B. UNE HAUSSE PEU LISIBLE DES MOYENS DÉDIÉS À LA RECHERCHE SPATIALE

1. Une budgétisation peu orthodoxe pour garantir le respect de la trajectoire définie en loi de programmation pour la recherche

Le domaine spatial relevant d'une compétence partagée entre l'Union européenne et les États membres depuis l'adoption du traité de Lisbonne, la politique spatiale française se déploie dans le cadre des programmes européens de recherche spatiale .

Destiné à garantir à la France et l'Union européenne la maîtrise des technologies et des systèmes spatiaux , le programme 193 représente 1 662 millions d'euros en 2022 , en AE comme en CP, soit une hausse de 26,4 millions d'euros à périmètre constant .

À première vue, cette évolution serait non conforme à la trajectoire prévue en loi de programmation pour la recherche . Pour 2022, cette dernière prévoyait en effet une progression des moyens du programme 193 de l'ordre de 76 millions d'euros.

Trajectoire budgétaire du programme 193
entre 2021 et 2030 (LPR)

(en millions d'euros et en CP)

Source : commission des finances, à partir de l'étude d'impact annexée au projet de loi de programmation pour la recherche

En réalité, le programme 193 devrait bel et bien bénéficier d'un abondement de 76 millions d'euros supplémentaires, mais en gestion uniquement . En effet, il a été indiqué au rapporteur spécial qu'un transfert de 150 millions d'euros serait réalisé en début d'année 2022, depuis le programme 146 de la mission « Défense » vers le programme 193 , à l'instar du transfert de 100 millions d'euros réalisé au cours de l'année 2021.

Évolution des crédits du programme 193

(en millions d'euros)

LFI 2021

PLF 2022

Variation 2022/2021

CNES

Subvention pour charges de service public

491,5

471,5

- 20

Transferts

1 075,3

1 129,2

+ 54,2

Météo-France

Transferts

69,0

61,5

- 7,5

Programme 193

1 635,9

1 662,3

+ 26,4

Transfert à venir depuis le programme 146 de la mission « Défense »

+ 100

+ 150

+ 50

Programme 193 après transfert

1 735,9

1 812,3

+ 76,4

Source : commission des finances, à partir des documents budgétaires

Si ce mouvement de crédits devrait théoriquement permettre de respecter les engagements pris lors du vote de la LPR, la budgétisation ainsi réalisée manque cruellement de transparence et de sincérité . Il parait pour le moins contestable d'anticiper un transfert de crédits alors même que ces derniers n'ont pas encore été soumis au vote du Parlement.

La récurrence du procédé - de tels transferts ont déjà eu lieu lors des collectifs budgétaires de fin d'année en 2020 et 2021 - nuit à la lisibilité des moyens alloués à la recherche.

2. Une année 2022 qui s'annonce charnière pour le CNES
a) Un budget à resituer dans le contexte des transitions que le CNES doit conduire en 2022

Le programme 193 assure en premier lieu le financement des activités civiles du Centre national d'études spatiales (CNES) , qui met en oeuvre la stratégie spatiale de la France . La tutelle de cet opérateur, initialement exercée à titre principale par la direction générale de la recherche et de l'innovation (DGRI) du Mesri, a été transférée par un décret en date du 15 juillet 2020 à la direction générale des entreprises (DGE), au sein du ministère de l'économie, des finances et de la relance.

Ce changement de tutelle coïncide avec trois évolutions majeures pour le CNES , à savoir le renouvellement de sa présidence, la mise en oeuvre d'un nouveau contrat d'objectifs et de performance pour la période 2021 - 2025, et enfin la fin d'exploitation d'Ariane 5.

S'agissant du premier point, il a été indiqué au rapporteur spécial qu'à l'issue des échanges entre la DGE et le CNES, le changement de présidence a conduit à revoir les priorités de l'établissement, ce qui devrait se traduire à compter de 2023 par une répartition nouvelle des crédits entre les actions du programme.

En parallèle, il a été demandé au nouveau président du CNES de remettre une proposition finale de COP pour la rentrée 2021 ; cette dernière devrait être accompagnée d'un projet de réforme stratégique du CNES.

Pour ce qui est d' Ariane 5, le dernier lot de production a été commandé et le service de lancement des nouvelles commandes devra désormais être assuré avec Ariane 6.

Or, le développement d'Ariane 6 s'est heurté, ces dernières années, à de nombreuses difficultés ; ainsi, l'effet cumulé des aléas techniques et de la crise sanitaire s'est traduit par d'importants retards, si bien que le premier lancement d'Ariane 6 ne pourra avoir lieu avant l'été 2022. Dans ce contexte, le surcoût du développement d'Ariane 6 reste estimé à 20 % de l'enveloppe initiale, soit environ 600 millions d'euros .

S'agissant de la contribution française , les surcoûts ont été couverts jusqu'à présent de la façon suivante :

- lors de la souscription au programme d'évolution d'Ariane 6, la France a inclus, par prudence, un budget de précaution destiné à couvrir d'éventuels aléas de développement ;

- dans la mesure où le retard du premier lancement d'Ariane 6 a décalé les besoins de dépenses de soutien, les budgets lanceurs décidés à la Conférence ministérielle de Séville ont pu être redéployés ;

- enfin, un complément de financement sera porté par le plan France Relance.

b) Un opérateur bénéficiant de dotations significatives dans le cadre du plan de relance

En mars 2021, le CNES a signé une convention avec la DGE, lui confiant la mise en oeuvre du volet Espace du plan de relance. Ce dernier est organisé en deux parties distinctes :

- une partie « Lanceurs » , destinée à couvrir les surcoûts de développement du programme Ariane 6 liés à la crise sanitaire, dotée de 165 millions d'euros sur deux ans ;

- une partie « Innovation France » , visant à permettre au CNES la mise en oeuvre de 5 volets en privilégiant la rapidité de mise en oeuvre et les actions ayant l'impact le plus fort sur le secteur spatial, pour un montant de 200 millions d'euros sur deux ans.

