EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 3 avril 2024, sous la présidence de M. Philippe Mouiller, président, la commission examine le rapport de Mme Marion Canalès, rapporteure, sur la proposition de loi (n° 360, 2023-2024) d'abrogation de la réforme des retraites portant l'âge légal de départ à 64 ans.

M. Philippe Mouiller, président. - Notre ordre du jour appelle à présent l'examen du rapport et du texte de la commission sur la proposition de loi d'abrogation de la réforme des retraites portant l'âge légal de départ à 64 ans, déposée par notre collègue Monique Lubin. Ce texte sera examiné en séance mercredi 10 avril.

Je donne la parole à notre rapporteure, Marion Canalès, que je salue à l'occasion de la présentation de son premier rapport fait au nom de notre commission.

Mme Marion Canalès, rapporteure. - Je n'étais pas encore parlementaire lorsqu'il y a un an la réforme des retraites était définitivement adoptée par l'Assemblée nationale, au terme d'une procédure inédite caractérisée par le choix délibéré du Gouvernement d'activer tous les leviers pour tronquer le débat parlementaire.

Un an après, il me revient de vous présenter la proposition de loi d'abrogation de la réforme des retraites, déposée par notre collègue Monique Lubin - dont je tiens à saluer ici la constance et l'engagement - et inscrite à l'ordre du jour du Sénat sur la demande du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain (SER).

Nous sommes toutes et tous face à un paradoxe. Notre pays, ruiné au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, avait relevé, avec le Conseil national de la Résistance, le défi de jeter les bases d'un système de retraite par répartition. L'année dernière, alors que la France n'a jamais été aussi riche, le Gouvernement a pourtant décidé quasi unilatéralement de le faire régresser.

Je voudrais commencer par rappeler le contexte dans lequel cette réforme est née, même si vous le connaissez bien. Bien que le système de retraite soit redevenu excédentaire en 2021 et que sa bonne santé financière se soit consolidée en 2022, le Conseil d'orientation des retraites (COR) a estimé, dans son rapport annuel de septembre 2022, que sa trajectoire devait se dégrader dès 2023. Le retour à une situation déficitaire devait découler d'une croissance des dépenses de l'ordre de 1,8 % par an du fait, notamment, du vieillissement démographique, mais pas seulement.

En effet, comme l'a très justement rappelé à de nombreuses reprises l'ancien président du COR, ce qui, du reste, lui a valu d'être démis de ses fonctions une fois la réforme promulguée, les dépenses de retraites ne dérapaient pas. Plutôt qu'un dérapage des dépenses, nous assistions à une diminution des recettes qui n'a fait que se poursuivre. Les dépenses représentant 13,8 % de la richesse nationale en 2021, elles devaient atteindre 14,5 % du PIB en 2032 et se replier à 13,7 % du PIB à l'horizon de 2070. Cette stagnation à long terme résulterait de l'appauvrissement relatif des retraités par rapport aux actifs - même si la productivité de ces derniers n'a eu de cesse de croître au cours des vingt dernières années -, appauvrissement qui est la conséquence de l'indexation des pensions sur l'inflation, moins dynamique à long terme que les salaires.

Le véritable problème à l'origine de la dégradation du solde du système de retraite réside donc plutôt du côté des recettes, qui devraient chuter de 13,8 % du PIB à environ 12 % d'ici à 2070. Cette contraction s'explique par la conjonction de trois facteurs : le recul des recettes du régime de la fonction publique de l'État et des régimes spéciaux ; la diminution des contributions versées au système de retraite par la branche famille et l'assurance chômage, qui résultera des projections de baisse de la natalité et du reflux du chômage retenues par le COR ; et le reflux de la part représentée par le traitement des fonctionnaires territoriaux et hospitaliers dans la masse totale des rémunérations, qui découle des politiques de maîtrise de la masse salariale dans la fonction publique, dès lors que le taux de cotisation d'assurance vieillesse applicable à ces assurés est supérieur à celui des salariés du secteur privé.

