TRAVAUX EN COMMISSION

Désignation d'un rapporteur
(5 octobre 2023)

La commission désigne M. Philippe Tabarot rapporteur sur la proposition de loi n° 749 (2022-2023) relative aux services express régionaux métropolitains adoptée par l'Assemblée nationale.

Audition de M. Jean-François Monteils,
président du directoire de la Société du Grand Paris
(Mercredi 11 octobre 2023)

M. Jean-François Longeot, président. - Mes chers collègues, je suis heureux d'accueillir M. Jean-François Monteils, président du directoire de la Société du Grand Paris (SGP), pour notre première audition de cette nouvelle session, dans la perspective de l'examen prochain de la proposition de loi relative aux services express régionaux métropolitains.

Cette proposition de loi, déposée par M. Jean-Marc Zulesi, président de la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire de l'Assemblée nationale, a été adoptée par les députés le 16 juin dernier et compte désormais 16 articles. Au Sénat, elle sera examinée par notre commission mercredi prochain et en séance publique, le lundi 23 octobre après-midi. Elle vise à traduire et à accompagner l'ambition de déploiement de services express régionaux métropolitains (Serm), afin d'améliorer l'usage et la performance du transport ferroviaire dans le transport quotidien de nos concitoyens et, à terme, de permettre à ces derniers de disposer d'une solution fiable de substitution à la voiture. Elle reprend l'objectif ambitieux, affirmé par le Président de la République en novembre dernier, de mettre en place un Serm dans dix métropoles françaises et fixe un horizon de dix ans pour y parvenir.

Ce texte contient notamment la définition d'un Serm, des objectifs qui lui sont associés, ainsi que des modalités d'attribution de ce statut. En l'état actuel de la navette parlementaire, le Serm est défini à l'article 1er comme une « offre multimodale de services de transports collectifs publics qui s'appuie sur un renforcement de la desserte ferroviaire et intègre, le cas échéant, la mise en place de services de transport routier ou fluvial à haut niveau de service et de services de transports guidés ainsi que la création ou l'adaptation de gares ou de pôles d'échanges multimodaux ».

La proposition de loi prévoit également de permettre à la Société du Grand Paris, renommée Société des grands projets, d'être désignée maître d'ouvrage de projets de Serm pour la réalisation de certaines infrastructures créées ou modifiées dans ce cadre. En l'état actuel de notre droit, le champ de compétences de la SGP se limite en effet au Grand Paris.

À cet égard, et à la lumière de votre expérience concernant le Grand Paris Express, pourriez-vous nous présenter les atouts de la SGP qui justifient, selon vous, de lui confier le déploiement des Serm ? Plus précisément, la proposition de loi permet à la SGP d'intervenir en tant que maître d'ouvrage dans trois cas spécifiques : nouvelles infrastructures ferroviaires ; lignes sur lesquelles aucun service de fret ou de voyageurs n'a circulé au cours des cinq dernières années ; enfin, projets de création ou d'extension d'infrastructures de transport public urbain ou périurbain prévoyant au moins une correspondance avec l'une des gares ferroviaires situées à l'intérieur du périmètre du Serm.

La SGP a donc vocation à intervenir dans un périmètre bien défini du réseau, aux côtés de SNCF Réseau qui restera, quant à elle, maître d'ouvrage des travaux sur les infrastructures du réseau ferré national. Pourriez-vous nous faire part de votre vision de la coopération à venir avec cet opérateur et nous donner votre avis sur le périmètre d'intervention de la SGP dans le déploiement des Serm tel qu'il est prévu dans la proposition de loi ?

M. Jean-François Monteils, président du directoire de la Société du Grand Paris. - Ce texte intervient dans un double contexte, celui de la transition écologique et de l'urgence qui s'y attache, et d'autres objectifs, notamment de lutte contre les inégalités territoriales. Les projets de mobilité du quotidien dans les grandes métropoles visent ainsi toujours à réduire les déséquilibres territoriaux entre centre et périphérie, les barrières entre zones riches et zones qui le sont moins, par le développement d'un réseau de transport efficace. En outre, nous nous devons de renforcer la qualité de l'ingénierie française dans ce domaine : nos atouts sont singuliers, nos formations d'ingénieurs sont exceptionnelles, nous devons les entretenir.

D'autres projets de ce type existent dans la plupart des grandes métropoles, depuis parfois très longtemps, mais peinent souvent à avancer. L'objectif premier de ce texte est donc de les mener à bien, ce qui ne va pas toujours de soi. Nous disposons à cette fin de plusieurs appréciations du panorama général dans lequel ils s'inscrivent : la SNCF a produit en 2020, à la suite de l'adoption de la loi du 24 décembre 2019 d'orientation des mobilités (LOM), un rapport sur le potentiel des étoiles ferroviaires sur le développement des transports métropolitains ; de même, en février dernier, le rapport du Conseil d'orientation des infrastructures (COI) identifiait certains projets. La question qui se pose est donc la suivante : comment les faire avancer ? C'est dans ce contexte que s'inscrit ce texte, pour créer les conditions nécessaires au passage d'un panorama de projets à la mise en oeuvre de l'ambition nationale exprimée par le Président de la République.

La première de ces conditions est la capacité à maintenir, au niveau territorial, un accord politique de long terme pour la conduite des projets, car les Serm ne se développeront pas sans l'engagement conjoint et constant des collectivités territoriales concernées. C'est d'ailleurs parfois la construction de cet accord, ou son maintien dans la durée, qui retarde la mise en oeuvre des projets. Le texte contient des mesures visant à le faciliter et à le consolider.

La deuxième condition est la souplesse opérationnelle. Notre maîtrise d'ouvrage est construite par projet, organisée en conséquence et consacrée à sa réussite, dans toutes les dimensions. Notre structure est adaptée à ses exigences opérationnelles : notre modèle financier nous permet, par exemple, de ne pas dépendre d'autorisations budgétaires annuelles et notre capacité à emprunter est à cet égard déterminante. Cette particularité est réplicable pour tous les éléments de l'identité de la SGP. Cette souplesse compte, parce que la durée d'exécution du projet est la condition de sa faisabilité : un projet qui dure trente ans pour des raisons de rigidité budgétaire ou opérationnelle risque de ne pas se faire. Tout assouplissement opérationnel est utile au réalisme de notre approche.

Enfin, la troisième condition concerne l'efficacité collective. Sans coopération constructive, complémentaire et fluide avec la SNCF dans toutes ses dimensions (SNCF Réseau, SNCF Gares & Connexions et d'autres entités du groupe), les projets ne se feront pas. Nous commençons à construire une telle coopération d'une manière qui me semble efficace, et je rends hommage à ce titre à la démarche de la SNCF, dont la première approche a été de se montrer favorable à tout ce qui permet d'avancer dans le doublement de la part modale du ferroviaire dans les transports publics et à l'accueil d'un nouvel opérateur, à bien des égards complémentaire. Nous commençons à travailler dans certaines régions dans cet esprit et nous constatons que cela fonctionne.

Que va apporter la SGP ?

Nous disposons des éléments propres à notre modèle, qui permettent de mener à bien ces projets dans toutes leurs dimensions, et notre expérience fait la différence par la somme des difficultés déjà résolues, des erreurs déjà commises et corrigées, etc. Nous avons, par exemple, déjà expérimenté sur le Grand Paris Express l'intermodalité, les exigences en termes d'aménagement urbain, la coopération avec la SNCF. Ce modèle n'est, certes, pas directement réplicable et chaque projet de Serm sera bien entendu différent et devra être déterminé en fonction des circonstances locales, de l'état d'avancement des travaux et de la volonté des acteurs. Nous devrons donc créer à chaque fois les conditions de réussite du projet concerné. Ce texte nous confère des outils à cette fin.

