B. LES OBSERVATIONS DU RAPPORTEUR SPÉCIAL

1. Une sous-exécution inédite des dépenses de personnel, dont une part importante est reportée sur l'exécution 2021

Le faible niveau de consommation des crédits sur l'exercice 2020 par rapport à l'exercice précédent s'explique en grande partie par la sous-consommation des dépenses de personnel, qui constituent plus de 87 % des dépenses des deux programmes.

Taux d'exécution des dépenses totales et des dépenses de personnel

(en millions d'euros)

Exécution 2019

LFI 2020

Exécution 2020

Exécution 2020 / LFI 2020

Police nationale

Titre 2

9 743,94

9 954,39

9 789,27

98,34%

Total

10 902,96

10 990,91

10 915,89

99,32%

Gendarmerie nationale

Titre 2

7 633,47

7 778,13

7 701,59

99,02%

Total

8 977,38

9 103,15

9 100,34

99,97%

Ensemble

Titre 2

17 377,41

17 732,52

17 490,86

98,64%

Total

19 880,34

20 094,06

20 016,23

99,61%

Source : commission des finances du Sénat (d'après les documents budgétaires)

La crise sanitaire a eu des conséquences sur l'exécution des dépenses de personnel de la police nationale en raison du ralentissement de l'activité opérationnelle et du décalage du schéma d'emploi.

Le taux d'exécution des dépenses de personnel de la police nationale s'élève à 98,34 % en 2020. Cette sous-exécution s'explique par les conséquences de la crise, pour un total estimé à 21,2 millions d'euros, sous le double effet de la baisse de l'activité opérationnelle et du décalage des incorporations. Cette sous-consommation a permis de financer la « prime COVID-19 » (14,1 millions d'euros hors CAS « Pensions » pour 22 075 agents bénéficiaires soit 15 % des effectifs).

Le ralentissement de l'activité opérationnelle a généré une baisse des indemnités opérationnelles des forces mobiles pour 9,3 millions d'euros (IJAT pour 1,5 million d'heures, heures supplémentaires versées aux CRS pour 5,1 millions d'euros, heures de nuit, dimanche et jours fériés pour 1,7 millions d'euros, astreintes pour 1 million d'euros). La faible mobilisation de la réserve civile a également entrainé une économie d'environ 5 millions d'euros.

Malgré la réalisation du schéma d'emplois (voir infra ), le décalage des incorporations et la diminution de la capacité d'accueil des écoles font baisser l'impact financier du schéma d'emploi 2020 de 6,9 millions d'euros. Par ailleurs, certaines économies indirectes sont partiellement induites par le décalage des incorporations et génèrent un report des paiements sur 2021 (11,1 millions d'euros sur les primes de fidélisation, d'installation, prestations sociales).

Le taux d'exécution des dépenses de personnel de la gendarmerie nationale s'élève à 99,07 % : la crise sanitaire y a également dégradé le rythme normal des incorporations du fait des mesures de protection mises en place dans les écoles. En outre, la crise a généré des reports de charges sur 2021 du fait du décalage de l'activité opérationnelle de la gendarmerie nationale.

En revanche, la réserve opérationnelle et la gendarmerie mobile ont connu un engagement fort à compter de la fin du premier confinement sanitaire (sécurité du quotidien, contrôle aux frontières, lutte anti-terrorisme). Ainsi, un report de charge exceptionnel sur 2021 de 21,2 millions d'euros pour la réserve opérationnelle, de 6,8 millions d'euros d'indemnité journalière d'absence temporaire (IJAT), et de 1,3 million d'euros pour les incorporations, seront pris sous le plafond des ressources de 2021.

Ainsi, la sous-consommation imputable au retard des incorporations se traduit principalement, pour la police nationale, par un décalage des dépenses, avec un effet rebond des dépenses de personnel en 2021. Le rapporteur spécial relève donc que les faibles taux d'exécution des dépenses de personnel des deux programmes ne traduisent aucunement une amélioration de leur soutenabilité, mais un phénomène conjoncturel lié à la crise sanitaire qui devrait amplifier les tensions structurelles des deux programmes sur l'exercice 2021.

2. Une poursuite des recrutements et des mesures indemnitaires

L'année 2020 est marquée par la poursuite du plan de recrutement, de 10 000 effectifs des forces de sécurité intérieure sur le quinquennat, dont 7 500 pour la gendarmerie nationale et 2 500 pour la police nationale. Le schéma d'emplois de la mission était en loi de finances initiale de 1 900 ETP, en baisse par rapport à 2019 (2 388 ETP), en s'établissant à des niveaux de 2018 (1 870 ETP).

