EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 12 avril 2023, la commission a examiné le rapport de Mme Dominique Estrosi Sassone sur la proposition de loi n° 170 (2022-2023) visant à résorber la précarité énergétique.

Mme Sophie Primas, présidente. - Nous examinons aujourd'hui la proposition de loi (PPL) visant à résorber la précarité énergétique, déposée par notre collègue Rémi Cardon et plusieurs de ses collègues. Le texte sera examiné en séance publique le 3 mai prochain.

Cette proposition de loi ayant été inscrite dans le cadre de l'espace réservé à un groupe d'opposition, nous appliquons le gentlemen's agreement conclu en 2009 entre les présidents de groupe et de commission, validé par la Conférence des présidents : la commission ne peut pas modifier le texte au stade de son examen en commission, sauf accord du groupe l'ayant inscrit à l'ordre du jour ; elle ne peut que l'adopter ou le rejeter, et elle pourra toujours le modifier au stade de son examen en séance.

Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur. - Je partage le constat de l'auteur de la PPL, à savoir le besoin d'accélération de la rénovation énergétique des logements - et plus particulièrement des rénovations globales et performantes - et de la lutte contre les passoires thermiques afin de sortir de la précarité énergétique. Mais les solutions proposées doivent être approfondies d'ici à la remise des conclusions de la commission d'enquête sénatoriale sur l'efficacité des politiques publiques en matière de rénovation énergétique, créée à la demande du groupe Écologiste - Solidarité et Territoires, et à l'examen de la loi de programmation sur l'énergie et le climat (LPEC). Si nous n'avons pas de visibilité concernant l'examen de ce dernier texte, le rapport de la commission d'enquête est attendu pour le mois de juillet prochain.

Cette position est aujourd'hui largement partagée par les acteurs avec lesquels j'ai échangé. Malgré les délais très serrés, j'ai tenu à solliciter l'ensemble des intervenants : les administrations centrales, les guichets opérationnels et, bien sûr, tous les organismes spécialisés ; je pense, notamment, à l'Observatoire national de la précarité énergétique (ONPE), au Conseil scientifique et technique du bâtiment (CSTB) ou encore au Conseil supérieur de la construction et de l'efficacité énergétique (CSCEE), autant d'acteurs que nous avons entendus ou allons entendre dans le cadre de la commission d'enquête.

Je voudrais insister sur le constat partagé et donner quelques éléments de compréhension du sujet et du besoin d'une accélération attendue pour sortir de la précarité énergétique. Le dernier rapport de l'ONPE, publié le 16 mars dernier, dresse un bilan alarmant. En 2021, 11,9 % des Français ont dépensé plus de 8 % de leurs revenus pour payer les factures énergétiques de leur logement, et sont donc considérés comme souffrant de précarité énergétique. En 2022, 863 000 ménages ont subi une intervention d'un fournisseur d'énergie en raison d'impayés, soit une hausse de 28 % par rapport à 2019. Selon les données publiées le 30 mars dernier par le Médiateur national de l'énergie (MNE), 27 % des ménages déclarent avoir des difficultés à payer leurs factures, contre 18 % en 2020.

La France s'était pourtant engagée, au travers de la loi de 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte, à rénover 500 000 logements par an dont la moitié occupée par des ménages modestes pour disposer d'un parc basse consommation d'énergie en 2050 et réduire de 15 % la précarité énergétique à l'horizon 2020. Cet engagement a été renouvelé à l'occasion de la loi « Climat et résilience » de 2021, qui fixait l'objectif de disposer d'un parc de bâtiments sobres en énergie et faiblement émetteurs de gaz à effet de serre à l'horizon 2050.

Mais, selon le rapport du Haut Conseil pour le climat (HCC) de juin 2022, les émissions du bâtiment représentent 18 % des émissions nationales de CO2. Elles sont en baisse de 0,2 million de tonnes sur la période 2019-2021, alors qu'elles devraient baisser de 3 à 4 millions de tonnes, selon la stratégie nationale bas-carbone (SNBC), au cours de la période 2022-2030. Cela devrait se traduire par 370 000 puis 700 000 rénovations globales et performantes par an à partir de 2030.

