C. UN ACCUEIL DES PERSONNES FUYANT LE CONFLIT EN UKRAINE QUI FAIT L'OBJET D'INFORMATIONS EXTRÊMEMENT LACUNAIRES AU SEIN DE LA PRÉSENTE MISSION

La directive 2001/55/CE du Conseil du 20 juillet 2001 15 ( * ) prévoit la possibilité d'octroyer une protection temporaire en cas d'afflux massif de personnes qui fuient des zones de conflit ou de violences ou qui ont été victimes de violations systématiques ou généralisées des droits de l'homme. Cette directive poursuit un double objectif : éviter un effondrement des systèmes d'asile des États membres de l'Union européenne et assurer une protection « immédiate » des personnes déplacées.

Par une décision d'exécution UE n° 2022/382 du Conseil du 4 mars 2022 16 ( * ) , le Conseil de l'Union européenne a constaté l'existence d'un afflux massif de personnes déplacées et a introduit la protection temporaire dans l'Union européenne pour la première fois, dans le contexte de l'invasion de l'Ukraine lancée par les forces armées russes, le 24 février 2022.

Dans ce cadre, les personnes déplacées et susceptibles de se voir protégées au titre de la protection temporaire sont libres d'accéder à l'État de l'Union de leur choix. En effet, la directive ne prévoit aucun mécanisme de détermination d'un État responsable de la protection temporaire, à l'inverse du système dit de « Dublin ».

La directive du 20 juillet 2001 ne prévoit pas de « procédure d'octroi » de la protection temporaire. Ce sont ainsi les États qui sont compétents pour déterminer les règles d'octroi de cette protection temporaire. En France, ces règles sont fixées par l'instruction INTV2208085J 17 ( * ) du 10 mars 2022 adressée aux préfets . Sont concernés par la protection temporaire :

- les ressortissants ukrainiens qui résidaient en Ukraine avant le 24 février 2022 ;

- les ressortissants de pays tiers ou apatrides qui bénéficient d'une protection internationale ou d'une protection nationale équivalente en Ukraine avant le 24 février 2022 ;

- les ressortissants de pays tiers ou apatrides qui établissent qu'ils résidaient régulièrement en Ukraine « sur la base d'un titre de séjour permanent en cours de validité délivré conformément au droit ukrainien et qui ne sont pas en mesure de rentrer dans leur pays ou région d'origine dans des conditions sûres et durables » ;

- les membres de famille des personnes mentionnées dans les trois premiers cas et eux-mêmes déplacés d'Ukraine à partir du 24 février 2022, sans qu'y fasse obstacle la circonstance qu'ils pourraient retourner dans leur pays ou région d'origine dans des conditions sûres et durables.

Si l'appréciation des conditions mentionnées soulève une difficulté, les préfectures peuvent s'appuyer sur la direction générale des étrangers en France (DGEF) qui peut solliciter, en tant que de besoin, l'OFPRA.

En application de l'instruction ministérielle susmentionnée, les bénéficiaires de la protection temporaire se voient remettre une autorisation provisoire de séjour d'une durée de 6 mois portant la mention « bénéficiaire de la protection temporaire ». Cette autorisation est renouvelée de plein droit pendant toute la durée de validité de la décision du Conseil de l'Union européenne actionnant la protection temporaire . Il est demandé aux préfets de « veiller à ce que les bénéficiaires de la protection temporaire aient accès à un hébergement si elles n'en disposent pas à titre personnel », étant entendu que « les personnes bénéficiant de la protection temporaire n'ont pas vocation à être hébergées au sein du dispositif national d'accueil pour demandeurs d'asile dès lors qu'elles ne relèvent pas de ce statut ». Le document de politique transversale sur la politique française de l'immigration et de l'intégration précise que des places d'hébergement collectif dédiées ont été financées par le programme 303 en 2022.

En outre, les bénéficiaires de la protection temporaire peuvent bénéficier de l'allocation pour demandeur d'asile (ADA) pendant la durée de leur protection s'ils satisfont à des conditions d'âge et de ressources. Ils peuvent, sans délai à leur arrivée en France, être affiliés à la protection universelle maladie et se voir ouvrir un droit d'un an à la complémentaire santé solidaire. Ils sont éligibles aux aides personnalisées au logement . En outre, les bénéficiaires de la protection temporaire âgés de moins de 18 ans ont accès au système éducatif .

