N° 238

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2021-2022

Enregistré à la Présidence du Sénat le 1 er décembre 2021

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, interdisant les pratiques visant à modifier l' orientation sexuelle ou l' identité de genre d'une personne ,

Par Mme Dominique VÉRIEN,

Sénatrice

(1) Cette commission est composée de : M. François-Noël Buffet , président ; Mmes Catherine Di Folco, Marie-Pierre de La Gontrie, MM. Christophe-André Frassa, Jérôme Durain, Marc-Philippe Daubresse, Philippe Bonnecarrère, Mme Nathalie Goulet, M. Alain Richard, Mmes Cécile Cukierman, Maryse Carrère, MM. Alain Marc, Guy Benarroche , vice-présidents ; M. André Reichardt, Mmes Laurence Harribey, Muriel Jourda, Agnès Canayer , secrétaires ; Mme Éliane Assassi, MM. Philippe Bas, Arnaud de Belenet, Mmes Nadine Bellurot, Catherine Belrhiti, Esther Benbassa, MM. François Bonhomme, Hussein Bourgi, Mme Valérie Boyer, M. Mathieu Darnaud, Mmes Françoise Dumont, Jacqueline Eustache-Brinio, M. Pierre Frogier, Mme Françoise Gatel, MM. Ludovic Haye, Loïc Hervé, Patrick Kanner, Éric Kerrouche, Jean-Yves Leconte, Henri Leroy, Stéphane Le Rudulier, Mme Brigitte Lherbier, MM. Didier Marie, Hervé Marseille, Mme Marie Mercier, MM. Thani Mohamed Soilihi, Jean- Yves Roux, Jean-Pierre Sueur, Mmes Lana Tetuanui, Claudine Thomas, Dominique Vérien, M. Dany Wattebled .

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 15 ème législ.) :

4021 , 4501 et T.A. 673

Sénat :

13 et 239 (2021-2022)

L'ESSENTIEL

Réunie le mercredi 1 er décembre 2021 sous la présidence de François-Noël Buffet (Les Républicains - Rhône), la commission des lois a adopté , sur le rapport de Dominique Vérien (Union centriste - Yonne), la proposition de loi n° 13 (2021-2022) interdisant les pratiques visant à modifier l'orientation sexuelle ou l'identité de genre d'une personne , adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée. Elle a modifié ce texte par plusieurs amendements afin notamment de préciser le champ des nouvelles infractions.

La proposition de loi vise à poser un interdit clair concernant des pratiques qui prennent des formes variées, mais qui ont toujours des conséquences négatives sur la santé et sur le bien-être des personnes qui y sont soumises. Ces pratiques sont souvent désignées, par commodité, par l'expression « thérapies de conversion », bien que l'orientation sexuelle et la transidentité ne soient pas des maladies que l'on pourrait guérir.

L'orientation sexuelle correspond à l'attirance affective ou sexuelle pour les personnes de même sexe (homosexualité), de sexe opposé (hétérosexualité) ou indifféremment pour l'un ou l'autre sexe (bisexualité). La prise en compte de l'identité de genre est relativement récente puisque c'est seulement en 1953 que l'endocrinologue Harry Benjamin a fait accepter l'idée que les personnes qu'il nommait alors « transsexuelles » étaient atteintes d'un trouble distinct de l'homosexualité qui s'enracine dès le plus jeune âge et qui se manifeste par un désir irrépressible de changer de sexe. Plus communément qualifiées aujourd'hui de transgenres, ces personnes peuvent entamer un parcours médical de transition et demander à ce que leur état civil soit modifié afin d'être en accord avec leur identité de genre. Depuis 2016, les personnes transgenres peuvent bénéficier d'une modification de leur état civil, dans les conditions fixées à l'article 61-5 du code civil, sans passer par une opération chirurgicale de réassignation sexuelle impliquant une stérilisation.

La proposition de loi est le fruit d'un travail mené par la députée Laurence Vanceunebrock, d'abord rapporteure d'une « mission flash » au sein de la commission des lois de l'Assemblée nationale en 2019 1 ( * ) avec le député Bastien Lachaud, avant de déposer la proposition de loi dont elle a également été la rapporteure. L'Assemblée nationale a adopté le texte à l'unanimité le 5 octobre 2021.

Au Sénat, Françoise Laborde et plusieurs membres du groupe du Rassemblement démocratique, social et européen (RDSE) ont déposé, le 1 er octobre 2019, une proposition de résolution visant à engager une campagne de prévention et de lutte contre les « thérapies de conversion ». Puis Marie-Pierre de La Gontrie et plusieurs membres du groupe socialiste, écologiste et républicain (SER) ont déposé, le 24 juin 2021, une proposition de loi visant à interdire les « thérapies de conversion » ayant pour objet la modification de l'orientation sexuelle ou l'identité de genre d'une personne, dont la rédaction est très proche de celle du texte déposé par Laurence Vanceunebrock.

I. DES PRATIQUES VARIÉES DIFFICILES À QUANTIFIER

Les enquêtes 2 ( * ) menées sur les « thérapies de conversion » conduisent à distinguer deux catégories principales de pratiques : celles qui s'inscrivent dans un contexte médical et celles qui s'inscrivent dans un contexte religieux, avec parfois une dimension sectaire, ce qui explique que le Gouvernement ait demandé au mois de septembre à la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) d'étudier le phénomène.

