EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er A
Sanction de l'occupation frauduleuse d'un local

L'article 1 er A, inséré par l'Assemblée nationale, vise à sanctionner pénalement l'introduction ou le maintien, sans droit ni titre, dans un local, à usage d'habitation ou à usage économique, ainsi que le maintien dans les lieux d'un locataire sous le coup d'une décision définitive d'expulsion.

La commission a adopté cet article après avoir clarifié son champ d'application, de manière à bien distinguer la situation du squatteur de celle du locataire défaillant.

1.  Élargir la protection des biens immobiliers au-delà du seul domicile

L'article 226-4 du code pénal, qui réprime ce qu'il est convenu d'appeler dans le langage courant le « squat », protège le seul domicile, au titre de la protection de la vie privée. La jurisprudence de la chambre criminelle de la Cour de cassation 3 ( * ) définit le domicile comme le lieu où une personne, qu'elle y habite ou non, a le droit de se dire chez elle, quels que soient le titre juridique de son occupation et l'affectation donnée aux locaux ; l'article 226-4 n'a donc pas pour objet de garantir d'une manière générale les propriétés immobilières contre le risque d'usurpation.

L'article 1 er A entend combler cette lacune en créant une nouvelle incrimination qui sanctionnerait l'occupation illicite d'un local, sur le fondement de la protection du droit de propriété, garanti par l`article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 qui qualifie la propriété de « droit inviolable et sacré ».

2.  Une rédaction qui a évolué au cours des débats à l'Assemblée nationale

La commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale a d'abord adopté un amendement, présenté par Annie Genevard (Les Républicains) et plusieurs de ses collègues, indiquant que « l'occupation sans droit ni titre, de mauvaise foi, d'un immeuble bâti à usage d'habitation appartenant à un tiers s'apparente à un vol ». Il incombait à l'occupant sans droit ni titre, s'il voulait échapper à une sanction, de présenter un titre de propriété, un contrat de bail ou une convention d'occupation à titre gratuit.

Ces dispositions posaient d'importants problèmes juridiques. Prévoir qu'un comportement « s'apparente » à un vol n'emportait pas de conséquences très évidentes : fallait-il en déduire que l'occupation sans droit ni titre serait assimilée à un vol, et donc punie de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende ? La deuxième partie de l'article ressemblait à un oxymore puisqu'elle dressait la liste des titres que l'occupant « sans droit ni titre » était invité à présenter pour échapper à une sanction.

En séance publique, l'Assemblée nationale a réécrit l'article, en adoptant un amendement présenté par Annie Genevard et plusieurs de ses collègues du groupe Les Républicains, sous-amendé à l'initiative du rapporteur Guillaume Kasbarian, de M. Paul Midy et des députés du groupe Renaissance, et d'Erwan Balanant et Jean-Paul Mattéi (groupe Démocrate).

Le dispositif adopté tend à introduire dans le code pénal deux nouveaux articles 315-1 et 315-2, qui formeraient un chapitre V, intitulé « De l'occupation frauduleuse d'un local à usage d'habitation ou à usage économique », au sein du titre consacré aux « appropriations frauduleuses ».

L' article 315-1 punirait d'abord de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende le fait de s'introduire ou de se maintenir dans un local à usage d'habitation ou à usage économique sans être titulaire d'un titre de propriété, d'un contrat de bail, d'une convention d'occupation ou sans le consentement du propriétaire ou de la personne ayant des droits sur le logement.

La mention des locaux à usage économique a été décidée à l'initiative du rapporteur et des députés du groupe Renaissance, qui ont ainsi entendu protéger l'ensemble des biens immobiliers quelle que soit leur affectation. Le quantum de peine retenu est le même que celui prévu à l'article 311-3 du code pénal concernant le vol.

L' article 315-2 punirait ensuite de six mois d'emprisonnement et de 7 500 euros d'amende le fait de se maintenir , sans droit ni titre, dans un local d'habitation en violation d'une décision de justice définitive et exécutoire ayant donné lieu à un commandement de quitter les lieux depuis plus de deux mois.

Cet article vise les locataires défaillants, qui se sont introduits dans le logement de manière régulière, en signant un contrat de bail, mais qui s'y maintiennent alors qu'ils ont cessé de s'acquitter de leur loyer et sont tenus de quitter les lieux.

En cas de décision d'expulsion prononcée par un juge, un commissaire de justice (anciennement dénommé huissier de justice) notifie la décision au locataire, puis, en l'absence d'exécution volontaire, lui délivre un commandement de quitter les lieux dans un délai de deux mois. C'est donc à l'expiration de ce délai que la sanction pénale serait encourue.

Le deuxième alinéa de l'article 315-2 apporte des précisions concernant le champ d'application du dispositif.

En premier lieu, la sanction ne serait pas applicable lorsque le locataire bénéficie des dispositions de l'article L. 412-6 du code des procédures civiles d'exécution. Cet article consacre ce qu'il est convenu d'appeler la « trêve hivernale » : aucune expulsion ne peut être mise à exécution entre le 1 er novembre et le 31 mars de chaque année (sauf si le relogement des intéressés est assuré dans des conditions satisfaisantes).

En deuxième lieu, le dispositif ne serait pas non plus applicable lorsque le juge de l'exécution est saisi sur le fondement de l'article L. 412-3 du code des procédures civiles d'exécution, jusqu'à la décision rejetant la demande ou jusqu'à l'expiration des délais accordés par le juge à l'occupant. Ledit article L. 412-3 dispose que le juge peut accorder des délais , renouvelables, aux occupants de lieux habités ou de locaux à usage professionnel, dont l'expulsion a été ordonnée judiciairement, chaque fois que le relogement des intéressés ne peut avoir lieu dans des conditions normales, sans que ces occupants aient à justifier d'un titre à l'origine de l'occupation. Il est logique qu'aucune sanction pénale ne soit encourue lorsque le maintien dans les lieux est autorisé par une décision du juge civil.

Enfin, la sanction pénale ne serait pas applicable si le logement appartient à un bailleur social ou à une personne morale de droit public . Cette exclusion peut s'interpréter comme une volonté de protéger surtout les petits propriétaires privés, plus vulnérables en cas d'impayés, et de tenir compte des moyens financiers plus limités des locataires du parc social..

3.  La position de la commission : bien distinguer la situation du squatteur de celle du locataire défaillant

La proposition de loi tendant à garantir le respect de la propriété immobilière contre le squat, présentée par le sénateur Dominique Estrosi Sassone et que le Sénat a adoptée le 19 janvier 2021, prévoyait déjà de pénaliser le fait de se maintenir sans droit ni titre dans un immeuble qui ne constitue pas un domicile. L'infraction n'avait cependant pas vocation à s`appliquer au locataire défaillant, puisqu'elle n'était constituée que si l'occupant s'était introduit dans l'immeuble à l'aide de manoeuvres, menaces, voies de fait ou contrainte.

Tel n'est pas le cas avec le nouvel article 315-1 prévu par la présente proposition de loi : il pourrait s'appliquer à des squatteurs mais aussi à des locataires qui se maintiennent dans leur logement après la résiliation de leur bail, qui a pu arriver à échéance par exemple parce que le propriétaire a décidé de récupérer le logement pour y habiter.

Fidèle à la ligne de conduite qu'elle avait adoptée en 2021, la commission ne souhaite pas appliquer le même régime aux squatteurs et aux locataires défaillants : ces derniers peuvent être des familles victimes d'accidents de la vie (perte d'emploi, séparation, maladie de longue durée...) qui se maintiennent dans leur logement faute de solution de rechange suite à une baisse brutale de leur revenu. Leur situation n'est donc pas comparable à celle d'un squatteur qui s'est d'emblée introduit frauduleusement dans le logement.

C'est pourquoi la commission a adopté les amendements identiques COM-34 et COM-52 du rapporteur et du rapporteur pour avis, qui prévoient que l'infraction visée à l'article 315-1 est constituée en cas d'introduction dans le local à l'aide de manoeuvres, menaces, voies de fait ou contrainte, ce qui exclut les locataires . Cette clarification permet en outre de mieux délimiter les champs d'application respectifs des articles 315-1 et 315-2, qui dans le texte transmis par l'Assemblée nationale recouvrent en partie les mêmes situations.

Elle a jugé utile, en outre, d'établir une gradation entre la peine prévue pour le squat de domicile, que l'article 1 er de la proposition de loi prévoit de porter à trois ans d'emprisonnement et 45000 euros d'amende, et celle applicable au squat de locaux qui ne constituent pas un domicile. Elle a adopté, à cette fin, l'amendement COM-49 , présenté par François Patriat et plusieurs de ses collègues, qui fixe, dans cette deuxième hypothèse, la peine encourue à deux ans d'emprisonnement et 30 000 euros d'amende.

Les locataires défaillants qui se maintiennent dans les lieux, alors qu'une décision définitive d'expulsion a été prononcée à leur encontre, pourront faire l'objet d'une sanction pénale sur le fondement du nouvel article 315-2. Cette innovation a fait l'objet de critiques de la part des personnes entendues par le rapporteur, en raison de l'effet de stigmatisation qu'elle pourrait d'entraîner, ainsi que de son caractère peu opérant : une personne en difficulté financière ne pourra s'acquitter de l'amende et une peine d'emprisonnement inférieure ou égale à six mois est toujours aménagée, sauf impossibilité résultant de la personnalité ou de la situation du condamné. Elle pourrait concerner les 35 000 ménages qui se maintiennent en moyenne chaque année dans leur logement à l'issue du commandement de quitter les lieux.

La commission a toutefois décidé de la maintenir compte tenu de son potentiel effet dissuasif et pour signifier que les comportements de certains locataires d'une particulière mauvaise foi peuvent justifier une sanction en raison de l'atteinte aux intérêts de la société qu'ils occasionnent. Les parquets apprécieront au cas par cas l'opportunité ou non de diligenter des poursuites et pourront prononcer un classement sans suite ou retenir une mesure alternative, comme l'avertissement pénal probatoire, lorsque cette solution leur paraîtra la plus adaptée au regard des circonstances de l'affaire.

La commission a adopté l'article 1 er A ainsi modifié .

Article 1er B (nouveau)
Suppression de la possibilité laissée au juge d'accorder des délais aux squatteurs dont l'expulsion a été judiciairement ordonnée

L'article 1 er B, issu de l'adoption d'un amendement déposé par Catherine Procaccia, supprime la possibilité laissée au juge civil d'accorder des délais à la personne qui squatte un logement ou des locaux à usage professionnel lorsque son expulsion a été ordonnée judiciairement.

L'article L. 412-3 du code des procédures civiles d'exécution donne la possibilité au juge d'accorder des délais renouvelables aux occupants de lieux habités ou de locaux à usage professionnel, dont l'expulsion a été ordonnée judiciairement, chaque fois que le relogement des intéressés ne peut avoir lieu dans des conditions normales, sans que ces occupants aient à justifier d'un titre à l'origine de l'occupation.

Le juge ne pouvant demander aux occupants de justifier d'un titre à l'origine de l'occupation, ces délais peuvent potentiellement bénéficier à des squatteurs entrés dans les lieux par des moyens illicites.

Dans un souci de plus grande fermeté à l'encontre des squatteurs, cet article additionnel, issu de l'adoption de l'amendement COM-29 rect. présenté par Catherine Procaccia, supprime la possibilité d'accorder des délais en cas de squat, tout en la conservant bien sûr si l'occupant est un locataire en difficulté.

Cette disposition est cohérente avec une mesure proposée par le rapporteur à l'article 5, qui tend à supprimer la mention selon laquelle le juge ne peut demander un titre à l'origine de l'occupation.

La commission a adopté l'article 1 er B ainsi rédigé .

Article 1er
Alourdissement de la peine encourue
en cas de violation du domicile

L'article 1 er modifie l'article 226-4 du code pénal afin de porter la peine encourue en cas de violation du domicile à trois ans d'emprisonnement et 45 000 euros d'amende.

La commission a adopté cet article sans modification.

1.  Les éléments constitutifs du délit de violation de domicile

L'article 1 er de la proposition de loi tend à alourdir le quantum de la peine prévue à l'article 226-4 du code pénal, qui réprime ce qui est appelé dans le langage courant le « squat ».

a)  Un délit continu dont la définition a été précisée en 2015

L'article 226-4 est situé dans la section du code pénal relative aux atteintes à la vie privée : ce n'est donc pas tant le respect du droit de propriété que vise à garantir cet article que celui du droit à la vie privée , qui subit nécessairement une atteinte grave en cas d'intrusion dans le domicile.

L'article 226-4 prévoit que l'introduction dans le domicile d'autrui à l'aide de manoeuvres, menaces, voies de fait ou contrainte, hors les cas où la loi le permet, est puni d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende. Il prévoit ensuite que le maintien dans le domicile d'autrui à la suite d'une telle introduction, hors les cas où la loi le permet, est puni des mêmes peines.

Depuis l'entrée en vigueur de la loi n° 2015-714 du 24 juin 2015 tendant à préciser l'infraction de violation de domicile, le code pénal distingue l'introduction dans le domicile du maintien dans le domicile, afin de bien souligner qu'il s'agit d'un délit continu et non d'une infraction instantanée . Cette précision avait pour objectif de rendre plus efficaces les procédures engagées contre les squatteurs, en autorisant l'autorité judiciaire à diligenter des enquêtes de flagrance 4 ( * ) même si l'occupation a débuté il y a déjà un certain temps .

Des peines complémentaires sont encourues, en application de l'article 226-31 du code pénal : l'auteur des faits peut être privé de ses droits civiques, civils et de famille ; il peut se voir interdire d'exercer une activité professionnelle ou sociale ; être privé du droit de détenir ou de porter une arme ; enfin, la juridiction peut décider de diffuser ou d'afficher la décision de condamnation.

b)  La définition jurisprudentielle de la notion de domicile

Une jurisprudence abondante a précisé le sens de la notion de domicile. En 1982, la chambre criminelle de la Cour de cassation a indiqué que « le mot domicile (...) ne désigne pas seulement le lieu où une personne a son principal établissement, mais encore le lieu, qu'elle y habite ou non, où elle a le droit de se dire chez elle , quels que soient le titre juridique de son occupation et l'affectation donnée aux locaux » 5 ( * ) .

Cette définition conduit à considérer comme un domicile une résidence principale, une résidence secondaire ou même une habitation de loisirs, comme une caravane, abritant temporairement la vie privée de ses occupants. En revanche, un véhicule automobile n'est pas considéré comme un domicile.

La protection concerne le lieu d'habitation proprement dit, mais aussi les dépendances qui en constituent le prolongement : un balcon ou une terrasse, une cave ou un grenier, ou encore une cour ou un jardin dès lors qu'ils sont clos et attenants à l'habitation.

L'affectation des lieux a peu d'importance : ils peuvent accueillir une activité familiale comme une activité professionnelle . Il a ainsi été jugé qu'une usine constitue un domicile, de même que les bureaux de la comptabilité ou de la direction d'une entreprise ou encore le centre d'essai de véhicules d'une société.