C'est sur cette base que le COR projetait un déficit de l'ordre de 10 milliards d'euros en 2027 et de 25 milliards d'euros en 2070. S'étant engagé à limiter à 0,6 % par an la croissance des dépenses publiques auprès des partenaires européens de la France dans le cadre du programme de stabilité de juillet 2022, le Gouvernement s'est appuyé sur les travaux du COR pour justifier la mise en oeuvre de sa réforme.

Chose étonnante que de voir un gouvernement porter avec une telle vigueur une réforme si longtemps battue en brèche par le chef de l'État lui-même ! En effet, celui-ci proclamait en 2019 : « Tant qu'on n'a pas réglé le problème du chômage dans notre pays, franchement ce serait assez hypocrite de décaler l'âge légal. Quand, aujourd'hui, on est peu qualifié, quand on vit dans une région qui est en difficulté industrielle, quand on est soi-même en difficulté, qu'on a une carrière fracturée, bon courage déjà pour arriver à 62 ans !» Pour régler le problème du chômage, il faut non pas casser le thermomètre du chômage - c'est pourtant ce vers quoi l'on tend avec les réformes successives de l'assurance chômage, mais tâcher de créer plus d'emplois.

Vous m'opposerez alors sans doute la promesse de campagne faite en 2022 par le candidat Macron. Mais le devoir de rigueur intellectuelle qui nous caractérise dans cette assemblée nous impose de rappeler que la moitié de ses électeurs du second tour, dont je faisais partie, n'appuyait pas son projet, tandis que seulement 12 % des électeurs inscrits sur les listes électorales en France ont voté pour des députés se revendiquant dudit projet.

Quoi qu'il en ait coûté de mobilisation citoyenne, sociale et parlementaire, la réforme fut cependant mise sur les rails et ce n'est que grâce à une levée de boucliers au sein de la majorité présidentielle elle-même que la réforme n'a pas été intégrée au projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2023 par le biais d'un simple amendement gouvernemental. Finalement, le choix fut fait de recourir à une loi de financement rectificative de la sécurité sociale (LFRSS) pour porter la réforme. Heureux hasard sans doute, cette formule permettait de limiter au maximum le débat parlementaire.

Rien n'obligeait le Gouvernement à user de ce véhicule législatif, si ce n'est pour contraindre le débat, puisque le Parlement n'a disposé que de 50 jours pour examiner cette réforme d'ampleur, qui modifiait profondément le pacte social. On pourra me rétorquer qu'il ne faut pas oublier la réforme Touraine, mais celle-ci a fait l'objet d'une loi ordinaire et a donné lieu à un véritable débat. Je n'ai pas le temps de revenir sur l'usage du vote bloqué au Sénat pour raccourcir les débats. Il ne s'en est d'ailleurs fallu que de neuf voix que le Gouvernement ne soit renversé par l'Assemblée nationale, après qu'il a dû engager sa responsabilité pour faire adopter les conclusions de la commission mixte paritaire.

Mais tel ne fut pas le cas et le Président de la République s'est empressé de promulguer la LFRSS pour 2023, tandis que le Gouvernement assurait la publication de la quasi intégralité de ses décrets d'application, alors que d'autres lois pourtant plus consensuelles, telle la loi dite « Taquet », attendent encore une mise en oeuvre concrète.

La LFRSS pour 2023 prévoit deux mesures principales, dont l'Assemblée nationale n'aura jamais pu débattre : le relèvement progressif de l'âge légal de départ à la retraite pour les assurés nés à compter du 1er septembre 1961, de façon à le porter de 62 à 64 ans pour la génération 1968, d'une part ; et l'accélération du calendrier de relèvement de la durée d'assurance requise pour l'obtention d'une pension à taux plein, pour atteindre les 43 annuités à compter de la génération 1965 au lieu de la génération 1973, d'autre part.

D'autres mesures de même nature ont été mises en oeuvre à cette occasion, notamment le relèvement de 60 à 62 ans de l'âge de départ à la retraite anticipée pour carrière longue pour les assurés qui ont débuté leur activité entre 18 et 20 ans, le relèvement de 60 à 62 ans de l'âge de départ à la retraite anticipée pour incapacité permanente pour les assurés dont le taux d'incapacité est inférieur à 20 % ou encore la fermeture des principaux régimes spéciaux de retraite aux nouveaux entrants.