Le schéma d'emplois réalisé en 2020 pour les deux programmes (1 914 ETP) est supérieur de 14 ETP (0,7 %) à celui prévu en loi de finances initiale (1 900 ETP). Malgré une baisse de 19 % par rapport à 2019, le schéma d'emplois exécuté en 2020 traduit le dynamisme des emplois de la mission . En dépit de la crise et de ses conséquences directes sur le recrutement et la formation, ce schéma d'emplois a bien été réalisé, mais tardivement, reportant l'impact financier à 2021 en année pleine.

Schéma d'emploi de la mission « Sécurités »

(en ETP)

Source : commission des finances du Sénat (d'après les documents budgétaires)

Le schéma d'emplois 2020 a été exécuté dans le respect de la cible fixée. Toutefois, les écarts des sorties et des entrées avec le schéma d'emplois prévisionnel sont consécutifs à la crise sanitaire sur le volume et le rythme des incorporations des adjoints de sécurité et des cadets de la République, décalées et compensées par le prolongement des contrats en cours.

Schéma d'emploi de la mission « Sécurités »

(en ETP)

Gendarmerie nationale

Police nationale

LFI

Exécution

LFI

Exécution

Sorties

11 153

11 239

7 326

8 389

dont retraites

3 127

3 289

2 173

2 296

Entrées

11 643

11 755

8 724

9 787

Schéma d'emplois

490

516

1 398

1 398

Source : commission des finances du Sénat (d'après les documents budgétaires)

Pour la gendarmerie, le schéma d'emplois réalisé en 2020 affiche un solde excédentaire (+ 26 ETP) par rapport à la cible. Cet excédent est dû à des mouvements intervenus en fin de gestion, notamment la création des effectifs nécessaires au renforcement de la lutte contre le cyber-djihadisme (+ 13 ETP) et dans le cadre de Frontex, pour renforcer les contrôles aux frontières (+ 11 ETP).

En plus du plan de recrutement quinquennal, le dynamisme tendanciel des dépenses de personnel est alimenté par le poids des mesures de revalorisation indemnitaires, qui ont représenté une hausse de 263 millions d'euros en 2020 par rapport à 2019 pour les deux programmes.

Structure de la variation des dépenses de personnel des programmes « Police nationale » et « Gendarmerie nationale » en 2020

(en millions d'euros, en crédits de paiement)

Gendarmerie nationale

Police nationale

Exécution 2019 hors CAS- Pensions

4 206

6 554,50

+/- Impact des mesures de transfert

- 9,6

- 153,1

- Débasage de dépenses atypiques

- 67,4

- 61,6

+/- Impact du schéma d'emplois 2019

29,1

34,9

+/- Impact du schéma d'emplois 2020

- 20,8

4,6

+ Mesures générales

2,6

2

+ Mesures catégorielles

92,6

170,3

+ GVT positif

56,2

80,5

- GVT négatif

- 66,4

- 37,1

Rebasage de dépenses atypiques

56,5

54

+/- Mesures diverses

- 27,9

- 17

Total : Montant exécuté 2020

4 251

6 632

Source : commission des finances du Sénat (d'après les documents budgétaires)

En effet, les policiers et les gendarmes ont obtenu, en avril 2016, la signature de deux protocoles leur accordant d' importantes mesures de revalorisation des carrières et des rémunérations 5 ( * ) . Les coûts supplémentaires liés à ces protocoles étaient alors estimés par le ministère de l'intérieur à 475,3 millions d'euros en 2022, hors contribution au CAS « Pensions ». En outre, ainsi que le relevait la Cour des comptes 6 ( * ) , l'ensemble de ces mesures catégorielles a un coût annuel élevé et mal maîtrisé, puisqu'elles prévoient également des avancements massifs par repyramidage des corps, augmentant mécaniquement la part des gradés les plus élevés, et les dépenses de personnel associées.

En 2020, le coût supplémentaire des protocoles de 2016 est de 54,9 millions d'euros pour la gendarmerie nationale et de 79,9 millions d'euros pour la police nationale.