En revanche, l'article 226-4 ne peut s'appliquer en cas d'introduction dans des lieux qui ne peuvent effectivement servir d'habitation . Ainsi, ne se rendent pas coupables de violation de domicile les squatteurs qui s'introduisent, même par effraction, dans un appartement vide de meubles entre deux locations ou dans un appartement neuf et non occupé ou encore dans un appartement vide en attente de démolition 6 ( * ) . De même, un terrain nu ne saurait être considéré comme un domicile.

Pour que l'infraction soit caractérisée, des manoeuvres, menaces, voies de fait ou contraintes doivent avoir été mises en oeuvre . Les manoeuvres peuvent consister, par exemple, en l'usage d'une fausse qualité ou en la présentation d'un faux document, ou encore en l'utilisation d'une clé que le mari aurait conservée et qu'il utiliserait pour s'introduire chez son épouse alors qu'une instance de divorce serait pendante. Les menaces peuvent consister en des gestes ou en des paroles, qu'il revient au juge d'interpréter. La voie de fait ou la contrainte vont être retenues lorsque des violences, physiques ou morales, ont été commises : en cas de dégradation ou de destruction 7 ( * ) (par exemple en forçant une serrure pour pénétrer dans le logement), mais également si le prévenu a passé outre à une défense verbale d'entrer dans les lieux 8 ( * ) .

Comme pour tout délit, le délit de violation de domicile n'est constitué que si l'auteur des faits avait l'intention de le commettre : le prévenu sera donc relaxé s'il pensait, en toute bonne foi, entrer dans son propre domicile ou s'il était persuadé que l'occupant des lieux avait consenti à son entrée. Il appartient au juge d'apprécier ce moyen de défense à la lumière des circonstances de chaque affaire.

2.  L'alourdissement du quantum de la peine

L'article 1 er de la proposition de loi tend à faire passer la peine encourue d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende à trois ans d'emprisonnement et 45 000 euros d'amende .

3. Une mesure déjà approuvée par la commission

Cette disposition a déjà été adoptée une première fois par le Parlement, à l'initiative du rapporteur Guillaume Kasbarian, à l'occasion de l'examen du projet de loi d'accélération et de simplification de l'action publique (Asap). Le Sénat avait soutenu cette mesure dans le cadre de la commission mixte paritaire réunie sur ce texte. Mais le Conseil constitutionnel a censuré cette disposition 9 ( * ) pour des raisons de procédure, estimant qu'elle était sans lien avec l'objet du texte.

Le Sénat a de nouveau approuvé cette mesure lors de l'examen, en janvier 2021, de la proposition de loi tendant à garantir le respect de la propriété immobilière contre le squat. Le rapporteur Henri Leroy avait alors souligné que la peine prévue en cas de violation de domicile serait ainsi alignée sur celle prévue à l'article 226-4-2 du code pénal, applicable quand quelqu'un force un tiers à quitter le lieu qu'il habite sans avoir obtenu le concours de l'État dans les conditions prévues par le code des procédures civiles d'exécution. Il paraît équitable que le squatteur qui pénètre par infraction dans le domicile d'autrui soit puni au même niveau que le propriétaire qui emploie la force pour faire partir un locataire indélicat.

Cohérente avec ses prises de position passées, la commission a adopté l'article 1 er du texte transmis par l'Assemblée nationale. L'augmentation du quantum de la peine devrait exercer un effet dissuasif sur ceux qui pourraient être tentés de s'introduire illégalement dans le domicile d'autrui.

La commission a adopté l'article 1 er sans modification .

Article 1er bis A
Sanction de la propagande et de la publicité en faveur de méthodes tendant à faciliter le squat

L'article 1 er bis A, inséré par l'Assemblée nationale en séance publique, tend à punir d'une amende la propagande ou la publicité en faveur de méthodes facilitant ou encourageant la violation de domicile.

La commission a adopté à cet article un amendement de coordination et un amendement de précision juridique.

1.  Le dispositif proposé

Certains groupes proposent sur Internet de véritables « modes d'emploi » du squat , dans lesquels ils fournissent conseils et astuces pour s'installer dans un logement, retarder l'expulsion et tenter d'échapper aux poursuites, parfois sous forme de brochures, vidéos ou « tutoriels ». Actuellement, ces incitations à la commission d'une infraction ne sont passibles d'aucune sanction pénale.

À l'initiative du député Philippe Pradal et de ses collègues du groupe Horizons et apparentés, l'Assemblée nationale a adopté, avec l'avis favorable de la commission et un avis de sagesse « très bienveillante » du Gouvernement, un article additionnel insérant dans le code pénal un nouvel article 226-4-3.

Ce nouvel article punirait d'une amende de 3 750 euros la propagande ou la publicité, quel qu'en soit le mode, en faveur de méthodes visant à faciliter ou à inciter à la commission du délit de violation de domicile défini à l'article 226-4 du code pénal.

2.  Une mesure déjà approuvée par la commission

La commission a adopté des dispositions très voisines lors de l'examen en janvier 2021 de la proposition de loi tendant à garantir le respect de la propriété immobilière contre le squat, présentée par Dominique Estrosi-Sassone.

La commission avait alors été soucieuse de ne pas pénaliser des associations ou des formations politiques qui défendraient l'idée selon laquelle des locaux vides devraient pouvoir être occupés par des personnes dépourvues de logement. Ces prises de position, dès lors qu'elles ne s'accompagnent pas de la réalisation effective d'un squat, doivent pouvoir être exprimées dans le cadre du débat public sans crainte d'une sanction pénale. En conséquence, la commission avait précisé que seule la promotion de méthodes visant à encourager le squat pourrait tomber sous le coup de la loi.

En conséquence, la commission a approuvé l'article, après l'avoir modifié par l'adoption des amendements COM-35 et COM-36 du rapporteur, dont la portée est surtout technique. Le premier amendement propose, par coordination, que la sanction s'applique aussi bien à la promotion du squat de domicile, visé à l'article 226-4 du code pénal, qu'à la promotion du squat d'un local qui n'est pas un domicile, visé par le nouvel article 315-1 du code pénal. Le second tend à préciser que s'appliquent les dispositions particulières relatives à la responsabilité pénale en cas de délit commis par la voie de la presse écrite ou audiovisuelle, en reprenant une formulation déjà inscrite dans le code pénal.

La commission a adopté cet article ainsi modifié .

Article 1er bis
Création d'un délit d'usurpation du titre de propriétaire
aux fins de louer un bien immobilier

L'article 1 er bis vise à sanctionner le fait de se faire passer pour le propriétaire d'un bien aux fins de le louer.

La commission a adopté une nouvelle rédaction de cet article, constatant que ce comportement pouvait déjà être réprimé sur le fondement de l'article 313-6-1 du code pénal.

1.  Un comportement répréhensible qui n'est pas juridiquement considéré comme une escroquerie

L'article 1 er bis a été inséré dans le texte par la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale, sur proposition du député Paul Midy (Renaissance) et de plusieurs de ses collègues.

Il vise à sanctionner une pratique, qui se répand selon les auteurs de l'amendement, consistant à se faire passer pour le propriétaire d'un bien pour le louer ; la personne dupée se trouve ensuite accusée de violation de domicile alors qu'elle pensait avoir loué un logement à son propriétaire légitime. L'actualité fournit des exemples de ce type d'abus : en octobre 2021, un habitant de l'Oise a ainsi découvert que la maison de sa mère, vivant en maison de retraite, était habitée par des « locataires » trompés par un faux propriétaire ; de même, en septembre 2022, le propriétaire d'une maison dans les Côtes d'Armor a découvert que son logement était occupé par une famille elle-aussi induite en erreur.

Comme l'explique le député Guillaume Kasbarian dans son rapport 10 ( * ) , le délit d'escroquerie, prévu à l'article 313-1 du code pénal, ne permet pas toujours de réprimer efficacement un tel comportement. L'escroquerie est le fait, soit par l'usage d'un faux nom ou d'une fausse qualité, soit par l'abus d'une qualité vraie, soit par l'emploi de manoeuvres frauduleuses, de tromper une personne et de la déterminer ainsi à remettre des fonds, des valeurs, un bien, à fournir un service ou à consentir un acte opérant obligation ou décharge.

Or une jurisprudence constante considère que commet un simple mensonge, exclusif de toute escroquerie, celui qui donne à bail un immeuble dont il a cessé d'être propriétaire pour en percevoir les loyers 11 ( * ) . En effet, le fait de se prétendre faussement propriétaire ne peut constituer un usage de fausse qualité, au sens de l'article 313-1, dans la mesure où il ne s'agit nullement d'une qualité inhérente à une personne, mais d'une affirmation portant sur l'existence d'un droit ou d'un rapport juridique. La situation est différente si un faux titre de propriété est produit à l'appui du mensonge, la présentation de cet écrit étant constitutive d'une manoeuvre frauduleuse.

L'Assemblée nationale a en conséquence considéré que l'usurpation du titre de propriétaire n'était pas prévue par les textes et que la création d'une nouvelle infraction était nécessaire pour pouvoir la réprimer.

2.  La création d'un nouveau délit

À cet effet, un nouvel article 313-6-3 serait inséré dans le code pénal, dans la section consacrée aux « infractions voisines de l'escroquerie ».

Ce nouvel article punirait de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende le fait, pour une personne ne disposant ou n'ayant disposé d'aucun titre pour occuper un bien immobilier, de se dire faussement propriétaire de ce bien aux fins de le louer .

Le quantum de la peine est le même que celui prévu à l'article 226-4 pour le délit de violation de domicile, ce qui est cohérent puisque celui qui se déclare faussement propriétaire devient l'instigateur d'une violation de domicile même s'il ne pénètre pas lui-même dans ledit domicile.

3.  La position de la commission

La commission ne partage pas l'analyse de la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale selon laquelle l'usurpation du titre de propriétaire ne pourrait actuellement être réprimée, faute de texte.

En effet, l'article 313-6-1 du code pénal punit déjà d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende le fait de mettre à disposition d'un tiers, en vue qu'il y établisse son habitation moyennant le versement d'une contribution ou la fourniture de tout avantage en nature, un bien immobilier appartenant à autrui, sans être en mesure de justifier de l'autorisation du propriétaire ou de celle du titulaire du droit d'usage de ce bien.

Cet article permet de sanctionner celui qui loue un bien en se faisant passer faussement pour son propriétaire, puisque l'auteur de l'infraction ne pourra jamais se prévaloir de l'autorisation du véritable propriétaire. Son champ d'application est plus large puisqu'il permet aussi de sanctionner par exemple des sous-locations accordées sans l'accord du propriétaire.

On peut dès lors se demander s'il est vraiment opportun de créer une nouvelle infraction punissant spécifiquement le fait d'usurper le titre de propriétaire. La commission a estimé qu'il n'était pas souhaitable d'alourdir encore le code pénal en créant une nouvelle infraction qui viserait un cas particulier déjà couvert par un article de portée plus générale.

Sur proposition du rapporteur, la commission a donc adopté l'amendement COM-37 qui procède à une réécriture globale de l'article 1 er bis : plutôt que de créer une nouvelle infraction, il se contente de relever le quantum de la peine prévue à l'article 313-6-1 en le portant à trois ans d'emprisonnement et 45 000 euros d'amende, soit le quantum envisagé dans le texte transmis par l'Assemblée nationale.

La commission a adopté cet article ainsi rédigé .

Article 2
Clarification de la notion de domicile et amélioration de la procédure d'évacuation forcée

L'article 2 vise à modifier l'article 226-4 du code pénal pour préciser la notion de domicile et procède à des ajustements en ce qui concerne la procédure d'évacuation forcée sous l'égide du préfet prévue à l'article 38 de la loi du 5 mars 2007 instituant le droit au logement opposable.

La commission a amélioré la procédure d'évacuation forcée en prévoyant notamment qu'elle puisse s'appliquer à tout local d'habitation.

1.  Préciser la notion de domicile

Le I de l'article 2 de la proposition de loi entend modifier l'article 226-4 du code pénal afin de clarifier la notion de domicile.

La rédaction de ce I a fortement évolué au cours de l'examen du texte à l'Assemblée nationale. Dans la version initiale de la proposition de loi, adoptée sans modification par la commission, il était prévu d'apporter deux modifications à l'article 226-4 :

- d'abord, pour préciser que le maintien dans le domicile d'autrui peut être pénalement sanctionné, même si l'introduction dans le domicile ne s'est pas accompagnée de manoeuvres, menaces, voies de fait ou contraintes ;

- ensuite, pour indiquer que le domicile peut constituer, ou non, la résidence principale et peut ne pas être meublé ; comme on l'a vu dans le commentaire de l'article 1 er , la jurisprudence considère qu'un logement vide de meubles ne constitue pas un domicile ; la modification proposée serait donc revenue sur cette jurisprudence.

En séance publique, l'Assemblée nationale a adopté, avec l'avis favorable de la commission et du Gouvernement, un amendement du député Paul Midy et de plusieurs de ses collègues, procédant à une réécriture du I de l'article 2. Les débats à l'Assemblée nationale éclairent peu sur les raisons qui ont conduit à modifier la rédaction initialement envisagée.

En premier lieu, la disposition tendant à sanctionner le maintien frauduleux dans les lieux, alors que l'introduction dans le domicile avait elle-même été licite, a été supprimée, probablement parce qu'elle aurait concerné au premier chef des locataires défaillants, qui font l'objet d'autres mesures prévues à l'article 1 er A.

Concernant ensuite la notion de domicile, il est désormais proposé d'ajouter un nouvel alinéa à l'article 226-4 du code pénal, pour indiquer que constitue, notamment, le domicile d'une personne tout local d'habitation contenant des biens meubles lui appartenant , que cette personne y habite ou non et qu'il s'agisse de sa résidence principale ou non.

Dans la mesure où la jurisprudence admet déjà que le domicile peut correspondre à une résidence secondaire, la première précision ne modifie pas le droit en vigueur. L'exigence que le local d'habitation soit meublé est également cohérente avec les règles jurisprudentielles dégagées jusqu'ici. La mention de l'adverbe « notamment » indique qu'un logement qui ne correspondrait pas à cette définition pourrait néanmoins être considéré comme un domicile. On peut penser par exemple au cas d'un logement loué meublé : bien que les meubles n'appartiennent pas au locataire, il ne fait pas de doute que le logement constitue bien son domicile.

2.  Des ajustements à l'article 38 de la loi Dalo

L'article 38 de la loi n° 2007-290 du 5 mars 2007 instituant le droit au logement opposable et portant diverses mesures en faveur de la cohésion sociale a institué une procédure rapide d'évacuation des squatteurs sous l'égide du préfet.

Toute personne dont le domicile est squatté peut saisir le préfet d'une demande de mettre l'occupant en demeure de quitter les lieux. Elle doit avoir au préalable déposé plainte, apporté la preuve que le logement constitue son domicile et fait constater l'occupation illicite par un officier de police judiciaire (OPJ).

Le préfet dispose d'un délai de 48 heures pour prendre la décision de mise en demeure, sauf existence d'un motif impérieux d'intérêt général. La mise en demeure doit ensuite être exécutée dans un délai qui ne peut être inférieur à 24 heures. Une fois ce délai écoulé, si l'occupant n'a pas quitté les lieux, le préfet fait procéder sans délai à l'évacuation du logement.

Le II de l'article 2 de la proposition de loi envisage d'apporter deux types de modifications à ce dispositif.