M. Philippe Tabarot, rapporteur. - La Société du Grand Paris a démontré sa capacité à conduire le plus grand projet d'infrastructure en Europe. Nous avions d'ailleurs eu l'occasion de nous rendre compte de l'ampleur de ce projet en visitant l'un des chantiers du Grand Paris Express en début d'année dernière. C'est notamment pour cette raison que la Première ministre, dans sa présentation du plan d'avenir pour les transports, a indiqué que le chantier des RER métropolitains - devenus depuis les Serm - s'appuierait sur l'expertise de la SGP, précisant que celle-ci avait conduit ce projet en en « maîtrisant les coûts et en maintenant un lien permanent avec les élus ».

Alors que la SGP devrait, en l'état actuel du droit, être dissoute après avoir épuisé ses compétences en matière de déploiement du Grand Paris Express, la proposition de loi que notre commission examinera la semaine prochaine vise donc à élargir son champ d'action pour lui permettre de capitaliser sur cette expérience en Île-de-France et d'intervenir dans la mise en oeuvre des futurs Serm.

Ma première question sera donc la suivante : quelles leçons tirez-vous de l'expérience du Grand Paris Express dans la perspective du déploiement d'une dizaine de Serm d'ici à dix ans ? Quelles sont les modalités à conserver, les évolutions à envisager, les erreurs à ne pas reproduire ? J'ai notamment à l'esprit certains dérapages financiers ou de calendrier.

La mise en oeuvre des Serm devra notamment reposer sur SNCF Réseau, attributaire des lignes du réseau ferré national et qui en est également le gestionnaire. Comment envisagez-vous de travailler à ses côtés sur le déploiement des Serm ? Devons-nous nous attendre à une concurrence ou à une coopération entre vos deux entités, auxquelles s'ajoute la filiale de SNCF Réseau, Gares & Connexions ?

Vous l'avez dit, l'article 2 de la proposition de loi prévoit que la SGP pourrait intervenir dans le déploiement des Serm dans trois cas de figure : pour des infrastructures nouvelles du réseau ferroviaire, SNCF Réseau étant quant à elle compétente sur le réseau ferré national existant, pour des lignes ferroviaires ou des sections de ligne ferroviaire sur lesquelles aucun service de fret ou de voyageurs n'a circulé au cours des cinq dernières années et pour des projets de création ou d'extension d'infrastructures de transport public urbain ou périurbain de personnes prévoyant au moins une correspondance avec l'une des gares ferroviaires situées à l'intérieur du périmètre du Serm. Quel regard portez-vous sur ce périmètre d'intervention prévu pour la SGP ? Identifiez-vous des angles morts ou au contraire des points de friction ?

Au-delà de l'élargissement des missions de la SGP à de nouveaux projets, se posera nécessairement la question de la capacité de l'établissement public à absorber ces nouvelles missions. Je viens de le rappeler, l'objectif fixé par le président de la République est ambitieux. Comment la SGP se prépare-t-elle à ce changement d'échelle ? Avez-vous chiffré les besoins de croissance des effectifs de la SGP ?

J'en viens au sujet plus délicat du financement des Serm. Le Grand Paris Express repose sur un modèle de financement original, qui se fonde à la fois sur des taxes affectées et sur le recours à l'emprunt, la SGP disposant d'une faculté d'emprunt. Pour autant, et hormis à son article 2, qui permet à la SGP, devenant alors « Sociétés des grands projets », de contracter des emprunts, la proposition de loi ne règle absolument pas la question du financement des investissements et du fonctionnement des Serm. Plusieurs montants ont été annoncés, sans que nous disposions d'un plan de financement clair ni de nouvelles ressources affectées, ce qui est de nature à nous inquiéter. À la lumière de votre expérience à la tête de la SGP, dans quelle mesure estimez-vous que cet organisme est un modèle que l'on peut répliquer, et à quelles conditions ?

M. Jean-François Monteils. - L'expérience de la SGP, que nous mettons au service des territoires, permettra sans doute d'éviter que des erreurs soient commises.

En ce qui concerne la ligne 15 Sud, qui reliera en 2025 Noisy à Pont-de-Sèvres, il eût été par exemple préférable d'anticiper le travail sur les pôles d'échange multimodaux, car ce léger défaut d'anticipation nous conduit à engager des travaux supplémentaires. J'estime donc qu'il serait opportun de travailler avec les collectivités, au moment même de la conception des Serm, à l'élaboration de ces pôles d'échanges multimodaux, voire d'en faire une priorité. Peut-être même faudrait-il mener cette réflexion sur l'intermodalité dès l'identification des infrastructures ferroviaires lourdes qui structureront les Serm.

Il me paraît par ailleurs important, pour la bonne conduite opérationnelle des projets, d'assurer une information transparente. La SGP publie quatre fois par an un rapport d'avancement périodique qui fournit à nos donneurs d'ordre des informations très précises sur l'avancement du projet, les coûts, les délais, les risques et notre capacité à les gérer, etc. Nous avons notamment élaboré une dense matrice de risques qui comporte plus de 1 000 entrées, chacune étant associée à un gestionnaire de risque qui rend compte deux fois par an de la manière dont le risque est apprécié et géré.

En ce qui concerne nos futurs rapports avec SNCF Réseau, ceux-ci doivent, à mon sens, relever non pas de la concurrence, mais exclusivement de la complémentarité. Nous pensons que nous pouvons apporter notre expérience en matière de conception d'un réseau de mobilité du quotidien, organisé de manière non plus axiale, mais circulaire. Nous travaillons depuis l'origine sur l'intermodalité, le rabattement, les mobilités douces. Je ne dis pas que ces compétences ne sont pas présentes à la SNCF, mais la spécificité de la future SGP sera de les rassembler au sein d'une seule entité. Nous n'avons en revanche aucune compétence en matière d'exploitation et nous avons en la matière besoin de l'expertise de SNCF Réseau. Cette confiance réciproque est indispensable et j'estime qu'elle existe. De même, et cela relève moins d'une question de principe que d'une question de bon sens, seule la SNCF est en mesure de déterminer les contraintes liées à la sécurité ferroviaire.

Du point de vue de la SGP, toutes les clarifications qui pourront être apportées à la proposition de loi pour introduire des éléments de souplesse et de confiance permettant un découlement opérationnel efficace et fluide sont les bienvenues, même si je suis confiant dans la qualité des accords qui seront conclus localement, car il est clair que chaque Serm aura ses spécificités. En ce qui concerne par exemple le fret ferroviaire, il se peut que, localement, la réflexion menée sur le transport de voyageurs soit liée à la réflexion sur le fret. Nous n'avons pas vocation à devenir opérateurs sur le fret ferroviaire, mais il serait dommage de ne pas mener une réflexion globale du fait d'interdictions génériques.

Autrement dit, il faut que nous puissions faire ce que nous faisons mieux que les autres et que nous ne soyons pas empêchés de faire ce qui paraît le plus opportun localement.

J'en viens au changement d'échelle de la SGP. En douze ans, les effectifs de la SGP sont passés de quelques dizaines à un plafond de 250 qui, de l'avis même de la Cour des comptes, était insuffisant, et qui a donc été relevé jusqu'à avoisiner le millier de collaborateurs. Au terme de ce chemin, j'estime que la SGP est parvenue à une taille critique lui permettant de recruter à très haut niveau tout en conservant souplesse et efficacité.

Dans l'idéal, nous serons en mesure de monter en charge sur les compétences que nous pourrons mettre au service des Serm au moment où les besoins liés au Grand Paris Express reflueront, mais il n'est pas exclu que nous ayons besoin d'une souplesse en termes d'effectifs si les études sur les Serm sont engagées alors que nous sommes encore très pris par le Grand Paris Express.

