Rapport n° 743 (2020-2021) de M. Sébastien MEURANT , fait au nom de la commission des finances, déposé le 7 juillet 2021

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N° 743

SÉNAT

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2020-2021

Enregistré à la Présidence du Sénat le 7 juillet 2021

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des finances (1) sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, de règlement du budget et d' approbation des comptes de l' année 2020 ,

Par M. Jean-François HUSSON,

Rapporteur général,

Sénateur

TOME II

CONTRIBUTIONS DES RAPPORTEURS SPÉCIAUX

ANNEXE N° 16

Immigration, asile et intégration


Rapporteur spécial : M. Sébastien MEURANT

(1) Cette commission est composée de : M. Claude Raynal , président ; M. Jean-François Husson , rapporteur général ; MM. Éric Bocquet, Emmanuel Capus, Bernard Delcros, Vincent Éblé, Charles Guené, Mme Christine Lavarde, MM. Dominique de Legge, Albéric de Montgolfier, Didier Rambaud, Jean-Claude Requier, Mmes Sophie Taillé-Polian, Sylvie Vermeillet , vice-présidents ; MM. Jérôme Bascher, Rémi Féraud, Marc Laménie, Stéphane Sautarel , secrétaires ; MM. Jean-Michel Arnaud, Arnaud Bazin, Mme Nadine Bellurot, M. Christian Bilhac, Mme Isabelle Briquet, MM. Michel Canévet, Vincent Capo-Canellas, Thierry Cozic, Philippe Dallier, Vincent Delahaye, Philippe Dominati, Mme Frédérique Espagnac, MM. Éric Jeansannetas, Patrice Joly, Roger Karoutchi, Christian Klinger, Antoine Lefèvre, Gérard Longuet, Victorin Lurel, Hervé Maurey, Sébastien Meurant, Jean-Marie Mizzon, Claude Nougein, Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Paul Toussaint Parigi, Georges Patient, Jean-François Rapin, Teva Rohfritsch, Pascal Savoldelli, Vincent Segouin, Jean Pierre Vogel .

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 15 ème législ.) :

4090 , 4195 et T.A. 628

Sénat :

699 (2020-2021)

LES PRINCIPALES OBSERVATIONS
DU RAPPORTEUR SPÉCIAL

1. Pour la mission « Immigration, asile et intégration », l'exercice 2020 est marqué par une sous exécution des crédits votés en loi de finances, de l'ordre de 8 % , aussi bien en AE qu'en CP. Le montant des crédits exécutés a ainsi diminué de 4,1 % en AE et de 1,36 % en CP.

2. Les évolutions sont toutefois contrastées entre les deux programmes. La sous exécution dépasse les 25 % pour le programme 104 « Intégration et accès à la nationalité française ». Le niveau d'exécution des crédits du programme 303 « Immigration et asile » est quant à lui supérieur de 2 % en AE et en CP à la prévision. L'action 02 « Garantie de l'exercice du droit d'asile », qui finance notamment l'allocation pour demandeur d'asile (ADA) et les dépenses d'hébergement des demandeurs d'asile est en sur-exécution de 0,6 % en AE et 2,4 % en CP.

3. S'agissant des demandes d'asile, la crise sanitaire a entraîné une baisse des flux de nouvelles demandes (- 41 % de premières demandes en guichets uniques, - 28 % de demandes à l'Ofpra). Malgré ce contexte favorable à la maîtrise des dépenses d'asile, l'allocation pour demandeur d'asile (ADA) fait en 2020 l'objet d'une sur exécution toujours préoccupante, qui s'élève à plus de 7 %.

4. La crise sanitaire a entrainé une importante sous-exécution des crédits destinés à la lutte contre l'immigration clandestine , de 24,5 % en AE et de 30 % en CP. L'année 2020 a ainsi connu une baisse drastique des éloignements (- 47,8 % entre 2019 et 2020). Si cette baisse n'aurait sans doute pas pu être évitée, le rapporteur spécial plaide néanmoins pour que ce « retard » dans le nombre d'éloignements fasse l'objet d'un réel rattrapage à compter de la réouverture des frontières. Il propose ainsi que les crédits prévus en 2022 pour les frais d'éloignement de migrants fassent l'objet d'une augmentation sensible. Parallèlement à ce nécessaire accompagnement budgétaire, le rapporteur spécial plaide pour que des évolutions juridiques soient apportées afin de lutter contre l'immigration clandestine , à l'instar du rétablissement du délit de séjour irrégulier ou de la suppression de la limitation de durée des obligations de quitter le territoire français (OQTF) à un an.