Les premières modifications se présentent comme des mesures de cohérence par rapport aux mesures prévues au I. Pour que la procédure de l'article 38 puisse être déclenchée, il ne serait plus nécessaire que le squatteur s'introduise et se maintienne dans le domicile à l'aide de manoeuvres, menaces, voies de fait ou contrainte. Il suffirait qu'il s'introduise dans le domicile ou qu'il s'y maintienne à l'aide de manoeuvres, menaces, voies de fait ou contrainte.

Cette modification apparaît peu convaincante et peu cohérente avec la rédaction du I de l'article 2 issue de la discussion en séance publique. On ne voit pas bien comment une procédure d'éviction pourrait être mise en oeuvre si l'occupant ne s'est pas maintenu dans les lieux. Et si l'introduction n'a pas été frauduleuse, alors il ne s'agit pas d'un squat et d'autres voies sont ouvertes pour faire procéder à l'expulsion.

La deuxième modification consiste à préciser que le domicile peut être meublé ou non. Cet ajout paraît peu cohérent avec la modification envisagée au I qui insiste au contraire sur la présence de biens meubles.

Les modifications suivantes visent à élargir la liste des personnes habilitées à constater l'occupation illicite, actuellement limitée aux officiers de police judiciaire (OPJ).

Les OPJ sont des fonctionnaires de police ou des gendarmes habilités à constater les infractions à la loi pénale, d'en rassembler les preuves et d'en rechercher les auteurs. Les maires ont également la qualité d'OPJ.

En adoptant en séance publique un amendement du député Philippe Pradal et des membres du groupe Horizons et apparentés, l'Assemblée nationale a d'abord précisé que l'occupation illicite peut être constatée par les maires. On peut se demander si cette disposition, présentée lors des débats à l'Assemblée comme une « clarification » est vraiment utile puisque les maires ont le statut d'OPJ.

L'Assemblée nationale a ensuite adopté un amendement présenté par le député Éric Pauget et plusieurs de ses collègues du groupe Les Républicains autorisant les commissaires de justice à constater l'occupation illicite.

La profession de commissaire de justice est née de la fusion des huissiers de justice et des commissaires-priseurs. Le commissaire de justice est assermenté et autorisé, notamment, à signifier des actes, établir des constats ou recouvrer des créances. L'extension proposée paraît donc cohérente au regard des missions qui lui sont déjà confiées.

3.  La position de la commission

La commission a adopté sans modification le I de l'article 2, qui précise la notion de domicile sans épuiser le sujet du fait de la présence de l'adverbe « notamment ». Cet ajout permettra toutefois de qualifier sans hésitation de domicile un local squatté qui répond à tous les critères prévus par la loi.

Concernant le II, la commission a décidé, par l'adoption des amendements identiques COM-38 et COM-53 , présentés par le rapporteur et par le rapporteur pour avis, modifiés par le sous-amendement COM-31 rect. présenté par Catherine Procaccia, de réintroduire des dispositions adoptées en 2021 par le Sénat dans le cadre de la proposition de loi tendant à garantir le respect de la propriété immobilière contre le squat .

Ces mesures poursuivent trois objectifs :

- tout d'abord, étendre le champ d'application de l'article 38 de la loi Dalo au squat d'un local d'habitation , alors qu'il ne s'applique actuellement qu'au squat d'un domicile ; deviendraient ainsi éligibles à la procédure d'évacuation forcée les logements occupés par des squatteurs entre deux locations ou juste après l'achèvement de la construction, avant que le propriétaire n'ait eu le temps d'emménager ;  il reviendra au préfet de veiller à la proportionnalité des moyens mis en oeuvre en fixant un délai d'exécution de la mise en demeure plus ou moins long ;

- ensuite, prévoir, lorsque le propriétaire ne peut apporter la preuve de son droit en raison du squat, qu' il revient au préfet de s'adresser à l'administration fiscale pour établir ce droit ; l'adoption du sous-amendement a eu pour effet d'enserrer la saisine de l'administration fiscale par le préfet dans un délai de 72 heures ;

- enfin, ramener de 48 heures à 24 heures le délai laissé au préfet pour mettre en demeure le squatteur de quitter les lieux, afin d'apporter une réponse plus rapide à des situations qui peuvent plonger des familles dans une situation très difficile.

La commission a conservé l'ajout de l'Assemblée nationale tendant à prévoir que l'occupation illicite du logement peut être constatée par le maire ou par un commissaire de justice, estimant que la mention du maire pouvait avoir une vertu pédagogique bien qu'il dispose déjà du statut d'OPJ.

La commission a adopté l'article 2 ainsi modifié .

Article 2 bis
Transfert de la responsabilité du propriétaire vers l'occupant sans droit ni titre en cas de dommages résultant d'un défaut d'entretien

L'article 2 bis , inséré par l'Assemblée nationale, opère un transfert de responsabilité civile en cas de dommages résultant d'un défaut d'entretien du logement. Alors qu'en l'état actuel du droit, les dommages résultant d'un défaut d'entretien relèvent de la responsabilité du propriétaire, l'article 2 bis introduirait un régime dérogatoire lorsqu'un bâtiment est occupé sans droit ni titre en prévoyant que le propriétaire serait libéré de l'obligation d'entretien du bien et, par conséquent, ne pourrait voir sa responsabilité engagée sur ce motif. De même, pour tout dommage causé à un tiers, l'occupant illicite en serait tenu pour responsable, et non le propriétaire.

La commission a adopté cet article en excluant de ce régime dérogatoire de responsabilité civile les propriétaires de logements indignes.

1.  Le code civil comme la jurisprudence judiciaire font reposer sur le propriétaire la responsabilité des dommages liés à un défaut d'entretien, même en cas d'occupation illicite du logement

a)  Le cadre général fixé par le code civil en 1804 et confirmé par la jurisprudence rend le propriétaire d'un bâtiment responsable des dommages liés à un défaut d'entretien ou à un vice de construction

Depuis son entrée en vigueur en 1804, le code civil prévoit un régime de responsabilité extracontractuelle spécifique aux dommages résultant d'un défaut d'entretien ou d'un vice de construction d'un bâtiment, qui repose exclusivement sur son propriétaire.

À l'exception de sa numérotation, l'article 1244 12 ( * ) du code civil fixant ce régime de responsabilité extracontractuelle est resté inchangé, aucune loi ne l'ayant modifié jusqu'à présent.

Ainsi, depuis 1804, le code civil dispose que « le propriétaire d'un bâtiment est responsable du dommage causé par sa ruine, lorsqu'elle est arrivée par une suite du défaut d'entretien ou par le vice de sa construction ».

Depuis lors, les précisions apportées par la jurisprudence judiciaire ont renforcé les obligations reposant sur le propriétaire .

En premier lieu, sa responsabilité peut être engagée même en l'absence de faute de sa part . La victime d'un dommage n'est pas tenue d'établir la preuve d'une faute du propriétaire d'un bâtiment, mais doit seulement démontrer que la ruine de cet immeuble a eu pour cause le vice de construction ou le défaut d'entretien 13 ( * ) . De même, le fait que le bâtiment ayant entraîné des dommages ait fait l'objet d'un contrat de bail n'exonère pas son propriétaire de sa responsabilité , celle-ci étant indépendante des modalités d'occupation du bien 14 ( * ) .

À l'inverse, la victime est réputée ne pas être fautive , justifiant son absence de responsabilité. Ainsi, le fait de s'adosser à une clôture présentant les apparences d'une solidité suffisante ne peut être retenu à son encontre, malgré le comportement manifestement « imprudent » de la victime 15 ( * ) . Dans le même esprit, la victime est réputée ne pas pouvoir prévoir qu'un simple appui sur une balustrade provoquerait son effondrement 16 ( * ) . Dans tous ces cas de figure, c'est la responsabilité du propriétaire qui est alors engagée.

Le terme de « ruine » est par ailleurs interprété dans une acception large . Il s'entend non seulement de la destruction totale du bâtiment, mais également de la dégradation partielle de tout ou partie de la construction ou de tout élément mobilier ou immobilier qui y est incorporé de façon indissoluble. Par conséquent, l'article 1244 du code civil s'applique en cas de simple rupture d'une rampe d'escalier, du garde-corps d'un balcon 17 ( * ) , ou, dans une affaire récente, du garde-fou d'une fenêtre (cf. infra ).

La responsabilité civile du propriétaire n'est pas circonscrite aux seuls éventuels occupants du logement, mais s'applique à tous les tiers victimes des dommages résultant d'un vice de construction ou d'un défaut d'entretien, dans un souci de protection la plus large possible.

b)  L'occupation illicite du logement n'exonère pas le propriétaire de sa responsabilité civile en cas de dommages liés à un défaut d'entretien

Dans un arrêt récent, rendu le 15 septembre 2022 18 ( * ) , la Cour de cassation a confirmé sa jurisprudence relative aux dommages résultant d'un défaut d'entretien dans le cas spécifique d'une occupation illicite de logement.

Cet arrêt, largement commenté dans la presse, ne marque ainsi pas un renversement jurisprudentiel, mais conforte la position de longue date du juge civil consistant à écarter toute faute de la victime du dommage pour déterminer si la responsabilité du propriétaire doit être engagée sur le fondement de l'article 1244 du code civil.

Dans le cas de l'espèce, une locataire, déchue de tout titre d'occupation à la suite d'une décision de justice rendue par un tribunal d'instance mais refusant de quitter les lieux, avait chuté depuis la fenêtre de la cuisine de l'appartement en raison de la rupture de son garde-fou.

Bien que la Cour de cassation ait reconnu que l'occupation du logement par l'ancienne locataire était illicite, la Cour a estimé qu'il ne s'agissait pas d'une circonstance atténuante pouvant écarter l'application de l'article de 1244 du code civil. Ainsi, « l'occupation sans droit ni titre d'un bien immobilier par la victime ne peut constituer une faute de nature à exonérer le propriétaire du bâtiment au titre de sa responsabilité, lorsqu'il est établi que l'accident subi par cette dernière résulte du défaut d'entretien de l'immeuble ».

Or, dans l'affaire précitée ayant inspiré la rédaction de l'article 2 bis de la présente proposition de loi, dans la mesure où « le descellement du garde-corps a résulté d'un défaut d'entretien » et « qu'aucune faute ne pouvait être retenue à l'encontre de [la locataire déchue de son titre d'occupation] de nature à exclure ou réduire son droit à indemnisation », la Cour a condamné le couple de propriétaires à indemniser la victime et la Caisse primaire d'assurance maladie de Paris à hauteur de 60 000 euros

Il appert donc qu'en l'état actuel du droit et de la jurisprudence, le fait qu'un logement est occupé illicitement ne libère pas le propriétaire de son obligation d'entretien du logement et, partant, n'amenuise pas sa responsabilité en cas de dommage.

2.  La création d'un régime dérogatoire de responsabilité civile en cas d'occupation illicite d'un logement

Partant du constat que les propriétaires de logements occupés illicitement, qu'il s'agisse d'une situation de squat ou d'un locataire défaillant refusant de quitter les lieux malgré le prononcé d'une expulsion ferme par une décision de justice rendue définitive, peuvent difficilement se rendre dans leur logement et donc effectuer les travaux d'entretien nécessaires, l'article 2 bis de la proposition de loi vise à créer un régime dérogatoire de responsabilité civile s'appliquant à ces cas spécifiques.

L'article 2 bis opérerait ainsi un transfert de responsabilité du propriétaire vers l'occupant illicite en cas de dommage résultant d'un défaut d'entretien . Plus précisément, le propriétaire se verrait « libéré » de son « obligation d'entretien du bien » dès lors que ce bien est occupé illicitement. En conséquence, la responsabilité du propriétaire ne pourrait être engagée ni à l'égard de l'occupant illicite victime d'un dommage résultant d'un défaut d'entretien du bien, ni à l'égard d'un tiers victime d'un tel dommage. Dans ce second cas, la responsabilité du dommage reposerait sur l'occupant illicite.

Ces dispositions retireraient à l'article 1244 du code civil son caractère absolu et laisseraient davantage de marge d'appréciation au juge pour tenir compte de l'impossibilité matérielle, pour les propriétaires de biens occupés illicitement, d'entretenir convenablement leur bien.

3.  La position de la commission : exclure les « marchands de sommeil » de l'exonération de responsabilité civile

Partageant les constats ayant justifié l'insertion de l'article 2 bis au sein de la proposition de loi, la commission s'est prononcée en faveur de l'exonération de la responsabilité du propriétaire pour défaut d'entretien en cas d'occupation illicite du bien .

Soucieuse d'éviter que les « marchands de sommeil » qui n'entretiennent pas leur bien puissent profiter indûment du bénéfice d'une exonération destinée à protéger les propriétaires de bonne foi, elle a cependant souhaité encadrer, par l'adoption des amendements identiques COM-39 et COM-54 du rapporteur et du rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques, le bénéfice de cette exonération, en excluant de ce régime dérogatoire de responsabilité civile les propriétaires de logements indignes , au sens de l'article 225-14 du code pénal.

Ce faisant, elle conforte les dispositions de lutte contre les marchands de sommeil approuvés par le Sénat à l'article 190 de la loi du 23 novembre 2018 dite « Élan », lesquelles représentent un acquis important dans le renforcement de la lutte contre le logement indigne.

La commission a adopté l'article 2 bis ainsi modifié.

Article 2 ter
Pérennisation du dispositif de mise à disposition temporaire de locaux vacants

L'article 2 ter vise à pérenniser le dispositif de mise à disposition temporaire de locaux vacants, introduit à titre expérimental en 2009 et prorogé à deux reprises, en 2014 et en 2018, pour une extinction initialement programmée à l'issue de l'année 2023. Ce dispositif permet à des organismes publics ou privés agréés par le préfet et conventionnés avec le propriétaire de bénéficier de la mise à disposition de locaux, vacants dans l'attente d'un changement d'usage ou de travaux importants, en contrepartie de leur engagement à entretenir ces locaux et à les rendre au propriétaire à l'échéance convenue. Les organismes agréés peuvent loger des résidents temporaires dans ces locaux, par la signature d'un contrat de résidence temporaire.

La commission a adopté cet article en y apportant des précisions quant au périmètre du dispositif.

1.  Un dispositif expérimental visant à lutter simultanément contre la vacance des locaux et leur occupation illicite

Afin de limiter la vacance de locaux et leur possible occupation illicite, un dispositif de mise à disposition temporaire de locaux vacants a été instauré , à titre expérimental, à l'article 101 de la loi n° 2009-323 du 25 mars 2009 de mobilisation pour le logement et la lutte contre l'exclusion, dite « loi Molle ». Les logements concernés sont les logements dont la vacance est censée être temporaire, dans l'attente de la réalisation d'un projet sur le bien, tel une vente, un changement d'usage ou des travaux importants.

Ce dispositif expérimental a été prorogé à deux reprises , en premier lieu en 2014 par la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 pour l'accès au logement et un urbanisme rénové, dite « loi Alur », puis, en parallèle de modifications de périmètre, en 2018 lors du vote de la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique, dite « loi Élan ». En l'état actuel du droit, cette expérimentation doit cesser le 31 décembre 2023 et doit s'accompagner d'une évaluation par le Gouvernement, sous la forme d'un rapport remis au Parlement au plus tard six mois avant cette échéance.