En ce qui concerne la question cruciale du financement, il faut rappeler que ces investissements créent de la valeur, notamment environnementale et sociale. Nous améliorerons la trajectoire de développement durable du pays en participant à l'accélération et à la faisabilité des projets de Serm. À cette fin, 765 millions d'euros seront consacrés aux Serm dans les contrats de plan État-région (CPER).

Ces investissements créent aussi de la valeur socioéconomique ; les déclarations d'utilité publique (DUP) reposent sur l'analyse de cet aspect. On emprunte pour créer de la valeur : c'est un système vertueux.

Le modèle de financement, non duplicable d'une région à l'autre, doit être étudié au cas par cas. À l'effort budgétaire, qui nécessite la contribution de l'ensemble des contribuables, s'ajoute la récupération, notamment par voie fiscale, de la valeur créée par le projet.

Nous avons donc besoin d'un modèle de ressources qui permette un financement par l'emprunt. Il pourra, par exemple, être assis sur une part de taxation, comme c'est le cas pour le Grand Paris Express. La SGP, qui lève la dette, a été durant une année premier émetteur mondial de green bonds. Cette expertise, nous pouvons la mettre au service des territoires.

M. Jean-François Longeot, président. - J'ai bien noté que votre objectif était de réussir et non d'opposer les divers opérateurs entre eux.

M. Jacques Fernique. - Si l'objectif de lancer une dizaine de Serm à l'horizon 2030 était atteint, nous pourrions sortir de la situation actuelle dans laquelle 90 % des déplacements d'une distance de 10 à 80 kilomètres se font en voiture. Cela suppose de combiner différents modes de transport : ferroviaire, car express, réseau cyclable, etc.

Depuis son examen par l'Assemblée nationale, la proposition de loi relative aux services express régionaux métropolitains ouvre la possibilité de choisir la SGP pour la conception et la maîtrise d'ouvrage des nouvelles infrastructures, la remise en état des lignes délaissées et pour l'extension de réseaux urbains connectés au ferroviaire. Son expertise est précieuse, mais il vous faudra convaincre les autorités organisatrices de la mobilité (AOM).

Les Serm ne sont pas un modèle clés en main. Une fine adaptation aux spécificités s'impose, il n'y a pas de réplicabilité. La SGP maîtrise-t-elle la culture de la concertation constante avec les usagers, les partenaires et les élus locaux ? Qu'en sera-t-il de la gouvernance, du suivi des travaux, du financement des investissements et du fonctionnement ? La trajectoire financière et la conduite des projets doivent être définies ; comment la SGP s'y prépare-t-elle, pour que les collectivités s'y retrouvent ?

L'articulation avec SNCF Réseau et SNCF Gares & Connexions est impérative, mais elle n'est pas évidente à mettre en place. Vous parlez de fluidité ; comment surmonter les crispations et les réticences de partenaires qui peuvent légitiment se sentir concurrencés et fragilisés dans leur domaine de responsabilité publique ?

M. Hervé Gillé. - Les schémas de mobilité et d'intermodalité doivent être inclus dans les conditions de l'accord global. Un accord local visant à faciliter la mise en oeuvre du projet n'est valable que s'il existe une vision de l'intermodalité à l'échelle du territoire concerné ; ce devrait être une condition sine qua non. Comment mettre en place ces objectifs ?

Les régions doivent mettre en place ces schémas, en liaison avec l'État, et donc les préfets. Or, dans de nombreux territoires, les syndicats régionaux de transport ne sont pas déclinés à l'échelle du département ou de la métropole, en interaction avec les communautés de communes et les intercommunalités concernées. Pour la mise en place des Serm, il faut sortir la boîte à outils. Quel est votre point de vue sur ce sujet essentiel ?

Une clarification juridique s'impose : la Société du Grand Paris pourra-t-elle intervenir, sans difficultés juridiques, dans le cadre de la maîtrise d'ouvrage déléguée via des appels d'offres ? Quid des fonds européens mobilisés ?

En ce qui concerne les relations très positives de la SGP avec SNCF Réseau, ne serait-il pas utile de disposer d'une véritable convention de coopération stratégique afin de rassurer l'ensemble des intervenants, notamment politiques ?

M. Didier Mandelli. - Cinq ans après la LOM, nous y voici enfin ! Je n'ai aucun doute sur la capacité de la SGP à conduire l'ensemble des opérations, même si la question du financement reste à éclaircir. Engagerez-vous une démarche bas-carbone pour la construction des infrastructures ? Jusqu'où êtes-vous prêts à aller en matière d'exemplarité ? De quelle manière entendez-vous travailler demain avec la société SNCF Renouvelables ?

M. Jean-François Monteils. - MM. Fernique et Gillé ont abordé la question de la consistance et de la définition des services express régionaux métropolitains. On ne saurait se passer d'une approche multimodale. Dans de nombreux cas, point ne sera besoin d'envisager de nouvelles infrastructures ferroviaires lourdes et coûteuses ; il s'agira plutôt d'améliorer l'exploitation. En fonction de la complexité, de la dimension et de la nature des projets, l'intervention de la SGP sera plus ou moins utile. Conduire simultanément divers types de projets concourant à l'émergence des Serm sera compliqué, je ne vous le cache pas. Il faut donc créer, avec la SNCF, les conditions d'une relation constructive.

Comment mettre en place la multimodalité et la combiner avec une gouvernance locale comprenant de nombreux acteurs - communautés d'agglomération, établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), communes, région, autorités organisatrices de la mobilité - et de nombreuses compétences ? Par exemple, les départements seront indispensables en tant que maîtres d'ouvrage, dès lors qu'il faudra réduire un passage à niveau situé sur une route départementale.

Il est crucial de passer des accords politiques avec les élus locaux, mais aussi de disposer d'une coordination opérationnelle. Nous pensons que la SGP peut intervenir dans le domaine de la maîtrise d'ouvrage technique de coordination : il s'agit d'établir le schéma d'ensemble - résorber 50 passages à niveau, etc. - et de poursuivre la réflexion sur l'intermodalité - favoriser les déplacements à vélo, déplacer des lignes de bus, etc. Ce programme, complet du point de vue de la multimodalité, sera cadencé, séquencé. Il faudra ensuite vérifier en permanence son déroulement. À défaut d'avoir procédé à toutes les vérifications en termes d'intermodalité, de rabattement et de cadencement dans les gares centrales, l'utilisation des infrastructures ne sera pas optimale et l'on risque de rater le choc d'offre permettant d'opérer le report modal.

Il faut tenir également compte de l'aspect comportemental, c'est-à-dire du moment où de nombreuses personnes se disent qu'elles n'ont plus besoin de leur voiture pour se déplacer. Cette démarche individuelle peut reposer sur la fiabilité et la praticité du réseau de transport public. Au terme de leur réflexion, ces usagers comprendront qu'il vaut mieux passer 47 minutes dans des transports en commun fiables et réguliers plutôt qu'une heure trente dans les embouteillages et la pollution.

Pour mener à bien ces projets, il conviendra de coordonner les travaux, et de vérifier les niveaux de coût et le calendrier. C'est la condition de la conduite opérationnelle du projet, mais aussi de l'atteinte de notre objectif : le report modal.

Par conséquent, monsieur Gillé, je n'ai pas de réponse à votre question sur la manière d'organiser cette coopération locale, même si nous comptons bien y participer. Les avancées que l'on constate autour de Bordeaux reposent sur la construction de structures de coopération, institutionnalisées au niveau de la région Nouvelle-Aquitaine, ainsi que sur une association des territoires. Il reste des projets à mener, par exemple pour une meilleure liaison entre Bordeaux et le Médoc : il faut les appréhender localement, au cas par cas, mais l'expertise diverse de la Société des grands projets permettra d'asseoir les accords politiques sur du concret. Pour la suppression progressive des passages à niveau, nos rapports d'avancement périodique permettront d'identifier des zones critiques, d'identifier les travaux à mener en priorité : notre expertise technique permet de solidifier les accords politiques locaux indispensables à la conduite des projets.