I. EXÉCUTION DES CRÉDITS DE LA MISSION EN 2020

La mission « Immigration, asile et intégration » n'a pas vu, en 2020, son architecture connaître de modification. Elle reste ainsi composée de deux programmes :

- le programme 303 « Immigration et asile » , qui regroupe essentiellement les dépenses liées à la garantie du droit d'asile et à la lutte contre l'immigration irrégulière. Il s'agit principalement de dépenses contraintes dont le dynamique est, du fait du niveau historiquement élevé de la demande d'asile, en forte hausse ;

- le programme 104 « Intégration et accès à la nationalité française » , qui rassemble les crédits en faveur de l'intégration des étrangers en situation régulière, à travers la subvention de l'État à l'Office français de l'immigration et de l'intégration (Ofii) ou les dotations aux associations.

Le rapporteur spécial rappelle que les crédits de la mission ne regroupent qu'une part très minoritaire du budget de l'État relatif à l'immigration. Les dépenses de l'État induites par l'immigration ne se limitent pas à la mission « Immigration, asile et intégration ». Le coût estimé de la politique française de l'immigration et de l'intégration est de 5,8 milliards d'euros en 2018, de 6,2 milliards d'euros en 2019, de 6,7 milliards d'euros en 2020 et de 6,9 milliards d'euros en 2021.

Part des crédits de paiement de la mission « Immigration, asile et intégration » par rapport à l'ensemble des crédits de la « Politique française
de l'immigration et de l'intégration »

(en %)

Source : commission des finances, d'après le document de politique transversale « Politique française de l'immigration et de l'intégration » annexé au présent projet de loi de finances

Cette dépense est retracée dans le document de politique transversale (DPT) « Politique française de l'immigration et de l'intégration » annexé chaque année au projet de loi de finances, auquel contribuent 9 ministères, en plus du ministère de l'intérieur. Il ne prend en réalité en compte que les dépenses directes et orientées à titre principal vers les étrangers. Le rapporteur spécial regrette, à cet égard, que le ministère de l'intérieur, pourtant chef de file de cette politique publique, ne soit toujours pas en mesure d'apporter de réponse à ses questions relatives aux coûts de l'immigration supportés par les collectivités territoriales et les organismes de sécurité sociale.

L'exercice 2020 est marqué par une sous-exécution des crédits votés en loi de finances, de l'ordre de 8 %, aussi bien en AE qu'en CP . Le montant des crédits exécutés a ainsi diminué de 4,1 % en AE et de 1,36 % en CP.

Évolution des crédits de la mission « Immigration, asile et intégration »
en 2020

(en millions d'euros et en pourcentage)

2019

2020

Exécution / prévision 2020

Exécution

2020 / 2019

Prévision

Exécution

Prévision

Exécution

en volume

en %

en volume

en %

104 - Intégration et accès à la nationalité française

AE

442,5

386,9

- 12,6 %

525,0

391,9

- 133,2

- 25,4 %

+ 4,9

+ 1,3 %

CP

442,6

386,3

- 12,7 %

525,1

391,3

- 133,8

- 25,5 %

+ 5,0

+ 1,3 %

303 - Immigration et asile

AE

1 493,3

1 617,7

+ 8,3 %

1 565,9

1 530,3

- 35,5

- 2,3 %

- 87,4

- 5,4 %

CP

1 330,8

1 453,1

+ 9,2 %

1 450,3

1 423,1

- 27,3

- 1,9 %

- 30,0

- 2,1 %

Total mission

AE

1 935,8

2 004,6

+ 3,6 %

2 090,9

1 922,2

- 168,7

- 8,1 %

- 82,4

- 4,1 %

CP

1 773,3

1 839,4

+ 3,7 %

1 975,4

1 814,4

- 161,0

- 8,2 %

- 25,0

- 1,4 %

AE : autorisations d'engagement. CP : crédits de paiement. Prévision : prévision en loi de finances initiale, y compris les prévisions de fonds de concours (FDC) et attributions de produits (ADP). Exécution : consommation constatée dans le projet de loi de règlement.

