Rapport n° 743 (2020-2021) de Mme Nadine BELLUROT , fait au nom de la commission des finances, déposé le 7 juillet 2021

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N° 743

SÉNAT

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2020-2021

Enregistré à la Présidence du Sénat le 7 juillet 2021

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des finances (1) sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, de règlement du budget et d' approbation des comptes de l' année 2020 ,

Par M. Jean-François HUSSON,

Rapporteur général,

Sénateur

TOME II

CONTRIBUTIONS DES RAPPORTEURS SPÉCIAUX

ANNEXE N° 17

Investissements d' avenir


Rapporteure spéciale : Mme Nadine BELLUROT

(1) Cette commission est composée de : M. Claude Raynal , président ; M. Jean-François Husson , rapporteur général ; MM. Éric Bocquet, Emmanuel Capus, Bernard Delcros, Vincent Éblé, Charles Guené, Mme Christine Lavarde, MM. Dominique de Legge, Albéric de Montgolfier, Didier Rambaud, Jean-Claude Requier, Mmes Sophie Taillé-Polian, Sylvie Vermeillet , vice-présidents ; MM. Jérôme Bascher, Rémi Féraud, Marc Laménie, Stéphane Sautarel , secrétaires ; MM. Jean-Michel Arnaud, Arnaud Bazin, Mme Nadine Bellurot, M. Christian Bilhac, Mme Isabelle Briquet, MM. Michel Canévet, Vincent Capo-Canellas, Thierry Cozic, Philippe Dallier, Vincent Delahaye, Philippe Dominati, Mme Frédérique Espagnac, MM. Éric Jeansannetas, Patrice Joly, Roger Karoutchi, Christian Klinger, Antoine Lefèvre, Gérard Longuet, Victorin Lurel, Hervé Maurey, Sébastien Meurant, Jean-Marie Mizzon, Claude Nougein, Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Paul Toussaint Parigi, Georges Patient, Jean-François Rapin, Teva Rohfritsch, Pascal Savoldelli, Vincent Segouin, Jean Pierre Vogel .

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 15 ème législ.) :

4090 , 4195 et T.A. 628

Sénat :

699 (2020-2021)

LES PRINCIPALES OBSERVATIONS
DU RAPPORTEUR SPÉCIAL

1. En 2020, le Secrétariat général pour l'investissement (SGPI) a mobilisé près de 1 459 millions d'euros de crédits issus du PIA 3 pour soutenir les entreprises fragilisées par la crise sanitaire, financer le développement de solutions innovantes contre le Covid-19 et accompagner la reprise. Si le rapporteur salue les efforts réalisés, il relève que ces ajustements ont nécessité de multiples mouvements de crédits, en lois de finances rectificatives et en gestion. Afin de garantir une meilleure traçabilité des mouvements réalisés, il serait donc opportun de consacrer, dans les documents budgétaires à venir, un volet dédié à l'impact budgétaire des mesures prises dans le cadre de la crise sanitaire .

2. Si l'exécution 2020 témoigne d'une montée en puissance bienvenue dans la consommation des crédits , le montant des restes à payer sur la mission « Investissements d'avenir » demeure relativement élevé , de l'ordre de 5,5 milliards d'euros. Il importe donc de poursuivre sur cette lancée dans les mois à venir, afin de garantir la soutenabilité des engagements pris.

3. Étant donné le caractère largement dérogatoire des règles budgétaires applicables au PIA 3, le contrôle parlementaire du suivi et de l'emploi de la dépense revêt une importance accrue. Or, la dispersion des informations financières et l'importance des mouvements de crédits réalisés en cours de gestion nuisent à la lisibilité de l'exécution. Le rapporteur déplore d'autant plus cet état de fait qu'il risque d'être significativement aggravé en 2021, par le lancement du PIA 4 .