Par ailleurs, l'étranger bénéficiant de la protection temporaire peut demander à être rejoint par un membre de sa famille qui bénéficie de la protection temporaire dans un autre État membre de l'Union européenne et par un membre direct de sa famille non encore présent sur le territoire de l'Union européenne. La demande est adressée au préfet qui tient compte des capacités d'accueil dans le département et des motifs de nécessité et d'urgence invoqués par les intéressés.

Enfin, le bénéfice de la protection temporaire ne préjuge pas la reconnaissance de la qualité de réfugié et ne fait pas obstacle à l'introduction d'une demande d'asile . L'étranger bénéficiaire de la protection temporaire qui sollicite l'asile reste soumis au régime de la protection temporaire pendant l'instruction de sa demande. Si, à l'issue de l'examen de la demande d'asile, le statut de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire n'est pas accordé à l'étranger bénéficiaire de la protection temporaire, celui-ci conserve le bénéfice de cette protection aussi longtemps qu'elle demeure en vigueur.

Le rapporteur spécial constate qu'il s'agit d'une évolution majeure du contexte migratoire pour la France pour 2022 et, probablement, pour les années suivantes .

Selon le projet annuel de performance de la mission Immigration, asile et intégration, « l'année 2022 a été marquée par l'arrivée massive de personnes fuyant le conflit en Ukraine, auxquelles les États membres de l'Union européenne ont accordé le statut de bénéficiaire de la protection temporaire. À la fin de l'été [2022], plus de 100 000 personnes avaient obtenu ce statut en France . »

Un tel flux de personnes, qui va augmenter, emporte des enjeux particulièrement importants, notamment en ce qui concerne l'hébergement de ces personnes, la satisfaction de leurs besoins élémentaires et leur accès au système de soins, l'accès à la scolarisation des mineurs, etc . Elle induit des enjeux budgétaires forts, notamment pour la présente mission.

Or le projet annuel de performance est extrêmement lacunaire sur le sujet et n'offre ni de vision globale des coûts associés à la protection temporaire de ces personnes ni leur ventilation . Par exemple, s'il précise que les personnes bénéficiant de la protection temporaire bénéficient de l'allocation pour demandeur d'asile, il n'en donne le coût ni pour 2022, ni pour 2023. S'il précise que la mission a financé en 2022 « des places d'hébergement collectif dont l'ouverture est apparue indispensable pour mettre à l'abri ces personnes », il n'en détaille ni la nature ni le nombre. Il énonce même à deux reprises que « compte tenu des incertitudes qui entourent le conflit et l'évolution des flux, les dépenses prévisionnelles correspondantes pour 2023 ne sont pas présentées ici », ce qui est pourtant l'objet de la documentation budgétaire. Le document de politique transversale « Politique française de l'immigration et de l'intégration » n'apporte pas beaucoup plus de précisions.

Dans ce contexte, le rapporteur spécial estime que le Parlement n'est pas en situation de procéder à un vote éclairé sur les crédits de la mission. En outre, il y a lieu de s'interroger sur la bonne prise en compte des coûts de la protection temporaire dans les crédits demandés pour la présente mission.


* 15 Directive 2001/55/CE du Conseil du 20 juillet 2001 relative à des normes minimales pour l'octroi d'une protection temporaire en cas d'afflux massif de personnes déplacées et à des mesures tendant à assurer un équilibre entre les efforts consentis par les États membres pour accueillir ces personnes et supporter les conséquences de cet accueil.

* 16 Décision d'exécution UE n° 2022/382 du Conseil du 4 mars 2022 constatant l'existence d'un afflux massif de personnes déplacées en provenance d'Ukraine, au sens de l'article 5 de la directive 2001/55/CE, et ayant pour effet d'introduire une protection temporaire.

* 17 Instruction NOR: INTV2208085J du ministre de l'intérieur, du ministre des solidarités et de la santé, de la ministre déléguée auprès de la ministre de la transition écologique, chargée du logement et de la ministre déléguée auprès du ministre de l'intérieur, chargée de la citoyenneté.

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