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

Les évolutions sont toutefois contrastées entre les deux programmes. La sous-exécution dépasse les 25 % pour le programme 104 « Intégration et accès à la nationalité française ».

Évolution des crédits par action du programme 104

(en millions d'euros et en %)

2019

2020

Exécution / prévision 2020

Exécution

2020 / 2019

Exécution

Crédits votés LFI

Prévision LFI

Exécution

en volume

en %

en volume

en %

11 - Accueil des étrangers primo arrivants

AE

214,5

255,4

266,7

191,4

- 75,2

- 28,2 %

- 23,1

- 10,8 %

CP

214,5

255,4

266,7

191,4

- 75,2

- 28,2 %

- 23,1

- 10,8 %

12 - Actions d'accompagnement des étrangers en situation régulière

AE

52,6

53,2

63,4

53,0

- 10,4

- 16,4 %

+ 0,4

+ 0,7 %

CP

52,1

53,2

63,4

52,6

- 10,7

- 16,9 %

+ 0,5

+ 1,0 %

14 - Accès à la nationalité française

AE

1,0

1,0

1,0

1,0

- 0,0

- 1,7 %

- 0,1

- 6,8 %

CP

1,0

1,0

1,0

1,0

- 0,1

- 6,9 %

- 0,0

- 3,5 %

15 - Accompagnement des réfugiés

AE

110,6

113,6

185,9

138,5

- 47,4

- 25,5 %

+ 27,8

+ 25,2 %

CP

110,6

113,6

185,9

138,3

- 47,6

- 25,6 %

+ 27,6

+ 25,0 %

16 - Accompagnement du plan de traitement des foyers de travailleurs migrants

AE

8,1

8,1

8,1

8,0

- 0,1

- 1,8 %

- 0,1

- 1,6 %

CP

8,1

8,1

8,1

8,0

- 0,1

- 1,7 %

- 0,1

- 1,4 %

Total programme

AE

386,9

431,4

525,0

391,9

- 133,2

- 25,4 %

+ 4,9

+ 1,3 %

CP

386,3

431,4

525,1

391,3

- 133,8

- 25,5 %

+ 5,0

+ 1,3 %

LFI : loi de finances initiale. La prévision en LFI inclut les prévisions de fonds de concours (FDC) et d'attribution de produits (ADP), ce qui n'est pas le cas des crédits votés en LFI. L'exécution constatée dans le projet de loi de règlement inclut les FDC et ADP constatés.

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

Le niveau d'exécution des crédits du programme 303 « Immigration et asile » est quant à lui supérieur de 2 % en AE et en CP à la prévision . L'action 02 « Garantie de l'exercice du droit d'asile », qui finance notamment l'allocation pour demandeur d'asile (ADA) et les dépenses d'hébergement des demandeurs d'asile est en sur-exécution de 0,6 % en AE et 2,4 % en CP.

Évolution des crédits par action du programme 303

(en millions d'euros et en %)