I. EXÉCUTION DES CRÉDITS DE LA MISSION EN 2020

Le troisième programme d'investissement d'avenir (PIA 3) repose sur une mission budgétaire propre , la mission « Investissements d'avenir », créée par la loi de finances initiale pour 2017. Cette mission est composée de trois programmes distincts , dont le Secrétariat général pour l'Investissement (SGPI) est responsable :

- le programme 412 « Soutien des progrès de l'enseignement et de la recherche » ;

- le programme 422 « Valorisation de la recherche » ;

- le programme 423 « Accélération de la modernisation des entreprises ».

La mise en oeuvre des actions du PIA3, et en conséquence, la gestion des crédits, n'est pas confiée aux ministères mais à des opérateurs , au nombre de quatre : l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME), l'Agence nationale de la recherche (ANR), Bpifrance et la Caisse des dépôts et consignations (CDC). Les relations entre l'État et chaque opérateur sont formalisées par voie conventionnelle , tant pour les modalités de gestion que d'utilisation des fonds.

La mission avait pour particularité en 2017 de bénéficier uniquement de 10 milliards d'euros d'autorisations d'engagement, sans aucun crédit de paiement, le précédent Gouvernement n'ayant pas assumé le coût budgétaire du programme qu'il lançait alors.

Le nouveau Gouvernement a néanmoins confirmé en septembre 2017 le maintien du PIA 3, tout en l'intégrant dans son « Grand plan d'investissement » (GPI) : parmi les 57 milliards d'euros identifiés pour ce plan sur la durée du quinquennat, 10 milliards d'euros restent ainsi alloués au PIA 3. La mission « Investissements d'avenir » demeure identique à la structure qui prévalait en 2017 s'agissant des programmes et actions qui la composent.

Les crédits de la mission « Investissements d'avenir » ne sont pas soumis à régulation budgétaire et ne peuvent donc faire l'objet de mise en réserve .

1. Une consommation intégrale, fin 2020, des autorisations d'engagement votées en 2017

En 2017, sur les 10 milliards d'euros d'autorisations d'engagement (AE) votées en loi de finances initiale, seuls 5,08 milliards d'euros ont réellement été consommés , les 4,92 milliards d'euros d'AE restantes faisant l'objet d'un report anticipé 1 ( * ) sur l'année 2018. En 2018, puis en 2019, les AE reportées n'ont pas été intégralement exécutées, si bien que deux reports successifs ont été actés, à hauteur de 950 millions d'euros sur l'exercice 2019 2 ( * ) , puis 232 millions d'euros sur l'exercice 2020 3 ( * ) .

En 2020, ce montant a été minoré d'un transfert de 30 millions d'euros, l'exécution s'élevant donc à 202 millions d'euros d'AE. Par conséquent, au 31 décembre 2020, l'intégralité des AE ouvertes en 2017 a été consommée .

Plusieurs redéploiements de crédits en provenance des PIA 1 et 2 sont néanmoins intervenus entre 2018 et 2020, portant l'enveloppe totale du PIA 3 à 10,3 milliards d'euros . Partant, au 31 décembre 2020, le taux d'exécution des AE de la mission s'élève à 97,6 %, contre 95,5 % en 2019.

Exécution des autorisations d'engagement de la mission
entre 2017 et 2020

(en millions d'euros)

Source : commission des finances, à partir des documents budgétaires

L'année 2020 a également été marquée par d'importants mouvements de crédits en réponse à la crise sanitaire , en loi de finances rectificative et en gestion.

Un redéploiement de 150 millions d'euros en AE a ainsi été opéré dans le cadre de la 3 ème loi de finances rectificative 4 ( * ) , depuis l'action « Sociétés universitaires de recherche » du programme 421 vers l'action « Grands défis » du programme 423, pour permettre la création d'une enveloppe d'investissement dédiée à la souveraineté, intitulée « French Tech souveraineté » 5 ( * ) . Par ailleurs, la 4 ème loi de finances rectificative 6 ( * ) a prévu un redéploiement de 15 millions d'euros en AE et CP depuis l'action « Investissements dans la formation en alternance » du PIA 1, afin de recharger l'action « Territoires d'innovation pédagogique » du programme 421.