Sous leur effet, le système de retraites devait revenir à l'équilibre en 2030, comblant un déficit évalué par le Gouvernement à 13,5 milliards d'euros à cette échéance, une estimation semble-t-il assez peu rigoureuse. Nos rapporteurs, Élisabeth Doineau et René-Paul Savary, avaient justement rappelé que celle-ci reposait sur une très optimiste hypothèse de taux de chômage à 4,5 % et était donc vraisemblablement trop faible. Par ailleurs, pour calculer le produit de la réforme, le Gouvernement s'est fondé sur les projections du COR, qui intégraient déjà en 2022 les effets d'une réforme des retraites sur les recettes du système de retraites, dans la mesure où elles reposaient sur le programme de stabilité de la France. Dès lors, d'après l'économiste Michaël Zemmour, ces effets en recettes auraient été comptabilisés deux fois par le Gouvernement, sous-estimant le déficit de 3 milliards à 4 milliards d'euros en 2030.

Il n'est donc pas étonnant de constater que le rapport annuel du COR de juin 2023 ne laisse présager de retour à l'équilibre ni à court ni à long terme. Ses projections sont certes légèrement moins dégradées que celles de 2022, mais l'écart résulte essentiellement de la révision des hypothèses macroéconomiques retenues par le COR et, dans une moindre mesure, de l'effet de la réforme sur les dépenses de retraites - ses effets sur les recettes ayant déjà été pris en compte en 2022.

Ainsi, en 2030, le système de retraite afficherait un déficit de l'ordre de 5 milliards d'euros au lieu de 10 milliards d'euros, mais s'établirait toujours aux alentours de 25 milliards d'euros en 2070. En effet, la montée en charge de la réforme permettrait de réduire les dépenses de retraites à hauteur de 1,1 % en 2030, mais les alourdirait de 0,7 % en 2050 et de 1,7 % en 2070, en raison de l'augmentation de la pension moyenne induite par l'allongement de la durée des carrières.

Du reste, je vous rappelle que la notion de « système de retraite », purement conventionnelle, n'a pas de portée concrète : ce système ne correspond de fait qu'à l'agglomération des 43 régimes de retraite, dont la situation est très variable. Ainsi, avec ou sans réforme, le déficit du régime général continuera de se creuser au cours des prochaines décennies, tandis que, d'après les projections du COR, les régimes complémentaires devaient être en excédent constant jusqu'en 2070.

Je tiens néanmoins à souligner que ces projections se fondaient sur l'hypothèse du maintien des règles de revalorisation des pensions prévues par les partenaires sociaux gestionnaires de l'Agirc-Arrco - qui est depuis hier dans le viseur du Gouvernement - pour la période 2023-2033, à savoir une indexation sur l'évolution du salaire moyen par tête minorée d'un facteur de soutenabilité de 1,16 %. Or, à la suite de la réforme des retraites, l'accord national interprofessionnel 2023-2026 a acté le principe d'une revalorisation des pensions, entre 2024 et 2026, sur la base du taux d'inflation diminué d'un facteur de soutenabilité de 0,4 point, tout en permettant au conseil d'administration de ne pas appliquer ce dernier.

À cela, il convient d'ajouter la décision des partenaires sociaux de rendre le cumul emploi-retraite de nouveau créateur de droits, comme l'a prévu la réforme pour les régimes de base, et de supprimer le coefficient de solidarité temporaire qui visait à inciter au report du départ en retraite et ne se justifiait plus dès lors que l'âge légal était reporté de deux ans. Ces mesures devraient placer l'Agirc-Arrco en déficit technique jusqu'en 2037, pour un montant de plus de 2 milliards d'euros en 2030.

Un an après son adoption, il est donc relativement évident que la réforme des retraites n'atteindra pas l'objectif d'équilibre budgétaire qui lui était assigné. Dans le même temps, ses conséquences humaines et sociales ne peuvent pas être tues.