A. GUÉRIR LES MALADES ET LES POSSÉDÉS

L'homosexualité et la transidentité ont longtemps été considérées comme des maladies mentales, résultant de problèmes survenus au cours du développement du sujet. C'est seulement en 1990 que l'Organisation mondiale de la Santé (OMS) a retiré l'homosexualité de la liste des maladies mentales, suivie par la France en 1992. En 2010, à l'initiative de la ministre de la Santé, Roselyne Bachelot, la transidentité a été retirée en France de la liste des maladies mentales ; l'OMS a suivi en 2018.

Ce contexte a pu encourager des médecins à rechercher des « traitements». Jusque dans les années 1960, certains médecins aux États-Unis ont par exemple proposé des « thérapies aversives » destinées à modifier l'orientation sexuelle en faisant subir des décharges électriques au patient. Le procédé était censé provoquer un conditionnement éloignant l'individu de ses objets d'attraction. Ce type de « traitement » n'a jamais été attesté en France, où les pratiques observées relèvent davantage des psychothérapies ou de l'hypnose.

D'autres « thérapies de conversion » s'inscrivent dans un contexte religieux. Quelques groupes aux pratiques contestées sont régulièrement cités : Les Béatitudes (au moins jusqu'en 2016), Courage, émanation française de la structure américaine Courage International , et Torrents de Vie, qui regroupe surtout des chrétiens évangéliques.

Les méthodes mises en oeuvre peuvent consister en des groupes de parole, des retraites, des jeûnes, des sessions d'enseignement, des prières de guérison ou de délivrance, voire des exorcismes.

Interrogé par la rapporteure, Mgr Bruno Feillet, évêque de Séez et président du conseil « Famille et Société » de la Conférence des évêques de France (CEF), a précisé que Courage se présentait comme une association catholique mais qu'elle n'avait jamais bénéficié d'une quelconque reconnaissance de la part de l'Église. Il a estimé qu'il s'agissait désormais d'une organisation groupusculaire, dont les activités sont résiduelles.

L'accompagnement proposé par Torrents de Vie

La rapporteure a auditionné les représentants du Conseil national des Évangéliques de France (CNEF) et de l'association Torrents de Vie, qui est affiliée au CNEF. Le CNEF a déclaré condamner les « thérapies de conversion » et souligné que les églises évangéliques ne croient pas qu'il existerait un esprit de l'homosexualité dont l'individu pourrait être délivré.

Animateur de Torrents de Vie, le pasteur Claude Riess a déclaré que l'association accompagnait environ une centaine de personnes par an, dont seulement 10 % à 15 % auraient des interrogations concernant leur orientation ou leur attirance homosexuelle (Torrents de Vie tient à distinguer ces deux notions). Il a insisté sur le fait que l'association respectait la liberté de chacun et qu'elle ne demandait pas aux personnes homosexuelles de changer d'orientation.

Ces propos rassurants cohabitent avec un discours et des réflexions parfois plus surprenants. Le pasteur Riess s'est étonné que la société accepte qu'une personne hétérosexuelle devienne homosexuelle, alors que le parcours inverse serait mal vu, semblant accréditer l'idée que les personnes peuvent changer d'orientation sexuelle. Il a expliqué que si l'association ne demandait pas aux personnes homosexuelles de changer, celles-ci pouvaient être touchées par la grâce et être habitées par l'Esprit saint, qui les fait changer.

Sur son site internet, l'association publie différents témoignages dont l'un évoque ce qui ressemble à un passage de l'homosexualité à l'hétérosexualité. Une femme explique que son mari a eu pendant dix ans des relations extra-conjugales avec des hommes, avant d'entamer un parcours de huit mois avec Torrents de Vie. De ce parcours, cette femme dresse le bilan suivant : « - Il a compris comment son histoire personnelle était le terreau de ses attirances homosexuelles. - Il a été libéré de la peur des femmes, découvert leur réalité et s'est donc rapproché de moi. (il ne se couchait plus aussi tôt le soir, il ne fuyait plus mon regard et ne craignait plus les relations intimes...). - Il a rétabli en lui l'équilibre du masculin qu'il avait rejeté pendant toutes ces années. - Il est entré dans sa stature de père, n'ayant plus peur de la saine autorité ».

Dans une société sécularisée comme la France, la frontière entre accompagnement spirituel et psychothérapie est souvent floue. Benoit Berthe Siward, fondateur du collectif « Rien à guérir », a ainsi qualifié de « psycho-spirituelle » la « thérapie de conversion » qui lui a été infligée entre quinze et dix-huit ans. Jean-Michel Dunand-Roux a témoigné de son parcours, à la fin des années 1980, marqué par huit exorcismes, suivis d'une tentative de le faire interner en établissement psychiatrique pour une cure de sommeil 3 ( * ) .


* 1 SUPER_TEMPLATE (assemblee-nationale.fr)

* 2 Cf. l'ouvrage Dieu est amour. Infiltrés parmi ceux qui veulent « guérir » les homosexuels, de Timothée de Rauglaudre et Jean-Loup Adénor (2019) et le documentaire Homothérapies, conversion forcée , de Bernard Nicolas, écrit avec Jean-Loup Adénor et Timothée de Rauglaudre (2019, 95 min).

www.arte.tv/fr/videos/086135-000-A/homotherapies-conversion-forcee

* 3 Cf. son livre de témoignage : Libre, de la honte à la lumière, de Jean-Michel Dunand et Viviane Perret (Presses de la Renaissance, 31 mars 2011).

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