En gestion, un redéploiement de crédits a été réalisé au sein du programme 422, d'un montant de 18,9 millions d'euros issus des reliquats constatés sur l'action du PIA 1 « Astrid », vers l'action « Nucléaire de demain » du programme 422. Le SGPI estime, en parallèle, que les redéploiements de crédits en gestion visant à faire face aux conséquences de la crise sanitaire atteignent 315 millions d'euros (voir ci-après).

Exécution des autorisations d'engagement
de la mission « Investissements d'avenir » en 2020

(en millions d'euros)

LFI 2017

AE consommées au 31 décembre 2019

AE ouvertes en 2020

AE consommées en 2020

Taux consommation des AE votées en 2017

PROGRAMME 421

SOUTIEN DES PROGRÈS DE L'ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR ET DE LA RECHERCHE

01 «Nouveaux cursus à l'université»

250,0

250

0,0

30,0

112,0 %

02 « Programmes prioritaires de recherche »

400,0

400

0,0

0,0

100,0 %

03 «Équipements structurants de recherche »

350,0

340,0

0,0

0,0

97,1 %

04 «Soutien des grandes universités de recherche»

700,0

700,0

0,0

0,0

100,0 %

05 «Constitution d'écoles universitaires de recherche»

300,0

300,0

0,0

0,0

100,0 %

06 «Créations expérimentales de sociétés universitaires et scientifiques»

400,0

400,0

0,0

- 150,0

62,5 %

07 «Territoires d'innovation pédagogique»

500,0

250,0

232,0

187,0

87,4 %

Sous-total

2 900,0

2 640,0

232,0

67,0

93,3 %

PROGRAMME 422

VALORISATION DE LA RECHERCHE

01 « Intégration des SATT, incubateurs et accélérateurs »

150,0

150,0

0,0

0,0

100,0 %

02 « Fonds national post-maturation « Frontier venture » »

500,0

500,0

0,0

0,0

100,0 %

03 « Démonstrateurs et territoires d'innovation de grande ambition »

1 500,0

1635,3

0,0

0,0

109,0 %

04 « Nouveaux écosystèmes d'innovation »

230,0

125,0

0,0

0,0

54,3 %

05 « Accélération du développement des écosystèmes d'innovation performants »

620,0

960,0

0,0

0,0

154,8 %

Sous-total

3 000,0

3370,3

0,0

0,0

112,3 %

PROGRAMME 423

ACCÉLÉRATION DE LA MODERNISATION DES ENTREPRISES

01 « Soutien à l'innovation collaborative »

550,0

600,0

0,0

0,0

109,1 %

02 « Accompagnement et transformation des filières »

1 000,0

883,8

0,0

215,8

110,0 %

03 « Industrie du futur »

350,0

0,0

0,0

0,0

0,0 %

04 « Adaptation et qualification de la main d'oeuvre »

100,0

- 248,6

0,0

- 10,8

- 259,4 %

05 « Concours d'innovation »

300,0

508,0

0,0

- 120,0

129,3 %

06 « Fonds national d'amorçage 2 »

500,0

500,0

0,0

0,0

100,0 %

07 « Fonds à l'internationalisation des PME »

200,0

200,0

0,0

- 100,0

50,0 %

08 « Fonds de fonds Multicap Croissance 2 »

400,0

600,0

0,0

0,0

150,0 %

09 « Grands défis »

700,0

500,0

0,0

150,0

92,9 %

Sous-total

4 100,0

3 543,2

0,0

135,0

89,7 %

TOTAL

10 000,0

9 553,5

232,0

202,0

97,6 %

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

2. Une exécution des crédits de paiement conforme aux prévisions

L'exécution des crédits de la mission de la mission se révèle très largement conforme à la budgétisation initiale , les crédits de la mission ayant été exécutés à hauteur de 98,5 % , soit un taux d'exécution supérieur à celui constaté en 2019 (97,1 %).