Coût supplémentaire du protocole de 2018

(en millions d'euros, en AE/CP)

2016

2017

2018

2019

2020

2021

2022

Coût cumulé

Gendarmerie nationale

3,5

64,1

27,2

51,3

54,9

3,6

1,4

206

Dont coûts hors PPCR

3,5

46,1

27,2

20,3

10,9

2,5

1,4

111,9

Dont coûts PPCR

/

18

/

31

44

1,1

/

94,1

Police nationale

2,8

70,9

28,1

60,3

79,9

18,6

8,7

269,3

Dont coûts hors PPCR

1,4

12,5

28,1

24

24,3

13,6

8,7

112,6

Dont coûts PPCR

1,4

58,4

/

36,3

55,6

5,1

/

156,7

Total

6,3

135

55,3

111,6

133,4

22,1

10,1

475,3

Source : commission des finances du Sénat (d'après la Cour des comptes)

Ce dernier a été suivi d'un autre protocole, conclu le 19 décembre 2018 7 ( * ) avec les syndicats de police nationale dans le contexte de la forte activité générée par le mouvement des « gilets jaunes ». En 2020, le coût du protocole de 2018 atteint 60,7 millions d'euros pour la police nationale et 37 millions d'euros pour la gendarmerie nationale. Au total, le coût du protocole de 2018 atteindra alors, pour les deux programmes, un coût annuel cumulé de 238,5 millions d'euros en 2021, hors contribution au CAS « Pensions ».

Ainsi, en exécution 2020, l'impact financier de ces deux protocoles est de 170,4 millions d'euros pour le programme 176 « Police nationale » et de 92,6 millions d'euros pour le programme 152 « Gendarmerie nationale ».

Le rapporteur spécial estime que ces mesures, conjuguées aux plans de recrutements, qui ne s'accompagnent d'aucune réelle mesure d'économie, ne sont pas maîtrisées et mettent en cause la soutenabilité de l'ensemble des deux programmes.

Le ministre de l'intérieur a également indiqué vouloir relancer « le projet de gratuité des transports pour les forces de l'ordre », qui existe déjà pour les gendarmes, et constitue une attente forte des policiers, mais serait extrêmement coûteux pour le programme. Le rapporteur spécial rappelle que cet avantage constitue pour les militaires une contrepartie de leur disponibilité permanente et de leur mobilité totale. En tout état de cause, le coût d'un tel projet, s'il devait être supporté par le programme 176 « Police nationale », s'élèverait à environ 60 millions d'euros par an 8 ( * ) , diminuant d'autant les marges de manoeuvre disponibles pour les crédits de fonctionnement et d'investissement.

3. Une poursuite de l'indemnisation du stock d'heures supplémentaires de la police nationale, dans des proportions toujours limitées

La soutenabilité des dépenses de rémunération des deux forces est également obérée par la persistance d'un stock d'heures supplémentaires dans la police nationale, qui atteignait près de 21 millions d'heures au 31 décembre 2019.

Au cours du dernier trimestre 2019, une partie de ce stock avait été indemnisé, à la suite de l'adoption de la loi de finances rectificative pour 2019, de crédits budgétaires à hauteur de 50 millions d'euros, dans des conditions toutefois contestables sur le plan de la régularité budgétaire 9 ( * ) .

La loi de finances initiale pour 2020 a prévu une dotation exceptionnelle de 26,5 millions d'euros au titre de l'indemnisation du flux des heures supplémentaires. En gestion, plus de 2,2 millions d'heures ont été indemnisées pour un montant total de 27,1 millions d'euros.

Stock d'heures supplémentaires de la police nationale

(en millions d'heures)

Source : commission des finances du Sénat

Toutefois, eu égard aux marges disponibles sur les dépenses de personnel cette année, la Cour des comptes s'interroge sur le choix d'utiliser une fongibilité asymétrique à hauteur de 62 millions d'euros au profit du hors titre 2 plutôt que d'indemniser plus d'heures supplémentaires 10 ( * ) . Le rapporteur spécial estime que ce choix démontre la hauteur des besoins financiers de la mission, qui concerne tant les engagements sur les dépenses de personnel que la nécessité de moderniser les équipements des forces.

En tout état de cause, le rapporteur spécial estime que le stock d'heures supplémentaires, qui représente un montant indemnisable de 825,5 millions d'euros CAS « Pensions » compris, constitue une charge financière de nature à obérer significativement la marge de manoeuvre de la police nationale sur les années à venir. L'apurement de ce stock devra inévitablement s'accompagner d'efforts en matière d'organisation du temps de travail visant à limiter l'augmentation du flux.

4. Un amorçage de l'effort de relance ne remettant pas en cause les grands déséquilibres de la mission en 2020, et qui devra s'inscrire dans la durée pour produire de réels effets

La gestion de l'année 2020, marquée par des économies conjoncturelles en dépenses de personnel, a permis aux forces de sécurité d'investir dans des équipements pour leurs personnels dans le cadre du plan de relance. Le montant total des dépenses d'équipement réalisées en 2020 pour les deux forces s'élève ainsi à 401 millions d'euros, contre 332 en 2019.