L'instauration puis la double prorogation de ce dispositif ont été justifiées par le risque de détérioration que la vacance des locaux, en l'absence d'entretien régulier, entraîne sur ces derniers ainsi que par la forte exposition de ces logements vacants au risque d'occupation illicite . Ce second risque entraînerait, par voie de conséquence, d'importants coûts de gardiennage ou d'équipements de vidéosurveillance pour les propriétaires, publics ou privés, de ces logements vacants. En outre, ce dispositif est décrit comme une solution au manque de logements temporaires , dans le contexte sociétal d'une mobilité géographique plus forte.

Dans le but de contenir ces risques et de favoriser « la protection et la préservation » 19 ( * ) des logements vacants , le dispositif de mise à disposition temporaire de ces derniers, instauré en 2009 et tel que redéfini en 2018, consiste à encourager l'occupation de ces logements par des résidents temporaires, « à des fins de logement, d'hébergement, d'insertion et d'accompagnement social » 20 ( * ) .

Ainsi, des associations ou des organismes publics ou privés agréés par le préfet de département et conventionnés avec le propriétaire peuvent loger des résidents temporaires dans ces locaux, en contrepartie de leur engagement à les entretenir et à les rendre au propriétaire à l'échéance convenue. La convention entre l'organisme et le propriétaire peut être signée pour une période initiale maximale de trois ans qui peut être prorogée, sous certaines conditions 21 ( * ) , tous les ans. Les organismes agréés peuvent ensuite signer un contrat de résidence temporaire avec l'occupant , d'une durée minimale de deux mois et ne pouvant excéder dix-huit mois 22 ( * ) . Ce contrat peut prévoir une redevance mensuelle à destination de l'organisme agréé d'un montant maximal, fixé par décret, de 200 euros, toutes charges incluses, ou de 75 euros s'il s'agit d'une situation d'hébergement d'urgence 23 ( * ) .

Au cours de ses évolutions législatives et règlementaires, ce dispositif s'est orienté vers une forte dimension sociale . Son actuel périmètre, issu de la loi Élan, ainsi que les mesures d'application qui en ont résulté l'ont partiellement dirigé vers les publics en difficulté. Ainsi, l'article 1 er du décret d'application n° 2019-497 du 22 mai 2019 précise, conformément à l'article 29 de la loi Élan, que les demandes d'agrément comportent « un engagement quantifié de l'organisme ou de l'association quant à l'occupation des locaux par des personnes en difficulté , notamment celles mentionnées au premier alinéa de l'article L. 345-2-2 du code de l'action sociale et des familles », c'est-à-dire des personnes sans abri dont la situation de détresse médicale, psychique ou sociale donne droit à un hébergement d'urgence. Les entreprises ayant recours à ce dispositif et que le rapporteur a auditionnées ont estimé à 30 % la part des personnes en difficulté parmi les résidents temporaires.

À l'inverse, les activités professionnelles ou commerciales ne sont pas incluses dans ce dispositif, lequel n'est présentement destiné qu'à des fins de logement.

2.  Une pérennisation bienvenue malgré l'absence d'un véritable suivi

Après deux prorogations de l'expérimentation initiée en 2009, l'article 2 ter procède à la pérennisation du dispositif de mise à disposition temporaire de locaux vacants .

Cette pérennisation avaliserait un dispositif que le Sénat a soutenu depuis sa création et qui a été salué par la quasi-totalité des personnes auditionnées par le rapporteur 24 ( * ) .

Comme le notait en 2018, lors de la dernière prorogation de cette expérimentation, le rapport de Dominique Estrosi Sassone 25 ( * ) , rapporteur de la commission des affaires économiques sur la loi Élan, « ce dispositif est de nature à apporter des solutions locales et flexibles à la fois à la vacance et au manque de logement temporaire ».

Malgré le peu de données disponibles, le Gouvernement ne s'étant, fort regrettablement, que partiellement acquitté la fonction de « suivi » et d'« évalu [ation] » du dispositif que lui confiait l'article 29 de la loi Élan, ce dispositif semble avoir fait ses preuves, justifiant sa pérennisation et confirmant l'analyse qui en avait été faite en 2018 .

Ainsi, d'après les chiffres transmis au rapporteur par la Fédération des entreprises pour la valorisation de l'occupation temporaire (FEVOT), depuis la création du dispositif en 2009, environ 1 000 bâtiments ont fait l'objet d'une convention d'occupation temporaire de locaux, permettant d'héberger près de 10 000 personnes . Ces chiffres sont approximatifs et n'incluent pas les associations qui en font aussi usage pour loger des résidents temporaires. Ils démontrent néanmoins que ce dispositif a trouvé son public et qu'il gagnerait à être davantage connu et mis en oeuvre, en particulier pendant la période hivernale.

Au vu de ces éléments d'évaluation encourageants, la commission des lois a approuvé le principe d'une pérennisation du dispositif tout en sécurisant son périmètre par l'adoption des amendements identiques COM-2 rect. , COM-26 rect., COM-40 et COM- 55, présentés par le rapporteur, le rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques, Vanina Paoli-Gagin et Dany Wattebled, qui lèvent le risque de requalification des contrats de résidence temporaire en baux locatifs régis par le cadre général de la loi du 6 juillet 1989. Cette précision est ainsi de nature à préserver le caractère spécifique du dispositif et à inciter les propriétaires de logements vacants en raison d'une restructuration prochaine à les affecter au logement temporaire, plutôt que de les laisser vides.

La commission a également adopté les amendements identiques COM-27 et COM-4 de Vanina Paoli-Gagin et Dany Wattebled, instaurant une procédure d'expulsion spécifique à ce dispositif caractérisé par de courtes périodes d'occupation. L'expulsion serait toujours soumise au regard du juge, mais dans le cadre des délais plus restreints de la requête simple, plus adaptés à la temporalité du dispositif.

La commission a adopté l'article 2 ter ainsi modifié .

Article 3 (supprimé)
Création du délit d'occupation frauduleuse du logement d'un tiers

L'article 3, supprimé par la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale, tendait à créer une nouvelle infraction pour punir de six mois d'emprisonnement et de 7 500 euros d'amende l'occupation sans droit ni titre d'un logement en violation d'une décision de justice.

Ses dispositions ont été reprises à l'article 1 er A de la proposition de loi.

La commission a confirmé la suppression de l'article .

Article 4
Systématisation, dans les contrats de bail, d'une clause de résiliation de plein droit et limitation de la faculté du juge d'en suspendre les effets

L'article 4 vise à rendre obligatoire les clauses résolutoires de plein droit au sein des contrats de bail, actuellement facultatives, et à subordonner à une demande expresse du locataire l'octroi par le juge d'une expulsion dite « conditionnelle », qui suspend l'effet de la clause résolutoire, et donc l'expulsion, si le locataire apure ses dettes. Ainsi, le juge ne pourrait plus accorder d'office des délais de paiement de la dette locative, ni vérifier les éléments constitutifs de cette dette et le caractère décent du logement. Enfin, cet article conditionnerait tout octroi d'une expulsion conditionnelle à la reprise du versement du loyer courant avant la date de l'audience.

La commission a adopté cet article en y apportant deux principales modifications : l'inclusion du paiement du loyer courant parmi les conditions nécessaires au maintien de la suspension des effets de la clause résolutoire et le rétablissement des pouvoirs d'office du juge pour accorder des expulsions conditionnelles et procéder à des vérifications essentielles au respect des droits des deux parties.

1. Les clauses de résiliation de plein droit des baux locatifs permettent au bailleur de résilier unilatéralement le bail en cas de manquements du locataire, sans pour autant l'exonérer d'une action en justice si le locataire refuse de s'exécuter

a)  Les clauses résolutoires ont pour objectif d'inciter le locataire à respecter ses engagements contractuels

Bien que fortement recommandée, notamment par le modèle de contrat de bail proposé par le décret n° 2015-587 du 29 mai 2015 relatif aux contrats types de location, la présence d'une clause résolutoire de plein droit au sein des baux locatif n'est pas imposée , en l'état, par la loi.

La loi encadre néanmoins son recours , dans un double objectif de sécurité juridique pour le bailleur et de protection du locataire contre les résiliations sans motif légitime.

Ainsi, l'article 4 de la loi du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs et portant modification de la loi n° 86-1290 du 23 décembre 1986 prévoit quatre situations lors desquelles la mise en oeuvre d'une clause résolutoire peut se justifier :

-  en cas de non-paiement du loyer et/ou des charges locatives ;

-  en cas de non-versement du dépôt de garantie ;

-  si le locataire ne souscrit pas d'assurance habitation ;

-  si le locataire est responsable de troubles de voisinage constatés par une décision de justice passée en force de chose jugée, cette infraction représentant un manquement à l'obligation d'user paisiblement des locaux loués.

Inversement, toute clause de résiliation de plein droit pour un motif autre que les quatre motifs susmentionnés est « réputée non écrite ».

Le manquement du locataire à l'une de ces obligations contractuelles autorise le bailleur à invoquer la clause résolutoire de plein droit, lorsque celle-ci a été intégrée au bail. Cet outil à la disposition du bailleur emporte, théoriquement, de fortes conséquences. En effet, conformément à l'article 1225 du code civil, « l'inexécution », par le locataire, des engagements mentionnés au sein de la clause résolutoire « entraîne la résiliation du contrat » .

Cette résialition unilatérale est censée être automatique, sous réserve du respect de certaines règles procédurales, fixées par le code civil et la loi du 6 juillet 1989 précitée. En premier lieu, « la résiliation est subordonnée à une mise en demeure infructueuse », laquelle doit « mentionner expressément la clause résolutoire » 26 ( * ) . Cette mise en demeure prend la forme, pour le cas spécifique des baux locatifs, d' un commandement de payer remis par un commissaire de justice 27 ( * ) . Le locataire dispose alors d'un délai de deux mois pour régulariser sa situation s'il s'agit du non-paiement du loyer ou des charges locatives et d'un mois en cas de non-versement du dépôt de garantie ou de non-souscription d'une assurance habitation. Aucun délai n'est prévu en cas de non-respect de l'obligation d'user paisiblement des locaux loués, la condamnation du locataire suffisant pour saisir directement le juge pour faire constater la résiliation.

C'est à l'issue de ce délai, si le locataire n'a pas régularisé sa situation ou n'a pas quitté les lieux, que la clause résolutoire peut être mise en oeuvre unilatéralement par le bailleur. Pour ce faire, ce dernier doit assigner le locataire en justice, aux fins de constatation par le juge de la clause de résiliation de plein droit .

Si la procédure est proche de celle d'une résiliation judiciaire du bail ( cf. commentaire de l'article 5 ), notamment en termes de délais, elle diffère quant au degré d'appréciation du juge. La résiliation judiciaire du bail, qui s'applique notamment - mais pas exclusivement - lorsque le contrat de bail ne contient aucune clause résolutoire, est soumise à la libre appréciation du juge . Celui-ci établit alors la gravité des manquements du locataire, peut décider d'aménagements ou de délais de paiement et peut imposer le maintien des rapports locatifs. A contrario , la clause résolutoire est considérée comme automatique dans le sens où le juge ne fait que constater le manquement du locataire à l'une des quatre obligations fixées par le cadre légal, et donc la cessation du contrat de bail.

b)  L'automaticité des clauses résolutoires est néanmoins réduite par la possibilité ouverte au juge d'en suspendre d'office les effets

Malgré l'automaticité de principe des clauses résolutoires , le juge peut accorder des délais de paiement au locataire défaillant et ainsi en suspendre d'office les effets, c'est-à-dire l'expulsion .

Il s'agit alors d'une « expulsion conditionnelle » dans le sens où bien que le juge reconnaisse l'inexécution par le locataire de ses engagements contractuels, et constate donc l'effectivité de la clause résolutoire, il octroie des délais de paiement de la dette locative pouvant aller jusqu'à trois ans, ce qui emporte pour conséquence de « suspendre les procédures d'exécution qui auraient été engagées par le créancier » 28 ( * ) , en l'espèce, la demande d'expulsion par le bailleur, et permet le maintien des relations contractuelles si le locataire a acquitté sa dette dans le délai imparti par le juge. Dans ce cas, « la clause de résiliation de plein droit est réputée ne pas avoir joué » 29 ( * ) , d'où le caractère conditionnel de l'expulsion.

En 2019, selon les données transmises par l'Agence nationale pour l'information sur le logement (ANIL), les expulsions conditionnelles auraient représenté 50 000 des 125 000 décisions judiciaires ayant prononcé une expulsion, soit 40 %. Les 60 % restants relèvent des expulsions fermes.

La faculté du juge de prononcer des expulsions conditionnelles résulte du V de l'article 24 de la loi du 6 juillet 1989 précitée, lequel prévoit en outre que le juge peut, pour apprécier l'opportunité d'accorder ces délais supplémentaires, « vérifier tout élément constitutif de la dette locative et le respect de l'obligation » de remettre au locataire un logement décent .

La suspension des effets de la clause résolutoire ainsi que les délais et les modalités de paiement accordés par le juge ne peuvent cependant affecter l'exécution du contrat de location et notamment suspendre le paiement du loyer et des charges . Par conséquent, le locataire est censé apurer sa dette conformément au plan d'apurement fixé par le juge tout en réglant son loyer courant. Dans le cas contraire, la clause de résiliation de plein droit « reprend son plein effet » 30 ( * ) .

2.  L'article 4 rendrait obligatoires les clauses résolutoires de plein droit et subordonnerait toute expulsion conditionnelle à une demande expresse du locataire et à la reprise du paiement du loyer courant

Tel que transmis au Sénat, l'article 4 généralise la présence des clauses résolutoires dans les contrats de bail et procède à des modifications significatives des conditions d'application de ladite clause, et donc des expulsions conditionnelles.

Le 1° bis de l'article 4 prévoit ainsi que le juge ne puisse accorder des délais de paiement de la dette locative et vérifier les éléments constitutifs de cette dette et la décence du logement que sur demande expresse du locataire . Cette modification signifierait que, sauf saisine du locataire, le juge ne pourrait prononcer que des décisions d'expulsion ferme, les expulsions conditionnelles reposant sur un plan d'apurement de la dette locative ne pouvant plus être décidées d'office par le juge.

En parallèle, le 2° de l'article 4 soumet toute décision d'expulsion conditionnelle à la reprise du paiement du loyer courant avant la date de l'audience . Par rapport au droit en vigueur, lequel manque de précisions sur le sujet, la clause résolutoire de plein droit reprendrait en outre ses effets dès le premier impayé de loyer , et non dans la seule hypothèse du non-respect du plan d'apurement de la dette locative.

3.  La position de la commission : garantir l'intérêt du bailleur comme du locataire en maintenant les pouvoirs d'office du juge pour favoriser le remboursement des dettes locatives

Estimant que cette mesure oeuvre en faveur d'une plus grande sécurisation juridique des rapports locatifs en rappelant explicitement les engagements du locataire et en circonscrivant les motifs d'expulsion unilatérale pour faute de ce dernier, la commission a approuvé la généralisation des clauses résolutoires de plein droit au sein des baux locatifs . Cette généralisation est d'autant plus souhaitable que le secteur locatif a déjà largement intégré cette pratique, puisqu'actuellement seuls « 1 à 2 % » des dossiers contentieux portent sur des baux ne comportant pas de clause résolutoire, selon l'estimation de l'Association nationale des juges de la protection du contentieux (ANJPC).