Exécution des CP de la mission

(en milliards d'euros)

Source : commission des finances, à partir des documents budgétaires

En pratique, les écarts à la prévision constatés sur les programmes 421 (- 27,6 %) et 423 (+ 8,3 %) s'expliquent essentiellement par :

- le transfert vers la mission « Culture » de 30 millions d'euros afférents à la rénovation du château de Villers-Cotterêts, initialement portés par le programme 421 ;

- un redéploiement net de 85 millions d'euros de crédits réalisé dans la 4 ème loi de finances rectificative 7 ( * ) , du programme 421 vers le programme 423. En pratique, une enveloppe de 100 millions d'euros a été redéployée depuis l'action « Sociétés universitaires de recherche » du programme 421 vers l'action « Grands défis » du programme 423, afin d'effectuer les premiers investissements pour l'enveloppe « French Tech Souveraineté », tandis qu'en parallèle, 15 millions d'euros en AE et CP ont été annulés sur l'action « Investissements dans la formation en alternance » du PIA 1 8 ( * ) pour abonder l'action « Territoires d'innovation pédagogique » portée par le programme 421 du PIA 3, mobilisée en faveur du Centre national d'enseignement à distance (Cned) pour développer les outils d'enseignement numérique dans le contexte de la crise sanitaire.

Exécution des crédits de la mission par programme

(en millions d'euros)

Source : commission des finances, à partir des documents budgétaires

Pour rappel, dans le cadre du PIA 3, la consommation des CP correspond en réalité à la mise à disposition des quatre opérateurs des crédits afférents, sur un compte à leur nom détenu au Trésor. Cette opération n'a donc aucun impact au sens de Maastricht.

Les crédits sont ensuite décaissés en faveur des bénéficiaires finaux sous quatre formes : subventions et dotations décennales 9 ( * ) (39,7 % des crédits consommés en 2020), avances remboursables (7,3 % des crédits consommés) ou prises de participations (53,3 % des crédits consommés).

Répartition des crédits exécutés en fonction de leur nature

(en millions d'euros)

Source : commission des finances, à partir des documents budgétaires.

Dans le cas de prises de participations, les crédits transitent par le CAS 731 « Participations financières de l'État » et n'ont pas d'impact sur le déficit public au sens du traité de Maastricht.

Par conséquent, si l'exécution 2020 se caractérise par un niveau de dépense deux fois supérieur à celui constaté en 2019 , elle n'affecte que modérément le déficit « maastrichtien » (+ 277,5 millions d'euros par rapport à 2019).

II. LES OBSERVATIONS DU RAPPORTEUR SPÉCIAL

1. Les PIA à l'épreuve de la crise sanitaire : des crédits fortement mobilisés

Dans le contexte de la crise sanitaire, le Secrétariat général pour l'investissement (SGPI) a mobilisé près de 1 459 millions d'euros de crédits issus du PIA 3, dont 315 millions d'euros de crédits redéployés .

À cet égard, il convient de relever que la souplesse caractérisant la gestion du PIA 3 se prêtait particulièrement à l'adaptation et la réorientation en urgence de plusieurs actions , qu'il s'agisse du renforcement et de la diversification des moyens dévolus à la recherche dans le secteur de la santé ou du lancement de dispositifs destinés à soutenir les entreprises en difficulté et accompagner la reprise.

Ces crédits ont essentiellement été mobilisés à partir du programme 423 « Accélération de la modernisation des entreprises », doté de 4,1 milliards d'euros en AE (soit 41 % des AE ouvertes pour l'ensemble de la mission). En 2020, l'intégralité des 1 105,0 millions d'euros de crédits de paiement ouverts sur le programme 423 ont ainsi été consommés .