Or, selon le rapport de février 2023 de l'Observatoire de la rénovation énergétique des logements (ONRE), 2,4 millions de logements ont bénéficié d'une aide en 2019, pour des travaux qui ont permis 8,6 térawattheures par an d'économies d'énergie ; il s'agit, pour l'essentiel, de rénovations partielles. Selon l'Agence nationale de l'habitat (Anah), 66 000 rénovations globales ont été réalisées en 2022, un chiffre en progression certes, mais qui reste loin de l'objectif visé. Au total, 3,4 milliards d'euros ont été distribués par l'Anah, mais l'essentiel a conduit à changer le mode de chauffage. Si la massification des aides et des gestes de rénovation a été réussie, celle des rénovations globales reste à entreprendre.

À cet égard, les mesures les plus contraignantes contre les passoires thermiques de la loi « Climat et résilience » commencent à entrer en vigueur et à produire leurs effets. Les biens classés G+ sont interdits à la location depuis le 1er janvier 2023, avant les G qui le seront en 2025, les F en 2028 et les E en 2034. De même, l'obligation de réaliser un audit énergétique pour les biens classés G et F est entrée en vigueur le 1er avril ; elle s'appliquera aux biens E en 2025 et aux D en 2034. Les conséquences de ce calendrier exigeant, qui avait suscité notre inquiétude dès 2021, sont particulièrement lourdes et complexes pour les propriétaires bailleurs, les vendeurs et l'ensemble d'un marché immobilier sous forte tension.

Si je partage les constats et la volonté d'aller de l'avant, j'estime que les solutions proposées dans cette PPL doivent faire l'objet d'un approfondissement. En effet, l'examen de la PPL intervient en amont de plusieurs échéances importantes. Comme je l'ai indiqué, le Sénat a lancé en janvier 2023 une commission d'enquête, que j'ai l'honneur de présider, sur l'efficacité des politiques publiques en matière de rénovation énergétique des bâtiments. Les sujets évoqués, dont celui de la précarité énergétique à laquelle une table ronde a été consacrée, font actuellement l'objet d'un examen renforcé. Les conclusions et les recommandations de cette commission d'enquête devraient être publiées fin juin ou début juillet 2023.

Par ailleurs, le Gouvernement doit présenter au Parlement
- normalement le 1er juillet prochain, mais cette date risque d'être difficile à tenir - la nouvelle LPEC, qui permettra de fixer dans la loi les objectifs de la politique énergétique, dont ceux qui sont afférents à la précarité énergétique ; s'ensuivra l'actualisation de la SNBC et de la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE). Enfin, la restitution des travaux du Conseil national de la refondation (CNR) sur le logement est prévue fin avril ou début mai, au moment de l'examen du texte en séance. Le CNR devrait, lui aussi, faire des propositions sur ce sujet.

Sur le fond, j'émets quelques réserves concernant la pertinence de certaines mesures proposées dans cette PPL.

L'article 1er conduirait à conditionner l'accès aux aides à la réalisation d'une rénovation performante et globale ; il donnerait comme objectif un reste à charge nul pour les ménages les plus précaires, et prévoirait d'identifier dans la LPEC les moyens et les actions nécessaires à la résorption prioritaire des passoires thermiques.

Or, s'il est nécessaire d'accélérer les rénovations globales et performantes, ce que prévoit d'ailleurs la loi au travers d'« une incitation financière accrue », l'évolution ne peut être que progressive pour ne pas déstabiliser le secteur et préserver le succès obtenu par MaPrimeRénov' et MaPrimeRénov' Sérénité - le dispositif destiné aux ménages les plus précaires -, de même que la possibilité de poursuivre un parcours de rénovation par étapes. En outre, les autres types d'aides à la rénovation énergétique - gestes de travaux, bouquets de travaux -, s'ils peuvent paraître moins efficients sur le plan climatique, sont importants d'un point de vue socioéconomique.

