LES MODIFICATIONS CONSIDÉRÉES COMME ADOPTÉES PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE EN APPLICATION DE L'ARTICLE 49, ALINÉA 3 DE LA CONSTITUTION

Le Gouvernement, dans le cadre du texte sur lequel il a engagé sa responsabilité en application de l'article 49 alinéa 3 de la Constitution, a retenu l'amendement n° II-1682 de notre collègue député Mathieu Lefèvre. Le Gouvernement a levé le gage par un amendement n° II-2879.

Les crédits de la mission augmentent donc de 80 millions d'euros , afin de financer la revalorisation des AESH à hauteur d'environ 10 % de la rémunération des AESH sur une année pleine. Cela revient donc à appliquer aux AESH le même régime de revalorisation salariale que celui des enseignants, si l'on inclut le versement des primes REP et REP+, qui figurait déjà dans le texte initial (cf. supra ) pour un montant de 74 millions d'euros.

Le rapporteur spécial salue cet effort de déprécarisation à destination des AESH, mais réitère ses remarques quant à la soutenabilité de la trajectoire budgétaire de l'école inclusive.

EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le jeudi 3 novembre 2022, sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission des finances a procédé à l'examen du rapport de M. Gérard Longuet, rapporteur spécial, sur la mission « Enseignement scolaire ».

M. Gérard Longuet , rapporteur spécial de la mission « Enseignement scolaire » . - Je présente pour la dernière fois aujourd'hui mon rapport sur un budget dont je suis rapporteur spécial depuis longtemps. En considérant ce projet de loi de finances pour 2023, j'éprouve une petite satisfaction. En effet, depuis près d'une dizaine d'années, nous considérons qu'en matière d'enseignement scolaire nous devons nous intéresser au qualitatif plus qu'au quantitatif. Cela nous a notamment opposés à la politique menée pendant le quinquennat du président Hollande, qui jouait la quantité.

Jean-Michel Blanquer, quant à lui, a essayé de prendre en compte deux idées émises par le Sénat, la première consistant donc à ne pas sacrifier le qualitatif. La seconde, à laquelle nous pouvons tous souscrire, quelles que soient nos options politiques, et que le Sénat a soutenue de façon systématique, vise à mettre l'accent sur l'école primaire. En effet, la réussite scolaire se joue dès le premier degré, qui a toujours été un peu sacrifié rue de Grenelle tant il est vrai que, dans ce beau ministère, il vaut mieux être agrégé qu'instituteur.

Pour que ces deux visions s'imposent, les comparaisons avec les pays européens et ceux de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) ont joué un rôle important. Ainsi, les débats franco-français sur le sujet ont fini par être tranchés depuis l'extérieur. Le travail des ministres successifs a été considérablement facilité dès lors qu'ils acceptaient de ne plus considérer la France comme le centre de tout, se mettant alors à comparer le pays aux autres en termes de coûts et de résultats. Notre école est la meilleure du monde et nous commémorons religieusement les hussards noirs de la République ! Mais les temps ont changé et le Programme international pour le suivi des acquis des élèves (Pisa) fixe la norme plus sûrement que Le Grand Meaulnes , pour lequel nous continuons de nourrir le plus profond respect. Finalement, ce classement Pisa nous a aidés à débattre de façon apaisée des meilleures manières de faire fonctionner notre enseignement scolaire.

J'éprouve une autre petite satisfaction, que vous devez partager en tant que membres de la commission des finances. En effet, nos rapports sur le recrutement des enseignants de mathématiques et sur les rémunérations des enseignants en Europe ont autorisé certains à considérer la revalorisation des salaires du corps enseignant non plus comme un acte d'allégeance à un syndicalisme conservateur, mais comme une mesure de bon sens, qui permettrait à nos jeunes de se retrouver face à des enseignants meilleurs et plus motivés .

Je ne suis pas un soutien fanatique du Gouvernement - je ne suis pas non plus d'ailleurs un opposant fanatique. Cependant, j'ai de la considération pour la contribution de Jean-Michel Blanquer au Grenelle de l'éducation.