Quant aux questions juridiques que vous soulevez, non, nous n'allons pas exercer dans un cadre concurrentiel, nous ne répondrons pas à des appels d'offres. Nous sommes un opérateur public national qui apportera son expertise dans le cadre de ces projets. Des acteurs privés, de grands bureaux d'étude notamment, ont pu craindre que nous prenions leur place. Non ! Nous travaillons avec eux, mais nous ne sommes pas dans le même champ. Nous assurons la maîtrise d'ouvrage technique, opérationnelle, de projets sous l'autorité des donneurs d'ordre locaux.

Une convention stratégique globale avec la SNCF doit effectivement être envisagée, nous en avons parlé avec Jean-Pierre Farandou. Cela peut avoir une valeur opérationnelle et symbolique. Dès la loi promulguée, on pourra poursuivre et conclure ce chantier.

Monsieur Mandelli, merci de m'avoir interrogé sur le développement durable. Il nous faut utiliser l'expérience que nous accumulons grâce au Grand Paris Express. Nous avons décidé il y a deux ans d'accélérer notre effort en matière de qualité environnementale des travaux. L'objectif des projets - report modal, densification urbaine - est durable, mais il faut aussi que les travaux soient de grande qualité environnementale. Nous travaillons actuellement avec la SNCF et d'autres acteurs du transport sur un accélérateur environnemental, au travers d'une combinaison des expertises. Nous souhaitons y apporter ce que nous savons faire : ainsi, l'ampleur du Grand Paris Express permet de faire la démonstration de la validité de telle ou telle solution technique, comme le béton bas-carbone sur des voussoirs, solution que nous avons développée et qui pourra se révéler utile pour l'empreinte carbone de projets en France comme à l'étranger. Les rails bas-carbone, l'utilisation circulaire des déblais, pour la fabrication du béton, ou l'emploi de briques en terre crue, sont d'autres compétences que nous mettons en oeuvre et dont nous pouvons faire profiter les territoires, tout en captant le bouillonnement d'innovation technologique que nous observons partout dans notre pays.

M. Olivier Jacquin. - Je suis un « fan » du modèle économique de la Société du Grand Paris, sa réussite dans le contexte parisien est claire, mais je m'interroge sur sa réplicabilité ailleurs en France. En effet, d'après le rapport de SNCF Réseau sur la dynamisation des étoiles ferroviaires, seules certaines métropoles peuvent améliorer fortement leurs mobilités sur la base du réseau ferroviaire ; les autres devront avoir recours au transport routier, où votre expertise est encore limitée. En outre, le modèle économique parisien est très spécifique. Quels leviers actionner en province pour qu'un modèle d'endettement soit viable, comment capter la valeur foncière engendrée par les projets ?

M. Franck Dhersin. - La proposition de loi que nous allons examiner est parfaite pour établir les fondations de la Société des grands projets, mais le diable se niche dans les détails, et chaque Serm sera particulier. Celui que nous développons dans les Hauts-de-France est déjà très avancé, 1 250 trains express régionaux (TER) roulent déjà chaque jour sur nos lignes, en plus de centaines de TGV et de trains de fret, complexifiant profondément le projet, dont le coût est déjà estimé à 7,5 milliards d'euros. Une réunion s'est encore tenue lundi avec le préfet, Xavier Bertrand et les présidents des grandes intercommunalités et des conseils départementaux concernés. La concertation fera la réussite de ces projets !

Comme Olivier Jacquin, je m'interroge sur le modèle économique : un mètre carré de construction nouvelle n'a pas la même valeur à Paris, dans le bassin minier ou à Lille. Comme Xavier Bertrand, je suis sceptique quant à la création d'un nouvel impôt local. Alors, y aura-t-il des sociétés de grands projets distinctes dans chaque région, pour chaque projet ?

M. Jean-François Monteils. - Il n'y a pas de réplicabilité du modèle économique et elle n'est pas nécessaire. Chaque projet sera différent : certains Serm seront essentiellement ferroviaires, d'autres non. Nous construisons aujourd'hui quelque chose de très spécifique, un métro automatique de 200 kilomètres ; ce que nous serons amenés à faire très rapidement en province est très différent.

Cela étant dit, nous ne faisons pas que cela. Ainsi, nous avons récemment travaillé avec le président du conseil départemental de l'Essonne, M. François Durovray, auteur d'un rapport sur les cars express et membre de notre conseil de surveillance. Nous travaillons ensemble sur la possibilité de brancher un réseau francilien de cars express sur les gares du Grand Paris Express. Cela a été partiellement anticipé, mais cela pourra l'être mieux dans d'autres projets. Le car express est souvent une solution moins coûteuse et mieux adaptée pour les déplacements ne passant pas par le centre de la métropole. Plus largement, nous travaillons avec les autorités organisatrices, les collectivités et les opérateurs de transport sur les pôles d'échanges multimodaux, dans des comités de pôle. Nous accumulons de l'expérience dans le projet d'extrême ampleur qu'est le Grand Paris Express, nous constatons aussi des erreurs qu'il faudra éviter à l'avenir. La réflexion doit d'emblée être multimodale, elle ne peut passer seulement par le renforcement ou la création d'une infrastructure ferroviaire lourde et chère.

Pour ce qui concerne la captation de la valeur foncière, la logique intellectuelle d'un financement par emprunt consiste à essayer de capter la valeur créée par l'équipement financé par emprunt, de manière à rembourser celui-ci. La valeur ajoutée foncière sera donc le premier objet d'attention pour les décideurs. Plusieurs moyens existent pour la capter : la fiscalité, même si cela peut poser des difficultés, ou des dispositifs d'appropriation foncière ou de portage et revente. Il faudra réfléchir aux meilleurs systèmes, sans en écarter d'emblée.

Monsieur Dhersin, le projet lillois est très complexe, il faudra beaucoup d'énergie et de coordination, mais l'objectif est clair : doubler la part du transport public dans la région. Tout ce qui y concourt sera utile. Quant au modèle économique, si le projet est bon, cohérent et porté politiquement, ce sera beaucoup plus facile de trouver ce modèle. On a bien trouvé des financements pour les sociétés de projet dédiées au prolongement des lignes à grande vitesse. La qualité du projet est essentielle ; le modèle économique vient ensuite.

Enfin, nous sommes persuadés de la nécessité de structures locales pour les projets, d'abord pour établir la clarté des financements, qui doivent rester séparés : on ne financera pas le projet lillois avec le même argent que le Grand Paris Express ou que les projets bordelais ou toulousain. Cela passe forcément par une structuration locale, qui est également indispensable pour une gouvernance locale et responsable.

M. Jean-François Longeot, président. - Merci de la qualité de vos réponses et de l'ambition dont vous faites montre.

Audition de M. Matthieu Chabanel,
président-directeur général de SNCF Réseau
(Mercredi 11 octobre 2023)

M. Jean-François Longeot, président. - Mes chers collègues, nous poursuivons notre matinée consacrée à la préparation de l'examen de la proposition de loi relative aux services express régionaux métropolitains (Serm), qui est inscrite à l'ordre du jour de nos travaux en séance publique du lundi 23 octobre prochain. Après l'audition du président du directoire de la Société du Grand Paris, nous avons le plaisir d'accueillir M. Matthieu Chabanel, président-directeur général de SNCF Réseau.