Quant au reste à charge, il est actuellement trop élevé ; l'Institut de l'économie pour le climat (I4CE) l'a démontré dans une récente publication sur les aides à la rénovation des logements. Par exemple, un ménage très modeste peut avoir un reste à charge d'environ 35 000 euros pour la rénovation d'un pavillon. La loi « Climat et résilience » prévoit déjà, à mon initiative, un « reste à charge minimal », sans que cette mesure soit pour le moment appliquée de manière satisfaisante.

Bien que l'idée soit généreuse, le reste à charge nul présente, à mes yeux, une difficulté philosophique : chacun doit contribuer, même de façon minime, selon ses moyens. Ce reste à charge nul présente également le risque que se renouvellent les dérives déjà identifiées lors des opérations d'isolation ou de changement de chaudière à 1 euro. Les ménages doivent rester des acteurs impliqués dans la rénovation de leur logement.

S'agissant enfin de la priorisation des rénovations énergétiques sur les passoires thermiques, une telle précision n'est pas indispensable par rapport à la loi « Climat et résilience » qui a permis la prise en compte, sur l'initiative du Sénat, des « typologies d'habitation », et semble potentiellement contradictoire avec l'objectif de massification des rénovations énergétiques, en saisissant, par exemple, toutes les opportunités de changement de propriétaires ou de locataires.

L'article 2 de la PPL prévoit de garantir l'égalité d'accès aux guichets du service public de la performance énergétique de l'habitat (SPPEH), quelle que soit la densité de population. La loi « Climat et résilience » a déjà prévu un service harmonisé avec des compétences équivalentes, au besoin par des guichets physiques itinérants, sur l'ensemble du territoire, y compris dans des zones moins peuplées.

L'État et l'Anah ont été chargés de l'animation nationale de ce service harmonisé, tandis que les collectivités territoriales doivent réaliser son bilan. L'imperfection du dispositif actuel est largement partagée, mais il est en cours de déploiement. On recense actuellement 551 espaces Conseil France Rénov', avec 2 254 conseillers ; 771 000 ménages ont été accueillis en 2022, et la plateforme internet a reçu 6,8 millions de visites.

Depuis avril 2023, le Gouvernement donne à d'autres acteurs la possibilité d'être agréés comme « Accompagnateur Rénov' », afin d'accroître la capillarité du réseau ; des doutes existaient pourtant sur leur neutralité et sur la capacité à éviter les conflits d'intérêts, notamment vis-à-vis des entreprises privées. Il paraît donc prématuré d'aller plus loin à ce stade, et il s'avérerait peu productif d'ouvrir des espaces Conseil France Rénov' sans prendre en compte l'intensité de la demande potentielle. Il s'agit également de respecter les prérogatives des collectivités territoriales, car ces guichets doivent couvrir l'échelon des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), auxquels peuvent être déléguées les aides à la pierre de l'Anah.

L'article 2 prévoit de demander à ces guichets d'identifier, en lien avec l'ONPE, les ménages en situation de précarité énergétique. À la demande du Sénat dans la loi « Climat et résilience » - l'article L. 126-32 du code de la construction et de l'habitation (CCH) -, les données des audits et des diagnostics de performance énergétique (DPE) sont transmises à l'Anah, aux associations, aux collectivités, à la caisse d'allocations familiales (CAF) et à la Mutualité sociale agricole (MSA) qui versent les aides personnelles au logement (APL).

Bien que la mission de l'ONPE soit davantage la production de statistiques au niveau national que le déploiement d'un service social vers les publics ciblés, l'organisme a créé, début 2021, un outil de géolocalisation - Géodip - des zones de précarité énergétique ; à ce jour, peu de communes s'en sont saisies. De surcroît, rien n'interdit aux guichets France Rénov' de nouer des liens avec les différents acteurs locaux ou professionnels susceptibles d'accompagner ces ménages en précarité énergétique, depuis l'établissement du premier diagnostic jusqu'au contrôle des travaux.