Mesures prises dans le contexte de la crise sanitaire

(en millions d'euros)

Mesures d'urgence pour les acteurs impactés par la crise

Création d'un dispositif provisoire « French Tech bridge » pour organiser un investissement-relais de quelques mois au profit des start-ups à fort potentiel de croissance, leur permettant de passer la période de ralentissement économique

160 M€

Renforcement des fonds propres des entreprises impactées par la crise (PME et ETI qui réalisent au moins 5 millions d'euros de chiffre d'affaires) via le fonds dit « de renforcement des PME » (FRPME)

45 M€

Mesures destinées à développer des solutions innovantes
face à la crise sanitaire

Lancement d'un appel à projets « PSPC-Covid 19 » pour développer des solutions thérapeutiques contre la Covid-19

84 M€

Lancement d'un appel à manifestation d'intérêt pour identifier et soutenir les projets innovants dans la lutte contre la Covid-19 (production de médicaments ou principes actifs)

120 M€

Ouverture d'une thématique « Santé - situation d'urgences » lors du lancement de la 4 ème vague du concours d'innovation i-Nov

20 M€

Lancement d'un appel à projets intitulé « Hybridation des formations de l'enseignement supérieur » pour développer de nouveaux modes d'enseignement, à la fois en présentiel et à distance

45 M€

Mesures visant à accompagner la reprise économique

Cofinancement de projets d'innovation partenariale portés par les Instituts de recherche technologique (IRT) et des Instituts pour la transition énergétique (ITE) jusqu'en 2025

450 M€

Aides aux projets de recherche et développement structurants pour la compétitivité (PSCP) pour soutenir l'innovation des filières industrielles

100 M€

Contribution aux plans de relance sectoriels français :

- Plan automobile : soutien aux activités de R&D des industriels (150 M€)

- Plan aéronautique : soutien aux premiers travaux visant le lancement d'une nouvelle gamme d'avions commerciaux à propulsion hydrogène (135 M€)

- Plan Tech : création d'une enveloppe « French Tech Souveraineté » pour soutenir les entreprises développant des technologies d'avenir à caractère souverain (150 M€)

435 M€

Total

1 459 M€

Source : commission des finances, à partir des documents budgétaires

Si le rapporteur salue donc les efforts réalisés, il relève néanmoins que ces ajustements ont nécessité de multiples mouvements de crédits. Selon le SGPI, ces derniers ont eu lieu au sein des enveloppes existantes et n'ont donc pas eu d'impact majeur sur l'exécution budgétaire 2020. Ces nombreux redéploiements obèrent cependant de manière significative la capacité de la représentation nationale à suivre l'exécution des crédits votés en loi de finances initiale, a fortiori quand ils proviennent des PIA 1 et 2 (cf. infra ).

Pour le rapporteur, il serait donc opportun de garantir une plus grande traçabilité des mouvements réalisés , en consacrant dans les documents budgétaires à venir un volet dédié à l'impact des mesures liées à la crise sanitaire sur la gestion opérée en 2020.

2. Malgré une accélération des décaissements en 2020, une mise en oeuvre relativement lente du PIA 3

La mission « Investissements d'avenir » se caractérise par la persistance d'un important décalage temporel entre la consommation budgétaire des crédits du PIA et le versement effectif des dotations aux projets soutenus .

En effet, la consommation des crédits du PIA 3 se fait en deux temps. Tandis que les dépenses de l'État vers les opérateurs sont suivies dans le cadre de la procédure budgétaire annuelle , les dépenses des opérateurs vers les bénéficiaires finaux sont suivies par le biais d'une comptabilité ad hoc , faisant l'objet d'un compte-rendu trimestriel adressé au Parlement.

La consommation des crédits fait ainsi intervenir trois phases successives :

- l'engagement , matérialisé par la décision du Premier ministre, qui désigne une enveloppe par projet financé et confie à l'opérateur le soin de négocier un contrat entre l'État et le bénéficiaire ;

- la contractualisation , correspondant à la signature d'un contrat entre l'État et chaque bénéficiaire d'un financement ;

- le décaissement , c'est-à-dire le paiement effectif des sommes aux bénéficiaires, qui s'étale sur plusieurs années.