Par ailleurs, le despotisme éclairé qui imprègne tant notre République a permis au président Macron, en vacances à Marseille, de découvrir que l'école française n'allait pas très bien et de prendre des dispositions. Il a ainsi lancé une opération d'innovation reposant notamment sur l'idée - notre commission l'a toujours défendue - de l'autonomie des établissements et de la responsabilité affirmée de leurs chefs. Cette idée est encore très expérimentale et on en mesure mal les contours, comme souvent lorsqu'elles font l'objet de déclarations ayant pour vocation de passionner l'opinion le temps d'un journal télévisé. Il est difficile d'identifier ensuite leur cheminement. En effet, je rappelle que l'éducation nationale compte plus d'1,2 million de personnes rémunérées et que 860 000 enseignants font face à leurs élèves, qu'ils soient du secteur public ou du secteur privé sous contrat. Ainsi, chaque idée géniale émise au sommet traverse un temps d'hystérésis avant de parvenir à la base et d'obtenir des résultats effectifs. Cependant, mieux vaut que ces orientations soient bonnes que mauvaises et ces idées d'autonomie, de responsabilité et de liberté pour les établissements créent un climat intéressant.

Revenant au budget, je ferai deux premières remarques.

D'abord, en ce qui concerne les effectifs, si l'on écarte le problème des accompagnants d'élèves en situation de handicap (AESH) sur lequel je reviendrai, nous observons une sorte de stabilité puisque le schéma d'emploi connait une très légère baisse de 1 600 postes pour un effectif de 860 000.

Néanmoins, en ce qui concerne le qualitatif, je note une forte croissance des dépenses salariales puisqu'elles augmentent de 3,6 milliards d'euros, s'élevant à près de 59 milliards d'euros. Un tiers de cette hausse, soit 1,2 milliard d'euros, correspond à la revalorisation de 3,5 % du point d'indice, qui pèse sur les budgets et bénéficie à tous les fonctionnaires de l'État et des collectivités locales.

Ensuite, des mesures catégorielles de hausse des rémunérations traduisent la volonté de soutenir particulièrement la situation matérielle des enseignants. Elles correspondent à la mise en oeuvre des mesures du Grenelle, à une revalorisation « socle » des rémunérations et à une revalorisation conditionnelle. Ces mesures représentent 1,1 milliard d'euros, ce montant étant significatif. Enfin, une dernière enveloppe de 770 000 millions d'euros sera consacrée au glissement vieillesse technicité (GVT).

J'en viens à présent à des problèmes qui ont déjà été évoqués, n'ont pas été réglés et continueront, j'en suis sûr, de préoccuper mes successeurs. Il s'agit d'abord de la difficulté de recrutement. Ainsi, en 2018, 135 000 candidats se présentaient encore aux concours de la fonction publique de l'éducation nationale. Aujourd'hui, ils ne sont plus que 90 000, soit 50 % de moins. Plus grave encore, les postes ont été pourvus en 2018 à hauteur de 95 % par les candidats ayant été admis, mais ils ne sont plus couverts qu'à 83 % en 2022. En outre, la durée des études supérieures ne cesse d'être allongée et il faut désormais avoir obtenu un master 2 pour se présenter à ces concours, ce qui contribue à compliquer le recrutement des enseignants. Il existe des solutions qui ne sont pas faciles à mettre en oeuvre, certains problèmes relevant de questions de société.

À ce titre, je voudrais évoquer deux sujets pour poser le débat. D'abord, il existe des différences de recrutement entre les matières. En effet, certaines formations comme les mathématiques, la chimie ou les sciences physiques, ouvrent de nombreux débouchés dans le secteur privé, plus attractif en termes de salaires, poussant ainsi les étudiants à se détourner de la fonction publique. Certes, ce problème touche moins les étudiants de latin et grec...

Ensuite, le coût et l'agrément de la vie ne sont pas les mêmes partout en France et, si l'Île-de-France peut faire figure de meilleur territoire pour conduire une brillante carrière, il reste l'un des plus chers et l'un des plus difficiles pour tous les métiers du service public.

Le recrutement régional et le recrutement par matières posent donc la question de la différenciation des revenus. Certains pays européens l'acceptent par matières et d'autres, comme l'Allemagne, le pratiquent par territoires. De notre côté, nous appliquons l'unité et cela aboutit parfois à des situations assez cocasses. Ainsi, quand seuls les enseignants les mieux payés peuvent se permettre d'accepter des postes dans des régions comme l'Île-de-France, c'est là que l'on trouve le plus de jeunes, ces postes étant les plus difficiles et les moins choisis par les enseignants expérimentés.