L'article 3 a pour objet d'étendre jusqu'à six ans le délai pour réaliser une rénovation performante et globale, dès lors que les travaux sont réalisés par le propriétaire occupant, accompagnés et planifiés dès le départ. La plupart des acteurs considèrent qu'une rénovation globale doit idéalement être réalisée en une seule étape ou, au maximum, deux ou trois dans un délai limité. Le règlement prévoit entre dix-huit mois et trois ans selon la situation du logement, de la maison individuelle à la grande copropriété. Cette mesure ajouterait de la complexité au dispositif et limiterait son efficacité. Il ne me paraît donc pas pertinent de revenir sur ce point ; il s'agit plutôt de travailler sur les modalités de financement par subvention, prêt ou portage selon la situation du ménage voire la création de caisses d'avance comme l'idée en a émergé lors de la commission d'enquête.

Enfin, l'article 4 suggère de compléter les compétences du CSTB de manière à promouvoir les matériaux adaptés aux spécificités locales et, sur cette base, proposer des normes adaptées outre-mer. Ces missions, qui figurent notamment à l'article R. 121-1 du CCH, concernent déjà le CSTB. Celui-ci procède également à des études de matériaux en coopération avec l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), afin de fiabiliser le DPE et d'évaluer les rénovations sur les matériaux anciens et biosourcés. Il est, par exemple, à l'origine d'une labellisation de l'écoconception des produits de construction. Outre-mer, le CSTB mène un programme de recherche, dénommé ECCO DOM, afin de réaliser des économies d'énergie dans les logements sociaux. Il a également été saisi pour faire face aux risques climatiques et environnementaux propres à ces régions.

Telles sont les raisons qui me conduisent à proposer le rejet de la PPL. Même si je partage les constats de départ. Nous devons encore travailler sur les solutions à apporter pour les intégrer, d'une manière ou d'une autre, à la future LPEC. Il s'agira également de tenir compte des conclusions et des recommandations de la commission d'enquête, susceptibles d'être reprises par la suite dans différents textes de loi.

Conformément au vade-mecum sur l'application des irrecevabilités en application de l'article 45 de la Constitution, adopté par la Conférence des présidents, il nous revient maintenant d'arrêter le périmètre indicatif de la proposition de loi. Sont susceptibles de présenter un lien, même indirect, avec le texte déposé, les dispositions relatives au contenu en matière de rénovation énergétique de la LPEC, y compris ses dispositions programmatiques relatives aux aides des ménages à la rénovation énergétique ; à la définition de la rénovation énergétique performante, dont celle globale ; aux missions et aux modalités d'organisation du SPPEH, y compris ses relations avec l'ONPE ; aux compétences du CSTB en matière d'adaptation des techniques et des matériaux aux spécificités des outre-mer.

Il en est ainsi décidé.

M. Rémi Cardon, auteur de la proposition de loi. - Madame la rapporteur, je vous remercie pour votre constat partagé et vos remarques pertinentes. Permettez-moi de revenir sur la chronologie de cette PPL. Le 27 juillet 2022, lors de l'audition de la ministre de la transition énergétique, Mme Pannier-Runacher, j'ai soulevé quelques propositions ; en août 2022, j'ai échangé avec la cellule juridique du Sénat et, durant l'automne, j'ai convaincu mes collègues socialistes d'inscrire ce texte dans une « niche ». Ma proposition de loi a été déposée en décembre avant la création de la commission d'enquête. Sur le fond, elle cible la précarité énergétique et vient donc en complément de la commission d'enquête, dont le périmètre est plus large.

Combien faudra-t-il de rapports du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec), de think tanks, de fondations et d'organismes pour agir enfin sur ce sujet ? Combien faudra-t-il de rapports sénatoriaux et de commissions d'enquête ? Combien faudra-t-il de plans de sobriété énergétique du Gouvernement ? Cette PPL répond à une urgence, et je suis ravi que la commission d'enquête donne un coup de projecteur sur cette question dramatique de la précarité énergétique.

En rédigeant cette PPL, de nombreux usagers mécontents m'ont alerté sur le dispositif MaPrimeRénov'. Alors qu'on leur avait promis un versement des subventions dans un délai de 35 jours, certains usagers m'ont indiqué les avoir reçues six mois, voire un an plus tard. Des retraités, par exemple, ont été obligés de solliciter un prêt à un taux de 10 %, car ils attendaient les subventions ; ils se sont endettés, car l'État n'est pas assez réactif.