2019

2020

Exécution / prévision 2020

Exécution

2020 / 2019

Exécution

Crédits votés LFI

Prévision LFI

Exécution

en volume

en %

en volume

en %

01 - Circulation des étrangers et politique des visas

AE

0,0

0,5

0,8

0,0

- 0,8

- 100,0 %

0,0

0,0 %

CP

0,0

0,5

0,8

0,0

- 0,8

- 100,0 %

0,0

0,0 %

02 - Garantie de l'exercice du droit d'asile

AE

1 441,7

1 377,1

1 399,6

1 407,4

+ 7,8

+ 0,6 %

- 34,3

- 2,4 %

CP

1 299,9

1 251,8

1 274,3

1 304,4

+ 30,2

+ 2,4 %

+ 4,6

+ 0,4 %

03 - Lutte contre l'immigration irrégulière

AE

143,3

113,1

150,0

113,2

- 36,8

- 24,6 %

- 30,1

- 21,0 %

CP

113,6

122,9

159,8

111,9

- 47,8

- 29,9 %

- 1,7

- 1,5 %

04 - Soutien

AE

32,7

5,7

15,5

9,7

- 5,8

- 37,2 %

- 23,0

- 70,2 %

CP

39,6

5,7

15,5

6,7

- 8,8

- 56,9 %

- 32,9

- 83,1 %

Total programme

AE

1 617,7

1 496,5

1 565,9

1 530,3

- 35,5

- 2,3 %

- 87,4

- 5,4 %

CP

1 453,1

1 380,9

1 450,3

1 423,1

- 27,3

- 1,9 %

- 30,0

- 2,1 %

LFI : loi de finances initiale. La prévision en LFI inclut les prévisions de fonds de concours (FDC) et d'attribution de produits (ADP), ce qui n'est pas le cas des crédits votés en LFI. L'exécution constatée dans le projet de loi de règlement inclut les FDC et ADP constatés.

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

Cette différence entre les deux programmes s'explique principalement par la sous-évaluation des dépenses de guichet (ADA et hébergement de demandeurs d'asile) financées par le programme 303 « Immigration et asile » (cf. infra ), tandis que les dispositifs d'intégration prévus par le programme 104 « Intégration et accès à la nationalité française » ont vu leur fonctionnement largement limité par la crise.

Malgré le contexte particulier lié à la crise sanitaire, l'exécution 2020 de la mission ne fait pas exception aux biais rencontrés quasiment chaque année, menant à une sur-exécution des dépenses d'asile et une sous-exécution des dépenses d'intégration.

Ainsi, la loi de finances rectificative du 1 er décembre 2020 1 ( * ) a annulé 34,99 millions d'euros en AE et 41,88 millions d'euros en CP du programme 104 « Intégration et accès à la nationalité française », pour financer les dépenses de même montant liées à l'action 02 « Garantie de l'exercice du droit d'asile » du programme 303.

La mission « Immigration, asile et intégration » a également bénéficié, pour une part significative, de fonds de concours abondés principalement par les fonds européens dédiés aux thématiques de l'immigration, l'asile et l'intégration (FAMI et FSI) et par des fonds britanniques soutenant l'accueil des demandeurs d'asile.

Des mesures réglementaires ont également été prises en gestion afin de financer la sur-exécution des dépenses d'ADA.

Mouvements de crédits en cours de gestion
sur l'exercice 2020

(en millions d'euros)

AE

CP

LFI

1 927,814

1 812,344

LFR

34,987

41,88

Autres mouvements de crédits

7,053

-6,597

Reports de crédits 2019

10,044

4,691

Virements

0,491

-0,039

Transferts

-0,95

-0,95

Annulations

-2,532

-10,299

Fonds de concours et attributions de produits

47,407

51,381

Total des crédits ouverts

2 017,261

1 899,009

Réserve en fin de gestion

34,987

41,88

Gel initial

72,489

67,87

Surgels

10,553

17,443

Dégels en gestion

48,054

43,433

Crédits disponibles

1 982,274

1 857,128

Crédits consommés

1 922,169

1 814,359

Solde

60,106

42,769

Source : commission des finances du Sénat (d'après la note d'exécution budgétaire de la Cour des comptes)

II. LES OBSERVATIONS DU RAPPORTEUR SPÉCIAL

1. Malgré une baisse des demandes de plus de 40 %, une sur-exécution des dépenses d'asile traduisant l'absence structurelle de maîtrise des dépenses liées à l'immigration

Les dépenses de l'action n° 02 « Garantie de l'exercice du droit d'asile » concentrent à elles seules plus de 73 % des crédits de paiement de la mission. Cette action, qui finance les dépenses relatives à l'asile, fait l'objet d'une sur-exécution chronique, particulièrement importante depuis le début de la crise migratoire, en 2015.

Elle a ainsi connu en 2020 une sur-exécution de 0,6 % en AE et de 2,4 % en CP, relativement limitée par rapport aux années précédentes. La crise sanitaire a en effet entrainé de moindres dépenses : la subvention de l'Office français pour les réfugiés et les apatrides (Ofpra) a été réduite de 7,5 millions d'euros par rapport à loi de finances initiale. La crise l'a contraint à suspendre les entretiens de demandeurs d'asile durant le premier confinement au printemps 2020, puis à adapter son activité d'accueil des demandeurs d'asile au contexte sanitaire.