Par ailleurs, si l'on compare les salaires de nos enseignants à ceux des autres pays européens, seuls les professeurs français du secondaire, quand ils sont en deuxième, voire en troisième partie de carrière - en classe exceptionnelle - reçoivent des salaires comparables aux moyennes européennes. Les autres sont en dessous, voire nettement en dessous quand il s'agit des enseignants du primaire. Ainsi, en 1990, un professeur des écoles débutant touchait 1,8 fois le SMIC, contre 1,5 fois aujourd'hui. En fin de carrière, un agrégé de classe exceptionnelle touchait alors 4,6 fois le SMIC, contre 3,3 fois aujourd'hui. Quand la mécanique vous rapproche du salaire minimum, il devient difficile de se sentir motivé et heureux ; c'est une affaire de statut.

Pour faire face à ces difficultés, nous avons recours aux primes et nous sommes le pays d'Europe qui en compte le plus, quatorze étant identifiées. Elles représentent entre 9 % et 15 % du salaire, ce qui est très inférieur à ce qu'elles peuvent représenter au ministère de l'intérieur par exemple. Les enseignants, cadres A du ministère de l'éducation nationale, ont donc des revenus comparables à des cadres B du ministère de l'intérieur. Là encore, ces différences n'incitent pas vraiment à se présenter aux différents concours.

Par ailleurs, les heures supplémentaires offrent aussi une solution. Elles ont un impact significatif, mais profitent plutôt à ceux qui sont déjà les mieux payés. Ainsi, un enseignant en classe préparatoire aux grandes écoles (CPGE) touche en moyenne trois heures et demie supplémentaires, alors que dans les collèges la moyenne est d'une heure et quart pour chaque enseignant. La formule des heures supplémentaires est bonne puisqu'elle permet d'apporter un peu de souplesse. En effet, elles permettent d'avaler des bosses et des difficultés liées à l'évolution démographique et à la résistance opiniâtre que mènent les élus locaux comme nous, puisque nous faisons tout pour maintenir nos collèges ouverts quels que soient les effectifs. Ce faisant, nous ne tenons pas compte d'une réalité : les jeunes ne sont plus forcément présents là où nous sommes élus. Ainsi, le Sud-Ouest, l'Occitanie ou la Bretagne ont des besoins grandissants, mais ce n'est pas le cas du Grand Est, que je représente, où la population évolue de façon négative. Comme nous n'augmentons pas le nombre global des enseignants, pour des raisons légitimes, il faut trouver des solutions partielles et les heures supplémentaires en apportent une. Il faudrait néanmoins élargir la marge de manoeuvre en la matière.

J'en viens aux effets bénéfiques du Grenelle. L'équipement en matériel informatique a été bien accueilli, la prime d'attractivité a eu le mérite de viser les jeunes enseignants débutants, en particulier dans les réseaux d'éducation prioritaire (REP), et la prime de soutien aux chefs d'établissements était bienvenue.

En ce qui concerne les orientations affichées par le Président de la République cet été, une formule assez spectaculaire a été retenue : pas moins de 2 000 euros net par mois pour tous les enseignants. Il s'agit d'une belle opération de communication, mais l'augmentation de 10 % va coûter 1,9 milliard d'euros en année pleine. En outre, j'aimerais connaitre la répartition du socle dans le détail, pour savoir si l'on s'attaque enfin au retard que connaissent les enseignants en début de carrière en termes de salaires, ce retard représentant la faiblesse principale de notre système de rémunération.

Par ailleurs, le « pacte » représenterait jusqu'à 10 % des revenus supplémentaires de l'enseignant, en contrepartie d'engagements pour les enseignants volontaires. Cette enveloppe s'élèverait à 900 millions d'euros en année pleine, en fonction du nombre d'enseignants qui y participeraient.

On ne connait ni la répartition du socle ni les contreparties du pacte et, si je suis plutôt favorable à ces deux mesures, j'aimerais que le ministre s'explique.

En ce qui concerne la question des salaires, je rappelle que l'Allemagne paye ses enseignants en moyenne 50 % de plus que la France. Cependant, elle leur demande 35 heures de présence effective dans les établissements. Avec des durées de cours comparables à celles de notre pays, il s'agit donc pour eux d'assurer des missions d'encadrement des élèves afin d'atteindre ces 35 heures hebdomadaires, sachant que le nombre de semaines travaillées par an est à peu près similaire au nôtre.