Cette PPL sert également à dire que l'on ne peut plus regarder les trains qui passent. La réforme des retraites a bouleversé le calendrier du Gouvernement, avec notamment la PPE qui devait être débattue en 2023. En tant que parlementaire, j'ai essayé d'agir. Si l'on continue sur le rythme actuel, il faudra 2 000 ans pour rénover les passoires thermiques. L'idée n'est pas d'ajouter encore des milliards, mais d'être plus efficace dans l'utilisation de ceux qui sont à disposition.

Mme Sophie Primas, présidente. - Nous ne sommes pas responsables de l'ordre du jour du Gouvernement. Je crains, hélas !, que le report de cette PPL n'ait pas de lien avec la réforme des retraites.

J'insiste sur le fait que l'on ne remet pas en cause la liberté, pour chacun des groupes, de déposer des PPL. Nous avons accueilli cette PPL comme toutes les autres, sans aucune forme de réticence. Néanmoins, mon rôle, en tant que présidente de commission, est d'organiser nos travaux de telle sorte que l'action du Sénat soit cohérente.

Nous sommes tous préoccupés par ces questions ayant trait à la précarité énergétique de nos concitoyens, surtout en ces temps de forte inflation du coût de l'énergie. Des échéances arrivent, notamment la rénovation des biens classés F et G ; une crise du logement se profile, et tous les groupes politiques du Sénat sont inquiets pour l'avenir. Au-delà des articles, cette PPL permet d'évoquer tous ces sujets. Nous aurions préféré un renvoi du texte en commission plutôt que de le rejeter ; mais tel est le choix du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

M. Daniel Gremillet. - Avec les difficultés économiques de ces deux dernières années, on comprend que l'idée d'une planification fixe dans le temps d'une rénovation, comme cela était proposé au départ, n'est pas opportune. Toutes les familles ne sont pas en situation de pouvoir planifier la totalité des travaux.

Beaucoup d'interrogations persistent encore, notamment concernant le bois ou le gaz. Pour un particulier, il est difficile aujourd'hui de lancer une rénovation aussi lourde avec autant d'interrogations. On ne peut pas jouer avec les familles, il s'agit d'être en phase avec les réalités de la vie.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. - Nous partageons les préoccupations de nos collègues socialistes concernant l'urgence du dossier et la nécessité d'aller plus loin.

La vraie question est celle-ci : comment être efficace ? Il s'agit de ne pas reproduire les mêmes erreurs que pour le droit au logement opposable (Dalo), avec des objectifs élevés et trop peu de délibérations sur les moyens pour les atteindre. Sur quelles bases, par exemple, pouvons-nous mettre en oeuvre le reste à charge zéro ?

Il convient de mettre de l'ordre dans les dispositifs. Nous ne ferons pas l'économie d'une révolution copernicienne concernant le financement de la réhabilitation. Au départ, je n'étais pas favorable à l'idée d'un prêt à taux zéro pour l'ensemble des travaux, remboursable au moment de la vente du bien ou de l'héritage ; je suis à présent convaincue que, pour beaucoup de gens, il est plus facile de financer leur rénovation ainsi, plutôt que de s'en remettre à des systèmes de rénovation graduée avec des primes.

En l'état actuel, la PPL apparaît restrictive et pas toujours opérationnelle. Par ailleurs, nous attendons les conclusions de la commission d'enquête. Le prochain budget s'annonce encore trop épuré pour obtenir des modes de financement plus opérationnels sur les réhabilitations. Nous allons donc nous abstenir sur ce texte.

M. Daniel Salmon. - Les passoires thermiques représentent 30 % de la consommation d'énergie du logement, alors qu'elles ne concernent que 18 % des logements. Nous devons mener une action forte dans ce domaine.

