B. LE SIGNAL D'UN TOURNANT DANS L'APPRÉHENSION DE L'ENJEU DES RESTITUTIONS

1. Le fruit des progrès accomplis par la France pour accélérer la réparation des spoliations

Ce projet de loi démontre les progrès accomplis par la France au cours des dernières années afin d'améliorer le traitement des spoliations .

Le rapport 1 ( * ) réalisé par notre collègue Corinne Bouchoux au nom de la commission de la culture, en janvier 2013, a largement contribué à la mise en place de cette nouvelle dynamique, en mettant en évidence le retard de la France en matière de recherche de provenance et la nécessité de mener, au sein des musées, un travail d'introspection pour ouvrir la voie à une histoire plus apaisée.

Les principales propositions du rapport de Mme Corinne Bouchoux
relatif à la gestion, par la France et ses musées,
de la question des oeuvres spoliées par les nazis ou « au passé flou »

Adopté le 16 janvier 2013 par la commission de la culture, ce rapport mettait en évidence la nécessité pour la France de poursuivre ses efforts afin de faciliter la restitution d'oeuvres spoliées en adoptant une démarche plus proactive et en donnant en particulier une nouvelle impulsion à la recherche de provenance .

Ses principales propositions étaient les suivantes :

- lancer une recherche systématique de provenance des oeuvres spoliées avec certitude ou fortes présomptions ;

- clarifier l'historique des oeuvres en dépôt dans les musées et inscrire, pour chaque oeuvre des collections publiques, un sigle permettant de garantir que la provenance a été vérifiée ;

- réaliser un inventaire complet des archives relatives aux oeuvres spoliées, y compris celles du ministère des affaires étrangères, et le rendre accessible en ligne ;

- proposer aux stagiaires de l'Institut national du patrimoine et des universités de contribuer aux travaux de recherche sur l'identification de provenance des oeuvres des collections ;

- veiller à la présentation au public des MNR et soutenir leur exposition, y compris dans des monuments historiques.

À la suite de la publication de ce rapport, une nouvelle logique reposant sur une action plus volontariste s'est peu à peu imposée , dans l'objectif de retrouver les propriétaires d'objets d'art spoliés sans attendre les demandes émanant des ayants droit.

À la demande de la ministre de la culture de l'époque, Aurélie Filippetti, la France a pris l'initiative, à compter de 2013, de mener des recherches proactives pour identifier et retrouver les ayants droit des oeuvres MNR. Si ces recherches ont dans un premier temps buté sur les difficultés d'accès à certaines archives, la numérisation progressive de différents fonds a permis d'accélérer significativement le rythme des restitutions de MNR au cours des dernières années . 50 des 57 MNR restituées par la France depuis 2016 l'ont été sur la base de recherches proactives. Le ministère de la culture évalue à environ 25 le nombre de restitutions de MNR qui pourraient intervenir en 2022.

Évolution des restitutions de MNR depuis 1950

Source : Commission de la culture, de l'éducation et de la communication
à partir des données transmises par le ministère de la culture

Parallèlement, des consignes ont été données aux musées pour améliorer la connaissance de la provenance des biens inscrits sur leurs inventaires . La circulaire du 4 mai 2016 relative à la méthodologie du récolement des ensembles dits indénombrables et aux opérations de post-récolement des collections des musées de France invite clairement les musées à « documenter autant que faire se peut les biens considérés comme "sensibles" » dont les informations historiques se révéleraient insuffisantes à l'occasion du récolement décennal. Elle vise spécifiquement « les biens dont l'historique n'est pas clairement connu entre l'année 1933 (arrivée des Nazis au pouvoir en Allemagne) et l'année 1945 (fin de la Seconde Guerre mondiale) et qui auraient pu faire l'objet, durant cette période, d'une spoliation ou d'une vente forcée ».

Afin d'aller plus loin en matière de restitution des biens culturels spoliés, le Premier ministre, Édouard Philippe, a également revu l'organisation interministérielle , sur la base des préconisations formulées par David Zivie dans un rapport 2 ( * ) commandé par Audrey Azoulay, ministre de la culture, en mai 2017 et remis en février 2018 à sa successeure, Françoise Nyssen :

- les attributions de la CIVS ont été modifiées par le décret n° 2018-829 du 1 er octobre 2018 afin de lui permettre également de s'autosaisir de cas de spoliations de biens culturels , son intervention n'étant auparavant possible qu'en cas de saisine par des ayants droit ;

- un service spécifique a été créé au sein du ministère de la culture par un arrêté du 16 avril 2019, dénommé « mission de recherche et de restitution des biens culturels spoliés entre 1933 et 1945 » (M2RS) et rattaché au Secrétariat général, pour piloter la politique de réparation des spoliations artistiques et faire la lumière sur les biens culturels à la provenance douteuse conservés par les institutions publiques .

2. Un signal politique fort

Premier texte législatif prévoyant de faire sortir des oeuvres des collections publiques au motif des persécutions antisémites subies par leur propriétaire pendant la période nazie, l'adoption de ce projet de loi constitue un signal politique fort , adressé conjointement par le Gouvernement en tant qu'auteur du texte et par le Parlement par l'entremise de son vote, de la volonté de la France à faire oeuvre de justice et de sa détermination à « prendre des mesures dans les meilleurs délais pour trouver une solution juste et équitable », conformément aux Principes de Washington , adoptés par la France à l'issue de la conférence organisée dans cette ville sur les oeuvres d'art volées par les nazis en décembre 1998.

Ce texte pourrait apporter la preuve que la France est prête à se confronter à son passé et qu'elle considère que des biens dont la spoliation est établie n'ont pas leur place dans les collections publiques.

Il pourrait permettre à la France de combler le retard qu'elle accuse en matière de restitution de biens culturels spoliés par rapport à certains de ses voisins, en particulier l'Allemagne, où les restitutions sont facilitées par le fait que le principe d'inaliénabilité des collections publiques n'y est pas juridiquement reconnu. Les ayants droit étrangers concernés par ce projet de loi semblent avoir trouvé la France efficace dans l'instruction de leurs demandes de restitution en comparaison de la procédure applicable dans d'autres pays.


* 1 Rapport de Mme Corinne Bouchoux présenté le 16 janvier 2013 au nom de la mission d'information de la commission de la culture sur les oeuvres d'art spoliées par les nazis, intitulé « OEuvres culturelles spoliées ou au passé flou et musées publics : bilan et perspectives ».

* 2 Rapport de M. David Zivie à Mme Françoise Nyssen, ministre de la culture, de février 2018 « "Des traces subsistent dans des registres..." - Les biens culturels spoliés pendant la Deuxième Guerre mondiale : une ambition pour rechercher, retrouver, restituer et expliquer ».

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