir l'effectivité de la représentation des EPCI à fiscalité propre au sein du conseil d'administration de l'Ademe

Si la commission partage la volonté de mieux associer les EPCI à fiscalité propre à la gouvernance de l'Ademe, elle considère néanmoins que les modalités choisies par le projet de loi ne permettent pas de répondre à cet objectif .

Les rapporteurs s'étonnent que la précédente modification de la composition du conseil d'administration de l'Agence se soit traduite par l'ajout d'un siège au conseil d'administration 106 ( * ) alors que le Gouvernement propose, cette fois-ci, de procéder différemment.

La commission a dès lors souhaité, par l'adoption des amendements identiques COM-1116 des rapporteurs et COM-1206 du rapporteur pour avis Daniel Gueret, garantir l'attribution d'un siège spécifique aux représentants des EPCI à fiscalité propre au sein du conseil d'administration de l'Ademe .

Cette évolution, de nature à conférer toute sa portée au dispositif introduit par le Gouvernement, tend à modifier le nombre de membres du conseil d'administration de l'Ademe .

3.2. Approfondir les possibilités de délégations des fonds « chaleur » et « économie circulaire » gérés par l'Ademe aux régions volontaires

Les rapporteurs ne peuvent qu' accueillir favorablement l'intention formulée par le Gouvernement de renforcer les facultés de délégation de gestion aux régions volontaires des fonds « chaleur » et « économie circulaire » gérés par l'Ademe qui s'inspire des « 50 propositions pour le plein exercice des libertés locales » formulées en juillet 2020 par le Sénat 107 ( * ) .

La commission regrette, toutefois, le manque d'ambition de ce dispositif qui ne prévoit la délégation que d'un cinquième du montant total des deux fonds gérés par l'Ademe, alors que le Sénat avait proposé un transfert intégral de la gestion de ces fonds aux régions . Enserrée par les règles de recevabilité contraignant l'initiative parlementaire et souhaitant laisser aux régions la plus grande latitude dans leurs demandes, la commission n'a pas fait le choix de prévoir un tel transfert.

Elle a préféré, en adoptant deux amendements identiques COM-1117 des rapporteurs et COM-1207 du rapporteur pour avis Daniel Gueret, approfondir le dispositif proposé par le Gouvernement en permettant la délégation à toute région volontaire, de tout ou partie de l'instruction, de l'octroi et de l'attribution des aides, subventions et concours financiers en matière de transition énergétique et d'économie circulaire gérés par l'Ademe

La commission a exclu , par l'adoption du même amendement COM-1117 des rapporteurs, la possibilité de déléguer aux régions moins d'un cinquième du montant total des crédits gérés en la matière par l'Ademe. Cet ajout vise, d'une part, à garantir que la délégation de gestion porte sur montant suffisamment important pour confier aux régions de nouvelles responsabilités dans le domaine de la transition énergétique et, d'autre part, à permettre une application homogène entre régions du montant minimal des fonds dont elles pourraient solliciter la gestion.

Elle a, enfin, précisé, à l'initiative des rapporteurs ( amendement COM-1117 ) le contenu de la convention de délégation conclue entre la région et l'agence afin de l'encadrer et d'en garantir solidité juridique.

La commission a adopté l'article 12 ainsi modifié .

Article 12 bis (nouveau)
Transfert aux régions de la fonction comptable de la gestion
des fonds structurels et d'investissement européens

L'article 12 bis , introduit par la commission, à l'initiative des rapporteurs, vise à transférer aux régions la fonction comptable de la gestion des fonds structurels et d'investissement européens .

La gestion des fonds structurels et d'investissement européen s a été transférée aux régions par la loi du 27 janvier 2014 dite « MAPTAM » et a été effective à compter de la programmation 2014-2020 de ces fonds dits « ESI ».

Au titre de cette programmation, la fonction d'autorité de certification était l'une des attributions assurée par la direction générale des finances publiques (DGFiP).

Une évolution est nécessaire pour la programmation 2021-2027, en raison de la suppression de la fonction d'autorité de certification au profit d'une fonction comptable .

Après avoir auditionné les associations représentatives d'élus, la commission a souhaité prolonger les dispositions du transfert de gestion des fonds dits « ESI », en accord avec le Gouvernement, par l'adoption des amendements identiques COM-1179 des rapporteurs et COM-1190 du Gouvernement , en confiant aux régions les régions l'exercice de cette fonction comptable .

Pour ce faire, elle propose une modification de l'article 78 de la loi MAPTAM afin d'étendre le périmètre de compétence régional à la fonction comptable.

