E. LA SÉCURITÉ SANITAIRE DE L'ALIMENTATION : UNE EXÉCUTION MARQUÉE PAR LA CRISE SANITAIRE

Le programme 206 de la mission AAFAR est consacré à la sécurité et à la qualité sanitaire de l'alimentation. L'action publique mise en oeuvre sous l'égide de la direction générale de l'alimentation (DGAL) tend à s'inscrire dans des logiques diversifiées alliant la prévention des crises et la réaction à celles-ci une fois déclenchées.

Les précédents rapporteurs spéciaux, il y a quatre ans, ont consacré à la politique publique destinée à garantir la sécurité sanitaire des aliments un rapport de contrôle et d'évaluation 12 ( * ) qui avait pu souligner les besoins de consolidation d'une politique publique évidemment essentielle.

Malgré une amélioration sur certains points, dont les ressorts sont difficiles à identifier dans une période fortement marquée par les effets de la situation sanitaire en cours, les différents objectifs poursuivis par le programme sont loin d'être atteints et révèlent une fragilité du système de surveillance sanitaire à laquelle les rapporteurs spéciaux souhaitent une fois de plus qu'il soit remédié.

Enfin, l'année 2020 ressort comme très forte en enjeux internationaux, qu'il s'agisse de la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne ou de la pression sanitaire exercée par des crises très préoccupantes, enjeux qui appellent des clarifications sérieuses, soit une démarche au rebours de celle observée en cours d'année.

1. Une exécution budgétaire qui matérialise certains déséquilibres de l'action publique de sécurité sanitaire des aliments, accentués par les effets de la situation sanitaire

L'essentiel de l'effort budgétaire porte sur la surveillance en continu de la santé des végétaux et des animaux, les moyens de prévention les plus en amont et les plus proches de l'assiette du consommateur se trouvant globalement délaissés (excepté du point de vue strictement réglementaire).

L'exécution 2020 ne dément pas cette configuration mais y ajoute le poids d'événements exogènes en lien avec la pandémie résultant de la propagation du coronavirus .

Ainsi, en 2020, les dépenses du programme ont augmenté de 1 % par rapport à celles constatées en 2019 . Mais l'exécution des crédits a conduit à adopter des ajustements très significatifs par rapport à la prévision budgétaire. L'organisation des missions de contrôle sanitaire a été profondément ajustée en 2020 : la priorité a été accordée aux contrôles en abattoir et aux contrôles à l'importation et à la certification à l'export.

Toutefois, la mise en oeuvre de nombreux contrôles a été retardée : la Cour des comptes indique ainsi que le nombre de contrôles réalisés en 2020 diminue de 20 % par rapport à 2019. Compte tenu du ralentissement des contrôles sanitaires et phytosanitaires, le programme a fait l'objet d'une annulation de crédits hors titre 2 en LFR, de 17 millions d'euros en AE et de 19 millions d'euros en CP.

Évolution des crédits par action du programme 206

(en millions d'euros et en %)

2019

2020

Exécution / prévision 2020

Exécution

2020 / 2019

Exécution

Crédits votés LFI

Prévision LFI

Exécution

en volume

en %

en volume

en %

01 - Prévention et gestion des risques inhérents à la production végétale

AE

27,0

36,1

36,9

30,9

- 6,0

- 16,2 %

+ 4,0

+ 14,6 %

CP

27,9

35,9

36,7

31,0

- 5,7

- 15,4 %

+ 3,1

+ 11,3 %

02 - Lutte contre les maladies animales et protection des animaux

AE

109,6

105,3

113,2

99,9

- 13,3

- 11,8 %

- 9,7

- 8,9 %

CP

111,1

104,8

112,7

97,7

- 14,9

- 13,3 %

- 13,4

- 12,0 %

03 - Prévention et gestion des risques sanitaires liés aux denrées alimentaires

AE

20,8

20,7

22,7

23,8

+ 1,2

+ 5,1 %

+ 3,0

+ 14,5 %

CP

20,4

20,9

22,9

24,6

+ 1,8

+ 7,7 %

+ 4,2

+ 20,6 %

04 - Actions transversales

AE

71,6

80,5

80,5

75,7

- 4,8

- 5,9 %

+ 4,2

+ 5,8 %

CP

72,0

80,6

80,6

75,8

- 4,7

- 5,9 %

+ 3,8

+ 5,3 %

05 - Elimination des cadavres et des sous-produits animaux

AE

3,5

4,0

4,0

2,9

- 1,1

- 26,6 %

- 0,6

- 16,1 %

CP

3,5

4,0

4,0

2,9

- 1,1

- 26,6 %

- 0,6

- 16,1 %

06 - Mise en oeuvre de la politique de sécurité et de qualité sanitaires de l'alimentation