En relevant de six mois l'âge conjoncturel de départ à la retraite à l'horizon de 2070, pour le porter à 64,6 ans (l'espérance de vie sans incapacité à la naissance se situant à 63,8 ans pour les hommes et à 65,3 ans pour les femmes en 2022), un niveau que les générations nées avant 1910 sont les dernières à avoir connu, elle réduira d'autant la durée de vie à la retraite, qui sera ramenée de 27,2 ans à 26,8 ans pour la génération 2000.

Vouloir faire travailler plus longtemps les seniors est-il l'assurance qu'ils travaillent effectivement plus ? Rien n'est moins sûr. Le taux d'emploi des seniors dans notre pays est structurellement bas, notamment chez les femmes, et ne s'élevait qu'à 36,2 % chez les personnes âgées de 60 à 64 ans en 2022, contre plus de 60 % en Allemagne et aux Pays-Bas. Je rappelle que, d'après la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees), un tiers des assurés de la génération 1950 n'étaient pas en emploi au cours de l'année précédant la liquidation de leur pension.

Une étude conduite par la direction générale du Trésor laisse envisager une progression de l'ordre de 3,2 milliards d'euros des dépenses sociales hors retraite au terme de la montée en charge de la réforme, dont 1,3 milliard d'euros au titre des allocations chômage - on comprend aisément l'empressement du Gouvernement à vouloir en modifier les paramètres par deux fois en l'espace d'un an en vue d'en réduire et le montant et la durée de versement ; 970 millions d'euros au titre des indemnités journalières maladie - là encore, le ballon d'essai de l'allongement du délai de carence paraît une ficelle un peu grosse ; 830 millions d'euros au titre des prestations de solidarité, incluant l'allocation de solidarité spécifique (ASS), en passe, elle aussi, d'être supprimée pour combattre les « trappes à inactivité », selon les mots du Premier ministre.

En d'autres termes, pour chaque euro de dépenses de retraite économisé, 25 centimes supplémentaires devraient être dépensés au titre des autres prestations sociales... si ces dernières ne sont pas d'ici là réformées, voire supprimées !

N'oublions pas, d'autre part, que la réforme pénalisera encore davantage les femmes que les hommes. Monique Lubin nous avait d'ailleurs alertés à ce sujet. En règle générale, les femmes ont tendance à atteindre plus largement que les hommes la durée de cotisation requise à 62 ans grâce aux majorations de durée d'assurance accordées au titre de la maternité et de l'éducation des enfants. Dans ces conditions, le report de l'âge légal à 64 ans contraindra nombre d'entre elles à travailler deux ans de plus sans gain à la clé, tandis que les hommes doivent déjà souvent travailler au-delà de 62 ans pour atteindre le taux plein. Ainsi, pour la génération 1972 par exemple, l'âge moyen de départ des femmes augmentera de neuf mois sous l'effet de la réforme, contre cinq mois pour les hommes. Ce n'est pas juste, surtout lorsque l'on connait déjà les inégalités qu'elles subissent dans l'emploi : rémunérations inférieures et accidents du travail en progression de 42 % en vingt ans quand ceux des hommes ont diminué de 27 %, pour ne citer que celles-ci.

Et tout cela pour quoi ? Quel est le bilan des mesures dites « d'accompagnement » de la réforme mises en avant, à commencer par la revalorisation de 100 euros des minima de pension et la fameuse retraite minimale à 1 200 euros par mois ? Dans les faits, seuls les assurés ayant accompli une carrière complète cotisée au niveau du Smic en bénéficient. Le montant moyen accordé au titre du minimum contributif (Mico) aux nouveaux retraités de 2024 n'a ainsi augmenté que de 30 euros. Pour ce qui concerne les retraités ayant liquidé leurs droits avant l'entrée en vigueur de la réforme, seules 20 000 personnes sur les 500 000 retraités du régime général qui avaient perçu la majoration exceptionnelle à la fin de 2023 avaient effectivement bénéficié de 100 euros supplémentaires. Un bilan bien trop maigre pour nous épargner le débat proposé aujourd'hui !