Cette modification est conforme au règlement européen (UE) 2021/1060 du 24 juin 2021 fixant le cadre financier pluriannuel 2021-2027 dont le deuxième point de l'article 72 prévoit que « l'État membre peut confier la fonction comptable visée à l'article 76 à l'autorité de gestion ou à un autre organisme ».

La commission a adopté l'article 12 bis ainsi rédigé .

Article 12 ter (nouveau)
Modification de la composition de la CDPNAF

L'article 12 ter , introduit par la commission, à l'initiative de Sylvie Vermillet et de Claudine Thomas 108 ( * ) , vise à instaurer une parité entre les élus locaux et les autres membres au sein de la commission départementale de préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers (CDPNAF).

Créée par la loi n° 2010-874 du 27 juillet 2010 de modernisation de l'agriculture et de la pêche et modifiée par la loi n° 2014-1170 du 13 octobre 2014 dite « LAAF », une commission départementale de préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers (CDPNAF) doit être instituée dans chaque région sous l'égide du préfet .

Son champ de compétence recouvre l'ensemble des thématiques liées à la préservation des espaces naturels et forestiers . Elle est chargée d'émettre des avis sur toute question en lien avec sa compétence et joue, en particulier, un rôle pivot dans la lutte contre l'artificialisation des sols. Elle est également amenée à émettre des avis sur certaines procédures d'urbanisme.

Chargée de représenter dans leur diversité les acteurs de la préservation des espaces naturels, elle est composée de représentants de l'État, des collectivités territoriales et de leurs groupements, mais aussi des représentants des chambres d'agriculture, des propriétaires fonciers, des notaires, des fédérations de chasseurs, des organismes nationaux à vocation agricole et rurale, des associations de protection de l'environnement.

Du fait du nombre d'acteurs représentés, les élus locaux ne sont que faiblement décisionnaires au sein de cette commission alors même qu'elle assure un rôle, certes consultatif, mais non négligeable en matière de développement du territoire .

Soucieuse de garantir la pleine association des élus locaux aux décisions des instances liées aux enjeux d'aménagement du territoire, la commission a souhaité, par l'adoption de deux amendements identiques COM-141 et COM-142 , porter à la moitié de la composition de la CDPNAF la proportion d'élus locaux représentée en son sein .

La commission a adopté l'article 12 ter ainsi rédigé .

Articles 13 à 13 quater

Ces articles ont été délégués au fond à la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable.

Voir le rapport pour avis n° 719 (2020-2021) de Daniel Gueret.

Article 14
Création d'un pouvoir de police spéciale
dans les espaces naturels protégés

L'article 14 tend à instituer un nouveau pouvoir de police spéciale dans les espaces naturels protégés, qui serait dévolu au maire et au préfet de département.

Toute en adoptant cet article, la commission, soucieuse de garantir l'exercice par le maire de ce pouvoir de police spéciale, a prévu qu'une concertation soit assurée entre les maires concernés avant que le préfet n'intervienne. Elle a également permis aux maires de transférer, à leur demande, l'exercice de ce pouvoir de police spéciale au président de l'EPCI à fiscalité propre.

Elle a, enfin, élargi les exemptions aux restrictions et interdictions prononcées sur ce fondement en les rendant inapplicables, au moins partiellement, à l'exercice des missions de service public sur ces espaces et des missions d'entretien comme de conservation de ces espaces.

1. La difficile lutte contre l'hyper-fréquentation des espaces naturels protégés malgré la multiplicité des instruments de protection des espaces naturels existants

1.1. L'introuvable mesure de l'hyper-fréquentation

La notion d'hyper-fréquentation ne renvoie ni à une définition précise ni à une méthode arrêtée de mesure de ces phénomènes.

Elle renvoie, cependant, à une réalité bien connue des acteurs publics chargés de la protection de ces espaces. Ainsi, depuis de nombreuses années, certains sites présentant un intérêt culturel et patrimonial et certains espaces naturels, du fait de leur attractivité, connaissent une fréquentation telle qu'elle emporte des conséquences négatives sur la préservation et la conservation de ces espaces .

Comme le rappelle l'étude d'impact, les dix parcs nationaux français reçoivent plus de 8 millions de visiteurs par an et six territoires classés reçoivent près de 2 millions de visiteurs annuellement 109 ( * ) .

En effet, la sur-fréquentation des sites, ainsi que l'a souligné Jérôme Bignon dans son rapport à l'occasion de l'examen de la proposition de loi portant diverses mesures tendant à réguler « l'hyper-fréquentation » dans les sites naturels et culturels patrimoniaux, semble « avoir des conséquences environnementales lourdes sur certains sites qui bénéficient justement d'un régime de protection eu égard à leur intérêt écologiqu e » 110 ( * ) .