SNCF Réseau, en tant que gestionnaire du réseau ferré national, jouera sans aucun doute un rôle fondamental dans la conception et la réalisation des projets de Serm. Elle a toujours été attentive à cette question depuis plusieurs années. Le rapport annexé à la loi du 24 2décembre 019 d'orientation des mobilités (LOM) a en effet confié à SNCF Réseau le soin de présenter au Gouvernement un plan d'ensemble sur la désaturation des grands noeuds ferroviaires. Aussi, le gestionnaire d'infrastructures a publié au mois d'octobre 2020 un schéma directeur des étoiles ferroviaires et services express métropolitains, qui a mis en avant le fort potentiel de développement des Serm et souligné la nécessité d'investissements massifs pour réaliser ces projets.

Les projets consisteront, pour une part non négligeable, en des aménagements significatifs de modernisation et d'amélioration des capacités d'ouvrages ferroviaires existants. Or, en France, ce réseau est vieillissant. Les petites lignes du quotidien ont en particulier été délaissées pendant de nombreuses années et exigent d'être rénovées, et pas seulement dans le cadre des Serm.

SNCF Réseau assurera la maîtrise d'ouvrage de ces travaux sur les lignes existantes dans le cadre des Serm et pourra, bien entendu, assurer également celle de nouvelles infrastructures.

Monsieur le président-directeur général, dans ce contexte difficile, comment comptez-vous relever le défi de cette nouvelle impulsion en faveur des transports ferroviaires du quotidien dans notre pays ? SNCF Réseau a-t-elle les moyens de mener à bien tant de projets simultanés et de répondre à ce véritable « mur d'investissement  » ?

Par ailleurs, notre échange avec M. Monteils vient de nous montrer combien le nouveau rôle dévolu à la future Société des grands projets (SGP), qui pourra notamment être maître d'ouvrage de projets de Serm pour la réalisation de nouvelles infrastructures ferroviaires, était novateur.

Cette situation inédite peut susciter des interrogations. Comment SNCF Réseau compte-t-elle gérer cette situation nouvelle de coexistence avec la SGP sur la maîtrise d'ouvrage d'infrastructures destinées à être intégrées au réseau ferré national ?

M. Matthieu Chabanel, président-directeur général de SNCF Réseau. - Je suis très heureux d'être présent parmi vous pour vous présenter les orientations de SNCF Réseau relatives aux services express régionaux métropolitains. Nous avons la conviction que les Serm sont une réponse adaptée à de nombreux besoins : décarbonation des transports, lutte contre la congestion dans les aires métropolitaines, lien social entre les territoires périurbains et le coeur des métropoles... Dans ces zones situées entre 30 et 80 kilomètres du centre des métropoles, le train est un moyen de lien accessible, ouvert et efficace.

SNCF Réseau est engagé depuis longtemps dans les projets de « services express régionaux métropolitains  » - cette appellation, consacrée par la proposition de loi me semble pertinente. En réponse aux demandes formulées dans la LOM, cette entreprise a remis un rapport posant les principes qui conduisent aujourd'hui au développement de ces services.

L'enjeu premier est bien d'offrir le meilleur service à nos concitoyens et de partir de l'offre de transport et du besoin d'offre de transport défini par les collectivités régionales et métropolitaines. Il s'agit donc d'abord davantage de services que d'infrastructures. Pour cela, il faut s'appuyer sur une gamme de solutions, allant de l'augmentation du service ferroviaire sur le réseau existant - des trains plus nombreux et plus fréquents - à la création d'infrastructures nouvelles si nécessaire. Il y a d'ores et déjà souvent la possibilité d'augmenter la fréquence et l'amplitude horaire des trains pour répondre aux besoins des usagers - se rendre au coeur de la métropole pour faire ses courses le samedi en train plutôt qu'en voiture, par exemple - et satisfaire leur appétence pour ce mode de transport.

Second enjeu, le service express régional métropolitain est par nature multimodal : cars express, transports urbains, mobilités douces ou actives doivent trouver toute leur place. Il n'y a pas d'exclusivité du ferroviaire. Le ferroviaire est sans doute une colonne vertébrale et c'est d'ailleurs pour cela qu'il se trouve au coeur de cette proposition de loi, il peut structurer ces déplacements, mais il faut développer d'autres réponses. Il y a des axes où il n'y a pas de réseaux ferroviaires et où des services de cars peuvent - au moins dans un premier temps - répondre à la demande. Je précise que SNCF Réseau ne se positionne pas pour s'occuper des services de cars !

Vous l'aurez compris, mesdames, messieurs les sénateurs, notre enjeu, c'est d'abord un enjeu de service, ce qui pose d'emblée la question de la qualité du service rendu. C'est la raison pour laquelle, dès la conception des services express régionaux métropolitains, il faut penser à la façon dont ils seront exploités, de manière à offrir la qualité de service attendue. En effet, un Serm qui ne répondrait pas aux attentes ou qui dysfonctionnerait au démarrage pourrait nuire à l'ambition des collectivités régionales et métropolitaines. Il faut donc penser les questions d'exploitation très en amont, dès la définition des Serm. À ce titre, la proposition de loi pose la base de saines pratiques.

En matière de qualité d'exploitation, SNCF Réseau jouera tout son rôle, à la fois comme acteur et comme garant de la pleine effectivité du service envisagé. Il nous faudra savoir dire que les infrastructures existantes ne permettent pas de mettre en place des trains supplémentaires, sauf à dégrader la qualité de service. Cela relève de notre responsabilité, tant de SNCF Réseau que de SNCF Gares & Connexions.

La grande nouveauté introduite par la proposition de loi, au-delà de ce travail essentiel de définition et de mise en place d'un cadre de coopération, c'est l'intervention de la Société du Grand Paris, demain Société des grands projets, aux côtés d'autres acteurs qui interviennent dans l'ensemble des problématiques relatives aux services express régionaux métropolitains.

SNCF Réseau voit d'un très bon oeil cette perspective de collaboration avec un nouvel acteur. En effet, l'ambition est telle que toutes les bonnes volontés et toutes les compétences ne seront pas de trop pour relever ce défi. La SGP détient des compétences en matière de concertation, d'infrastructures neuves, d'ingénierie financière qui sont des compléments très intéressants aux compétences que SNCF Réseau et SNCF Gares & Connexions peuvent apporter.

De ce point de vue, la proposition de loi a une position équilibrée en matière de périmètre d'intervention. En effet, pour ce qui relève de travaux sur le réseau exploité, le fait que SNCF Réseau réalise ces travaux constituent un enjeu de sécurité et de qualité de service. En revanche, pour ce qui concerne la construction d'infrastructures nouvelles, il est tout à fait possible de travailler avec un nouvel acteur. Cela nécessite un travail en amont de définition de ces infrastructures, des modalités de leur maintenance et de leur exploitation. Nous le faisons d'ailleurs déjà en Île-de-France avec la SGP qui construit des infrastructures nouvelles fréquemment reliées aux infrastructures du réseau ferré national, et cela se passe bien. De nombreuses gares d'interconnexion entre le réseau ferré national et le nouveau réseau du Grand Paris Express ont été implantées. Je n'ai pas de doute que nous réussirons à travailler de manière constructive et que nous continuerons à jouer la carte de la complémentarité plutôt que la carte concurrentielle.

L'équilibre retenu dans la proposition de loi nous semble donc bien pensé. Les services express régionaux métropolitains doivent trouver leurs modalités propres de fonctionnement, territoire par territoire. Il s'agit là d'un enjeu essentiel, car ce ne seront ni les mêmes acteurs ni les mêmes problématiques selon les territoires. Il faut conserver dans la proposition de loi la souplesse nécessaire à une définition territoriale des modalités d'organisation de ces services sous l'autorité de ceux qui vont porter le projet, à savoir les autorités organisatrices de la mobilité régionales et métropolitaines et l'État.

Certaines propositions consensuelles avec la SGP pourraient enrichir, ou plutôt préciser la proposition de loi, sans en remettre en cause l'équilibre, notamment à propos de la remise des biens à SNCF Réseau et SNCF Gares & Connexions une fois qu'ils ont été construits, et du rôle de coordination des groupements d'intérêt public, qui pourraient être des structures à directoire et conseil de surveillance.