Surtout, la crise sanitaire a entraîné une baisse des flux de nouvelles demandes (- 41 % de premières demandes en guichets uniques, - 28 % de demandes à l'Ofpra).

Malgré ce contexte favorable à la maîtrise des dépenses d'asile (ADA), l'allocation pour demandeur d'asile fait en 2020 l'objet d'une sur-exécution toujours préoccupante.

Montants prévus et exécutés des dépenses afférentes à l'allocation temporaire d'attente (ATA) et à l'allocation pour demandeur d'asile (ADA)

(en CP, en millions d'euros)

ATA

ADA

LFI

Exécution

LFI

Exécution

2009

30

68,4

2010

53

105

2011

54

157,8

2012

89,7

149,8

2013

140

149,2

2014

129,8

169,5

2015

93,3

81

2016

0

30

148,8

316,1

2017

0

177,3

220

348,8

2018

0

9,9

317,7

424,23

2019

0

5,01

335,83

492,5

2020

0

3,61

448

481,5

Source : commission des finances (d'après les documents budgétaires)

La sur-exécution des dépenses d'ADA s'élève cette année à 7,5 %.

Montants prévus et exécutés des dépenses afférentes
à l'allocation pour demandeur d'asile en 2020

(en AE/CP, en millions d'euros)

Source : commission des finances (d'après les documents budgétaires)

L'ADA a été versée en 2021 à 105 405 ménages en moyenne mensuelle, en baisse de 1 % par rapport à 2019 (106 571 ménages). Le montant additionnel de 7,4 euros par jour et par adulte auquel aucun hébergement n'a pu être proposé a été versé en moyenne à 62 000 ménages pour un montant total de 171,3 millions d'euros. Le montant moyen d'allocation versé par mois représente ainsi 390 euros par ménage.

Le gouvernement indique que la sur-exécution de la dépense s'explique par l'impact de la crise sanitaire. Si cette dernière a entraîné une baisse des flux, elle a également suspendu l'activité des différents acteurs du système de l'asile pendant la durée du premier confinement, ce qui a contribué à allonger sensiblement la durée moyenne d'instruction des demandes d'asile. Ainsi, à l'Ofpra, l'accueil des demandeurs d'asile en entretien a dû être interrompu pendant la durée du premier confinement et n'a pu reprendre que progressivement, entraînant une augmentation importante des délais d'instruction (262 jours en 2020 contre 166 en 2019), soit une hausse de près de 57 %.

Délai d'examen des demandes d'asile à l'Ofpra

(en jours)

Source : commission des finances (d'après les documents budgétaires)

Les dépenses d'asile ont en outre été favorisées par la situation de blocage due à la crise sanitaire, qui a conduit à suspendre les transferts Dublin à partir du mois de mars jusqu'en juin. Ceux-ci n'ont ensuite repris qu'à un niveau trop modéré, puisqu'au total, selon le rapport annuel de performance, sur l'année 2020, 3 166 transferts (donnée provisoire) ont été réalisés, soit une baisse de 44 % par rapport à l'année 2019 (5 674 transferts). L'application du règlement Dublin n'ayant pas été suspendue par l'Union européenne, les délais de procédure ont continué à courir, entraînant le transfert de la responsabilité de l'examen des demandes à la France après le séjour réglementaire de six mois et, par suite, des requalifications de procédure permettant aux personnes concernées d'introduire une nouvelle demande d'asile en France auprès de l'Ofpra et de rester bénéficiaires de l'allocation. Le rapporteur spécial regrette ainsi que le niveau des transferts n'ait pas pu être rattrapé à l'été, et plus globalement, que le cadre juridique européen des demandes d'asile n'ait subi aucun ajustement (comme, par exemple, une prolongation du délai de séjour réglementaire permettant à un « dubliné » de déposer une nouvelle demande en France) de mieux réguler les flux entre les États membres.