Telles sont les considérations qui m'amènent, mes chers collègues, à vous proposer d'adopter cette proposition de loi. Je sais que je ne renverserai pas la table ce matin, mais nous pouvons à tout le moins débattre du sujet. Des alternatives au relèvement de l'âge légal existent. Comme l'a si bien démontré Pierre-Louis Bras avant son éviction de la présidence du COR, c'est du côté des recettes qu'il s'agit de regarder aujourd'hui.

Je veux parler des allègements généraux de cotisations sociales, dont le coût pour la sécurité sociale a frôlé les 60 milliards d'euros en 2022, de la diminution des impôts de production à hauteur de 10 milliards d'euros ou encore de la question de la taxation des superprofits - certains ont lancé le pavé dans la mare, et pas seulement à gauche ; je pense notamment à la présidente de l'Assemblée nationale.

Je fais partie de la délégation aux entreprises du Sénat et je tiens à insister sur le fait qu'il ne s'agit pas de faire porter aux entreprises et aux employeurs tout le poids de la solidarité. Nous sommes lucides : nous avons besoin d'emplois. Mais il s'agit de la juste répartition des richesses. La semaine dernière, en séance, nous avons débattu de la simplification administrative au profit des entreprises. Quel est le coût supporté par celles-ci du fait des contraintes administratives qui pèsent sur elles ? Le chiffre de 60 milliards d'euros semble faire consensus, comme l'a rappelé le président Rietmann.

C'est en agissant aussi sur ce point, qui n'a jamais été une priorité du Gouvernement - d'autant qu'il n'y a plus de ministre chargé de la simplification depuis 2017, que l'on peut redonner des marges de manoeuvre aux entreprises et aborder sereinement la perspective d'un relèvement d'un point du taux de la cotisation patronale d'assurance vieillesse. Cette mesure, préconisée par le Haut-Commissaire au plan, François Bayrou, lors de l'examen de la réforme, permettrait de dégager près de 8 milliards d'euros de recettes, pour un effet extrêmement limité sur le coût du travail.

Misons également sur l'emploi, notamment celui des seniors, mais pour cela il faut créer de l'activité. Je vous propose donc, mes chers collègues, de rebattre les cartes, d'abroger cette réforme, de redéterminer ensemble les règles du jeu, de décider d'une meilleure distribution des richesses et d'activer de nouveaux leviers afin d'inciter le Gouvernement à construire une réforme plus juste socialement et plus efficace économiquement. Car si telle était l'ambition du Gouvernement en 2023, 2024 nous enseigne qu'il n'y est pas parvenu.

Pour terminer, il me revient de vous proposer un périmètre pour l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution. Je considère que celui-ci inclut des dispositions relatives : aux ressources affectées au financement de la branche vieillesse des régimes obligatoires de base de sécurité sociale ; aux charges supportées par la branche vieillesse de ces régimes ; à l'âge d'ouverture des droits à pension de retraite ; à la durée d'assurance requise pour l'obtention d'une pension à taux plein ; et aux minima de pension servis par les régimes obligatoires de base. En revanche, j'estime que ne présenteraient pas de lien, même indirect, avec le texte déposé, des amendements relatifs : aux ressources affectées au financement des branches autres que la branche vieillesse des régimes obligatoires de base de sécurité sociale, ainsi qu'à celui des régimes complémentaires de retraite ; aux charges supportées par ces branches et ces régimes ; et aux paramètres applicables aux assurés sociaux en matière de retraite complémentaire.

Il en est ainsi décidé.

Mme Cathy Apourceau-Poly. - Revoilà donc le brûlant sujet des retraites qui a mis des millions de personnes dans la rue - un mouvement social d'une ampleur inégalée ! Notre groupe est constant : nous n'avons voté aucune réforme des retraites. Je remercie Monique Lubin d'avoir déposé cette proposition de loi, et la rapporteure d'avoir tenu des propos que nous partageons complètement, puisque la gauche était unie contre la réforme des retraites. La réforme a été promulguée le 14 avril 2023 ; dès le 18 avril, notre groupe déposait une proposition de loi visant à abroger la LFRSS pour 2023 portant réforme des retraites.