La difficulté à arrêter une définition et une mesure précise de ces phénomènes d'hyper- ou de sur-fréquentation a pour incidence la difficulté à édicter des régimes et outils spécifiques visant à lutter contre ceux-ci .

1.2. L'hétérogénéité des régimes et outils de protection des espaces naturels

De nombreux outils sont déjà à la disposition du maire ou d'autres autorités administratives aux fins de protection des sites et espaces naturels situés sur sa commune ou sur le territoire sur lequel ils sont compétents.

Ces outils n'obéissent pas tous au principe de spécialité et sont parfois des pouvoirs de police reconnus aux autorités au titre de leur pouvoir de police général.

Ainsi, il existe, à titre principal, trois outils de protection de ces espaces :

- premièrement, le classement d'un espace ou d'un site dans un régime particulier, qui peut emporter des restrictions ou interdictions d'accès ou de circulation sur ce domaine.

Les régimes de protection attachés au classement d'un site ou d'un espace naturel sont nombreux et de portée différente. Les espaces naturels peuvent être protégés en application d'une convention internationale 111 ( * ) , d'une disposition communautaire 112 ( * ) , d'une loi nationale 113 ( * ) ou d'une disposition réglementaire 114 ( * ) . Toutefois, ces régimes prévoient des niveaux de protection hétérogènes dans leur nature et leur efficacité. Ainsi, le classement d'un site comme réserve naturelle nationale emporte des possibilités d'interdiction ou de réglementation de l'accès à ce site en vertu des articles L. 332-1 et suivants du code de l'environnement ;

- deuxièmement, des polices spéciales de la nature dévolues au maire ont été créées afin de préserver les sites .

À titre d'exemple, le maire peut, en application de l'article L. 2213-4 du code général des collectivités territoriales réglementer et interdire la circulation des véhicules aux seules fins de protection des espaces naturels, des paysages, des sites ou de leur mise en valeur à des fins esthétiques, écologiques, agricoles, forestières ou touristiques, ou aux fins de préserver la tranquillité publique, la qualité de l'air ou la protection des espèces animales ou végétales ;

- troisièmement, le maire doit, sur le fondement du pouvoir de police générale qui lui est reconnu à l'article L. 2212-1 du code général des collectivités territoriales, prévenir les pollutions de toute nature 115 ( * ) .

Toutefois, l'ensemble de ces instruments ne parvient pas à apporter une solution satisfaisante et applicable uniformément sur l'ensemble des espaces naturels protégés aux conséquences négatives de l'hyper-fréquentation . Il apparait donc nécessaire de prévoir un outil spécifique et territorialisé de protection de ces espaces naturels protégés confié au maire pour lutter contre ce phénomène.

2. Le dispositif du projet de loi : doter le maire et le préfet d'un pouvoir de police spéciale de l'accès et de la circulation dans les espaces naturels protégés

L'article 14 du projet de loi tend à renforcer les pouvoirs de police spéciale du maire et, le cas échéant, du préfet, aux fins de protection des espaces naturels protégés .

Il institue, au sein d'un nouvel article L. 360-1 dans le code de l'environnement, un nouveau pouvoir de police de l'accès aux espaces protégés qui permet :

- d'une part, au maire d'édicter, par arrêté motivé, des restrictions ou interdictions d'accès et de circulation des personnes, des véhicules et des animaux domestiques dans les espaces naturels protégés.

Ce pouvoir s'exerce subsidiairement aux pouvoirs dévolus aux autres autorités administratives que sont le directeur du parc national, le président du conseil départemental ou le président de l'EPCI s'il est compétent ;

- d'autre part, si la mesure excède le territoire d'une seule commune et dans les mêmes conditions ou en cas de carence après mis en demeure restée sans résultat du maire concerné , au préfet de faire application de ces dispositions.

Les mesures de police ne peuvent être prises sur ce fondement qu' aux fins de protection ou de mise en valeur à des fins esthétiques, paysagères, écologiques, agricoles, forestières ou touristiques de ces espaces ou pour des motifs de protection des espèces animales ou végétales .

Ces mesures ne s'appliquent que dans les espaces protégés au titre des livres III et IV du code de l'environnement soit, selon l'étude d'impact, sur le littoral, les parcs et réserves nationaux et régionaux, les aires marines protégées, les sites Natura 2000, les sites inscrits et classés, les réserves de biosphère et les zones humides d'importance internationale.