Comparaison de l'état d'avancement du PIA 3 entre 2018 et 2020

(en milliards d'euros)

Source : commission des finances, à partir des documents budgétaires

Au 31 décembre 2020, alors que 9,75 milliards d'euros d'AE et 4,16 milliards d'euros de CP ont été consommés sur le périmètre de la mission « Investissements d'avenir », seuls 1,2 milliard d'euros ont effectivement été décaissés au profit des porteurs de projets .

L'exécution 2020 témoigne néanmoins d'une montée en puissance bienvenue dans les décaissements. Avec une progression de 0,7 milliard d'euros en 2020, contre 0,4 milliard d'euros en 2019, les crédits décaissés sont supérieurs, en flux, aux nouveaux engagements pris en 2020, de l'ordre de 0,2 milliard d'euros en AE.

De la même manière, les niveaux d'engagement et de contractualisation des crédits atteints à la fin de l'année 2020 témoignent d'une accélération notable dans la mise en oeuvre du PIA 3 .

Ces résultats sont à mettre en relation avec les mesures prises par le SGPI pour adapter les modalités de financement des lauréats du PIA dans le contexte de la crise , avec notamment une accélération dans le versement de près de 250 millions d'euros d'aides à l'innovation déjà attribuées mais pas encore perçues par leurs bénéficiaires.

Le rapporteur note cependant que le montant des restes à payer reste important , puisque seuls 4,16 milliards d'euros de CP ont été exécutés à la fin de l'année 2020, soit un peu plus de 40 % des AE votées en loi de finances initiale pour 2017 . Au 1 er janvier 2021, les restes à payer s'élèvent ainsi à plus de 5,5 milliards d'euros selon le SGPI, dont 2,05 milliards d'euros sur le programme 421, 1,95 milliard d'euros sur le programme 422 et 1,59 milliard d'euros sur le programme 423.

Dans ce contexte, si le décaissement progressif des fonds en loi de finances initiale permet de préserver le pouvoir de contrôle de la représentation nationale, il n'est pas sans impact sur la gestion de leur trésorerie par les quatre opérateurs de la mission . En effet, ces derniers élaborent des échéanciers de versements des fonds aux porteurs de projets, sans maitriser le rythme des décaissements budgétaires qui leur sont alloués.

Il importe donc, pour garantir la soutenabilité des engagements pris et éviter une mise sous tension trop importante de la trésorerie des opérateurs, que le décaissement des fonds s'intensifie dans les mois à venir .

3. Un déficit toujours substantiel de lisibilité, qui risque d'être aggravé à l'avenir

Les règles budgétaires applicables au PIA 3 dérogent largement aux grands principes des finances publiques.

Ainsi, la gestion des crédits du PIA reste très largement extrabudgétaire et induit une double comptabilité (cf. supra ) ce qui implique pour la représentation nationale de recourir à plusieurs outils de suivi extrabudgétaire , au premier rang desquels figurent les bilans financiers trimestriels du SGPI.

Le PIA 3 se caractérise également par des règles particulièrement souples en matière de reports et de redéploiements des crédits . En 2020, des redéploiements massifs sont donc intervenus, tantôt entre actions des PIA et actions du budget général, tantôt entre actions des PIA 1 et 2 et actions du PIA 3, tantôt entre actions du PIA 3, tantôt au sein d'une même action du PIA 3 (pour rééquilibrage entre différents modes de financement).

Ainsi, à titre d'exemple, les documents budgétaires précisent qu'un montant de 18,9 millions d'euros de reliquats constatés sur l'action du PIA 1 « Astrid » a été redéployés sur l'action « Démonstrateurs » du PIA 3, mais que ce mouvement « n'apparait pas dans l'exécution 2020 », puisque les crédits ont été « rétablis, puis annulés avant d'être à nouveau reconsommés sur la même action » 10 ( * ) .