Je tiens aussi à évoquer la préprofessionnalisation. Je regrettais plus tôt dans mon propos que l'on mette cinq ans pour accéder aux concours de l'éducation nationale. Cette mesure permet à des étudiants stagiaires d'être déjà présents dans l'enseignement ; elle me semble bonne et commence à être significative.

J'en arrive au problème des AESH, qui tient en particulier à l'absence de lien entre la décision prise par les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) et l'éducation nationale - élèves, enseignants et établissements. Or nous faisons face à une inflation spectaculaire, puisque le nombre de bénéficiaires a pratiquement doublé en dix ans, pour atteindre 400 000 élèves aujourd'hui. Parmi les 333 000 employés de l'éducation nationale qui ne sont pas enseignants, on compte 123 000 AESH, qui ne travaillent pas à temps plein. Leur statut a été amélioré, mais un problème de cohérence demeure entre la politique des MDPH et les capacités de l'éducation nationale à accueillir et à gérer financièrement ce dispositif. L'école inclusive représente un budget de 4 milliards d'euros pour environ 400 000 élèves, qui méritent d'être soutenus, mais qui devraient l'être dans le cadre d'une meilleure coopération entre ceux qui prescrivent et ceux qui organisent.

Sur un tout autre sujet, je prends note d'un motif de fierté. En effet, l'éducation nationale a accueilli 20 000 élèves ukrainiens, essentiellement en Île-de-France, en Auvergne-Rhône-Alpes et dans le Midi. Cet accueil a entrainé un recrutement de contractuels ukrainiens - ils sont à mes yeux essentiels -, afin que ces élèves conservent un lien avec leur monde culturel d'origine, puisqu'ils ont vocation à revenir en Ukraine, selon le souhait exprimé par les familles.

Enfin, nous l'avons évoqué tout à l'heure avec Gabriel Attal, nous observons un début d'évolution quant à la réforme des lycées professionnels. Je signale qu'une concurrence assez sévère ne devrait pas manquer de s'établir entre le statut de l'apprenti, qui est un salarié, et celui du stagiaire, qui travaille en alternance et reçoit des gratifications qui ne sont pas nécessairement compétitives. J'ignore quelle est la stratégie à suivre, mais nous avons la chance d'accueillir le rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles, qui pourra donner son avis.

Après avoir bien réfléchi, je vous propose d'adopter ces crédits. Cependant, il faudra poser en séance publique des questions auxquelles le ministre doit répondre. D'abord, il faudra poser une première question visant à obtenir des explications sur deux sujets : la répartition du socle et les contreparties du pacte, notamment pour savoir si, comme l'a évoqué le président Macron, on s'apprête à proposer aux chefs d'établissements des enseignants plus disponibles pour des tâches différentes.

La seconde question que je voudrais poser au ministre concerne l'élitisme républicain. J'en suis issu, j'ai passé les concours administratifs : sans ces lycées ou établissements sous contrat, mon parcours aurait sans doute été différent. Je souhaite que le ministre conserve ces établissements qui tirent notre système vers le haut. Il ne faut pas les supprimer au prétexte qu'ils concentreraient les meilleurs élèves. Ce n'est pas ainsi qu'on aidera les autres. Lorsque je dirigeais la région Lorraine, j'ai ouvert, en lien avec le directeur de Science Po-Paris, les premières filières en province d'accès direct à Science Po dans les lycées professionnels. Cela a fonctionné. Mais lorsque l'on a la chance de disposer de professeurs de classes préparatoires de grand talent, d'élèves motivés et de familles prêtes à les soutenir, il ne faut pas se priver d'un tel système. Ce n'est pas en sacrifiant la rive gauche que l'on aidera la Seine-Saint-Denis ! Je serai donc attentif aux propos de notre ministre. Mon expérience me montre que le diable se cache dans les détails, mais on ne le découvre souvent que lorsque l'on n'est plus ministre...

M. Jacques Grosperrin , rapporteur pour avis de la commission de la culture sur la mission « Enseignement scolaire » . - Je remercie le rapporteur spécial pour son analyse précieuse. Je n'évoquerai pas la préparation de la rentrée scolaire. La chute du nombre de candidats dans les concours de recrutement est préoccupante. Les conséquences s'en feront sentir à long terme.