Par le vote des amendements identiques COM-41 et COM-56 du rapporteur et du rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques, la commission a en revanche apporté des modifications au 1° bis et au 2° de l'article 4, afin d' inclure le paiement du loyer courant parmi les conditions nécessaires au maintien de la suspension des effets de la clause résolutoire et afin de rétablir les pouvoirs d'office du juge pour accorder des expulsions conditionnelles et procéder à des vérifications essentielles au respect des droits des deux parties .

Il est en effet dans l'intérêt aussi bien du locataire que du bailleur que les rapports locatifs soient maintenus lorsque le locataire peut s'acquitter de sa dette locative, plutôt que de prononcer une expulsion ferme après laquelle le locataire refusant de quitter les lieux n'a plus guère intérêt à régler son loyer.

Or, selon les chiffres fournis par l'Agence nationale pour l'information sur le logement (ANIL), seules 38 % des audiences pour impayés de loyers ont lieu en présence des locataires défaillants , souvent des publics ne maîtrisant pas le vocabulaire juridique et l'échéancier des procédures judiciaires. Par conséquent, conditionner l'octroi de délais de paiement à une demande du locataire pourrait être contreproductif par rapport à l'objectif affiché de « responsabilisation du locataire ». L'expulsion conditionnelle que le juge peut, en l'état du droit, prononcer d'office par l'octroi de délais de paiement de la dette locative semble plus à même d'atteindre cet objectif de responsabilisation, puisque le maintien dans le logement est conditionné au respect du plan d'apurement de la dette. En outre, la rédaction proposée par l'Assemblée nationale aurait pour conséquence d'empêcher le juge de se saisir d'office d'un diagnostic social et financier mentionnant un échéancier viable d'apurement de la dette ou d'un échéancier proposé par le bailleur lorsqu'aucune demande du locataire ne serait formalisée, ce qui va à l'encontre des intérêts du propriétaire si celui-ci souhaite obtenir le remboursement des loyers impayés.

C'est pourquoi la commission a rétabli la possibilité pour le juge d'accorder d'office un délai de paiement au locataire « en situation de régler sa dette locative » , selon les termes actuels de l'article 24 de la loi du 6 juillet 1989 régissant les rapports entre les bailleurs et les locataires. Pour apprécier cet élément, la commission a également rétabli la faculté du juge de vérifier d'office « tout élément constitutif de la dette locative » . En effet, selon les estimations transmises par l'ANIL, le montant de la dette locative estimé par les parties serait erroné dans la moitié des cas. Subordonner la vérification du montant de la dette à la demande expresse du locataire porterait donc préjudice aussi bien au locataire si celui-ci, par méconnaissance de ses droits, ne fait pas usage de sa faculté de saisine du juge, qu'au bailleur qui serait dans l'incapacité de contester le montant de la dette locative si le juge retient un montant mésestimé.

L'octroi de délais de paiement au locataire pour régler sa dette locative et éviter l'expulsion serait néanmoins toujours soumis à la condition que celui-ci ait repris le versement du loyer et des charges avant la date de l'audience , comme c'est déjà le cas pour les procédures de traitement du surendettement mentionnées au VI de l'article 24 de la loi du 6 juillet 1989 précitée.

En outre, afin de lutter contre l'habitat insalubre, les « marchands de sommeil » et l'indécence énergétique , la commission a rétabli la faculté pour le juge de vérifier d'office le respect du caractère décent du logement . Ces dispositions apparaissent d'ordre public au regard des objectifs de lutte contre le logement indigne mis en oeuvre depuis la loi du 23 novembre 2018 dite « ELAN » et de rénovation énergétique du parc de logements depuis la loi du 22 août 2021 dite « climat et résilience ».

Enfin, la commission a précisé qu'en cas d'octroi d'une expulsion conditionnelle, le non-paiement du loyer et des charges, comme le non-respect de l'échéancier d'apurement de la dette locative, entraînent de plein droit l'application de la clause résolutoire, et donc la cessation du bail. En effet, en l'état actuel du VII de l'article 24 de la loi du 6 juillet 1989, seul le non-paiement de la dette locative provoque la déchéance du bail. Or, il convient d'inciter le locataire à s'acquitter de l'ensemble de ses obligations contractuelles et de garantir le propriétaire du versement aussi bien du loyer que des arriérés. Cette disposition donnera par ailleurs un fondement juridique aux juges des contentieux de la protection pour subordonner le réaménagement d'une dette passée à l'exécution future du contrat, pratique déjà prévue par une grande partie des décisions d'expulsion conditionnelle et qu'un pourvoi en cassation pourrait censurer malgré son caractère « de bon sens pour les praticiens du droit comme pour les justiciables », selon l'analyse transmise au rapporteur par l'Association nationales des juges des contentieux de la protection (ANJCP).

Ces modifications, qui préservent les droits des locataires en difficulté, viennent tout autant conforter les droits des propriétaires en garantissant davantage le règlement de la dette locative.

La commission a adopté cet article ainsi modifié .

Article 5
Accélération de la procédure contentieuse du litige locatif

L'article 5 procède à la réduction de plusieurs délais de la procédure contentieuse locative, perçue comme trop longue, et vise, en parallèle, à initier plus en amont l'accompagnement social des locataires en situation d'impayés.

La commission s'est prononcée en faveur de ces objectifs, tout en apportant des modifications à l'article 5 de nature à les rendre plus aisément atteignables. Tout en maintenant l'exigence de célérité de traitement des contentieux, elle a allongé de deux semaines le délai légal minimal entre le commandement de payer et l'assignation en justice par rapport au texte transmis par l'Assemblée nationale, afin de favoriser le traitement amiable des litiges et éviter l'engorgement des tribunaux judiciaires. Elle a centré l'accompagnement social des locataires défaillants sur les profils les plus en difficulté, pour s'assurer que le diagnostic social et financier de ces derniers soit effectivement réalisé. Pour cela, elle a maintenu son élaboration précoce tout en prévoyant, sans rallonger la procédure judiciaire, un délai de trois mois. Enfin, elle a clarifié les critères de qualification du squat dans le code des procédures civiles d'exécution.

1.  Une procédure contentieuse locative structurée en plusieurs étapes pouvant être ressentie comme excessivement longue

a)  Le précontentieux et le contentieux locatif concernent plusieurs centaines de milliers de personnes chaque année

La procédure contentieuse locative, structurée en plusieurs étapes censées favoriser la reprise des rapports locatifs, accompagner les locataires en difficultés sociales ou économiques et inciter au maintien dans le logement en évitant autant que faire se peut l'expulsion du locataire défaillant lorsque celui-ci est de bonne foi, apparaît comme excessivement longue et source de complications , en particulier pour les propriétaires qui peuvent attendre plusieurs années pour récupérer leurs biens, mais aussi pour les locataires, souvent démunis face à de lourdes procédures contentieuses et des dispositifs d'aides peu connus.

Or, le contentieux locatif est un contentieux de masse. Selon les chiffres du récent rapport de la Cour des comptes relatif à la prévention des expulsions locatives 31 ( * ) , publié le 19 décembre 2022, en phase précontentieuse, 500 000 commandements de payer sont délivrés en moyenne chaque année , dont les deux tiers dans le parc privé. Ces commandements de payer ont concerné en 2018 une part non négligeable de 3,1 % du total des locataires du parc social et de 4,9 % des locataires du parc privé.

En phase contentieuse, un peu plus de 150 000 locataires ont fait l'objet d'une assignation en justice en 2019 , dernière année significative avant l'irruption de la crise sanitaire, lors de laquelle la trêve hivernale a été prolongée à plusieurs reprises. Ces assignations, qui ont pour cause principale, dans 95 % des cas, des impayés, ont abouti à 52 000 décisions d'expulsions fermes prononcées par le juge. Celles-ci ont nécessité, toujours en 2019, le concours de la force publique dans 16 210 cas . Ce cas extrême représente donc l'issue de 3,2 % des commandements de payer.

Outre les drames humains que peuvent refléter ces situations, l'ampleur de ces données interroge sur la capacité des services administratifs concernés et de l'organisation judiciaire à traiter dans de bonnes conditions et dans des délais acceptables l'ensemble de ces dossiers. En effet, les nombreuses étapes de la procédure contentieuse locative impliquent l'intervention et la coordination de multiples acteurs, expliquant partiellement la longueur de la procédure.

b)  La procédure contentieuse locative est articulée autour de quatre étapes principales dont la durée totale pourrait atteindre voire dépasser deux ans

La longueur de la procédure contentieuse locative, relevée ou, à défaut, non démentie par l'ensemble des personnes auditionnées par le rapporteur, trouve l'une de ses sources dans la multiplicité des étapes procédurales, qui sont chacune assorties de délais légaux incompressibles, dont la vocation première est d'éviter que le locataire défaillant ne soit expulsé sans solution alternative de logement.

L'expulsion avec le concours de la force publique est ainsi une solution de dernier recours, la reprise des paiements locatifs étant l'objectif initial de la procédure contentieuse locative. Celle-ci s'organise en quatre phases principales.

(1) La phase précontentieuse est la première étape de la procédure d'expulsion. Elle permet en moyenne de résoudre les deux tiers des difficultés en cas d'impayés 32 ( * ) , sans intervention du juge. Si le bail contient une clause résolutoire ( cf . commentaire de l'article 4 ), et éventuellement à l'issue d'un ou plusieurs rappels amiables, dès le premier impayé, le propriétaire peut faire parvenir au locataire en situation d'impayés un commandement de payer , délivré par un commissaire de justice. Le commandement de payer ouvre un délai de deux mois au cours duquel le locataire est tenu de régler sa dette locative et, le cas échéant, de reprendre le paiement régulier du loyer et des charges afférentes, faute de quoi la clause de résiliation du bail sera activée.

(2) À l'issue de ce délai de deux mois et à défaut de régularisation de l'impayé, le bailleur peut assigner le locataire en justice , ouvrant la phase judiciaire auprès du juge des contentieux de la protection, compétent aussi bien pour les « actions tendant à l'expulsion des personnes qui occupent aux fins d'habitation des immeubles bâtis sans droit ni titre » 33 ( * ) que pour les « actions dont un contrat de louage d'immeubles à usage d'habitation ou un contrat portant sur l'occupation d'un logement est l'objet, la cause ou l'occasion » 34 ( * ) .

Afin de permettre au juge de disposer des éléments d'appréciation du litige contentieux, l'assignation ouvre un nouveau délai de deux mois pendant lequel les services sociaux du département sont chargés de rédiger un diagnostic social et financier (DSF) du locataire, censé éclairer le juge sur les capacités du locataire à reprendre les paiements locatifs et rembourser sa dette, et ainsi éviter l'expulsion. En parallèle, un accompagnement peut être effectué par diverses structures à vocation sociale, telles que les centres communaux d'action sociale, les commissions locales d'impayés de loyers, les caisses départementales d'allocations familiales et la mutualité sociale agricole qui gèrent les aides personnelles au logement et sont informées de la délivrance de tout commandement de payer, ou les associations, comme les associations départementales d'information pour le logement (ADIL). Les conseils départementaux, qui assurent la gestion, avec le préfet, des commissions départementales de coordination des actions de prévention des expulsions locatives (Ccapex, cf. infra ) et qui peuvent apporter une aide financière à travers le fonds de solidarité pour le logement (FSL), sont néanmoins les principaux acteurs concernés par ce travail d'accompagnement social en matière d'impayé locatif.

Les commissions départementales de coordination des actions de prévention des expulsions locatives (Ccapex)

Les Ccapex, créées par la loi n°2006-872 du 13 juillet 2006 portant engagement national pour le logement, dite « loi ENL », en remplacement des anciennes commissions départementales des aides publiques au logement, ont pour objet d'oeuvrer en faveur de la prévention des expulsions locatives et de coordonner l'action des différents acteurs du logement dans chaque département.

Ces commissions sont placées sous la présidence conjointe du préfet de département et du président du conseil départemental. Elles comptent parmi leurs membres de droit des représentants des collectivités territoriales concernées, un représentant du préfet et des représentants des caisses d'allocations familiales (CAF) et de la mutualité sociale agricole (MSA). Des représentants des bailleurs privés, des bailleurs sociaux, des associations de locataires ou encore de centres d'action sociale peuvent en être membres, sur demande.

Bien que les Ccapex soient informées par les commissaires de justice de l'envoi de tout commandement de payer supérieur à un seuil fixé par arrêté départemental, celles-ci ont pour vocation principale de statuer sur les cas les plus complexes, ce qui justifie qu'elles ne soient généralement saisies qu'au stade de l'assignation en justice.

Une fois saisies par un bailleur, un locataire, le préfet, le président du département, la CAF ou la MSA, les Ccapex peuvent formuler des « avis » ou des « recommandations », pouvant suggérer, à titre d'exemple, d'éventuelles mesures sociales à prescrire au locataire, l'octroi du concours de la force public, le maintien ou la suspension des allocations logements ou encore le relogement du locataire dans un logement plus adapté. Elles peuvent s'appuyer pour cela sur les DSF, dont elles sont destinataires de droit 35 ( * ) .

Les Ccapex ne sont cependant pas des organes décisionnels et ne peuvent pas octroyer directement des aides financières.

(3) À l'issue de ce délai de deux mois ayant vocation à être mis à profit pour la rédaction du DSF voire, idéalement, à permettre au locataire de reprendre les paiements, peut avoir lieu l'audience judiciaire .

Cependant, celle-ci se tient non seulement, dans 62 % des cas 36 ( * ) , en l'absence du locataire concerné, mais également bien souvent sans que le DSF n'ait été réalisé ni transmis au juge des contentieux de la protection. Selon les données communiquées au rapporteur par la direction interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement (DIHAL), seulement 30 % des décisions de justice s'appuient sur un DSF, soit parce que celui-ci n'a pas été élaboré, soit parce qu'il a été transmis avec un retard trop important. Cette proportion rejoint les observations du député Nicolas Démoulin, auteur en 2020 d'un rapport sur la prévention des expulsions locatives et la protection des propriétaires 37 ( * ) , qui estimait que deux tiers des dossiers soumis au juge des contentieux de la protection ne comportaient pas de DSF, une proportion l'amenant à qualifier la période entre l'assignation en justice et l'audience judiciaire de période « morte ».

La fréquente absence aussi bien du locataire que du DSF est regrettable puisqu'elle réduit les informations à disposition du juge, qui pourraient le conduire à conclure en la viabilité financière du locataire et ainsi éviter l'expulsion ferme, qui constitue 60 % des décisions du juge en matière de contentieux locatif.

L'audience, dont les délais sont variables en fonction des tribunaux, peut ensuite aboutir soit à un rejet de la demande d'expulsion, soit à l'octroi d'un délai de paiement de la dette locative pouvant aller jusqu'à 3 ans, soit, si le juge refuse d'octroyer un délai de paiement et de suspendre l'effet de la clause résolutoire du bail, au prononcé d'une expulsion ferme qui autorise le bailleur à faire remettre au locataire un commandement d'avoir à quitter les lieux par le commissaire de justice .