Depuis le moment où M. Cardon a lancé l'idée de déposer une PPL, les choses ont évolué et l'on se retrouve aujourd'hui en décalage. La commission d'enquête a pour mission d'analyser toutes les politiques publiques, car cette problématique de la rénovation thermique traîne depuis des années ; nous patinons, à l'écart de la trajectoire idéale.

Des questions se posent au niveau de l'accompagnement et concernant le reste à charge. Nous voterons en faveur de ce texte, de manière à ne pas froisser nos collègues socialistes. Des éléments intéressants seront certainement repris soit dans une PPL après la commission d'enquête, soit dans le cadre de la LPEC.

M. Bernard Buis. - La PPL est partie d'une bonne intention : résorber la précarité énergétique dont souffrent beaucoup de nos concitoyens. Notre pays compte 5 millions de logements considérés comme des passoires énergétiques. Conscients de l'importance du sujet, nos collègues du groupe Écologie - Solidarité et Territoires ont demandé une commission d'enquête sur l'efficacité des politiques publiques en matière de rénovation énergétique, dont le champ d'investigation est plus global.

Ce texte n'étant pas mûr en l'état, il est préférable de le rejeter. Nous pensons qu'il est plus sage d'attendre les conclusions de la commission d'enquête avant de modifier des dispositifs déjà complexes.

Mme Viviane Artigalas. - Nous partageons le constat sur l'application de la loi « Climat et résilience ». Notre PPL s'inscrit en complément des travaux nécessaires menés par la commission d'enquête. Par ailleurs, le texte reprend des dispositions que nous avions défendues dans le cadre de la loi « Climat et résilience ». Il prend en compte la nécessité de répartir les efforts de rénovation sur l'ensemble des territoires, y compris les territoires ruraux. Il existe une forte inégalité territoriale concernant le fonctionnement des guichets France Rénov'. Dans mon département, cela fonctionne très bien ; dans d'autres, comme celui de M. Cardon, beaucoup moins bien.

Un autre objectif poursuivi par l'auteur de ce texte était d'envoyer un message positif aux citoyens qui ne perçoivent pas encore les signes concrets de la transition énergétique. On observe, encore une fois, une forte inégalité dans l'accès aux dispositifs.

Nous partageons les constats de la rapporteur : trop de peu de rénovations globales ; un reste à charge trop élevé - entre 35 et 40 % encore - pour les familles modestes ; la méconnaissance des dispositifs sur certains territoires ; et l'inadaptation de certaines normes. Nous voterons naturellement en faveur de ce texte.

Nous n'acceptons pas de renvoyer le texte en commission, car le fait de discuter de cette PPL en séance permettra d'alerter sur la mauvaise application de la loi « Climat et résilience ».

Mme Valérie Létard. - Le rapport présenté est éloquent : tout en étant en phase avec les objectifs, cette PPL est confrontée à un problème de temporalité. Nous déplorons ce mauvais concours de circonstances, car une telle initiative mériterait toute notre attention.

Le sujet excède la problématique ciblée par la PPL. Comme cela a été rappelé, on constate aujourd'hui un inégal accès à tous ces dispositifs compliqués et peu identifiables. Il s'agit d'effectuer un véritable travail de coordination des acteurs. Les initiatives peuvent être différentes d'un territoire à l'autre ; certaines intercommunalités sont en pointe, et l'État veut s'assurer de la mise en cohérence des dispositifs.

Entre la loi « Climat et résilience » et son application, comme avec le dispositif zéro artificialisation nette (ZAN), beaucoup d'ajustements sont nécessaires. La loi était très ambitieuse ; aujourd'hui, des éléments ne correspondent pas à la réalité. Si le sujet des ménages modestes est essentiel, d'autres ne sont pas à négliger, comme la question des classes moyennes ou des retraités - notamment ceux qui s'assurent des compléments de revenus en louant des petits logements privés et ne seront pas accompagnés pour ces rénovations. Une approche globale est nécessaire, avec des moyens à la hauteur.

M. Franck Montaugé. - En dépit du problème de temporalité, je remercie M. Cardon pour sa PPL. Je salue également la qualité des travaux en cours dans le cadre de la commission d'enquête ; nous sommes en train de récolter une matière très utile.

