II. AU-DELÀ D'UNE RÉFORME DE LA FORMATION ET DES PARCOURS, L'ORDONNANCE PROCÈDE À UN CHANGEMENT DE PARADIGME DE LA HAUTE FONCTION PUBLIQUE DE L'ÉTAT

A. LES TROIS OBJECTIFS DE L'ORDONNANCE : DYNAMISER LES PARCOURS DE CARRIÈRE DE L'ENCADREMENT SUPÉRIEUR, ADAPTER LA FORMATION INITIALE ET CONTINUE , DÉCLOISONNER LA HAUTE FONCTION PUBLIQUE DE L'ÉTAT

1. Dynamiser les parcours de carrière de l'encadrement supérieur

Dans la lignée des conclusions du rapport Thiriez, l'ordonnance vise à instaurer une gestion des ressources humaines de l'État à un niveau interministériel et reposant sur les principes d'évaluation, de mobilité et d'ouverture.

L'article 2 de l'ordonnance crée ainsi une stratégie pluriannuelle de l'État relative au pilotage des ressources humaines de l'encadrement supérieur, définie à partir des lignes directrices de gestion interministérielles 7 ( * ) édictées par le Premier ministre après consultation du Conseil supérieur de la fonction publique de l'État.

Afin de tenir compte des spécificités de l'encadrement supérieur , l'article 3 introduit de nouvelles modalités d'évaluation 8 ( * ) , qui seraient réalisées par des instances collégiales ministérielles ou interministérielles. Le cadre d'accompagnement des agents pour lesquels une transition professionnelle serait recommandée à l'issue des évaluations est prévu par l'article 4 de l'ordonnance ; le recours à une rupture conventionnelle 9 ( * ) pourra notamment être proposé.

2. Rénover la formation initiale et continue pour accroître la culture commune de l'action publique

Mettant en avant l'objectif d'adapter la formation des cadres supérieurs de l'État aux enjeux actuels et à venir, et de renforcer la culture commune de l'action publique, l'article 5 de l'ordonnance crée l'Institut national du service public (INSP), établissement public de l'État, placé sous la tutelle du Premier ministre et du ministre chargé de la fonction publique, chargé d'assurer la formation initiale et continue du futur corps des administrateurs de l'État et d'autres corps de fonctionnaires ou de magistrats susceptibles d'exercer des fonctions d'encadrement supérieur dans la fonction publique de l'État 10 ( * ) .

Un décret en Conseil d'État précisera les missions de l'INSP ainsi que les contours du « tronc commun » qui s'intègrera à la scolarité des élèves de quatorze écoles de service public 11 ( * ) .

3. Décloisonner la haute fonction publique de l'État

L'ordonnance entend poursuivre une logique d'organisation des carrières fondée sur les métiers et les compétences, et non en fonction de l'appartenance à un corps .

a) Réformer le système des grands corps

Reprenant l'esprit du rapport Thiriez, l'ordonnance réaménage en profondeur le système dit « des grands corps » en réservant un traitement différencié aux corps juridictionnels.

Les actuels corps de sortie à l'issue de l'ENA

• La fonctionnalisation des inspections générales

L'article 6 de l'ordonnance ouvre la voie à la fonctionnalisation des emplois au sein des services d'inspection générale ( Inspection générale de l'administration, Inspection générale des affaires sociales et Inspection générale des finances ), qui seront désormais occupés par des « agents exerçant des fonctions d'inspection générale au sein de services d'inspection générale, recrutés, nommés et affectés pour une durée renouvelable ».

Dans la mesure où l'appartenance au corps constitue actuellement, à elle seule, la garantie de l'indépendance et de la neutralité des inspecteurs, la fonctionnalisation des emplois au sein des services d'inspection générale va de pair avec la nécessaire inscription, au niveau législatif, de ces garanties. L'article 6 encadre ainsi strictement les cas où il pourra être mis fin aux fonctions des chefs de services et à celles des agents exerçant des missions d'inspection générale.

• La suppression des corps et la généralisation des statuts d'emplois

Si l'ordonnance du 2 juin 2021 ne traite pas en tant que telle des statuts des corps de fonctionnaires autres que juridictionnels - ces statuts relevant de la seule compétence du pouvoir réglementaire -, son article 10 ouvre néanmoins la voie à une généralisation des statuts d'emplois.

Présentés par le Gouvernement comme un facteur de souplesse et de mobilité, les statuts d'emplois pourront déroger à certaines dispositions du statut général de la fonction publique ne correspondant pas aux besoins des missions en question. Ainsi, le corps préfectoral ou encore le corps diplomatique seraient supprimés et remplacés respectivement par des statuts d'emplois propres aux fonctions préfectorales et diplomatiques.

• De nouvelles modalités d'accès aux fonctions juridictionnelles et de déroulement de carrière pour les membres des juridictions administratives et financières

L'ordonnance vise tout d'abord, dans la lignée du rapport Thiriez, à différer l'accès aux fonctions juridictionnelles , en transformant le Conseil d'État et la Cour des comptes, qui figurent actuellement parmi les corps de sortie à l'issue de l'ENA, en corps de débouché , accessibles seulement après une première expérience dans l'administration. Ainsi, les grades d'auditeurs au Conseil d'État et à la Cour des comptes seront supprimés et remplacés par des statuts d'emploi d'auditeur , d'une durée maximale de trois ans, accessibles aux administrateurs de l'État et aux membres des corps et cadres d'emplois de niveau comparable justifiant d'au moins deux ans d'expérience préalable 12 ( * ) .