Sans remettre en cause le caractère imprévisible de la crise sanitaire et ses effets sur la durée de perception de l'ADA, le rapporteur spécial estime que cette année encore, la sur-exécution des dépenses d'asile traduit une absence totale de maîtrise des dépenses liées à l'immigration et une volonté délibérée du gouvernement d'en masquer le coût lors de l'élaboration de la loi de finances initiale. Il est à cet égard particulièrement préoccupant que le gouvernement ne soit pas parvenu à maîtriser le coût de l'ADA dans un contexte pourtant historique de baisse des demandes d'asile.

2. La crise a entrainé un retard dans la lutte contre l'immigration clandestine qui devra faire l'objet d'un rattrapage

La crise sanitaire a entrainé une importante sous-exécution des crédits destinés à la lutte contre l'immigration clandestine, de 24,5 % en AE et de 30 % en CP.

Évolution des crédits de l'action 03
« Lutte contre l'immigration irrégulière »

(en millions d'euros)

Source : commission des finances (d'après les documents budgétaires)

Les frais d'éloignement des migrants en situation irrégulière atteignent ainsi 23 millions d'euros en AE et en CP en 2020, soit près de 10 millions de moins que prévu en loi de finances initiale (32,6 millions d'euros). L'activité de billetterie, qui permet l'éloignement des étrangers en situation irrégulière par le biais de moyens de transports en commun réguliers ou affrétés, est la plus touchée par la crise sanitaire avec une consommation de 15,63 millions d'euros en CP (contre 30,9 millions d'euros en 2019) 2 ( * ) . En effet, la fermeture des frontières des principaux pays de retour (Algérie, Maroc et Tunisie notamment), la difficulté à obtenir des laisser passer consulaires en raison, principalement, de la fermeture de certains postes consulaires, la baisse du trafic aérien commercial et la baisse du nombre de places de rétention disponibles expliquent les difficultés rencontrées à compter du premier confinement.

Il est regrettable que ces évolutions aient entrainé une baisse drastique des éloignements (- 47,8 % entre 2019 et 2020 dont - 51,8 % d'éloignements forcés).

Si cette baisse n'aurait sans doute pas pu être évitée, le rapporteur spécial plaide néanmoins pour que ce « retard » dans le nombre d'éloignements fasse l'objet d'un réel rattrapage à compter de la réouverture des frontières . Il propose ainsi pour que les crédits prévus en 2022 pour les frais d'éloignement de migrants fassent l'objet d'une augmentation sensible.

Évolution du nombre d'éloignements

Note : les éloignements aidés correspondent à des aides au retour sans contrainte. Les éloignements non-aidés correspondent à des éloignements mis en oeuvre par la contrainte.

Source : commission des finances, d'après le ministère de l'intérieur

Parallèlement à ce nécessaire accompagnement budgétaire, le rapporteur spécial plaide pour que des évolutions juridiques soient apportées afin de lutter contre l'immigration clandestine , à l'instar du rétablissement du délit de séjour irrégulier 3 ( * ) ou de la suppression de la limitation de durée des obligations de quitter le territoire français (OQTF) à un an. Le rapporteur spécial salue les mesures initiées par le gouvernement social-démocrate danois ces derniers mois, permettant d'orienter les étrangers demandant l'asile au Danemark vers des pays tiers, comme le Rwanda, avec lesquels des protocoles d'entente vont être signés ou encore de systématiser l'éloignement d'étrangers dont le statut de réfugiés a été retiré (à la suite, par exemple, d'une amélioration des conditions de sécurité dans le pays d'origine du réfugié).


* 1 Loi n° 2020-1473 du 30 novembre 2020 de finances rectificative pour 2020.

* 2 La consommation des crédits liés à l'exploitation des avions du ministère de l'intérieur (Beechcraft 1900 et Dash), qui s'élève à 3,50 a également été inférieure à la consommation 2019 (5,1 millions d'euros) en raison du contexte sanitaire.

* 3 Ce dernier a été supprimé par la loi n° 2012-1560 du 31 décembre 2012 relative à la retenue pour vérification du droit au séjour et modifiant le délit d'aide au séjour irrégulier pour en exclure les actions humanitaires et désintéressées.

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