La principale question concerne le pouvoir d'achat, plus encore dans la période actuelle, avec l'inflation et toutes les conséquences sur la vie des gens. Cette question inclut celle du logement. Je souscris à l'idée d'une approche englobant l'ensemble des problématiques.

Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur. - La commission d'enquête part du constat que la France, si elle affiche une ambition forte en matière de rénovation énergétique, échoue à atteindre ses objectifs. Se pose ainsi la question de l'efficacité des politiques de rénovation énergétique, notamment au regard du statut des personnes - propriétaires occupants, propriétaires bailleurs et locataires.

L'association Stop à l'exclusion énergétique citait hier le nombre de 500 000 propriétaires occupants vivant dans des passoires thermiques ; 59 % des personnes souffrant de précarité énergétique sont des locataires. Les propriétaires bailleurs ont, quant à eux, de plus en plus de difficultés à rénover les logements, tandis que pèse la menace d'interdiction de location dès 2025 pour les logements les plus énergivores. Nous craignons une crise supplémentaire sur le marché du logement, avec des ventes massives de logements et le retrait d'un grand nombre d'entre eux du marché de la location. Nombre de propriétaires bailleurs baissent les bras. Nous devons prendre en compte tous ces éléments et arrêter de raisonner en silo.

Nous avons conscience que les pouvoirs publics aspirent à prendre le virage de la massification de la rénovation énergétique. Tous les acteurs demandent un changement d'échelle et insistent sur la nécessité de se concentrer sur les rénovations globales et performantes.

Pour endiguer la précarité énergétique, le principal facteur est l'accompagnement. Nous avons beaucoup d'espoir avec le dispositif Mon Accompagnateur Rénov' renforcé. Les agréments seront donnés en avril. Toutefois, les inquiétudes portent sur les financements. Le programme du service d'accompagnement pour la rénovation énergétique (Sare) s'arrête fin 2023, et les acteurs nous disent n'avoir aucune visibilité pour la suite.

L'accompagnement est essentiel : il faut créer un climat de confiance, notamment avec les ménages très modestes ou en très grande précarité, pour les convaincre de mener les travaux. L'accompagnement doit être personnalisé, non standardisé. Chaque cas est particulier. Il faut aussi un seul référent, qui suive toutes les étapes, jusqu'au contrôle des travaux ; sinon nous perdrons la confiance des ménages.

La qualité des travaux est un enjeu important, tout comme la formation de la filière. La demande va monter en puissance alors que le nombre d'entreprises labellisées RGE (Reconnu garant de l'environnement) est trop faible. Il faut aussi simplifier les processus d'agrément.

J'en viens au reste à charge. Il est bien beau de dire que l'on veut un reste à charge zéro - il faut certes un reste à charge minimal, car il est bien trop élevé, notamment pour les rénovations globales -, mais, hier, lors de nos auditions, les acteurs ne demandaient pas un reste à charge nul, mais simplement supportable. C'est une question de dignité ; chacun doit se sentir engagé dans la rénovation de son logement, et donc y participer financièrement.

Enfin, concernant MaPrimeRénov', on met souvent en avant des cas problématiques mais qui ne reflètent pas toute la réalité : sur 700 000 attributions annuelles quelques centaines de cas sont en difficulté. Si tout n'est pas parfait, les améliorations des processus de l'Anah sont nettes.

Le sujet de la précarité énergétique est fondamental. Dans le cadre de la commission d'enquête, même si les sujets sont plus larges, nous souhaitons être force de proposition pour résorber ce fléau.

EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er

L'article 1er n'est pas adopté.

Article 2

L'article 2 n'est pas adopté.

Article 3

L'article 3 n'est pas adopté.

Article 4

L'article 4 n'est pas adopté.

Article 5

L'article 5 n'est pas adopté.

La proposition de loi n'est pas adoptée.

Conformément au premier alinéa de l'article 42 de la Constitution, la discussion en séance portera en conséquence sur le texte initial de la proposition de loi déposée sur le Bureau du Sénat.