SNCF Réseau s'inscrit résolument dans cette dynamique de développement du ferroviaire. Nous avons la conviction que les services express régionaux métropolitains sont une bonne méthode et que le travail complémentaire entre les entités du groupe SNCF et la SGP peut être un accélérateur des Serm.

M. Philippe Tabarot, rapporteur. - Mes chers collègues, je sais que vous brûlez de parler au président-directeur général de SNCF Réseau des lignes de desserte fine et des lignes ferroviaires de vos territoires, mais je vous rappelle que notre audition concerne la proposition de loi relative aux services express régionaux métropolitains. Essayons donc de nous concentrer sur ce seul sujet.

SNCF Réseau doit aujourd'hui répondre à de nombreux défis : il lui faut rattraper le retard accumulé dans l'entretien et la modernisation du réseau tout en lançant de nouveaux programmes d'investissements.

L'article 1er de la loi d'orientation des mobilités a fixé de nouveaux objectifs à la stratégie de l'État pour les mobilités, en particulier celui de « renforcer les offres de déplacements du quotidien ». Cela exige notamment, selon ce même article, de résorber « la saturation des grands noeuds ferroviaires afin de doubler la part modale du transport ferroviaire dans les grands pôles urbains ». Le développement des Serm s'inscrit dans la continuité de ces objectifs.

Comme l'a indiqué le président de notre commission, SNCF Réseau a participé, dans son étude de 2020 consacrée aux étoiles ferroviaires et services express métropolitains, à la conception des projets de Serm. Cette étude a montré la très grande ampleur des investissements à réaliser. Or vous devez, pour ainsi dire, courir plusieurs lièvres à la fois. Concomitamment à ces projets de Serm, il vous faut mener de nombreux chantiers de grande envergure. Je pense par exemple au Grand Projet ferroviaire du Sud-Ouest (GPSO). Certains de ces projets ont d'ailleurs vocation à s'inscrire dans les Serm, à l'instar de la ligne nouvelle Provence-Côte d'Azur.

Pouvez-vous préciser quelle est la stratégie de SNCF Réseau pour répondre à cette situation ? Comment vous adaptez-vous à ce changement de paradigme ? Assumez-vous un virage en faveur des mobilités du quotidien, que vous privilégieriez, le cas échéant, aux lignes de grande vitesse ? Quid du fret ferroviaire ?

Le temps industriel en général, et ferroviaire en particulier, est un temps long, mais la demande pour des infrastructures de transport décarbonées de qualité est extrêmement pressante. La présente proposition de loi fixe, en l'état actuel du texte, un objectif très ambitieux de mise en place d'au moins une dizaine de Serm dans un délai de dix ans. Considérez-vous que SNCF Réseau a actuellement les moyens de réaliser cet objectif ? Plus largement, comment rendre cette ambition pleinement réalisable ?

Quels sont, selon vous, les projets de Serm les plus à même d'être mis en place rapidement ? Pouvez-vous, en particulier, revenir sur l'avancée de celui de Nantes, évoqué il y a quelques jours par le ministre chargé des transports dans le cadre de la polémique sur la défaillance dans l'État dans la mise en oeuvre de la modernisation de l'aéroport de Nantes ? Ce sujet intéressera tout particulièrement MM. Retailleau et Mandelli...

Sur ces sujets, vous commencez déjà à bénéficier du recul de l'expérience avec des Serm déjà partiellement fonctionnels. Je pense bien entendu à Strasbourg et Bordeaux, sans oublier le Léman Express. Quelles leçons tirez-vous de ces laboratoires ? À Strasbourg, en particulier, des difficultés - aujourd'hui en voie de résorption - sont apparues lors du démarrage du Serm. Comment comptez-vous éviter de telles déconvenues lors de la mise en place des autres Serm ?

Les Serm ne seront pas les premiers projets où SNCF Réseau travaillera avec un autre intervenant sur le réseau ferré national. C'est notamment le cas de la ligne à grande vitesse (LGV) Tours-Bordeaux, confiée à travers une concession de travaux à Lisea, ou encore des marchés de partenariats conclus pour la LGV Bretagne-Pays de la Loire et pour la ligne de contournement de Nîmes et de Montpellier. Ces projets ont permis à SNCF Réseau d'expérimenter très concrètement des modalités de travail de concert avec d'autres acteurs sur le réseau ferré national et de remise, certes encore lointaine, d'infrastructures de ce réseau à SNCF Réseau. À la lumière de ces précédents, quelle est votre analyse des dispositions de la proposition de loi concernant les relations entre SNCF Réseau et la SGP ? Les conditions d'une bonne entente et d'un partenariat efficace vous semblent-elles posées dans le texte ? Peut-on parler de concurrence ou de complémentarité ?

Mener un choc d'offre par le biais des Serm exige également que le coût soit supportable pour les autorités organisatrices de la mobilité et pour les usagers. À cet égard, la question du niveau des péages ferroviaires est cruciale dans le développement des Serm. Un niveau trop élevé de péage freine les investissements des autorités organisatrices de la mobilité dans la mesure où les futurs coûts de fonctionnement de nombreux projets seront trop élevés au regard de leurs capacités financières. Les auditions que nous avons déjà menées nous l'ont confirmé. Toutefois, et nous en avons ici tous pleinement conscience, les péages ferroviaires sont essentiels pour financer la régénération du réseau. Une mission commune de l'inspection générale des finances et l'inspection générale de l'environnement et du développement durable porte d'ailleurs sur ces questions. Pouvez-vous d'ores et déjà indiquer si des évolutions de la tarification des péages ferroviaires à même de favoriser le développement des Serm sont envisagées actuellement ? Considérez-vous que des mesures spécifiques aux infrastructures ferroviaires des Serm lors de leur exploitation pourraient être envisagées dès aujourd'hui afin de soutenir leur développement ?

M. Matthieu Chabanel. - Dans le plan de charge de SNCF Réseau, la modernisation et la régénération du réseau existant sont la priorité fondamentale. Sinon, il sera difficile d'envisager tout autre développement, que ce soit du fret, de petites lignes, des Serm ou du réseau à grande vitesse. Nous devons accroître nos investissements à cet effet. Après, cela ne nous empêche pas d'investir dans d'autres blocs de développement, notamment au travers des contrats de plan État-régions. Il s'agit notamment de la remise à niveau des lignes de desserte fine du territoire, des Serm et de grands projets, certains s'intégrant au sein des Serm - comme la LNPCA - ou des lignes à grande vitesse, comme entre Bordeaux et Toulouse.

L'enjeu pour nous, comme pour tout autre acteur industriel, est d'avoir de la visibilité. Les CPER, comme le plan fret et les conventions signées sur les grands projets, nous donnent cette visibilité. Pour les Serm, cela doit être exactement pareil. La visibilité nous permettra d'amorcer une montée en puissance des équipements, des recrutements et de passer des marchés, etc. Notre filière industrielle ne peut fonctionner qu'avec cette visibilité, on le voit avec les commandes de matériel roulant. Il nous faut une montée en charge pour être à plein régime à la fin de la décennie 2020. Dans ce cas-là, SNCF Réseau pourra se doter de ressources et la filière se donnera les moyens. Ce temps est d'autant plus nécessaire que le marché de l'emploi est tendu et que nous avons besoin de ressources rares - ingénieurs, techniciens, ouvriers - dans des secteurs très concurrentiels comme celui de l'électricité.