Les auditeurs seront nommés par arrêté du vice-président du Conseil d'État ou du premier président de la Cour des comptes, après un passage devant un comité consultatif , composé de façon paritaire de membres du Conseil d'État ou de la Cour des comptes, et de personnalités qualifiées ; des garanties d'indépendance équivalentes à celles des membres du Conseil d'État ou de la Cour des comptes leur seront par ailleurs octroyées.

De plus, afin de dynamiser les parcours de carrière, l'ordonnance conditionne l'accès aux grades intermédiaires et supérieurs des fonctions juridictionnelles à l'accomplissement de mobilités. Ainsi, une mobilité statutaire obligatoire est instaurée aux grades de maître des requêtes au Conseil d'État 13 ( * ) , de conseiller de tribunal administratif et de cour administrative d'appel (TA-CAA) 14 ( * ) , de conseiller référendaire à la Cour des comptes et de conseiller de chambre régionale et territoriale des comptes (CRC) 15 ( * ) , afin d'accéder aux grades respectifs de conseiller d'État, de premier conseiller de TA-CAA, de conseiller maître à la Cour des comptes et de premier conseiller de CRC.

De nouveaux parcours au sein des corps juridictionnels :
l'exemple de la Cour des comptes

Enfin, l'ordonnance ouvre l'accès au Conseil d'État et à la Cour des comptes au-delà des personnes issues de l'auditorat, en conférant un pouvoir de consultation à une commission dite d'intégration 16 ( * ) , composée du vice-président du Conseil d'État ou du premier président de la Cour des comptes, d'un membre du Conseil d'État ou de la Cour des comptes, et de trois personnes qualifiées nommées respectivement par le Président de la République, le président du Sénat et le président de l'Assemblée nationale.

Par ailleurs, le vivier de recrutement des maîtres des requêtes en service extraordinaire au Conseil d'État et des conseillers référendaires en service extraordinaire à la Cour des comptes serait élargi.

b) Généraliser le recours aux contractuels

Poursuivant le mouvement lancé par l'article 16 de la loi n° 2019-828 du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique, l'ordonnance ouvre de nombreuses fonctions au sein de l'encadrement supérieur de l'État à certains agents contractuels. Sont ainsi concernées les fonctions, y compris juridictionnelles, de maîtres des requêtes en service extraordinaire au Conseil d'État 17 ( * ) et celles de conseillers référendaires en service extraordinaire à la Cour des comptes 18 ( * ) . De manière inédite, les fonctions de magistrat des CRC sont ouvertes aux agents contractuels justifiant « d'au moins six années d'activités professionnelles les qualifiant particulièrement » pour leur exercice 19 ( * ) .


* 7 Instaurées dans les trois versants de la fonction publique par l'article 30 de la loi n° 2019-828 du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique, les lignes directrices « fixent [...] dans chaque administration les orientations générales en matière de mobilité » ainsi que, « dans chaque administration et établissement public, les orientations générales en matière de promotion et de valorisation des parcours ».

* 8 S'ajoutant à l'évaluation professionnelle qui donne lieu à un compte rendu, conformément à l'article 17 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires et à l'article 55 de la loi n°84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'État.

* 9 Dans les conditions prévues à l'article 72 de la loi du 6 août 2019 de transformation de l'action publique.

* 10 Le décret n° 2021-1216 fixant la liste des corps et cadres d'emplois dont les membres peuvent être nommés auditeurs au Conseil d'État et à la Cour des comptes a été publié au Journal officiel du 23 septembre 2021 ( https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000044087792 ).

* 11 Seront ainsi concernées les écoles de service public suivantes : l'INSP, l'INET, l'ENM, l'EHESP, l'EN3S, l'ENSP, l'ENAP, l'EOGN, l'ENSV, ainsi que cinq écoles d'application de Polytechnique : AgroParisTech, l'ENPC, l'École des Mines, l'ENSAE, et l'ENSTA - soit au total plus de 1 000 élèves. Les cinq axes thématiques suivants ont pour l'heure été mis en avant : valeurs de la République et principes du service publique ; transition écologique ; transition numérique ; inégalités et pauvreté ; rapport à la science (d'après les informations données par le cabinet de la ministre de la transformation et de la fonction publiques).

* 12 Article L. 133-5 du code de justice administrative et article L. 112-3-1 du code des juridictions financières, respectivement modifié et ajouté par les articles 7 et 8 de l'ordonnance.

* 13 Article L. 133-3 du code de justice administrative, modifié par l'article 7 de l'ordonnance.

* 14 Article L. 234-2-1 du code justice administrative, modifié par l'article 7 de l'ordonnance.

* 15 Article L. 221-2-1 du code des juridictions financières, modifié par le 22° de l'article 8.

* 16 Article L. 133-12-3 du code de justice administrative, créé par l'article 7 de l'ordonnance, et article L. 122-9 du code des juridictions financières, créé par l'article 8 de l'ordonnance.

* 17 Article L. 133-9 du code de justice administrative.

* 18 Article L. 112-7 du code des juridictions financières.

* 19 Article L. 221-10 du code des juridictions financières.

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