II. ROMPRE LE BON ÉQUILIBRE ATTEINT EST CONTRE-PRODUCTIF, PUISQU'IL PÉNALISERAIT DUREMENT LES PUBLICS SENIORS ET FRAGILES SANS CRÉER DE NOUVELLES ÉCONOMIES POUR LES PROFILS PEU RISQUÉS

A. L'ÉQUILIBRE ATTEINT EST SATISFAISANT, MAIS ENTRAÎNE DÉJÀ UNE HAUSSE DES TARIFS POUR LES SENIORS ET LES PUBLICS VULNÉRABLES

La proposition de loi examinée par la commission des affaires économiques comporte deux titres, dont le premier a essentiellement pour ambition de permettre la résiliation à tout moment du contrat d'assurance emprunteur. Les députés et le Gouvernement considèrent en effet qu'ainsi, les quelques consommateurs qui font encore face à des difficultés de résiliation seront davantage en mesure de bénéficier des gains de pouvoir d'achat auxquels une substitution d'assurance permet de prétendre. Le Gouvernement disait l'exact inverse il y a un an , lors de l'examen de la loi « ASAP », rejoignant alors la position du Sénat.

Sans être particulièrement attachés au maintien d'une période de deux mois, les sénateurs considèrent que les bénéfices d'une telle mesure sont très hypothétiques, si ce n'est quasi nuls, tandis que ses risques sont bien réels et déjà démontrés pour les seniors et les publics vulnérables.

Si l'ouverture à la concurrence s'est en effet jusqu'à présent traduite par un début de démutualisation, elle a également entraîné une hausse des tarifs de 33 % pour les personnes de plus de 55 ans . Il s'agit d'un signe tangible de démutualisation, ainsi que le note le CCSF dans son rapport : les acteurs historiques perdant progressivement leurs clients « sans risque », le risque moyen de leur portefeuille augmente, ce qui les conduit à augmenter les tarifs pour les personnes « à risque », c'est-à-dire précisément celles qui peinent à bénéficier de la mise en concurrence, leur profil n'intéressant que peu les assureurs alternatifs. Autrement dit, le principe selon lequel les emprunteurs sans risque paient un peu plus pour que les emprunteurs à risque aient, eux aussi, accès à la propriété, est progressivement mis à mal .

Or tout porte à croire, indépendamment de toute considération morale, que les tarifs continueront d'augmenter non seulement pour les seniors, mais pour tout emprunteur dont le prêteur sait qu'il n'intéresse pas la concurrence, afin de conserver leurs marges.

B. LA RÉSILIATION À TOUT MOMENT, CONTRAIREMENT AUX PRÉCÉDENTES RÉFORMES, N'APPORTERA PAS DE GAIN DE POUVOIR D'ACHAT SUPPLÉMENTAIRE

Le « jeu pourrait en valoir la chandelle » si la mesure permettait de nouveaux gains de pouvoir d'achat, substantiels, pour une plus grande partie des emprunteurs. Mais, à nouveau, cette mesure ne le permettra pas, pour les raisons suivantes :

• premièrement, depuis plusieurs années que la concurrence existe sur ce marché, une partie importante des emprunteurs souhaitant résilier leur contrat l'ont fait . La véritable mise en concurrence a eu lieu lorsque les emprunteurs ont reçu le droit de résilier durant chacune des années du prêt ;

• il est très peu probable que pour ceux qui ne l'ont pas encore fait, ce soit en raison de la période de deux mois à respecter ( cf. supra ), tant les blocages restent - heureusement - marginaux par rapport au nombre de contrats en cours. L'explication réside bien plutôt dans le fait qu'ils ne souhaitent pas le faire, qu'ils ignorent qu'ils en ont le droit depuis quatre ans, ou que leur prêteur leur a proposé une contre-offre satisfaisante ;

• les profils qui ont le plus à gagner de la mise en concurrence sont les profils peu risqués, souvent jeunes et cadres : par conséquent, ce ne sont pas ces profils qui sont victimes des manoeuvres dilatoires de certains prêteurs . D'une part, ils sont souvent les mieux informés de leur droit et, notamment, du fait qu'il existe une contrainte calendaire à respecter. Ils sont également les moins découragés par la nécessité d'engager des démarches commerciales. D'autre part, leur insatisfaction vis-à-vis du prêteur coûterait plus cher à la banque , qui risquerait de perdre un client attractif et tous les à-côtés (autres membres du couple ou de la famille, conseils financiers, etc.).

En réalité, la mesure aurait pour seule conséquence non pas de créer un nouveau droit, mais d'augmenter la probabilité de survenance d'une résiliation, notamment en créant un nouveau marché prospère pour le démarchage téléphonique , autre sujet de préoccupation pour les sénateurs.

C. LES GAINS DE POUVOIR D'ACHAT MIS EN AVANT DANS LE DÉBAT PUBLIC SONT TRÈS ÉLOIGNÉS DE LA RÉALITÉ

Les potentielles économies pour un emprunteur se chiffreraient entre 5 000 et 15 000 euros, est-il souvent avancé dans le débat public. Outre le fait que ces gains, s'ils étaient exacts, pourraient déjà être perçus puisque chacun peut aujourd'hui résilier son contrat une fois par an et qu'ils ne sont donc pas soudainement permis par cette proposition de loi, ils ne recouvrent en réalité que quelques cas très marginaux. Bien souvent, du reste, ils sont avancés sans aucune explication ni hypothèse sous-jacente et reflètent avant tout la stratégie commerciale de certains acteurs du marché.

Lorsqu'ils sont explicités, ces chiffres révèlent des hypothèses maximalistes, rarement rencontrées « sur le terrain » : par exemple, des prêts de 20 ans arrivant jusqu'à leur terme (alors qu'en moyenne, les prêts se terminent au bout de 8 ans), des couples dont chaque membre s'assure à 100 % (« garantie 200 % »), ce qui est rarement le cas.

D'après les données recueillies par le rapporteur tant auprès des services du ministère de l'économie que du CCSF, les économies moyennes se situeraient plutôt autour de 1 300 euros sur 8 ans, ce qui est non négligeable, mais sans commune mesure avec les données qui cristallisent le débat.

Se félicitant du bon fonctionnement de la concurrence sur ce marché, et constatant la quasi-absence d'impact positif de cette mesure, les sénateurs ont préféré maintenir l'équilibre satisfaisant actuel et ne pas prendre le risque d'une hausse des tarifs pour les personnes fragiles et les seniors.

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