Sur la forme, faut-il rappeler les conditions dans lesquelles la réforme a été adoptée au Sénat ? Tous les moyens de procédure ont été utilisés pour raccourcir les débats.

Sur le fond, la réforme est inégalitaire, inefficace et injuste.

Inégalitaire, parce qu'aucune contribution n'a été demandée au patronat et au capital. La réforme repose sur le dos des salariés et des travailleurs de notre pays.

Inefficace, parce que l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) a montré que d'ici à dix ans elle provoquera chômage et baisses de salaires, élargira le « sas de précarité » et fera exploser le niveau de pauvreté des femmes.

Injuste, parce que, si la réforme permettra de réaliser 7 à 8 milliards d'euros d'économies pour la branche retraite, elle aggravera la situation des autres branches. Le Gouvernement s'est attaqué aux régimes spéciaux, ce qui a porté un coup dur aux métiers les plus pénibles. Je me souviens du débat sur les égoutiers, dont on a fini par juger qu'ils n'exerçaient pas un métier pénible...

Je retiens aussi les mensonges qui nous ont été dits tout au long de la réforme. Je pense à la retraite minimale à 1 200 euros, dont 40 000 personnes devaient bénéficier, puis 20 000, puis 10 000... Nous n'avons jamais su quel serait le nombre de bénéficiaires, le Gouvernement étant incapable de nous le fournir.

Pour toutes ces raisons, nous allons voter la proposition de loi.

M. Daniel Chasseing. - La retraite à 64 ans a constitué une source d'anxiété pour nombre de nos concitoyens - 70 % d'entre eux y étaient opposés. Fallait-il voter la réforme ? Peut-être pas, mais il faut noter que le Sénat a apporté d'importantes modifications au texte pour atténuer les effets de cette augmentation du temps de travail, avec des mesures relatives notamment aux carrières longues, aux femmes, aux aidants, aux sapeurs-pompiers volontiers...

Doit-on aujourd'hui remettre en cause la réforme ? Le COR et la Drees estiment que le déficit s'établira à 10 milliards d'euros en 2026 et à 20 milliards d'euros par an après 2030. Ce déficit augmentera parce que les dépenses de retraite s'accroîtront de 1,8 % par an, avec une prévision de croissance inférieure à 1 %. En France, le nombre de retraités était de 17 millions en 2020, avec 1,7 cotisant pour un retraité ; il sera de 21 millions en 2035, avec 1,5 cotisant pour un retraité. Mme Touraine avait bien vu les difficultés qu'il y a à équilibrer le système de retraites : la loi qui porte son nom prévoyait 43 années de cotisations pour obtenir une retraite à taux plein.

Maintenir la retraite à 62 ans nécessiterait non seulement d'augmenter de manière importante les impôts et taxes affectés, et les cotisations des assurés, mais également de supprimer des exonérations de cotisations, alors que le coût du travail en France est déjà le plus élevé d'Europe avec celui de l'Allemagne. Si l'on veut créer davantage d'emplois, il faut que les entreprises restent compétitives : les exonérations de cotisations doivent alors être conservées. Ainsi, nous aurons davantage de croissance et de cotisants, ce qui nous permettra de ne pas aggraver notre dette, qui s'élève déjà à plus de 3 000 milliards d'euros.

Nous devons penser à l'avenir, à nos enfants, à notre pays, et travailler avec les partenaires sociaux afin d'équilibrer notre système par répartition. Il faut notamment travailler : sur les carrières longues et pénibles, afin que les personnes concernées puissent partir à partir de 60 ans ; sur l'augmentation des retraites minimales ; et sur le travail des seniors. Sur ce dernier point, nous devrions réfléchir à la mise en place de CDI de fin de carrière, au développement de la retraite progressive, à la mise en place de temps partiels de tutorat, aux dispositifs de retraite anticipée.

Je ne voterai pas cette proposition de loi.