AE

311,4

318,3

318,3

319,6

+ 1,4

+ 0,4 %

+ 8,2

+ 2,6 %

CP

311,4

318,3

318,3

319,6

+ 1,3

+ 0,4 %

+ 8,2

+ 2,6 %

08 - Qualité de l'alimentation et offre alimentaire

AE

4,6

4,0

4,0

4,7

+ 0,7

+ 17,4 %

+ 0,1

+ 3,0 %

CP

4,3

4,0

4,0

3,8

- 0,2

- 4,2 %

- 0,4

- 9,7 %

Total programme

AE

548,5

568,9

579,6

557,7

- 21,9

- 3,8 %

+ 9,2

+ 1,7 %

CP

550,6

568,4

579,1

555,6

- 23,5

- 4,1 %

+ 4,9

+ 0,9 %

LFI : loi de finances initiale. La prévision en LFI inclut les prévisions de fonds de concours (FDC) et d'attribution de produits (ADP), ce qui n'est pas le cas des crédits votés en LFI. L'exécution constatée dans le projet de loi de règlement inclut les FDC et ADP constatés.

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

Hors titre 2, la surveillance des végétaux (13,1 % des dépenses) mobilise nettement moins de moyens que celle des animaux (41,4 %) 13 ( * ) tandis que les interventions sur les stades de l'aval de la chaîne alimentaire (en particulier, l'inspection en abattoir), il est vrai relativement consommatrice en emplois, ne concentre que 10,4 % des moyens.

Les menaces sanitaires sont extrêmement vives et les risques tendent à se concrétiser, comme l'ont montré une série d'événements retentissants ces dernières années, les infections à plus bas bruits demeurant tout à fait ordinaires. L'année 2020 a ainsi été marquée par une lutte contre les maladies animales comme la tuberculose bovine - l'épidémie d'influenza aviaire déclarée à la fin 2020 aura quant à elle des conséquences sur l'exécution en 2021 14 ( * ) . L'exécution 2020, avec un schéma d'emplois nul, témoigne sous cet angle d'un manque d'attention à ces problématiques.

En outre, le dispositif de performances du programme, qui est mal construit, révèle de sérieuses difficultés auxquelles il faut remédier.

Sa structure, qui repose sur trois objectifs documentés par onze indicateurs, a évolué à partir de 2020 par l'introduction d'un indicateur spécifique relatif au glyphosate, une amélioration des conditions de suivi du plan Ecophyto, et une modification de l'indicateur concernant les projets alimentaires territoriaux (PAT).

Les indicateurs financiers ont totalement disparu. Ainsi, alors que cette donnée est évidemment essentielle pour un contrôle de gestion sérieux, le coût moyen des inspections n'est plus fourni.

Quant aux résultats, force est d'observer que la situation créée par le coronavirus a encore renforcé cette année les difficultés traditionnellement rencontrées pour en faire une analyse fiable.

À titre d'exemple, la constante progression de la consommation de « doses unités de pesticides » vendus (72 % de plus que prévu pour 2019), qui, ces dernières années, avaient matérialisé l'insuccès des plans successifs de diminution de l'usage des pesticides, apparaît avoir fait place en 2020 à une très substantielle réduction, de laquelle le Gouvernement induit que les mesures mises en oeuvre « portent enfin leurs fruits ». Les rapporteurs spéciaux appellent à un peu plus de réserve. En effet, les achats très conséquents observés en 2018 et 2019 semblent avoir été réalisés par les agriculteurs à des fins de constitution de stocks de sorte que la baisse de 2020 pourrait n'être que transitoire, d'autant plus que les échanges internationaux, nécessaires à l'approvisionnement en produits phytopharmaceutiques (dont la Chine est le premier fournisseur selon l'OCDE) ont été fortement perturbés par la situation sanitaire. 15 ( * )

Il convient enfin de déplorer les « performances » concernant le taux de réalisation des exercices interministériels de préparation à la gestion des crises sanitaires (épizooties). Le taux de réalisation s'améliore un peu en 2020 (47 % tout en restant très en-deçà de la cible de 65 %). De la même manière, l'augmentation des délais de traitement des rapports d'inspection des services de contrôle sanitaire, passés de 19 à 21 jours, peut sans doute être imputé à la situation sanitaire, mais, au-delà, ces délais doivent être considérés comme beaucoup trop élevés pour qu'un suivi efficace de la qualité sanitaire des productions agricoles soit accessible.