Dans ce contexte, la subvention pour charges de service public versée au CNES sera éclatée entre de nombreux programmes budgétaires , comme le montre le tableau infra .

Évolution de la subvention versée au CNES

Mission

Programme

LFI 2021

PLF 2022

Variation 2022/201

Recherche

Programme 193

491,5

471,5

- 20

Programme 191

-

-

-

Défense

Programme 146 « Équipement des forces »

100,0 30 ( * )

150

+ 50

Plan de relance

Programme 363 « Compétitivité » - subvention versée au titre du programme 191

127,7

118,7

- 10

Programme 363 « Compétitivité » - Plan de relance spatial, volet « Innovation France »

100

100

0

Investissements d'avenir

45,9

38,6

- 7,3

Total Programme national

865,1

878,8

+ 13,7

Recherche

Programme 193 - contribution à l'ESA

1 075,3

1 129,2

+ 53,9

Plan de relance

Programme 363 « Compétitivité » - Plan de relance spatial - volet « Surcoûts Ariane 6 »

100

65

- 35

Total Contribution à l'ESA

1 175,3

1 194,2

+ 18,9

Total État

2 040,4

2 073

+ 32,6

Source : commission des finances, à parti des réponses au questionnaire budgétaire

Ainsi, en 2022 les moyens globaux alloués au CNES progresseront de 32,6 millions d'euros par rapport à 2021 ; néanmoins, seuls 77 % de ces crédits seront inscrits au titre de la mission « Recherche » , le reste étant porté par les missions « Relance » (13 %), « Défense » (7 %) et « Investissements d'avenir » (2 %).

3. Une nouvelle hausse de la contribution à l'Agence spatiale européenne, conformément aux engagements pris lors de la Conférence de Séville

Les fonds destinés à l'Agence spatiale européenne (ESA), agence intergouvernementale chargée de coordonner les projets menés en commun par vingt-deux pays européens et seconde agence spatiale dans le monde après la National aeronautics and space administration (NASA) américaine, transitent à travers la dotation allouée au CNES au titre du programme 193.

La forte augmentation des crédits du programme 193 au cours des trois dernières années était due au rebasage de la contribution française aux organisations internationales , dans l'optique de permettre, en 2020, l'apurement de la dette française auprès de l'ESA.

Cet objectif a été atteint, conformément à la trajectoire décidée par le Gouvernement au titre des années 2018 - 2020, après un effort conjoncturel de 1 401 millions d'euros en LFI 2020, dont 277 millions d'euros au titre du remboursement de la dette .

Évolution de la dette française à l'Agence Spatiale européenne

(en millions d'euros)

* Subvention issue du programme 193 augmentée entre 2013 et 2017 de subventions PIA et des produits de cession des titres Arianespace.

Source : réponse au questionnaire budgétaire

En 2022, la contribution française à l'ESA, évolue donc à la hausse (+ 53,9 millions d'euros) pour atteindre 1 129,6 millions d'euros afin de traduire les engagements pris par la France lors de la conférence ministérielle de Séville de novembre 2019.

Décisions budgétaires prises à l'issue de la Conférence ministérielle de Séville

La conférence de l'agence spatiale européenne (ESA) au niveau ministériel Space19+ a discuté et validé sur près de 14,4 milliards d'euros de souscriptions pour la période 2020-2022 (2020-2024 pour les programmes obligatoires). Parmi les souscriptions pour les programmes de l'ESA, la France a souscrit 2.65 milliards d'euros. Il convient d'ajouter à cette souscription totale la contribution roumaine aux programmes facultatifs de 143 millions d'euros postérieure à Space19+ et non prise en compte dans les montants qui suivent.

Parmi les points saillants des conclusions de cette réunion européenne stratégique pour le secteur spatial :

- l'engagement de l'ESA pour un accès autonome à l'espace a été confirmé (2,238 milliards d'euros pour l'ensemble des programmes Lanceurs) ;

- le positionnement fort de l'Europe dans les futures programmes d'exploration humaine et robotique a été acté (1,953 milliard d'euros) ;

- le rôle de leader de l'Europe dans l'observation de la Terre, notamment pour le climat, a été confirmé (2,541 milliards d'euros) ;

- le budget scientifique a été augmenté (2,823 milliards d'euros) ;

- le soutien à la compétitivité industrielle a été mis en avant (1,569 milliards d'euros pour le programme ARTES de télécommunications spatiales).

Source : réponse au questionnaire budgétaire

En pratique, en 2022, le budget alloué au thème « Télécommunications » progresserait de 71,6 millions d'euros par rapport à 2021 , en raison des souscriptions aux programmes ARTES lors des dernières Conférences ministérielles. De la même manière, la souscription au segment 4 de Copernicus lors de la Conférence de Séville en 2019 a un impact significatif sur la trajectoire des dépenses du thème « Observation ».

Évolution de la contribution à l'ESA par thème entre 2021 et 2022

(en millions d'euros)

Source : commission des finances, à partir des réponses au questionnaire budgétaire

Selon les informations transmises au rapporteur spécial, si la nature et l'ampleur des souscriptions qui seront réalisées lors de la Conférence ministérielle qui aura lieu Paris en 2022 n'est pas connue à ce jour , ces dernières auront vraisemblablement pour conséquence de modifier les prévisions de répartition par thème à partir de 2023 .


* 30 Financement compensant 100 millions d'euros au titre du programme 193.

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