Mme Pascale Gruny. - Mon intervention pourrait se résumer à une question : estil bien sérieux aujourd'hui, dans la période que nous vivons, de revenir sur cette loi ?

Son adoption fut difficile pour tous : chacun d'entre nous a une famille, des amis, d'anciens collègues... Personne n'est ravi de travailler plus longtemps, mais nous avons pris nos responsabilités. Le texte a été proposé par le Gouvernement, mais nous l'avons largement modifié afin de le rendre plus équilibré. Nous aurions voulu aller plus loin, notamment sur l'emploi des seniors. Or on nous avait promis une loi « Travail » ; nous l'attendons toujours.

Cathy Apourceau-Poly a rappelé la constance de son groupe, mais nous avons été, nous aussi, constants dans nos convictions. En revanche, madame la rapporteure, vous avez l'air de renier la loi Touraine, dont la dernière réforme des retraites ne fait qu'avancer la montée en charge.

Les hypothèses retenues par le Gouvernement étaient très optimistes - nous sommes d'accord sur ce point, mais le président du COR a usé du même procédé : il a eu une lecture biaisée de l'évolution des dépenses, et c'est sûrement la raison pour laquelle il lui a été demandé de quitter son poste.

Notre groupe votera contre cette proposition de loi. Il est préférable de travailler à une nouvelle loi « Travail » et d'accompagner les salariés en améliorant la prévention en matière de santé et de sécurité, afin que ceux-ci soient toujours en bonne santé au moment de prendre leur retraite.

Les jeunes que je rencontre me disent qu'ils n'auront pas de retraite : cela me fend le coeur car ils travaillent et payent les retraites actuelles. La réforme a été faite aussi pour leur en garantir une.

Mme Laurence Muller-Bronn. - Je m'abstiendrai sur cette proposition de loi.

J'avais voté contre la réforme des retraites, non pas parce que je suis opposée au fait de travailler plus longtemps, mais parce que j'ai regretté que l'on n'ait pas pu travailler davantage sur le cas des femmes. Je suis convaincue que le niveau de pauvreté des femmes explosera. Nombre d'entre elles ont une carrière professionnelle en pointillés, car elles sont souvent la béquille des plus fragiles de nos concitoyens. Les trimestres de maternité et d'éducation ne leur permettent pas de bénéficier d'un départ anticipé, même quand elles ont validé la durée requise pour le taux plein. Elles devront travailler plus longtemps, et auront des retraites moins élevées que les hommes. J'y insiste, nous aurions dû prêter une attention plus importante à la question de la retraite des femmes.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. - Nous avons l'habitude d'avoir, à la commission des affaires sociales, des rapports plus mesurés que celui, à charge, que nous venons d'entendre.

Les travaux du COR, auquel je participe - nous aurons d'ailleurs demain une réunion pour préparer le rapport annuel, démontrent la nécessité d'une réforme des retraites, laquelle aurait dû être plus équilibrée. Lors des débats, j'étais favorable à une contribution plus importante des entreprises et du capital.

Notre groupe s'opposera à l'abrogation d'une réforme qui nous apparaît plus que jamais nécessaire.

Mme Monique Lubin. - Je suis ravie que ma proposition de loi suscite des réactions : nous aurons des débats qui seront certainement intéressants dans l'hémicycle. J'avais envie de « célébrer » l'anniversaire de la loi avec un texte qui nous permette de reparler des retraites. Il est facile de se demander, un an après, si au vu de la situation actuelle il est bien sérieux de discuter de cela. À l'époque, il avait été démontré que les projections du Gouvernement en matière de taux de chômage étaient extrêmement optimistes. Aujourd'hui, on voit bien où nous en sommes... Fallait-il faire une réforme des retraites, c'est-à-dire maintenir dans l'emploi des personnes qui auraient pu partir à la retraite, et donc interdire l'accès à l'emploi à ceux qui auraient pu les remplacer ? Ce n'était pas le bon moment pour mener cette réforme.