Le Gouvernement a prévu des exemptions limitativement énumérées pour lesquelles les mesures ainsi prises ne s'appliquent pas. Celles-ci concernent l'exécution d'une mission opérationnelle de secours, de sécurité civile, de police, de douane ou de défense nationale .

3. La position de votre commission : un renforcement nécessaire des pouvoirs de police spéciale du maire, sous réserve de quelques ajustements

3.1. Un renforcement des pouvoirs de police spéciale du maire appelé de ses voeux depuis longtemps par le Sénat

Les rapporteurs rappellent que le Sénat a d'ores et déjà adopté par deux fois un dispositif permettant au maire de « réglementer - et non plus seulement d'interdire - l'accès et la circulation des personnes - et non plus seulement des véhicules motorisés - à certaines voies » 116 ( * ) lors de l'examen de la proposition de loi portant diverses mesures tendant à réguler « l'hyper-fréquentation » dans les sites naturels et culturels patrimoniaux en novembre 2019. 117 ( * ) Au surplus, le Sénat a adopté des dispositions similaires dans le cadre de l'examen du projet de loi dit « climat et résilience » en juin 2021 118 ( * ) .

Dès lors, les dispositions proposées par le Gouvernement semblent aller dans le bon sens, la proposition du Sénat ayant trouvé une nouvelle traduction dans l'article 11 du projet de loi.

Aussi, la commission des lois ne peut-elle qu'être favorable, dans son principe, au dispositif proposé, et ce d'autant plus qu'il reprend les trois principales recommandations émises par la commission de l'aménagement et du développement durable du Sénat , à savoir :

- la création d'une nouvelle police spéciale ;

- la bonne articulation de ce nouveau pouvoir de police avec les pouvoirs de police existants ;

- la nécessaire concertation des acteurs locaux pour l'édiction de telles restrictions ou interdictions.

3.2. La nécessité de procéder à quelques ajustements du dispositif

La commission des lois considère, en outre, que le dispositif proposé par le Gouvernement est de nature à assurer une conciliation équilibrée entre l'objectif à valeur constitutionnelle de préservation de l'environnement reconnu par le Conseil constitutionnel 119 ( * ) et les atteintes que l'édiction de telles mesures sont susceptibles de porter à la liberté d'aller et de venir .

De la même manière et ainsi que l'a relevé le Conseil d'État dans son avis, elle souscrit pleinement à la disposition proposée visant à confier au préfet de département un pouvoir de substitution au maire en cas de carence de ce dernier après mise en demeure restée sans effet 120 ( * ) .

Toutefois, elle a jugé nécessaire d'enrichir les dispositions de cet article sur trois plans .

En premier lieu, les rapporteurs ont veillé à garantir la lisibilité et l'articulation du pouvoir de police nouvellement créé sur les espaces naturels avec les pouvoirs de police existants dévolus au maire.

Par l'adoption d'un amendement COM-1173 des rapporteurs, la commission a choisi de subordonner l'application de ce nouveau pouvoir de police à l'exercice des pouvoirs de police générale et spéciale dévolus au maire en application des articles L. 2212-2, L. 2213-1 à L. 2213-2 et L. 2213-4 CGCT qui lui permettent de restreindre ou d'interdire la circulation de véhicules, animaux domestiques ou piétons à des fins de protection de l'environnement.

En second lieu, elle a souhaité, en adoptant un amendement COM-1174 des rapporteurs, compléter les exemptions applicables à certains véhicules ou piétons exerçant des missions de service public ou nécessaires à la préservation des espaces naturels.

En troisième lieu, la commission a entendu, à l'initiative des rapporteurs ( amendement COM-1071 ), assouplir le pouvoir de police spéciale confié au préfet afin de règlementer ou d'interdire l'accès et la circulation au sein des espaces protégés en lieu et place du maire. Pour ce faire, elle a prévu que le représentant de l'État dans le département ne pourrait exercer ce pouvoir de police spéciale sur le territoire de plusieurs communes qu'à défaut de succès d'une concertation entre les maires et les présidents d'EPCI concernés .

En quatrième lieu, par l'adoption du même amendement COM-1071 des rapporteurs, la commission a ouvert la possibilité, pour les maires, de transférer ce nouveau pouvoir de police au président de leur établissement public de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre d'appartenance lorsque ce dernier est compétent en matière de protection et de mise en valeur de l'environnement. Elle a, aux fins d'assurer une application uniforme à l'échelle de l'EPCI de ce pouvoir de police , rendu applicable à ce transfert le régime du transfert facultatif de compétence 121 ( * ) . En conséquence, un tel transfert serait conditionné à l'accord de l'ensemble des maires des communes membres ainsi que du président de l'EPCI concerné.