La décision de justice est le point de départ de nouveaux délais procéduraux. En premier lieu, le locataire dispose d' un délai d'un mois pour faire appel , à compter de la signification de la décision par le commissaire de justice.

En second lieu, le locataire peut saisir le juge afin d'obtenir, selon les cas, des délais supplémentaires pouvant différer l'expulsion, allant de trois mois à trois ans « chaque fois que le relogement des intéressés ne peut avoir lieu dans des conditions normales » 38 ( * ) ou « lorsque l'expulsion aurait pour la personne concernée des conséquences d'une exceptionnelle dureté » 39 ( * ) .

Si ces délais supplémentaires ne sont pas demandés ou que le juge les refuse, le locataire évincé dispose d' un délai de deux mois à compter de la réception du commandement de quitter les lieux pour s'exécuter. Ce délai n'est cependant pas applicable au cours de la trêve hivernale, soit entre le 1 er novembre et le 31 mars. En outre, ce délai de 2 mois peut être réduit, supprimé ou prorogé jusqu'à trois mois sur décision du juge.

(4) Enfin, si le locataire n'a pas libéré le logement au terme de ce délai de deux mois, le commissaire de justice, après constatation du maintien du locataire dans le logement, peut formuler une demande de concours de la force publique . Celle-ci ouvre un nouveau délai maximal de deux mois au cours duquel les services préfectoraux évaluent les conséquences sociales de l'expulsion et l'éventuel trouble à l'ordre public qu'elles pourraient entraîner. En cas de refus de l'octroi du concours de la force publique par le préfet, le bailleur a droit à une indemnité versée par l'État.

Tableau récapitulatif des délais de la procédure contentieuse locative

Acte de procédure

Délai (droit en vigueur)

Délai (texte transmis au Sénat)

Premier impayé

éventuellement, rappels amiables

-

Commandement de payer

2 mois minimum

1 mois

Assignation en justice

2 mois minimum, souvent plus en fonction de l'activité des tribunaux saisis

6 semaines

Audience et, éventuellement, décision d'expulsion ferme

- 1 mois pour l'appel - 2 mois avant d'expulser, avec possibilité de délais supplémentaires (de 3 mois à 3 ans)

Délai non applicable lors de la trêve hivernale, du 1 er novembre au 31 mars

Expulsion immédiate en cas de « mauvaise foi » du locataire et réduction des possibles délais supplémentaires de 1 mois à 1 an

Expulsion par un commissaire de justice et, éventuellement, demande de concours de la force publique (CFP)

2 mois maximum pour prendre une décision de CFP

Pas de modifications proposées

Total :

Hors trêve hivernale, délai minimal incompressible de 8 mois entre le premier impayé et l'expulsion avec le concours de la force publique.

Dans la pratique, environ deux ans.

Gain d'un mois et demi, voire de trois mois et demi en cas de mauvaise foi

Source : commission des lois du Sénat

Il ressort de ces dispositions procédurales qu'entre le premier impayé et l'expulsion avec le concours de la force publique, sous réserve que la décision d'expulsion n'intervienne pas lors de la période de la trêve hivernale, une procédure d'expulsion locative complète ne peut être inférieure à 8 mois qu'en présence d'une particulière célérité des acteurs concernés entre chaque étape procédurale, en l'absence de procédure d'appel, et dans l'hypothèse où les services préfectoraux n'utiliseraient pas la totalité du délai qui leur est imparti pour décider d'octroyer ou non le concours de la force publique.

Ce délai particulièrement optimiste n'est qu'indicatif tant la pratique démontre qu'il est, dans la majorité des cas, largement dépassé. Si aucune statistique officielle sur les délais du contentieux locatif n'est disponible, les évaluations des précédents rapports 40 ( * ) évoquant ce sujet ainsi que les auditions menées par le rapporteur tendent à conclure que la durée effective entre le premier impayé et le départ définitif du locataire défaillant serait largement supérieure à un an et pourrait régulièrement atteindre voire dépasser deux ans .

Ces estimations concordent avec l'appréciation des juges des contentieux de la protection, selon lesquels « il est certain que les délais [légaux] minimaux permettent difficilement de mener une procédure complète d'expulsion en moins de douze mois entre la délivrance du commandement visant la clause résolutoire et la réalisation effective de l'expulsion, et en comptant alors sur une juridiction qui est en mesure de statuer très vite et une préfecture réactive pour [accorder le concours de] la force publique. Un délai de vingt-quatre mois ne paraît pas plus incongru au vu de la possibilité pour certains délais de s'allonger de manière importante en pratique. Quant à un délai de trente-six mois, il est tout à fait possible notamment dans un ressort qui combinerait un juge des contentieux de la protection surchargé et une préfecture qui tarde à répondre, ce qui est notamment le cas dans certains ressorts de région parisienne et dans de grandes métropoles . » 41 ( * )

2.  L'article 5 de la proposition de loi vise à accélérer la procédure contentieuse locative et à améliorer l'accompagnement social des locataires en difficulté

L'article 5 de la proposition de loi affecterait le cadre législatif régissant la procédure du contentieux locatif à travers la modification de deux textes :

- l'article 24 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs et portant modification de la loi n° 86-1290 du 23 décembre 1986, relatif à la résiliation de plein droit des contrats de location pour défaut de paiement de loyer ou des charges ou pour non-versement du dépôt de garantie ;

- le chapitre II du titre I er du livre IV du code des procédures civiles, lequel régit les modalités d'expulsion des lieux habités ou des locaux à usage professionnel.

a)  Une réduction substantielle des délais contentieux

Telle que transmise au Sénat, la présente proposition de loi procède à un abrègement significatif de la procédure contentieuse locative , sous réserve que ces délais restreints puissent être effectivement tenus par les divers acteurs concernés, en particulier les juges des contentieux de la protection et les services sociaux du conseil départemental.

Quatre délais seraient ainsi réduits , dont deux délais minimaux s'appliquant à toutes les situations et deux délais soumis à une appréciation du juge ( cf. tableau récapitulatif ci-dessus ).

Alors qu'en l'état actuel du droit, une période minimale de quatre mois 42 ( * ) doit obligatoirement s'écouler, pour toutes les situations d'impayés, entre la remise du commandement de payer au locataire et la tenue de l'audience judiciaire, les 1° A et 1° du I de l'article 5 tendent à réduire ces délais presque de moitié, en les faisant passer à deux mois et demi.

Plus précisément, le 1° A prévoit un délai d'un mois, contre deux mois actuellement, entre la remise du commandement de payer par le commissaire de justice et l'assignation en justice .

De même, le 1° diminuerait de moitié le délai minimal entre l'assignation et l'audience, six semaines devant s'écouler, contre deux mois actuellement . Cette disposition a fait l'objet de débats à l'Assemblée nationale : ce délai devait initialement être réduit à un mois, mais un amendement du groupe Démocrate l'a porté à six semaines lors de la séance publique.

Le II de l'article 5 concerne quant à lui les délais applicables lors de la phase post-contentieuse. Contrairement aux réductions de délais prévues au I, il procède à des modifications qui reposeraient sur l'appréciation du juge.

En premier lieu, le délai de deux mois entre la décision d'expulsion prononcée par le juge et le départ exigé du locataire ne serait plus applicable si le juge estime être face à une situation de « mauvaise foi de la personne expulsée » . Dans ce cas, l'expulsion devrait donc être immédiate et le commissaire de justice pourrait demander le concours de la force publique dès la transmission du commandement d'avoir à quitter les lieux, si le locataire refuse de s'exécuter.

En second lieu, les délais renouvelables d'une durée minimale de trois mois et ne pouvant être supérieure à trois ans 43 ( * ) que le juge peut accorder, sous certaines conditions 44 ( * ) , pour différer l'expulsion lorsque celle-ci aurait pour le locataire des « conséquences d'une exceptionnelle dureté » ou lorsque « le relogement ne peut avoir lieu dans des conditions normales » ( cf. supra ), seraient significativement réduits . Tout d'abord, en cas de mauvaise foi du locataire, constatée par le juge, le dispositif d'octroi de délais renouvelables au locataire ne serait plus applicable. En outre, l'étendue de ces délais, tous locataires de bonne foi confondus, devrait être comprise entre un mois et un an , contre trois mois et trois ans en l'état actuel du droit. La commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale avait prévu que ces délais supplémentaires ne puissent être octroyés que sur demande du locataire, et non à l'initiative du juge, mais cette disposition a été supprimée lors des débats en séance publique.

b)  Systématiser et initier plus en amont l'accompagnement social des locataires

En parallèle de la réduction des délais de la procédure contentieuse locative, l'article 5 procède à un léger renforcement de l'accompagnement social des locataires en difficulté . La portée réelle de ces dispositions, pour louables qu'elles soient, interroge cependant dans le cadre de délais qui seraient plus réduits, rendant plus complexe un accompagnement qualitatif par les services sociaux concernés, qui peinent déjà à élaborer le DSF dans les temps.

Ces modifications portent sur la transmission du DSF aux divers acteurs concernés .

Alors que seuls les dossiers de dette locative supérieure à un montant fixé par arrêté préfectoral sont actuellement signalés, au stade du commandement de payer, par les commissaires de justice à la Ccapex, ce signalement deviendrait désormais systématique , sans aucun seuil.

En outre, l'article 5 prévoit qu' un premier DSF soit réalisé dès le stade du commandement de payer et qu'il soit transmis à la Ccapex. Ce DSF précoce ne remplacerait cependant pas le DSF déjà exigé par le droit en vigueur, lors de la phase suivante se situant entre l'assignation en justice et l'audience judiciaire. Les services compétents seraient alors chargés de mettre à jour ce premier DSF et de le transmettre à nouveau à la Ccapex ainsi qu'au juge des contentieux de la protection.

L'objectif de ces dispositions est ainsi d'inciter les Ccapex et les services sociaux compétents à débuter leur travail d'accompagnement et de médiation dès les premières difficultés, et non dans la seule perspective de l'audience judiciaire.

Le signalement systématique des commandements de payer par le commissaire de justice ne signifierait cependant pas que les Ccapex soient en mesure de se saisir de l'ensemble des dossiers. Il en va de même pour la rédaction plus précoce du DSF, lequel n'est actuellement transmis que pour 30 % des audiences. Pour rappel, chaque année 500 000 commandements de payer sont délivrés et 150 000 audiences pour expulsions locatives ont lieu.

3.  La position de la commission : maintenir l'exigence de célérité de traitement des contentieux tout en favorisant leur traitement amiable et l'accompagnement précoce des locataires en difficultés

a)  Privilégier les solutions amiables

La commission partage le constat selon lequel la procédure contentieuse locative est, en l'état du droit, trop longue, en particulier lorsque le locataire défaillant est manifestement de mauvaise foi. Elle a ainsi approuvé le principe d'une réduction des délais contentieux.

Néanmoins, soucieuse de favoriser les solutions amiables , la commission a adopté les amendements identiques COM-42 et COM-57 de son rapporteur et du rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques, qui diminuent l'ampleur de la réduction du délai minimal légal devant s'écouler entre la délivrance du commandement de payer et l'assignation en justice, à six semaines contre un mois dans le texte transmis au Sénat et deux mois dans le droit en vigueur.

En effet, si 500 000 commandements de payer sont délivrés en moyenne chaque année, ouvrant la phase précontentieuse des litiges locatifs, ce volume diminue fortement lors de la première étape de la phase judiciaire, avec 150 000 locataires ayant fait l'objet d'une assignation en justice en 2019. Ainsi, deux tiers environ des situations litigieuses sont réglées de façon amiable avant que ne soit ouverte une procédure judiciaire, le locataire ayant trouvé un accord avec le propriétaire pour le règlement de la dette locative.

Une trop forte réduction du délai légal minimal entre la délivrance du commandement de payer et l'assignation en justice risquerait de judiciariser et, partant, de ralentir, des situations pour lesquelles des solutions amiables peuvent aisément être trouvées.

Ce délai minimal de six semaines est non seulement plus cohérent avec le 1° du I de l'article 5, qui traite du délai minimal entre l'assignation et l'audience et qui a aussi été porté à six semaines, mais il permettrait en outre un meilleur accompagnement social des locataires défaillants , l'Agence nationale pour l'information sur le logement (ANIL) évaluant à cinq semaines le délai minimal de traitement d'un commandement de payer par les ADIL.

b)  Rendre plus systématique l'élaboration des DSF des dossiers des locataires les plus en difficultés

Bien que, dans un souci louable d'initier plus en amont l'accompagnement social des locataires défaillants, l'Assemblée nationale ait prévu que l'ensemble des commandements de payer soient remis aux Ccapex et que le DSF soit non seulement réalisé dès ce stade mais également mis à jour pour l'audience, ces dispositions semblent inapplicables tant elles risquent d'engorger les Ccapex.

Il n'apparaît en effet ni réaliste, ni financièrement soutenable de transmettre près de 500 000 commandements de payer aux Ccapex et de réaliser dans un délai réduit autant de DSF, dont le coût unitaire est de 250 euros, puis de recommencer ces DSF pour l'audience, alors même qu'aujourd'hui les DSF, bien qu'obligatoires, ne sont effectués que pour 30 % des audiences.

C'est pourquoi la commission a adopté l' amendement COM-58 présenté par le rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques. Alors que le texte transmis au Sénat ne prévoit plus aucun seuil, cet amendement fixe un seuil national de transmission aux Ccapex des commandements de payer à deux mois d'ancienneté d'impayé ou de montant de la dette locative pour caractériser une situation sociale justifiant une prise en charge . En outre, il maintient la réalisation du DSF dès le stade du commandement de payer mais en laissant aux services sociaux un délai plus important pour le réaliser puisqu'il ne serait toujours transmis que pour l'audience, soit, en l'état du texte voté par la commission, trois mois après le commandement de payer , alors qu'actuellement les DSF doivent être réalisés dans un délai de deux mois.

Dans le même objectif d'améliorer l'accompagnement social des locataires en difficulté, le même amendement COM-58 habilite les commissaires de justice à transmettre aux Ccapex les informations socioéconomiques dont ils ont pu obtenir connaissance lors de leurs démarches auprès des locataires.

c)  Clarifier les critères de qualification du squat dans le code des procédures civiles d'exécution

La commission a intégré à l'article 5, par le vote de l' amendement COM-44 de son rapporteur, des dispositions de la proposition de loi n° 43 (2020-2021) tendant à garantir le respect de la propriété immobilière contre le squat, adoptée par le Sénat le 19 janvier 2021.

Ces dispositions visent à clarifier les critères qualifiant le squat dans le code des procédures civiles d'exécution en reprenant les termes du code pénal .

Actuellement, le code des procédures civiles d'exécution, qui dispose que les squatteurs ne bénéficient ni du délai de deux mois normalement prévu après le commandement de quitter les lieux, ni de la trêve hivernale, ne vise que les voies de fait et cette notion a pu donner lieu à des interprétations divergentes selon les cours d'appel.