Pour le rapporteur, l'ampleur et la fréquence de ces mouvements, difficilement lisibles pour certains, complexifient considérablement le suivi de l'exécution des actions et la lecture des documents budgétaires transmis au Parlement.

Dans ce contexte, comme l'a rappelé le Comité de surveillance, la pérennisation des investissements d'avenir ne pourra être équilibrée vis-à-vis du Parlement que « si les principes d'additionnalité et les exigences en termes de reporting et d'évaluation des actions sont respectées » 11 ( * ) .

Or, le rapporteur relève, cette année encore, la persistance de plusieurs entorses au principe d'additionnalité, selon lequel les crédits du PIA n'ont pas vocation à se substituer aux dotations budgétaires ordinaires.

Ainsi, l'action « Nano 2022 » du programme 422 « Valorisation de la recherche » contribue-t-elle aux côtés du Fonds pour l'innovation et l'industrie (FII) et du programme 192 « Recherche et enseignement supérieur en matière économique et industrielle » de la mission « Recherche et enseignement supérieur » au programme « Nano 2022 », qui faisait historiquement l'objet d'un financement sur crédits budgétaires. Le rapporteur regrette la mobilisation des crédits du PIA pour combler des « trous budgétaires », qui s'apparente à un détournement de cet outil exclusivement créé pour augmenter le potentiel de croissance économique de la France.

De la même manière, il serait actuellement envisagé de mobiliser des crédits issus du PIA 3 (notamment sur le volet régionalisé) pour participer à l'effort de reconversion industrielle du territoire de Fessenheim après la fermeture de la centrale en 2020. Étant donné que cette démarche semble peu conforme à la doctrine d'investissement votée par le Parlement lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2021 12 ( * ) , le rapporteur suivra avec une attention particulière les décisions qui seront prises sur ce point.

Enfin, s'agissant du reporting , le rapporteur regrette que la dispersion des informations financières nuise au suivi et au contrôle de l'emploi des crédits du PIA 3 . Ce déficit de lisibilité est d'autant plus problématique qu'il risque d'être significativement aggravé par le lancement d'un quatrième programme d'investissements d'avenir, contemporain au PIA 3.

Alors même que l'intégralité des crédits de paiement n'a pas encore été versée aux opérateurs, deux programmes d'investissement d'avenir, avec des rythmes nécessairement divergents d'engagement et de consommation des crédits, coexisteront donc au sein de la même mission budgétaire . Il y a dès lors fort à craindre qu'il soit encore plus malaisé, pour le Parlement, de disposer d'une vision d'ensemble de l'impact et de gestion de ces programmes .


* 1 Arrêté du 25 janvier 2018 portant report de crédits.

* 2 L'arrêté du 13 mars 2019 portant report de crédits ouvre 250 millions d'euros d'AE sur le programme 421 et 700 millions d'AE sur le programme 423.

* 3 L'arrêté du 7 février 2020 portant report de crédits ouvre 232 millions d'euros d'AE sur le programme 421.

* 4 Loi n° 2020-935 du 30 juillet 2020 de finances rectificative pour 2020.

* 5 Ce nouveau volet de l'action « Grands défis » a été introduit par avenant à la convention du 11 décembre 2020 entre l'État et Bpifrance.

* 6 Loi n° 2020-1473 du 30 novembre 2020 de finances rectificative pour 2020.

* 7 Loi n° 2020-1473 du 30 novembre 2020 de finances rectificative pour 2020.

* 8 Ces crédits ont été rétablis au niveau du programme 423 puis annulés et rouverts sur le programme 421 en LFR4.

* 9 Il s'agit de dotations versées dans leur intégralité aux opérateurs mais ne pouvant être versées aux bénéficiaires que par tranches annuelles dont le montant ne peut excéder 10 % de la dotation. Elles sont principalement utilisées pour les actions du programme 421 relatives à la recherche.

* 10 Rapport annuel de performance 2020, p.49.

* 11 Ibid.

* 12 Article 233.

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