En dernier lieu, en adoptant les amendements identiques COM-701 de Martine Filleul et COM-427 de Guillaume Gontard , la commission a entendu interdire les atterrissages sauvages d'aéronefs dans les zones de montage et l'a assorti de sanctions fixées de six mois à un an d'emprisonnement et d'amendes pouvant s'établir à un montant de 150 000 euros.

La commission a adopté l'article 14 ainsi modifié.


* 91 Conseil d'État, req. n° 360307, 20 février 2013.

* 92 Présidait à la création de cette agence l'objectif d'instaurer un établissement unique chargé de mener des actions d'orientation et d'animation de la recherche, et d'assurer des prestations de service, d'information et d'incitation dans les domaines de la transition écologique et énergétique. Les missions de l'Ademe sont fixées à l'article L. 131-3 du code de l'environnement.

* 93 Les attributions du conseil d'administration sont détaillées à l'article R. 131-9 du code de l'environnement.

* 94 Le conseil scientifique est, en particulier, « consulté sur les programmes d'études et de recherches entrepris par l'agence » ainsi que prévu à l'article R. 131-13 du code de l'environnement.

* 95 Cette composition est définie à l'article L. 131-4 du code de l'environnement.

* 96 Cet ajout résulte de l'article 12 de la loi n° 2019-753 du 22 juillet 2019 portant création d'une Agence nationale de la cohésion des territoires.

* 97 Rapport annuel de performance de l'Ademe, 2020, p. 5.

* 98 Rapport précité, p. 16.

* 99 Annexe n° 11 du Tome III du rapport général de Jean-François Husson fait par le rapporteur spécial Christine Lavarde au nom de la commission des finances du Sénat, p. 49.

* 100 Loi n° 2020-1721 du 29 décembre 2020 de finances pour 2021.

* 101 Annexe n° 22 « Plan de relance - plan d'urgence face à la crise sanitaire » du tome III du rapport n° 138 de Jean-François Husson fait au nom de la commission des finances, p. 61.

* 102 Proposition n° 27, p. 47 du rapport « 50 propositions pour le plein exercice des libertés locales » du Sénat.

* 103 L'étude d'impact du projet de loi précise que « le nombre de représentants pour ce collègue resterait de trois » (p. 254).

* 104 Article 78 de la loi.

* 105 Étude d'impact du projet de loi, p. 255.

* 106 Elle visait à associer l'ANCT nouvellement créée à la gouvernance de l'Ademe.

* 107 Proposition n° 27 p. 47.

* 108 Amendement COM-141 rect. et COM-162 rect.

* 109 Étude d'impact du projet de loi p. 270.

* 110 Rapport n° 110 de Jérôme Bignon fait au nom de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable sur la proposition de loi portant diverses mesures tendant à réguler « l'hyper-fréquentation » dans les sites naturels et culturels patrimoniaux, en date du 13 novembre 2019, p. 7.

* 111 Les zones humides sont protégées par la convention Ramsar.

* 112 Les sites Natura 2000 obéissent à un régime fixé conventionnellement.

* 113 La loi n° 86-2 du 3 janvier 1986 dite « Loi littoral » protège les espaces naturels situés sur les littoraux français.

* 114 Le représentant de l'État dans le département peut prendre des arrêtés de protection de biotopes aux fins de protéger les habitats naturels.

* 115 L'article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales liste, non limitativement, les missions de police municipale. Celle visant à prévenir les pollutions de toute nature est prévue au 5° de cet article.

* 116 Rapport n° 110 de Jérome Bignon précité, p. 13.

* 117 Adoptée par le Sénat le 21 novembre 2019, cette proposition de loi n'a pas été inscrite à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale.

* 118 L'article 56 bis du projet de loi dit « climat et résilience », introduit par un amendement du rapporteur de la commission spéciale de l'Assemblée nationale en commission, est un « transfuge » de cette disposition.

* 119 Décision n° 2019-823 QPC, du 31 janvier 2020 : «le Conseil constitutionnel a jugé « que la protection de l'environnement, patrimoine commun des êtres humains, constitue un objectif de valeur constitutionnel » et « qu'à ce titre il appartient au législateur d'assurer la conciliation des objectifs précités avec l'exercice de la liberté d'entreprendre ».

* 120 Avis du Conseil d'État en date du 6 mai 2021, p. 18.

* 121 Ce régime est défini au B du I de l'article L. 5211-9-2 du code général des collectivités territoriales.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page