Pour ce qui concerne le fret, l'État nous a aussi fixé des objectifs, qui vont être étoffés dans le cadre des CPER. Dans ce secteur, SNCF Réseau devra se faire le gardien de l'usage collectif du bien commun qu'est le réseau ferroviaire. Cela implique des contraintes d'infrastructures que nous devons prendre en compte pour concilier le développement du fret, qui doit passer par des noeuds ferroviaires proches des métropoles, avec celui des Serm. Nous devrons sans doute envisager de construire de nouvelles infrastructures, comme le contournement ferroviaire de l'agglomération lyonnaise. Il nous faudra assumer auprès des autorités organisatrices de la mobilité qu'il sera nécessaire de garder de la capacité pour les trains de fret.

Nous sommes face à deux horizons de temps. Il y a d'abord les exigences du service, comme l'ajout de trains, ce qui peut se faire assez vite. Employer davantage les trains en service et en faire circuler de nouveau sur le réseau ne nécessite pas d'infrastructures nouvelles et peut être fait en un temps relativement court. Certaines infrastructures peuvent être réalisées rapidement, grâce à des politiques de mise en oeuvre progressive, comme à Bordeaux, où le Serm est déployé par étapes. Ensuite, il y a également de grandes infrastructures, qui prennent beaucoup plus de temps, mais qui changeront la vie des usagers.

À Nantes, nous travaillons de concert avec la métropole et la région à définir un plan de déploiement du Serm. Ces collectivités ont mené un travail très abouti pour exprimer leur vision commune du Serm de Nantes, dans l'esprit de ce qui est prévu dans la proposition de loi.

À Strasbourg, l'infrastructure a été un succès. Nous avons construit la quatrième voie dans les temps, avec un coût inférieur à celui qui avait été prévu dans la contractualisation. Les difficultés rencontrées montrent que nous aurions dû mieux anticiper les problématiques d'exploitation. L'intensification des circulations nous a fait passer à une autre échelle, ce qui nous expose à des effets en cascade à la moindre difficulté rencontrée. C'est toutefois un type d'exploitation qui fonctionne en Île-de-France, et il n'y a aucune raison que nous ne puissions pas dupliquer cette situation. La mise en service du Léman Express en décembre dernier n'a pas rencontré les mêmes difficultés, car nous avons mieux anticipé la complexité de la situation.

Ces situations montrent la nécessité d'un travail commun d'anticipation impliquant le gestionnaire d'infrastructure, les opérateurs et l'autorité organisatrice.

Il importe aussi d'anticiper les coûts de fonctionnement des Serm, qui ne sont pas constitués que par les péages : il faut plus de matériel roulant - qui est d'ailleurs sollicité plus intensément, plus de personnel et plus d'énergie.

Sur les péages, vous l'avez dit, une inspection commune de l'IGF et de l'IGE est en cours. Elle pourra proposer une reconstruction éventuelle de l'équilibre entre nos coûts et nos ressources, qui sont uniquement composées de péages et de subventions. Nous ne pouvons plus recourir à la dette.

Nous visons une structuration de la tarification composée d'une part de forfait et de circulations au-delà de ce forfait à des prix beaucoup plus bas. Cela incite à développer le trafic. C'est notamment le cas sur les lignes de desserte fine du territoire. Sur les services librement organisés, il y a des modulations horaires qui permettent d'avoir un trafic moins cher en heures creuses. Néanmoins, il est vrai que le niveau de la tarification des péages peut être considéré comme élevé en France aussi bien pour les lignes à grande vitesse que pour les lignes du quotidien.

J'en viens à la question du réseau ferré national. En effet, nous avons déjà construit des LGV dans le cadre de partenariats avec d'autres acteurs. Dans une telle hypothèse, il convient de porter une attention particulière aux conventions d'interface, afin de bien définir comment on construit, qui prend en charge les raccordements, comment se font les branchements, mais aussi de prévoir les conditions de restitution de l'infrastructure et son interopérabilité avec le reste du réseau ferré national.

Entre 2010 et 2017, nous avons construit quatre LGV selon trois modes différents de réalisation ; les quatre ont été livrées, fonctionnent et donnent satisfaction, tant celle qui a été construite en maîtrise d'ouvrage publique que les trois qui ont été construites en partenariat avec le secteur privé, une via une concession et deux dans le cadre d'un contrat de partenariat.

M. Olivier Jacquin. - Et le coût de ces lignes ?

M. Matthieu Chabanel. - L'ingénierie financière de la construction est un sujet différent, mais, pour ce qui concerne tant l'exploitation et la qualité de la construction des infrastructures que la livraison dans les délais et le respect des coûts prévus, le succès a été au rendez-vous pour ces quatre lignes.

M. Jacques Fernique. - À Strasbourg, le réseau express métropolitain européen a massivement augmenté l'offre ferroviaire, avec des centaines de trains supplémentaires, en tirant le meilleur parti de la dorsale ferroviaire alsacienne, avec notamment la construction d'un tronçon en quatrième voie. En 2000, mon dernier train de Paris était à dix-neuf heures vingt - en général, je le ratais - et aujourd'hui il est à vingt-deux heures trente-sept, sans compter tous les départs entre ces deux horaires.

Le choc d'offre réalisé n'a toutefois pas été tout à fait celui qui était visé. Sa mise en place a été quelque peu chaotique et le résultat n'est pas à la hauteur des espérances ni des engagements de la SNCF. Il faut savoir reconnaître ce que l'on ne peut pas faire, le projet n'a pas été mené correctement dans ce cas d'espèce et de nombreux « boutons de guêtre » ont sauté. La cascade des retards et des annulations a ainsi figé l'opinion des usagers, acquis ou potentiels, les a mécontentés, voire découragés, et, malgré certaines améliorations, de nombreux problèmes subsistent. C'est par exemple le cas sur la ligne Strasbourg-Épinal, qui a certes été rétablie, mais qu'il faut régénérer et moderniser au-delà de Molsheim. Paradoxalement, depuis le mois d'août, ce n'est plus un train, mais un car qui circule entre Mulhouse et Müllheim. C'est un contrecoup des difficultés du réseau express métropolitain.

En outre, nous avons encore devant nous des investissements massifs à réaliser sur la ligne vers le nord Strasbourg-Lauterbourg, qui est très dégradée. Cette situation est très mal vécue par une partie de l'agglomération strasbourgeoise, qui constate des améliorations de desserte partout sauf pour elle.

Il s'agit surtout du réseau existant, sur lequel SNCF Réseau sera donc appelée à intervenir, quoique la région Grand Est envisage de faire également appel à la SGP. Le Comité d'orientation des infrastructures (COI) estime que l'achèvement du Serm de Strasbourg coûterait quelque 500 millions d'euros, chiffre d'autant plus impressionnant qu'il n'y a pas de trajectoire financière visible. La proposition de loi que nous allons examiner encadre les Serm. Les dispositions qu'elle prévoit ou celles que l'on peut y ajouter auraient-elles été utiles pour réussir le REM strasbourgeois ? Comment rattraper ce mauvais départ et éviter de reproduire de nouvelles déconvenues et faire en sorte que les Serm qui suivront seront perçus positivement par les citoyens ?

M. Jean-François Longeot, président. - Je vous prie, mes chers collègues, de vous en tenir au thème de cette audition, la proposition de loi relative aux Serm.

M. Olivier Jacquin. - Le nouveau pacte ferroviaire empêche SNCF Réseau de faire du développement ferroviaire, c'est pourquoi notre commission a unanimement condamné le contrat de performance, qui entraînera la dégradation du réseau ferroviaire existant - comme l'a souligné l'ART. Nous n'avons pas obtenu satisfaction sur ce point. Par ailleurs, SNCF Réseau est empêché d'investir, en raison de la « règle d'or ». Plutôt que de faire intervenir un nouvel opérateur, ne faudrait-il pas vous redonner des marges de manoeuvre financière ?

Ma seconde question porte sur la pénurie de personnel spécialisé. Le personnel de SNCF Réseau ne relève plus du statut, et la Société du Grand Paris a une structure légère, organisée en mode projet. Dans ce contexte, comment fidéliser vos compétences les plus pointues ?