Dépenses d'équipement de la police et de la gendarmerie nationales

(en millions d'heures)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les données de la Cour des comptes

Pour la gendarmerie nationale, cet effort a été permis par l'ouverture en loi de finances rectificative de crédits dédiés à l'achat d'équipements du quotidien (13 millions d'euros) au bénéfice des unités. Le plan de relance a également permis l'ouverture de crédits pour l'acquisition de véhicules (37,7  millions d'euros). Pour sa part, la police nationale a choisi de dédier une partie des crédits dégagés par une sous-consommation des dépenses de personnels au financement de pistolets à impulsion électrique et accessoires supplémentaires (5,5 millions d'euros), permettant d'accélérer la dotation des services. La police a aussi bénéficié d'ouvertures de crédits en lois de finances rectificatives, dans le cadre du plan de relance, pour renouveler son parc de véhicules (37,65 millions d'euros).

L'amorçage de l'effort de relance n'entraine pas, en 2020, d'évolution significative dans la proportion des dépenses de personnel dans l'ensemble des dépenses des deux programmes.

Les dépenses de rémunération représentent 87,38 % des crédits des programmes « Police nationale » et « Gendarmerie nationale », ce qui représente un niveau inférieur à celui prévu en loi de finances initiale, en raison de la sous-consommation conjoncturelle des dépenses de personnel entrainée par la crise sanitaire

Ce taux reste toutefois à un niveau comparable à celui constaté sur l'exécution 2019. Sans véritable plan de renforcement des capacités, le risque d'éviction des rémunérations sur le matériel demeure, d'autant plus qu'une partie des dépenses de personnel prévue en 2020 a été décalée, du fait du report de mesures catégorielles et de recrutements tardifs qui pèseront sur la gestion de 2021.

Part des dépenses de personnel dans l'ensemble des crédits
de la « Police nationale » et de la « Gendarmerie nationale »

(en crédits de paiement)

2018

2019

LFI 2020

Exécution 2020

Police nationale

Titre 2

9 400,80

9 743,94

9 954,39

9 789,27

Total

10 595,74

10 902,96

10 990,91

10 915,89

Titre 2 / Total

88,72%

89,37%

90,57%

89,68%

Gendarmerie

Titre 2

7 346,69

7 633,47

7 778,13

7 701,59

Total

8 734,98

8 977,38

9 103,15

9 100,34

Titre 2 / Total

84,72%

84,13%

85,44%

84,63%

Total

Titre 2

16 747,49

17 377,41

17 732,52

17 490,86

Total

19 330,72

19 880,34

20 094,06

20 016,23

Titre 2 / Total

86,64%

87,41%

88,25%

87,38%

Source : commission des finances du Sénat (d'après les documents budgétaires)

Ainsi, alors que les dépenses de personnel ont augmenté de près de de 20 % en 10 ans, les dépenses de fonctionnement et d'investissement n'ont augmenté que de près de 11 %, traduisant l'existence d'un effet d'éviction des secondes par les premières.

Évolution comparée des dépenses de personnel
et des autres dépenses depuis 2010

(en millions d'euros)

2010

2020

Évolution 2010 / 2020

Titre 2

14 112,9

17 490,86

19,31%

Hors titre 2

2 260,1

2 525,37

10,50%

Source : commission des finances du Sénat (d'après les documents budgétaires)

Au total, le plan de relance doit être replacé dans le contexte d'augmentation des dépenses de personnel, sous le double effet des recrutements et des mesures indemnitaires. Ces dernières, qui sont difficilement pilotables devraient poursuivre leur tendance à la hausse et créer à nouveau un effet d'éviction des dépenses d'investissement et de fonctionnement une fois le plan de relance passé, ce qui appelle donc à une prudence particulière.


* 5 Il s'agit, notamment, de la transposition pour la police et la gendarmerie nationale du protocole de modernisation des parcours professionnels, des carrières et des rémunérations (PPCR).

* 6 Cour des comptes, référé au Premier ministre du 13 mars 2018 sur les rémunérations et le temps de travail dans la police et la gendarmerie nationales.

* 7 Ce protocole fait suite à un amendement du gouvernement adopté par l'Assemblée nationale, qui prévoyait de « de financer une prime exceptionnelle de 300 € qui sera versée aux 111 000 policiers et militaires qui ont participé aux récentes opérations [de maintien de l'ordre] ».

* 8 Rapport général n° 138 (2020-2021) de M. Philippe Dominati, fait au nom de la commission des finances, déposé le 19 novembre 2020.

* 9 Rapport n° 625 (2018-2019) de M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général, fait au nom de la commission des finances, déposé le 3 juillet 2019.

* 10 Cour des comptes, note d'exécution budgétaire 2020 de la mission « Sécurités ».

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