2. Une proposition de loi qui concrétise des réflexions déjà engagées
L'article unique de la présente proposition de loi tend donc à procéder à la codification, au sein du code civil, du régime de responsabilité pour troubles anormaux de voisinage.
2.1. Une codification du régime de responsabilité pour troubles anormaux de voisinage plusieurs fois envisagée, au prisme des activités agricoles
Envisagée pour l'heure comme un régime de responsabilité autonome, la responsabilité extracontractuelle pour troubles anormaux de voisinage a vu son inscription au sein du code civil régulièrement évoquée
1 Alors article L. 112-16 du même code.
2 Qui découle de l'article 4 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen.
3 Conseil d'Etat, 6ème et 5ème chambres réunies, 22 septembre 2022, n° 436939.
par les divers projets de réforme de la responsabilité civile formulés sur les vingt dernières années. Ainsi les avant-projets des groupes de travail dirigés respectivement par le professeur Pierre Catala en 2005, par le professeur Hugues Périnet-Marquet en 2008-2009 et le professeur François Terré en 2011 comme le projet présenté en mars 2017 par le garde des sceaux Jean-Jacques Urvoas comportaient-ils tous, sous des rédactions différentes, la codification du principe de responsabilité civile pour troubles anormaux de voisinage.
Certaines initiatives parlementaires en la matière ont logiquement repris dans son principe une telle codification, à l'exemple de la proposition de loi portant réforme de la responsabilité civile déposée par Philippe Bas, Jacques Bigot, André Reichardt et plusieurs de leurs collègues en 2020 1 et de la proposition de loi déposée par Laurent Béteille dix ans auparavant sur le même sujet 2.
D'autres initiatives parlementaires ont néanmoins été marquées par la volonté d'apporter une réponse aux difficultés rencontrées par des exploitants agricoles en la matière 3. Issues de différents groupes politiques, ces initiatives ont pour point commun de prévoir un régime d'exonération plus souple pour les activités agricoles, soit qu'elles modifient l'article
L. 113-8 du code de la construction et de l'habitation 4, soit qu'elles
1 Proposition de loi n° 678 (2019-2020) portant réforme de la responsabilité civile de Philippe Bas, Jacques Bigot, André Reichardt et plusieurs de leurs collègues, déposée au Sénat le 29 juillet 2020.
2 Proposition de loi n° 657 (2009-2010) portant réforme de la responsabilité civile de Laurent Béteille, déposée au Sénat le 9 juillet 2010.
3 L'un des cas les plus médiatisés est celui de l'exploitation de l'éleveur de bovins de Saint-Aubin-en- Bray, Vincent Verschuere, dont le pourvoi en cassation contre un jugement d'appel confirmant la condamnation en première instance au paiement de 106 000 euros de dommages et intérêts pour troubles anormaux de voisinage, a été rejeté par la troisième chambre civile de la Cour de cassation le 7 décembre 2023.
4 La proposition de loi de Pierre Louault, adoptée au Sénat le 8 décembre 2021, prévoyait ainsi un régime ad hoc d'exonération pour les activités agricoles : le critère de la poursuite de l'activité
« dans les mêmes conditions » serait ainsi assoupli pour ces seules activités pour prévoir qu'elles peuvent bénéficier de l'exonération dès lors qu'elles se sont poursuivies « sans changer de nature », reprenant ainsi une piste de réflexion évoquée par le Conseil d'Etat dans son avis sur la proposition de loi relative au patrimoine sensoriel. Par ailleurs, comme le rappelle le rapport de Nicole Le Peih, rapporteure de la présente proposition de loi à l'Assemblée nationale, « le député André Chassaigne et plusieurs de ses collègues du groupe Gauche démocrate et républicaine (GDR) ont déposé le 8 février 2022 une proposition de loi visant à réduire les actions en justice pour des troubles du voisinage. L'article 1er de cette proposition de loi élargit le champ de l'exonération de responsabilité prévue à l'article L. 113-8 du CCH en incluant les activités liées à l'environnement proche du bien loué, acquis ou construit. L'article 2 de la proposition de loi prévoit l'obligation pour tout acquéreur d'un bien de s'informer sur le proche environnement du dit bien. »
l'inscrivent dans un régime de responsabilité de portée générale inscrit dans le code civil 1.
Enfin, bien qu'envisageant initialement une disposition prévoyant que les nuisances sonores ou olfactives relevant d'un classement au titre du patrimoine sensoriel ne sauraient être considérées comme des troubles anormaux du voisinage, la loi n° 2021-85 du 29 janvier 2021 visant à définir et protéger le patrimoine sensoriel des campagnes françaises s'était bornée en la matière, à la suite d'un avis du Conseil d'État remettant en cause la pertinence d'une telle disposition, à la demande d'un rapport du Gouvernement « examinant la possibilité d'introduire dans le code civil le principe de la responsabilité de celui qui cause à autrui un trouble anormal de voisinage » 2.
2.2. Une proposition de loi consolidée lors de son examen à l'Assemblée
nationale
La présente proposition de loi s'inscrit donc dans la lignée de ces différents textes.
Dans sa rédaction initiale, elle prévoyait la codification :
- du principe d'une responsabilité extracontractuelle sans faute - cette responsabilité étant engagée « de plein droit » - pour troubles anormaux de voisinage ;
- l'exception d'antériorité, applicable à toute activité, « quelle qu'en soit la nature », dès lors qu'elle préexistait à l'installation du demandeur sur son fonds, qu'elle s'est poursuivie dans les mêmes conditions et qu'elle est conforme à la législation en vigueur.
L'examen en commission a été l'occasion pour la commission des lois de l'Assemblée nationale d'adopter un unique amendement de la rapporteure tendant à préciser que la notion d'installation sur le fonds s'applique au demandeur - la « personne lésée » - et non le défendeur 3.
1 Le député Jean-Louis Thériot a ainsi déposé une proposition de loi le 21 mars 2023 tendant à codifier le régime de responsabilité pour troubles anormaux de voisinage tout en exonérant les activités professionnelles, agricoles, artisanales, et culturelles de toute responsabilité en cas de trouble anormal de voisinage sous réserve que celles-ci « procèdent de pratiques locales régulières et suffisamment durables ». Le député Victor Habert-Dassault a par ailleurs déposé une proposition de loi tendant à codifier dans le code civil le régime de responsabilité pour troubles anormaux de voisinage et à en élargir l'exonération dès lors que l'activité en cause, quelle qu'en soit la nature, s'étant poursuivies « sans modification substantielle », et non dans « les mêmes conditions ».
2 Article 3 de la loi n° 2021-85 du 29 janvier 2021 visant à définir et protéger le patrimoine sensoriel des campagnes françaises.
3 Amendement CL10 de Nicole Le Peih, rapporteure.
L'examen en séance publique a permis, outre l'adoption d'un amendement de portée rédactionnelle 1, de consolider la rédaction retenue, en prévoyant :
- que peut être tenu pour responsable du dommage causé par un trouble anormal de voisinage le « bénéficiaire d'un titre ayant pour objet principal de l'autoriser à occuper ou à exploiter un fonds » 2 ;
- l'assouplissement formel du critère de poursuite dans les mêmes conditions de l'activité en cause, pour lui ajouter le critère alternatif d'une poursuite de cette activité « dans des conditions nouvelles qui ne sont pas à l'origine de l'aggravation du trouble anormal » 3 ;
- la suppression de l'article L. 113-8 du code de la construction et de l'habitation, dont le maintien aurait conduit à la coexistence de deux régimes, l'un applicable en matière de construction et d'habitation et l'autre applicable de façon générale car inscrit le code civil.