2. Les moyens de la politique de sécurité sanitaire de l'alimentation ne sont pas lisibles

La nomenclature budgétaire n'offre pas de lisibilité de la politique publique de sécurité sanitaire de l'alimentation. Dans ces conditions, il est impossible d'appréhender la dynamique de la dépense destinée spécifiquement à assurer la protection des consommateurs contre les risques sanitaires de l'alimentation, et, plus généralement, de l'effort public consacré à la sécurité sanitaire des aliments.

Les rapporteurs spéciaux ont pu mettre en évidence les problèmes posés par la définition du périmètre de cette politique publique.

Dans une conception où celle-ci va « du champ à l'assiette », la nomenclature budgétaire ne retient pas sans raison les différentes actions du programme 206 comme concourant à la sécurité et à la qualité sanitaires de l'alimentation. Pour autant, les crédits ouverts n'en financent pas moins des interventions hétéroclites dont certaines n'ont qu'un lien très ténu avec les objectifs affichés par l'intitulé du programme.

Les rapporteurs spéciaux doivent ici répéter leur insatisfaction face au maintien de conditions de budgétisation de la politique de sécurité sanitaire des aliments qui enfreignent gravement la lisibilité budgétaire souhaitée par la loi organique relative aux lois de finances.

En premier lieu, doit être évoquée l'extrême fragmentation des moyens déployés, éparpillés dans plusieurs missions budgétaires . Celle-ci reflète l'interministérialité des interventions de l'État, qui témoigne d'une superposition des services opérationnels qui est loin d'être optimale .

Du point de vue de l'information budgétaire, il serait, à tout le moins, justifié d'entreprendre l'élaboration d'un document de politique transversale unifiant les crédits de la politique publique de sécurité sanitaire des aliments. Au demeurant, la réalisation d'un tel document pourrait avoir un mérite supplémentaire. Il devrait être l'occasion d'effectuer une présentation des moyens mis en oeuvre pour faciliter la transition agro-écologique qui, suivie, même de façon incomplète, dans le cadre du dispositif de performances du programme 206, n'a pas sa carte d'identité budgétaire à ce stade.

Les rapporteurs spéciaux relèvent, en outre, que les crédits de personnel du programme se trouvant agglomérés dans une action séparée (l'action n° 6), il est impossible de disposer d'une vue satisfaisante de l'affectation des personnels (et des crédits correspondants) aux différentes catégories d'intervention financées par le programme. En témoignent les données fournies aux rapporteurs spéciaux pour rendre compte des personnels spécifiquement dédiés à la surveillance de la qualité sanitaire des aliments dans le cadre de leur contrôle sur la politique de sécurité sanitaire des aliments, qui n'apparaissent pas comme tels dans la nomenclature budgétaire.

Ainsi, selon ces données, les effectifs affectés par la DGAL à la sécurité sanitaire des aliments stricto sensu, dans le cadre de l'action 3 du programme 206, se seraient élevés en 2015, à 1 844 ETPT (soit environ 2 820 agents) sur les 4 511 ETPT du programme 206, soit 40,9 % des ETPT du programme.

Il apparaît ainsi nécessaire de mieux imputer les emplois et les crédits de rémunération aux différentes interventions opérationnelles du programme , en particulier à celles concourant spécifiquement à la sécurité sanitaire de l'alimentation.


* 12 « Pour une politique de sécurité sanitaire des aliments « zéro défaut » ». Rapport d'information de MM. Alain Houpert et Yannick Botrel, fait au nom de la commission des finances n° 442 (2016-2017) - 23 février 2017.

* 13 Crédits qui incluent les fonds employés pour indemniser les éleveurs.

* 14 Le projet de loi de finances rectificative pour 2021 déposé au Sénat le 15 juin prévoit une ouverture de 36 millions d'euros d'AE et de CP sur le programme à ce titre (une part des 314 millions d'euros de crédits ouverts sur le programme 149 est également consacrée aux mesures d'urgence en faveur des exploitants à la suite de l'épisode de grippe aviaire).

* 15 On relèvera que le développement des surfaces en conversion ou déjà exploitées en bio a été signalé comme pouvant, paradoxalement, exercer un effet inflationniste sur la croissance de la consommation de substances actives dans la mesure où certaines de celles utilisées en agriculture biologique (en conformité avec le cahier des charges du bio) semblent assez intensément employées.

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