Ce projet de loi de finances traduit des efforts significatifs pour améliorer la rémunération des enseignants. Le retard accumulé était considérable. Il est essentiel que ce choc d'attractivité se poursuive, mais cela reste incertain. J'espère que le ministre nous rassurera. La revalorisation engagée depuis le Grenelle de l'éducation de 2021 a rencontré des difficultés. Le ministre a raison de refuser que des enseignants puissent gagner moins de 2 000 euros par mois. En 2020, un professeur des écoles gagnait 1 961 euros net en début de carrière, un professeur certifié, 2 056 euros, un professeur de lycée professionnel, 2 130 euros, et un professeur agrégé, 2 400 euros. C'est trop peu. Au-delà de l'aspect financier, il y va aussi de la considération sociale.

Il convient aussi d'améliorer les conditions d'exercice du métier. Mais il est à craindre que ces mesures ne suffisent pas, tant le problème est profond. Le rapporteur spécial a évoqué le schéma d'emplois. On aurait pu imaginer qu'au lieu de supprimer 2 000 postes d'enseignants on réduise le nombre d'élèves par classe.

M. Gérard Longuet , rapporteur spécial . - En une dizaine d'années, le nombre de naissances par an en France est passé de 840 000 à 760 000. C'est une tragédie pour notre pays, et cela signifie que les effectifs d'une classe d'âge baisseront de 10 %.

M. Jacques Grosperrin , rapporteur pour avis . - En effet, la baisse du nombre d'élèves est considérable. Nous pourrions peut-être toutefois profiter de cette situation pour renforcer l'encadrement éducatif.

Je suis inquiet lorsque je constate que 30 % des démissions sont le fait de nouveaux professeurs. Cela reflète les difficultés ou le malaise des enseignants stagiaires. De plus, ces démissions ont souvent lieu en début d'année scolaire. Je ne parlerai pas de la formation express de quatre jours des enseignants contractuels...

J'espère donc que les revalorisations renforceront l'attractivité de ce beau et noble métier d'enseignant. Au-delà des chiffres, nous attendons aussi du ministre qu'il nous livre sa vision de l'éducation nationale. Nous l'avons peu entendu à ce propos.

M. Jean-François Husson , rapporteur général . - Je remercie notre rapporteur spécial pour son analyse étayée par l'expérience. Il a évoqué les difficultés de recrutement, mais de plus en plus d'enseignants abandonnent en cours de carrière. Peut-on chiffrer et comment expliquer cette évaporation des effectifs ? Celle-ci complique la tâche de l'éducation nationale pour piloter la ressource humaine.

En ce qui concerne les AESH, notre rapporteur spécial plaide pour une meilleure articulation entre l'éducation nationale et les MDPH, qui relèvent des conseils départementaux. Je plaide plus généralement pour une meilleure articulation avec les collectivités territoriales. L'État et les collectivités signent des conventions pour organiser la coordination des activités scolaires et périscolaires dans les écoles, mais le recrutement des AESH dépend uniquement de l'État. De plus, il s'agit souvent de contrats à temps partiel, non à temps complet, et les rémunérations ne sont pas très élevées. Il conviendrait donc que l'État et les collectivités se coordonnent davantage pour renforcer l'attractivité de ces métiers. J'espère que la création de 4 000 postes d'AESH prévue dans ce projet de loi de finances ne sera pas qu'un effet d'affichage !

M. Michel Canévet . - Je remercie le rapporteur spécial pour sa présentation, son expertise et son franc-parler. Je ne savais pas que l'on comptait 123 000 AESH. Dans la mesure où les MDPH dépendent des départements, ne serait-il pas logique de leur confier totalement la gestion des AESH en décentralisant ? Cela serait source d'économies.

Les enseignants choisissent de partir en retraite tôt, car ils n'en peuvent plus. Ne pourrait-on trouver une formule pour que les enseignants en fin de carrière accompagnent les jeunes professeurs ?