Mme Denise Saint-Pé. - Mon cher collègue rapporteur, l'ensemble des départements font la France, donc je ne m'empêcherai pas d'évoquer mon territoire...

Vous avez indiqué, Monsieur le Président-directeur général, que votre objectif était la régénération et la modernisation du réseau existant. Or les caténaires de la ligne historique pyrénéenne remontent souvent à 1920. Ainsi, il ne se passe pas une semaine sans que des trains soient à l'arrêt, ce qui pénalise les usagers. Cette situation est intolérable. En êtes-vous conscient ? Que faites-vous pour remédier à cette situation ? Où en êtes-vous de la modernisation de cette ligne ?

Une solution réside dans le désenclavement du bassin Chalosse-Béarn-Bigorre via le RER pyrénéen, mais un tel projet ne fait pas partie des dossiers prioritaires pour le COI. Comment faire avancer cette initiative pour l'inscrire dans la dynamique des Serm ?

M. Jean-François Longeot, président. - Mes chers collègues, nous aurons d'autres occasions d'interroger la SNCF sur nos territoires respectifs. Concentrons-nous aujourd'hui sur la présente proposition de loi et sur les Serm !

M. Franck Dhersin. - La proposition de loi prévoit la possibilité de confier à la SGP la responsabilité de la construction de gares qu'elle n'exploitera pas. Comment percevez-vous cette proposition ? Les travaux liés aux Serm sont tels que, eu égard à votre manque de moyens, l'aide de la SGP est plutôt bienvenue. Les chantiers ne sauraient aboutir sans une concertation étroite entre celle-ci et SNCF Réseau, dont les collaborateurs savent faire fonctionner le réseau, qu'ils connaissent parfaitement.

M. Matthieu Chabanel. - Monsieur Fernique, le cadre proposé dans cette proposition de loi - la contractualisation de l'offre de service, le suivi précis et dans la durée de l'offre de services souhaitée du lancement du chantier à la livraison - peut paraître pesant, mais, selon moi, il est très bénéfique. En effet, le mode ferroviaire est par nature très réglé et toute variation peut entraîner des conséquences que l'on ne maîtrise pas toujours. Un tel cadre est donc de nature à nous aider à éviter les situations comme celles de Strasbourg. En effet, je vous rejoins, quand on rencontre de telles difficultés, même quand la situation s'est rétablie, ce qui est le cas aujourd'hui, la perception de dégradation met toujours beaucoup de temps à se corriger. Il est donc impérieux de réussir dès le départ.

On le voit avec l'exemple que vous donnez, on ne pourra construire des Serm efficaces, donc augmenter l'offre, que si l'on a régénéré et modernisé le réseau existant. La région Grand Est se retrouvera d'ailleurs dans une situation particulière puisqu'elle a choisi de demander, sur le fondement de l'article 172 de la LOM, le transfert de la gestion d'un certain nombre de lignes. Elle sera donc pleinement responsable de leur régénération et de leur modernisation. Cela dit, de manière générale, il est primordial de mettre en perspective les travaux de régénération avec les travaux de développement de l'offre.

Monsieur Jacquin, pour ma part, je ne regrette pas que l'on ait mis fin à la capacité de SNCF Réseau à s'endetter. Au moins, cela permet de poser d'emblée les sujets sur la table. La capacité d'endettement de SNCF Réseau était au contraire un moyen de ne pas traiter les sujets, ce qui contraignait à les traiter dans la douleur, vingt ou vingt-cinq ans plus tard. La reprise de notre dette de 35 milliards d'euros par l'État nous a remis à flot et nous redonne des perspectives. Rétablir la capacité de SNCF Réseau à s'endetter, pour sortir de l'alternative entre subvention publique et péage, constituerait une échappatoire qui serait considérée, d'ici quelques années, comme une solution de facilité. Cela ne signifie pas pour autant qu'il ne faille pas étudier l'ingénierie financière, les modalités de financement ; d'ailleurs, la Société du Grand Paris - demain la Société des grands projets - peut fournir l'ingénierie financière. Par conséquent, du point de vue de SNCF Réseau, dont le coeur de métier est de faire rouler chaque jour 15 000 trains en toute sécurité, le fait de ne pas être une entreprise durablement endettée est très bénéfique.

Les ressources humaines sont en effet essentielles pour mener à bien ces projets. L'inflexion donnée par SNCF Réseau à sa politique de recrutement lui a permis de sortir de la crise qu'elle a connue après la crise sanitaire. En 2021, la situation en matière de recrutement était extrêmement tendue, de sorte que l'on ne réussissait pas à couvrir les postes ouverts. À la fin du mois de juin dernier, le taux de recrutement dépassait de 80 % celui qui était enregistré à la même époque, l'année précédente. Ainsi, grâce à une accélération des procédures de recrutement et à une analyse fine des attentes du marché, la situation est désormais plus favorable que par le passé. Toutefois, il reste à former et à fidéliser les personnes recrutées.

Plus généralement, l'orientation des jeunes - hommes et femmes - vers des filières techniques dans les métiers d'opérateurs, de techniciens ou d'ingénieurs reste un défi pour toute la société, de sorte que nous essayons de les sensibiliser dès le collège. En effet, les métiers de la transition énergétique et du transport nécessiteront de plus en plus des personnes qui auront fait des études techniques.

La caténaire Midi devra être changée. Cela renvoie au besoin de régénération et de modernisation, qui correspond à la priorité définie par la Première ministre dans ses annonces du mois de février dernier. Nous n'avons pas délaissé la ligne pyrénéenne, mais il reste à faire ce changement pour pouvoir développer encore le service.

Pour ce qui concerne le développement d'un Serm dans le bassin Chalosse-Béarn-Bigorre, la proposition de loi fixera un cadre de coopération entre les régions et les agglomérations pour faire des propositions ensuite soumises à l'État. Les acteurs locaux et nationaux pourront ensuite tirer parti des possibilités qui leur sont offertes.

Quant à la coopération avec la Société du Grand Paris, je n'ai pas peur de dire que SNCF Réseau sait faire des lignes nouvelles ainsi que des gares nouvelles de qualité, avec SNCF Gares & Connexions. Celle que nous avons construite sous le Cnit à la Défense, sans en avoir arrêté l'exploitation, et qui sera en service au printemps 2024, est un exploit technique reconnu à sa juste valeur.

Toutefois, dans les domaines techniques, il est toujours intéressant de se confronter à des points de vue différents. L'apport de la Société du Grand Paris sur un certain nombre de projets ne peut que contribuer à faire progresser le système. Les capacités d'ingénierie seront d'autant plus grandes et le panorama de solutions possibles élargi. Une complémentarité est possible.

En revanche, il faut éviter que les règles du jeu ne soient pas claires, comme cela a pu être le cas, à une certaine époque, entre Réseau ferré de France (RFF) et la SNCF, qui voulaient chacun empiéter sur le périmètre de l'autre. Toutefois, je ne crois pas que cela soit le cas avec la Société du Grand Paris.

Les règles posées dans la proposition de loi devraient nous permettre d'éviter toute dérive de concurrence entre deux entités publiques et favoriser plutôt leur coopération et leur complémentarité. Cela passera aussi par les hommes et les femmes sur le terrain. Je ne doute pas que les autorités organisatrices régionales et métropolitaines seront attentives à cet enjeu de coopération. Notre intérêt est de développer le ferroviaire et il faut pour cela satisfaire les attentes des autorités organisatrices.

M. Jean-François Longeot, président. - Je vous remercie des éclairages que vous nous avez donnés.

Examen en commission
(Mercredi 18 octobre 2023)

Le compte rendu de cette réunion sera disponible en ligne sur le site internet du Sénat.

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