Cet amendement clarifie également la rédaction de l'article L. 412-3 du même code qui prévoit que les occupants dont l'expulsion a été ordonnée n'ont pas à justifier de titre à l'origine de l'occupation pour que le juge leur accorde des délais en cas d'impossibilité de relogement. Cette précision semble induire que le juge n'a pas à tenir compte de l'origine de l'occupation des locaux dans son appréciation de la situation de l'occupant. Il est donc souhaitable de la supprimer.

Enfin, la commission a adopté un amendement COM-43 de son rapporteur, de nature rédactionnelle, pour tirer les conséquences de la nouvelle dénomination des huissiers de justice, désormais appelés « commissaires de justice ».

La commission a adopté cet article ainsi modifié .

Article 6
Clarification des règles d'indemnisation des propriétaires de logements pour lesquels le concours de la force publique est refusé par le préfet

L'article 6, issu d'un amendement de la commission des affaires économiques, saisie pour avis, prévoit qu'un décret en Conseil d'État clarifie et harmonise les règles d'évaluation de l'indemnisation à laquelle ont droit les propriétaires lorsque le préfet leur refuse le concours de la force publique pour expulser un locataire défaillant à l'issue de la procédure judiciaire.

La commission a adopté cet article additionnel, qui concourra à la lisibilité du dispositif d'indemnisation des propriétaires bailleurs lésés par l'inexécution d'une décision de justice.

1.  Bien que tout propriétaire se voyant refuser le concours de la force publique ait droit à une indemnisation, l'octroi de celle-ci est « arbitraire et inégalitaire selon les territoires »45 ( * )

a)  L'article L. 153-1 du code des procédures civiles d'exécution donne droit à réparation lorsque l'État n'apporte pas son concours à l'exécution des jugements, notamment les décisions d'expulsion ferme

Comme toutes les décisions de justice rendues définitives, les expulsions fermes doivent être exécutées par les parties. Pour cela, le commissaire de justice remet au locataire défaillant un commandement d'avoir à quitter les lieux. Le locataire dispose alors d'un délai de deux mois pour s'exécuter, faute de quoi le propriétaire peut demander au commissaire de justice de saisir le préfet pour obtenir le concours de la force publique afin que les lieux soient libérés ( cf. le commentaire de l'article 5 ).

En effet, conformément à l'article L. 153-1 du code des procédures civiles d'exécution, « l'État est tenu de prêter son concours à l'exécution des jugements et des autres titres exécutoires ». Le préfet dispose alors d'un délai de deux mois, théoriquement mis à profit pour interroger les services sociaux, les Ccapex et les services de police, pour accorder ou non le concours de la force publique, un défaut de réponse équivalant à un refus 46 ( * ) .

Ces refus peuvent être justifiés soit par la trêve hivernale, soit, pour le cas des logements sociaux, par la signature d'un protocole de cohésion sociale, qui prévoit la reprise partielle ou totale du paiement du loyer, soit, de façon plus discrétionnaire, par les troubles à l'ordre public que pourrait entraîner l'expulsion . Ainsi, comme l'a récemment souligné la Cour des comptes dans son rapport du 26 octobre 2022 sur la prévention des expulsions locatives, « les préfets disposent d'un total pouvoir d'appréciation en l'absence de circulaire ministérielle », que seule la jurisprudence administrative a recentré sur des motifs impérieux d'intérêt général.

Le refus d'octroyer le concours de la force publique après une décision judiciaire d'expulsion ferme donne alors droit, pour le propriétaire, « à réparation » , selon les termes de l'article L. 153-1 du code des procédures civiles d'exécution.

Or, les refus de concours de la force publique, particulièrement dommageables pour le propriétaire qui ne peut récupérer son bien malgré une décision de justice en ce sens, ne sont pas rares : en 2019, toujours selon la Cour des comptes, les préfets ont instruit 52 860 demandes de concours de la force publique, parmi lesquelles 35 208 ont été accordées 47 ( * ) , les 17 652 demandes restantes ayant été refusées explicitement ou implicitement , éventuellement à la suite du départ spontané du locataire défaillant 48 ( * ) .

b)  Le cadre régissant l'octroi des indemnités auxquelles ont droit les propriétaires est fluctuant et amène la moitié d'entre eux à ne pas demander réparation

Bien que, comme le dispose l'article L. 153-1 du code des procédures civiles d'exécution, « le refus de l'État de prêter son concours ouvre droit à réparation », celle-ci est aujourd'hui loin d'être systématique , notamment faute d'un cadre clair.

En premier lieu, selon le rapport précité du député Nicolas Démoulin, seuls 53,8 % des propriétaires qui y auraient droit feraient une demande d'indemnisation auprès du préfet , soit « p ar ignorance », soit « pour ne pas avoir à engager une ultime requête auprès des services préfectoraux » à l'issue d'un processus judiciaire déjà long.

En second lieu, le cadre normatif régissant l'octroi des règles d'indemnisation se limitant au seul article L. 153-1 du code des procédures civiles d'exécution, le montant de l'indemnisation est, dans l'écrasante majorité des cas, fixé par voie amiable lors de négociations entre les services préfectoraux et le propriétaire . En moyenne, le montant de l'indemnisation atteint 70 % du montant dû par le locataire défaillant 49 ( * ) . Pour l'État, ces indemnisations ont représenté un coût de 27,04 millions d'euros en 2019, dont 25,2 millions ont été accordés par voie amiable et 2,19 millions par voie contentieuse 50 ( * ) .

Ces contentieux ont permis au Conseil d'État de préciser, par sa jurisprudence, le mode de calcul de ces indemnités, qui doit inclure le manque à gagner résultant de la perte des loyers et des charges 51 ( * ) , mais aussi, notamment, la perte de valeur vénale du bien 52 ( * ) , les frais de remise en état des lieux 53 ( * ) ou encore les frais résultant de la sollicitation du commissaire de justice 54 ( * ) .

Outre que ces modalités jurisprudentielles de calcul ne sont pas nécessairement retenues lors de la définition amiable de l'indemnité , en particulier lorsque le propriétaire souhaite trouver une solution rapide et se conforme aux propositions des services préfectoraux, force est de constater qu'elles manquent de lisibilité et peuvent donc entraîner une inégalité de traitement selon les situations et les départements .

2.  Une clarification opportune des modalités d'évaluation des indemnités pour refus de concours à la force publique

Sans remettre en cause le cadre amiable qui reste une solution préférable à la fixation contentieuse du montant de l'indemnité, l'article 6, issu de l' amendement COM-61 du rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques, prévoit la définition d'un cadre réglementaire afin que les modalités d'évaluation de cette indemnité soient uniformisées et clarifiées dans document unique qui prendrait la forme d'un décret en Conseil d'État .

Cette mesure est de nature à garantir une plus grande lisibilité du droit à l'indemnisation des propriétaires se voyant refuser le concours de la force publique et, partant, devrait favoriser sa généralisation en incitant ces derniers à saisir les services préfectoraux pour faire valoir les droits que leur accorde l'article L. 153-1 du code des procédures civiles d'exécution.

La commission a adopté l'article 6 ainsi rédigé .

Article 7
Renforcement du rôle et des prérogatives des commissions de coordination des actions de prévention des expulsions locatives (Ccapex)

L'article 7, issu d'un amendement de la commission des affaires économiques, saisie pour avis, accentue le rôle central que jouent les Ccapex dans la prévention des expulsions locatives en redéfinissant leurs missions, en leur donnant un pouvoir décisionnaire en matière de maintien ou non des aides personnelles au logement en cas d'impayés locatifs et en accroissant le volume des informations dont elles sont destinataires.

La commission a adopté cet article additionnel, estimant que ces mesures participent à améliorer l'accompagnement social des locataires en difficultés et la coordination entre les acteurs de la prévention des expulsions locatives.

1.  Malgré la faiblesse de leurs moyens et de leurs prérogatives, les Ccapex assurent une double mission de pilotage du dispositif départemental de prévention des expulsions locatives tout en oeuvrant en faveur de la concertation entre les acteurs concernés

a)  Des missions larges participant à entretenir le dialogue entre les acteurs du secteur locatif

Si, au niveau national, la stratégie de prévention des expulsions locatives est définie au sein des plans d'actions interministériels ainsi que des instructions ministérielles à destination des préfets, celle-ci est déclinée localement au sein des chartes départementales pour la prévention des expulsions locatives . Cette charte est le document central de la prévention des expulsions pour chaque département : elle précise dans cette perspective les engagements individuels à réaliser par chacun des acteurs locaux pour atteindre l'objectif de réduction du nombre de décisions de justice prononçant l'expulsion.

La loi n° 90-449 du 31 mai 1990 visant à la mise en oeuvre du droit au logement confie aux commissions de coordination des actions de prévention des expulsions locatives, les Ccapex, la coordination, l'évaluation et l'orientation du dispositif de prévention des expulsions locatives défini dans chaque département par la charte pour la prévention de l'expulsion.

En parallèle, les Ccapex peuvent également délivrer des « avis » et des « recommandations » à tout organisme ou personne susceptible de participer à la prévention de l'expulsion, ainsi qu'aux bailleurs et aux locataires concernés par une situation d'impayé ou de menace d'expulsion. Ces avis et recommandations peuvent porter, à titre d'exemple, sur d'éventuelles mesures sociales à prescrire au locataire, l'octroi du concours de la force public, le maintien ou la suspension des allocations logements ou encore le relogement du locataire dans un logement plus adapté.

Elles peuvent être saisies à tout moment par un de leurs membres, par le bailleur, par le locataire et par toute institution ou personne y ayant intérêt ou vocation.

Pour exercer ces deux missions principales, les Ccapex se réunissent en moyenne tous les mois sous la présidence conjointe du préfet de département et du président du conseil départemental , ou un de leurs représentants. Elles comptent parmi leurs membres de droit des représentants des collectivités territoriales concernées et des représentants des caisses d'allocations familiales (CAF) et de la mutualité sociale agricole (MSA). Des représentants des bailleurs privés, des bailleurs sociaux, des associations de locataires ou encore de centres d'action sociale peuvent en être membres, sur demande.

Afin de rendre des avis et des recommandations en toute connaissance de cause, les Ccapex sont destinataires des diagnostics sociaux et financiers réalisés par les services sociaux et sont informées de la délivrance des commandements de payer d'un montant supérieur à un seuil départemental défini par arrêté préfectoral, des commandements d'avoir à quitter les lieux à la suite d'une décision de justice et des demandes de concours de la force publique. Ces informations sont transmises par le biais du système national d'information appelé « EXPLOC ».

b)  Des moyens et des prérogatives limités pour assurer ces missions

L'inadéquation entre les moyens et les prérogatives des Ccapex et l'ampleur de leurs fonctions est unanimement reconnue , notamment par la direction interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement (DIHAL) qui pilote à l'échelle nationale la politique de prévention des expulsions locatives.

Celle-ci note ainsi dans sa contribution aux travaux du rapporteur que « des difficultés de mise en oeuvre de certaines missions des Ccapex persistent ».

Ces difficultés relèvent notamment de l'absence de caractère prescriptif de leurs recommandations . En effet, les Ccapex ne sont pas, en l'état actuel du droit, des organes décisionnels et ne peuvent pas, à ce titre, octroyer ou retirer des aides financières. Cela aurait pour conséquence de limiter « substantiellement » la capacité des Ccapex à « coordonner de manière effective les dispositifs et les partenaires locaux autour de la mise en oeuvre opérationnelle de l'objectif de prévention des expulsions sur son territoire ».

Sur l'aspect organisationnel, les Ccapex souffrent des « tensions sur les effectifs » 55 ( * ) qui les amènent à se concentrer davantage sur la gestion des situations individuelles les plus problématiques au détriment de la coordination générale du dispositif départemental et de la mobilisation des différents acteurs. Ces tensions sur les effectifs ont été chiffrées par la Cour des comptes : seuls 190 équivalents temps pleins sont affectés aux actions de prévention des expulsions locatives dans les services déconcentrés de l'État 56 ( * ) .

Les constats de la DIHAL ont été corroborés par le député Nicolas Démoulin à l'occasion de la publication de son rapport précité sur la prévention des expulsions locatives. Selon lui, « les Ccapex réunissent des acteurs qui démontrent une énergie remarquable mais manquent de moyens ». Par manque d'informations et en raison de moyens humains trop réduits, les Ccapex « travaillent dans le brouillard » et seraient « improductives ». Il estime en effet que plus des trois quarts du temps de travail des Ccapex est consacré à la recherche des bonnes informations , ce qui représente autant de moyens soustraits au temps de l'analyse et de l'accompagnement des acteurs.

En conséquence, les Ccapex traitent un nombre marginal de dossiers , au regard du nombre des assignations en justice. Selon la Cour des comptes qui a étudié les ratios entre les dossiers traités par les Ccapex et le nombre d'assignations dans douze préfectures, « les ratios les plus élevés entre les situations étudiés en Ccapex et le nombre d'assignations en justice se situent en dessous de 20 % pour atteindre seulement 3,2 % » dans le département le moins actif 57 ( * ) .

2.  L'article 7 opère un renforcement significatif du rôle et des prérogatives des Ccapex afin d'améliorer l'accompagnement des bailleurs et des locataires en cas de difficultés de paiement des loyers

Face aux limites statutaires et capacitaires des Ccapex, et dans l'objectif de mieux accompagner bailleurs et locataires pour agir en faveur de la reprise des rapports locatifs, l'article 7, issu de l' amendement COM-59 du rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques, procède au renforcement du rôle et des prérogatives des Ccapex et prévoit que celles-ci soient destinataires de davantage d'informations.

a)  Un rôle accru par l'octroi de capacités de décision

À travers la réécriture de l'article 7-2 de la loi n° 90-449 du 31 mai 1990 visant à la mise en oeuvre du droit au logement qui définit les missions et le fonctionnement des Ccapex, l'article 7 de la proposition de loi accentue le rôle central que jouent localement les Ccapex dans la prévention des expulsions locatives .

En premier lieu, les Ccapex se verraient à nouveau octroyer un pouvoir décisionnaire en matière de maintien ou de suspension des allocations logements en cas d'impayés locatifs , qui a été retiré en 2009 aux anciennes commissions départementales des aides publiques au logement (CDAPL). Conformément à l'article L. 824-2 du code de la construction et de l'habitation, le maintien de l'aide au logement en cas d'impayés locatifs est actuellement une prérogative des seules CAF et de la MSA, entraînant parfois des suspensions de l'allocation logement sans concertation avec les autres acteurs du secteur locatif, ce qui peut compromettre la capacité de paiement du loyer par le locataire et ainsi porter préjudice au bailleur dont la créance locative augmente en conséquence. En tant que membres de droit des Ccapex, les CAF et la MSA garderaient toutefois un rôle majeur dans la décision du maintien ou non des aides personnelles au logement.

Dans le but d'optimiser le traitement des situations d'impayés locatifs qui lui sont transmis par les commissaires de justice, les Ccapex se verraient en outre reconnaître un nouveau rôle d'orientation de ces dossiers vers les services sociaux des conseils départementaux, les fonds de solidarité pour le logement (FSL) et les commissions de surendettement afin d'assurer l'accompagnement social et budgétaire des personnes en difficulté, l'apurement de leur dette locative et les éventuelles démarches de relogement.