Je me fais le porte-parole de Vincent Delahaye, qui voulait poser deux questions. Il constate que le nombre d'élèves a diminué de 2,7 % en deux ans alors que le nombre de professeurs a baissé de 0,2 %. Il voudrait savoir si le nombre de professeurs par élève en France n'est pas supérieur à la moyenne européenne ? En outre, sur 1,2 million de personnels du ministère, 860 000 sont enseignants. Que font les 340 000 autres ? Ne pourrait-on réaliser des économies ?

M. Éric Jeansannetas . - Je remercie notre rapporteur spécial ainsi que le rapporteur pour avis. Nous partageons globalement les inquiétudes et les points de vigilance qui ont été évoqués.

La « revalorisation socle » peut poser des difficultés de motivation du corps enseignant en général.

Les besoins en effectifs enseignants étaient réels. En dépit des appréciations portées sur le quinquennat du président Hollande, le quantitatif a permis que nous entrions, aujourd'hui, dans la phase qualitative. La crise du recrutement que nous connaissons aujourd'hui - 83 % des postes pourvus, appel massif au recrutement de contractuels - peut remettre le qualitatif en question. Nous devons être vigilants.

Vous avez mentionné les « préprofesseurs ». Je pense que les « prévocations », qui peuvent amener les meilleurs élèves à vouloir embrasser la carrière d'enseignant, peuvent être une piste. C'est tout simplement l'avenir de notre pays qui est en jeu.

Nous constatons que le budget permet d'envisager des améliorations tangibles, mais nous attendons du ministre des explications plus précises sur la répartition du socle et du pacte, qui nous semble quelque peu complexe à mettre en place parce que beaucoup de tâches sont aujourd'hui effectuées par les enseignants. S'agit-il de valoriser ce que font de fait aujourd'hui la plupart des enseignants dans les établissements scolaires ?

Nous nous abstiendrons du fait des points de vigilance et des inquiétudes qui ne sont pas levés, notamment s'agissant de la crise du recrutement. Que l'on ait perdu autant de candidats en quatre ans pose véritablement question. La rémunération est une explication, mais il y en a sans doute d'autres.

M. Didier Rambaud . - Étant fils d'un professeur agrégé de mathématiques, lui-même fils d'un petit boulanger de montagne, j'ai été ému par ce qu'a dit notre rapporteur spécial sur l'élitisme républicain.

J'insiste sur la baisse des effectifs. Hier soir, vous avez évoqué, en séance, 500 000 élèves en moins. Cette diminution ne sera pas sans conséquence sur les futurs budgets de l'éducation nationale. Qu'en fera-t-on ? Choisira-t-on de travailler davantage sur le qualitatif ou de donner un coup de rabot budgétaire ?

Il faut mieux cerner cette baisse des effectifs. Va-t-elle impacter l'enseignement primaire davantage que l'enseignement secondaire ? Impactera-t-elle de manière homogène tous les territoires ? Une fermeture de classe est moins anodine dans un secteur rural de montagne que dans un groupe scolaire d'une grande ville...

M. Vincent Segouin . - Ma question n'est pas de nature budgétaire : elle porte sur le qualitatif. L'autorité des professeurs va-t-elle revenir au goût du jour ? Le redoublement sera-t-il dorénavant perçu comme un outil qui permet aux enfants d'atteindre un niveau compte tenu de leur maturité ? Je m'interroge sur les erreurs du passé.

M. Antoine Lefèvre . - Je veux interroger notre rapporteur spécial sur le dispositif des territoires éducatifs ruraux. L'académie d'Amiens expérimente ce dispositif, qui connaît, dans le projet de loi de finances (PLF) pour 2023, une augmentation de 9 millions d'euros. Cette hausse est bienvenue, parce que le bilan demeurait en demi-teinte depuis son lancement en janvier 2021, avec une gouvernance éclatée entre les services de l'État, la direction académique et les élus locaux, le ministère de l'éducation demeurant en filigrane le pilote de chacun des projets. Il y a, en outre, une forme d'inégalité avec le programme des cités éducatives, qui bénéficie, pour sa part, de plus de 100 millions d'euros versés par le ministère de la ville sur la période pluriannuelle 2020-2022.

Ma question est simple : l'accompagnement de l'État sur le projet des territoires éducatifs ruraux est-il véritablement à la hauteur de l'enjeu, qui est d'assurer une continuité pédagogique entre les territoires ?

M. Gérard Longuet , rapporteur spécial . - Notre collègue rapporteur pour avis a dit l'essentiel : l'argent est important, mais il ne fait pas tout. L'éducation ne peut fonctionner sans valeurs partagées entre jeunes, enseignants et parents. C'est le bon fonctionnement de cette trinité qui peut améliorer la situation.

Cela dit, il faut bien reconnaître que, dans la société d'aujourd'hui, le métier d'enseignant continue d'avoir une productivité faible : former un jeune prend toujours autant de temps et coûte toujours autant d'argent. Cependant, l'intelligence artificielle, l'informatique, le numérique sont utiles, mais ne remplacent pas l'implication personnelle de l'enseignant envers ses élèves et l'écoute de l'enseignant par les élèves. C'est une singularité dont il faut tenir compte.

Nous souhaitons tous connaître l'avis de M. le ministre. Ce n'est pas un homme politique : c'est un « rechercheur », un homme cultivé, et une démonstration vivante de la dimension internationale de notre culture. Il y a chez cet homme des promesses, dont on aimerait qu'elles se transforment en engagements et en convictions personnelles affichés publiquement. C'est la raison pour laquelle j'attends le débat en séance avec beaucoup d'impatience. Le parcours de Jean-Michel Blanquer, qui avait été enseignant, chef d'établissement, recteur, directeur au ministère, était beaucoup plus balisé.

Monsieur le rapporteur général, s'il y a plus de sorties en cours de carrière, il n'y en a pas beaucoup. En revanche, phénomène assez sympathique, il y a des entrées en cours de carrière, notamment parmi les contractuels - des hommes et femmes cadres qui, à un certain âge, décident de se reconvertir dans l'enseignement. Pourquoi la sortie en cours de carrière est-elle rare ? C'est la contrepartie positive d'un système de rémunération qui favorise largement l'ancienneté. Avec le temps, non seulement les enseignants sont mieux payés, mais ils ont plus de chances de travailler près du soleil, de la mer ou d'une ville universitaire - leurs destinations préférées. Le risque n'est donc pas excessif.

S'agissant du rôle des collectivités locales à l'égard des AESH, il est évident que nous avons le devoir absolu d'assurer une coordination entre les conseils départementaux, responsables des MDPH, et l'éducation nationale au sens large : le recteur, qui a une vision globale, les directeurs départementaux et les chefs d'établissement. Nous avons les mêmes difficultés de recrutement dans le secteur social dans nos départements.

D'ailleurs, le Gouvernement a intégré, dans son recours à l'article 49 alinéa 3 de la Constitution sur la seconde partie du projet de loi de finances, un amendement portant revalorisation de 10 % des revenus des AESH, pour un coût total de 80 millions d'euros. Il convient de saluer l'effort, mais, si c'est pour priver l'aide sociale à l'enfance (ASE) de jeunes dont elle a besoin, le match sera vraiment « nul », au sens propre du terme ! Il faut vraiment une coordination entre l'Assemblée des départements de France (ADF) et le ministère sur la question des AESH. Sans cet accord, on risque de voir des compétitions stupides... Cela rejoint la préoccupation de Michel Canévet, qui souhaiterait une décentralisation plus large. Je suis complètement d'accord avec cette idée.

Le tutorat commence à exister pour la formation des enseignants, notamment grâce à la préprofessionnalisation, mais on pourrait imaginer qu'il soit beaucoup plus systématique et qu'il y ait en quelque sorte une formation des enseignants par apprentissage, ce qui est un peu la tendance. Cela mériterait une réflexion plus approfondie.

Pour répondre à M. Delahaye, les taux d'encadrement sont plutôt faibles par rapport aux moyennes européennes. C'est vrai dans le primaire comme dans le secondaire. Dans le premier degré, nous avons un professeur pour 19 élèves, contre une dizaine en Italie ou en Belgique. Dans le second degré, nous avons 24 élèves par classe, ce qui nous place parmi les mauvais élèves de l'Europe, aux côtés du Royaume-Uni notamment.

Les baisses d'effectifs que nous allons connaître pourront entraîner une baisse du nombre d'enseignants, mais certainement pas de façon parfaitement homothétique et strictement proportionnelle - il existe, d'ailleurs, des problèmes géographiques. Je confirme à Didier Rambaud que les effectifs diminueront de 50 000 par an lors des huit à dix prochaines années.