Enfin, dans la mesure où la plupart des métropoles assurent sur leur territoire, au lieu du conseil départemental, la gestion des FSL, l'article 7 prévoit d'inclure les présidents des métropoles au sein de la co-présidence des Ccapex , actuellement formée du préfet de département et du président du conseil départemental. Cette mesure participerait à une meilleure mobilisation du FSL, qui permet d'accorder des aides financières aux locataires en difficulté.

Cet affermissement du rôle des Ccapex, porté par l'article 7, est complété par l'article 8, qui leur permet de saisir le juge pour que soit mis en place un accompagnement social personnalisé (MASP) de niveau 3 afin de procéder au versement direct, sur le compte du bailleur, des prestations sociales du locataire défaillant lorsque les impayés résultent de difficultés de gestion (cf. infra ).

b)  Un recensement plus complet des informations nécessaires à l'appréciation du litige locatif

Si les Ccapex reçoivent déjà un certain nombre d'informations (cf. supra ), celles-ci restent encore insuffisantes pour permettre aux Ccapex d'apprécier pleinement les situations individuelles de chaque dossier d'impayés locatifs dont elle serait saisie et pour agir au moment le plus opportun.

Partant de ce constat, l'article 7 accroît sensiblement le volume des informations que les préfets et les commissaires de justice doivent leur transmettre , toutes les étapes de la procédure du contentieux locatif lui étant désormais signalées, de la délivrance commandement de payer jusqu'à l'exécution des expulsions, en passant par les décisions d'expulsion passées en force de chose jugée et les décisions d'expulsion conditionnelle.

Cet accroissement des informations à destination des Ccapex est à mettre en parallèle de l'amendement COM-58, adopté par la commission à l'article 5, qui habilite les commissaires de justice à transmettre aux Ccapex les informations socioéconomiques dont ils ont obtenu connaissance lors de leurs démarches auprès des locataires défaillants.

Enfin, tout en rappelant la soumission de l'ensemble des membres des Ccapex au secret professionnel, l'article 7 prévoit que les services instructeurs de ces dernières pourront transmettre les informations confidentielles dont ils ont connaissance à l'organisme en charge de la rédaction du DSF , sous réserve que ces informations soient strictement nécessaires à l'évaluation de la situation du ménage au regard de la menace d'expulsion dont il fait l'objet. Cette modification du droit en vigueur permettrait au juge de disposer de davantage d'informations afin d'apprécier la situation individuelle du locataire, en particulier dans le cas, très fréquent, où celui-ci ne se présenterait pas à l'audience.

3.  La position de la commission : un renforcement salutaire à parachever par l'octroi de moyens adaptés

Estimant que toute mesure favorisant le dialogue entre les acteurs de la prévention des expulsions locatives , en grande partie réunis au sein des Ccapex, est à soutenir , la commission a approuvé le renforcement du rôle et des prérogatives de ces dernières, par l'adoption de l' amendement COM-59 du rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques.

Elle souligne néanmoins que, pour être pleinement effectives, ces mesures devront s'accompagner d'une nécessaire réévaluation à la hausse des moyens humains et matériels dont elles disposent.

La commission a adopté l'article 7 ainsi rédigé .

Article 8
Extension au préfet et aux Ccapex de la faculté de saisine du juge pour que soit octroyé ou suspendu un accompagnement social personnalité (MASP) de niveau 3

L'article 8, issu d'un amendement de la commission des affaires économiques, saisie pour avis, complète le mouvement de renforcement des Ccapex initié à l'article 7 en leur permettant de saisir le juge pour que soit mis en place ou retiré un accompagnement social personnalisé (MASP) de niveau 3 pour les locataires défaillants lorsqu'il appert que leurs difficultés de paiement résulteraient principalement d'une mauvaise gestion de leurs ressources financières. Dans ce cas, les prestations sociales du locataire défaillant seraient directement versées sur le compte du bailleur. Cette faculté de saisine du juge serait également étendue au préfet.

La commission a adopté cet article additionnel.

1.  Seul le président du conseil départemental peut actuellement saisir le juge pour demander une tutelle financière du locataire rencontrant des difficultés à « gérer ses ressources » 58 ( * )

Le code de l'action sociale et des familles prévoit que « toute personne majeure qui perçoit des prestations sociales et dont la santé ou la sécurité est menacée par les difficultés qu'elle éprouve à gérer ses ressources peut bénéficier d'une mesure d'accompagnement social personnalisé [MASP] qui comporte une aide à la gestion de ses prestations sociales et un accompagnement social individualisé . » 59 ( * ) Cet accompagnement prend alors la forme d' un contrat d'accompagnement social personnalisé conclu avec les services sociaux du département, qui agissent au nom du président du conseil départemental.

L'objectif de ces mesures d'accompagnement est de « rétablir les conditions d'une gestion autonome des prestations sociales » 60 ( * ) . Pour ce faire, le contrat peut avoir pour conséquence une mise sous tutelle financière partielle du bénéficiaire , si ce dernier autorise « le département à percevoir et à gérer pour son compte tout ou partie des prestations sociales qu'il perçoit, en les affectant en priorité au paiement du loyer et des charges locatives en cours » 61 ( * ) .

Ce faisant, les contrats d'accompagnement social personnalisé participent à la prévention des expulsions locatives, en évitant au locataire en difficulté de voir sa dette locative croître et donc en maintenant les rapports locatifs.

Néanmoins, dans le cas où le locataire en difficulté refuserait la signature d'un contrat social personnalisé ou qu'il n'en respecterait pas les clauses, l'article L. 271-5 du code de l'action sociale et des familles habilite le président du département à saisir le juge pour que « soit procédé au versement direct, chaque mois, au bailleur, des prestations sociales dont l'intéressé est bénéficiaire à hauteur du montant du loyer et des charges locatives dont il est redevable ». Il s'agit alors d'un MASP dit « de niveau 3 », qui s'impose au locataire sous la forme d'une décision de justice ayant force exécutoire. Le juge l'accorde en vérifiant que l'intéressé ne s'est pas acquitté de ses obligations locatives depuis au moins deux mois et que la tutelle financière n'aura pas pour effet de le priver des ressources nécessaires à sa subsistance et à celle des personnes dont il assume la charge effective et permanente. En fonction de son appréciation de la situation, le juge fixe la durée du prélèvement dans une limite de deux ans renouvelables sans que la durée totale du MASP ne dépasse quatre ans.

Seul le président du conseil départemental peut saisir à tout moment le juge pour mettre fin à la mesure, cette faculté n'étant pas ouverte au locataire mis sous tutelle financière.

2.  L'extension au préfet et aux Ccapex de la possibilité de saisir le juge pour demander le versement direct des prestations sociales au bailleur ou sa suspension

Suivant un double objectif de renforcement des Ccapex et de maintien des rapports locatifs ( cf. le commentaire de l'article 7 ), l'article 8 de la proposition de loi modifie l'article L. 271-5 du code de l'action sociale et des familles afin que la faculté de saisine du juge dont dispose le président du conseil départemental pour l'octroi ou la suspension d'un MASP de niveau 3 soit étendue au préfet et aux Ccapex.

En effet, le préfet comme les Ccapex sont informés par les commissaires de justice des diverses étapes de la procédure contentieuse et disposent d'informations socioéconomiques, notamment par le biais des diagnostics sociaux et financiers, qui leur permettent d'apprécier la situation du locataire et d'en déceler la nécessité d'une tutelle financière pour garantir le paiement du loyer et éviter l'expulsion du logement. Cette extension au préfet et aux Ccapex reste cependant soumise au strict contrôle du juge, seul habilité à décider d'une telle mise sous tutelle financière non contractualisée.

Par l'adoption de l' amendement COM-60 du rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques, la commission a approuvé cette mesure , considérant qu'elle concourra à prévenir les expulsions locatives.

La commission a adopté l'article 8 ainsi rédigé .

.


* 3 Cass. Crim. 22 janvier 1997, n° 95-81.186 P.

* 4 D`une durée ne pouvant excéder huit jours, l`enquête de flagrance confère à l`officier de police judiciaire des pouvoirs renforcés par rapport à ceux qui lui sont reconnus dans le cadre d`une enquête préliminaire.

* 5 Bull.crim., n° 2018.

* 6 Cass. crim., 19 juillet 1957, Bull.crim., n° 513 ; CA Versailles, 8e ch., 31 janvier 1995.

* 7 Cass. crim., 24 avril 1947.

* 8 Cass. crim., 4 juin 1966.

* 9 Cf. la décision n°2020-807 DC du 3 décembre 2020.

* 10 Cf. le rapport n°491 de Guillaume Kasbarian, fait au nom de la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale, p. 29.

* 11 Cass. Crim. 4 avril 1912, Bull. crim. n o 199.

* 12 Anciennement 1386.

* 13 Arrêt de la troisième chambre civile de la Cour de Cassation, du 4 juin 1973, 71-14.373.

* 14 Civ., 28 juin 1936, DH. 1936.148.

* 15 Arrêt de la troisième chambre civile de la Cour de Cassation du 1 er juillet 1971, n° 67-13.789.

* 16 Arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de Cassation du 17 février 2005, n° 02-10.770.

* 17 Voir par exemple l'arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 11 octobre 1967, n o 66-10.279.

* 18 Arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation du 15 septembre 2022, n° 19-26.249.

* 19 Article 29 de la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l`aménagement et du numérique.

* 20 Idem.

* 21 Selon les termes de l'article 29 de la loi du 23 novembre 2018 précitée, ces conditions sont réunies « dès lors que le propriétaire justifie que, à l`issue de l`occupation du bâtiment par des résidents temporaires, le changement de destination initialement envisagé pour les locaux ne peut avoir lieu ».

* 22 Cf. l'article 4 du décret n°2019-497 du 22 mai 2019 relatif à l'occupation par des résidents temporaires de locaux vacants en vue de leur protection et préservation en application de l'article 29 de la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique.

* 23 Cf. l'article 5 du même décret n°2019-497.

* 24 À l'exception de l'association Droit au logement (DAL).

* 25 Rapport n° 630, tome I (2017-2018) de Dominique Estrosi Sassone, déposé le 4 juillet 2018.

* 26 Article 1225 du code civil.

* 27 Article 24 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs et portant modification de la loi n° 86-1290 du 23 décembre 1986.

* 28 Article 1343-5 du code civil, mentionné au V de l'article 24 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 précitée.

* 29 VII du même article 24 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 précitée.

* 30 Idem.

* 31 Rapport de la Cour des comptes, La prévention des expulsions locatives , délibéré le 26 octobre 2022 et publié le 19 décembre 2022. Ce rapport est accessible à l'adresse suivante : https://www.ccomptes.fr/fr/publications/la-prevention-des-expulsions-locatives .

* 32 Sur 500 000 commandements de payer, 150 000 donnent lieu à une assignation en justice, soit 30 % (cf. supra ).

* 33 Article L. 213-4-3 du code de l'organisation judiciaire.

* 34 Article L. 213-4-4 du code de l'organisation judiciaire.

* 35 Conformément à l'article 7-2 de la loi n° 90-449 du 31 mai 1990 visant à la mise en oeuvre du droit au logement.

* 36 Ce chiffre est issu des données transmises au rapporteur par l'Agence nationale pour l'information sur le logement (ANIL).

* 37 Rapport du député Nicolas Démoulin, remis au Premier ministre en décembre 2020, intitulé « Prévenir les expulsions locatives tout en protégeant les propriétaires et anticiper les conséquences de la crise sanitaire ».

* 38 Article L. 412-3 du code des procédures civiles d'exécution.

* 39 Article L. 412-2 du code des procédures civiles d'exécution.

* 40 Le rapport précité de la Cour des comptes, publié en décembre 2022, estime que « la procédure d'expulsion peut [...] durer aisément plus d'un an [et] ces délais peuvent encore être allongés » ; le rapport précité du député Nicolas Démoulin, publié en décembre 2020, évoque quant à lui « une procédure s'étendant en moyenne sur plus de dix-mois » ; le rapport de juin 2019 intitulé « Louer en confiance » du député Mickaël Nogal estime que le délai d'expulsion d'un locataire « ne peut guère être inférieur à dix-mois et atteint plus souvent deux ans ou plus » ; enfin, le rapporteur de l'Assemblée nationale sur la présente proposition de loi, le député Guillaume Kasbarian, évalue dans son rapport législatif la durée moyenne des procédures entre le premier impayé et le départ effectif des occupants à une période comprise « entre 24 et 36 mois ».

* 41 Propos issus de la contribution écrite de l'Association nationale des juges des contentieux de la protection (ANJCP).

* 42 Il s'agit de la somme de deux périodes de deux mois : deux mois entre le commandement de payer et l'assignation en justice et deux mois entre cette dernière et l'audience judiciaire.

* 43 Ces délais sont fixés à l'article L. 412-4 du code des procédures civiles d'exécution.

* 44 Pour accorder ces délais reportant l'échéance de l'expulsion, le même article L. 412-4 dispose que le juge doit prendre en compte « la bonne ou mauvaise volonté manifestée par l`occupant dans l`exécution de ses obligations », les « situations respectives du propriétaire et de l`occupant, notamment en ce qui concerne l`âge, l`état de santé, la qualité de sinistré par faits de guerre, la situation de famille ou de fortune de chacun d`eux », les « circonstances atmosphériques », les « diligences que l`occupant justifie avoir faites en vue de son relogement », ainsi que le « droit à un logement décent et indépendant » et les délais liés aux recours relatifs au caractère prioritaire du relogement au titre du droit au logement opposable et du délai prévisible de relogement des intéressés.

* 45 Selon les termes employés dans le rapport du député Nicolas Démoulin, remis au Premier ministre en décembre 2020, intitulé « Prévenir les expulsions locatives tout en protégeant les propriétaires et anticiper les conséquences de la crise sanitaire ».

* 46 Cf. l'article R. 153-1 du code des procédures civiles d'exécution.

* 47 Seules 16 210 interventions effectives des forces de l'ordre ont été réalisées, la moitié des locataires concernés ayant quitté les lieux avant l'exécution de l'expulsion.

* 48 Il n'existe pas de chiffre plus précis sur le nombre de refus de concours de la force publique alors que le locataire défaillant se maintient dans les lieux.

* 49 Selon le rapport du député Nicolas Démoulin précité.

* 50 Source : rapport de la Cour des comptes du 26 octobre 2022 précité.

* 51 CE, 14 mai 1986, n° 37839.

* 52 CE, 17 mai 2006, n° 277714.

* 53 CE, 10 octobre 2005, n° 267043.

* 54 CE, 14 mai 1986, n° 37839.

* 55 Les trois dernières citations sont issues des réponses écrites de la DIHAL au questionnaire du rapporteur.

* 56 Rapport de la Cour des comptes, La prévention des expulsions locatives , délibéré le 26 octobre 2022 et publié le 19 décembre 2022. Ce rapport est accessible à l'adresse suivante : https://www.ccomptes.fr/fr/publications/la-prevention-des-expulsions-locatives .

* 57 Idem .

* 58 Article L. 271-1 du code de l'action sociale et des familles

* 59 Idem .

* 60 Article L. 271-2 du code de l'action sociale et des familles.

* 61 Idem .

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