M. Jeansannetas me rappelle que le quantitatif d'hier permet le qualitatif d'aujourd'hui. Je lui donne acte de son optimisme et de sa confiance. Il faut d'ailleurs reconnaître que ce n'est pas complètement faux...

Les contractuels sont non pas un risque, mais une chance : l'introduction, à l'école, d'hommes et de femmes qui ont une autre expérience permet à la communauté éducative une ouverture sur d'autres formations, d'autres parcours. Le taux de contractuels est de 8 %. C'est significatif, mais ce n'est pas une tragédie. Compte tenu des évolutions à venir, c'est même, pour la commission des finances, la certitude de pouvoir réadapter progressivement les effectifs aux besoins réels.

Vous avez mille fois raison sur l'affectation du socle et la contrepartie du pacte. Nous sommes tous d'accord sur ce sujet.

M. Segouin a posé une question majeure : celle de l'autorité du professeur. Il faut installer l'établissement comme un lieu disposant d'une véritable identité dans le territoire où il sert. Le fait d'être un établissement public n'interdit nullement cette identité. Il faut sans doute évoluer sur les responsabilités du chef d'établissement. Je rappelle toujours l'exemple des lycées agricoles : ces établissements publics ont un directeur qui a de l'autorité, un conseil d'administration qui a une certaine liberté et un président de conseil d'administration qui a la faculté d'aider l'établissement. Cela change complètement les relations entre les dirigeants, les enseignants et leurs élèves. Le climat est fondamentalement différent quand les parents et les élèves savent que leurs enseignants sont écoutés par un directeur qui dispose d'une autorité et de moyens d'intervention. Pour rétablir le respect, il faut que toute la hiérarchie des adultes soit solidaire et puisse répondre de manière homogène. Quand l'éducation nationale exige, au nom de l'obligation scolaire, que le chef d'établissement recase dans un autre établissement l'élève dont il ne veut pas, il se prive de la possibilité d'écarter un élève. Or il suffit d'un enquiquineur pour perturber toute une classe...

Il faut une solidarité entre adultes : parents, enseignants, membres du conseil d'administration, mais aussi élus, doivent intégrer l'établissement comme étant le leur, et non comme une enclave de la rue de Grenelle sur leur territoire. Il faut rechercher tout ce qui peut renforcer les liens entre l'établissement et le tissu des élus et des professionnels d'un secteur. Je cite toujours l'exemple des lycées agricoles. Je pense que donner au proviseur la faculté de soutenir ses enseignants face aux élèves changerait pas mal de choses. Ce serait encore mieux si les parents cessaient d'avoir peur de leurs enfants...

Pour que les professeurs soient heureux, il faut qu'ils aient la certitude d'être soutenus. Or ils ont la certitude de ne pas l'être. Les remontées du terrain montrent que le « pas de vague » ruine la qualité de l'enseignement.

M. Lefèvre nous dit que les villes sont mieux traitées que les territoires éducatifs ruraux. Il a sans doute raison, mais j'apporterai une nuance : les territoires ruraux bénéficient le plus souvent de taux d'encadrement très supérieurs au milieu urbain. En territoire rural, on a moins d'argent, mais la relation humaine est plus solide. On respecte encore les enseignants. Les parents connaissent les enseignants, ceux-ci se connaissent entre eux et connaissent les parents. À cet égard, maintenir des collèges qui n'accueillent guère plus de 100 élèves est un non-sens pédagogique, mais c'est un confort sur le plan humain. Le milieu urbain est tout de même beaucoup plus difficile du fait de l'hétérogénéité des populations et de comportements qui ne sont pas spontanément favorables au respect de l'enseignant.

Concernant les territoires éducatifs ruraux, pour l'instant, le PLF pour 2023 prévoit une hausse de 2 millions d'euros pour l'expérimentation lancée en 2021 dans 23 territoires. Le coût total en 2023 sera d'environ 4 millions. C'est bien, mais ce n'est pas cela qui fera la différence. Je pense que notre monde rural est privilégié en termes de qualité d'enseignement, dès lors que l'on a des enseignants stables.

La commission a décidé de proposer au Sénat d'adopter, sans modification, les crédits de la mission « Enseignement scolaire ».

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Réunie à nouveau le jeudi 17 novembre 2022, sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission a confirmé sa décision.

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