On parle beaucoup du COR, et nous sommes quelques-uns ici à y siéger. Ce qui fait la richesse de cet organisme, c'est que l'on met autour de la table de nombreux experts, venant notamment des grandes directions ministérielles. Je veux bien que l'État conteste le rapport du COR, mais celui-ci est fait à partir de chiffres fournis par ses propres administrations...

Les rapports du COR étaient basés sur trois, puis deux conventions, et désormais une seule. Chacune de ces conventions est construite autour de quatre scénarii de croissance de la productivité. Les projections étaient en général réalisées sur le scénario à 1 %. On ne peut donc pas tirer des conclusions hâtives de ses travaux.

Le COR a été créé pour être une instance indépendante, respectée. Il m'a semblé comprendre que nous seraient proposées demain des modifications substantielles de son mode de fonctionnement, autour de scénarii volontairement revus à la baisse pour permettre de justifier a posteriori la réforme des retraites. Cela serait un drôle de virage... Je demande à mes collègues d'être extrêmement vigilants, car il ne faudrait pas faire du COR un instrument à la solde de tout gouvernement qui voudrait absolument allonger la durée des carrières.

Mme Marion Canalès, rapporteure. - Madame Gruny, oui, cette proposition de loi est sérieuse car, s'agissant de cette réforme des retraites, il aurait fallu forcer le Gouvernement à reculer, à passer par un véhicule législatif adapté, à tenir ses engagements de continuer le travail après les efforts consentis par certains d'entre vous, à ne pas contraindre le débat parlementaire...

En ce qui concerne la réforme de Marisol Touraine, je rappelle qu'elle a fait l'objet d'une loi ordinaire, et non d'un PLFSS. Le débat parlementaire avait pu se tenir et aller jusqu'à son terme. Même si vous avez pu obtenir des avancées ici, au Sénat, il n'est pas possible de réformer aussi profondément le pacte social dans les conditions que j'ai rappelées. Du reste, la réforme Touraine n'a pas relevé l'âge légal et était par conséquent moins contraignante que celle-ci.

Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale. - Bien sûr que si !

Mme Marion Canalès, rapporteure. - Non, ce n'était pas contraignant, chaque assuré demeurant libre de liquider ses droits dès 62 ans. J'assume cette loi, car il faut avoir le courage de faire des réformes justes socialement et efficaces économiquement.

Monsieur Chasseing, on voit bien qu'avec la réforme de l'ASS et de l'assurance chômage, on tente de casser le thermomètre : on pourra ainsi dire que le sas de précarité s'est dégonflé... En France, il y a 4 millions d'entreprises : il faut ouvrir le débat sur l'élargissement des recettes, la taxation des superprofits et la réduction des allègements généraux. Nous avons d'autres marges de manoeuvre : j'ai notamment évoqué la simplification administrative.

Je remarque que, sur les acquis sociaux, des ballons d'essai sont vite lancés, sans véhicule législatif à ce jour : c'est le cas pour l'allongement des délais de carence en cas d'arrêt maladie.

Les jeunes disent souvent qu'ils n'auront pas de retraite. Comme l'a dit Mme Lubin, ne pas travailler trop longtemps est une forme de solidarité intergénérationnelle. Les inégalités sont nombreuses aujourd'hui dans notre pays, et cette réforme ne contribue pas à renforcer la justice sociale. Il aurait fallu un véritable débat parlementaire et citoyen, une vraie loi. Il ne faut pas se contenter de dire que maintenant les choses sont faites : nous sommes ici pour légiférer si nous le jugeons nécessaire.

Pour répondre à Madame Gruny, en ce qui concerne le COR, les quatre scénarii de croissance de la productivité aboutissaient certes à des résultats différents, mais la trajectoire qu'ils induisaient restait la même, c'est-à-dire celle d'une stagnation de la part des dépenses de retraites dans le PIB à l'horizon de 2070.

EXAMEN DE L'ARTICLE UNIQUE

Article unique

M. Philippe Mouiller, président. -Nous passons à l'examen de l'article unique

Je vous informe qu'aucun amendement n'a été déposé sur ce texte.

L'article unique constituant l'ensemble de la proposition de loi n'est pas adopté.

Conformément au premier alinéa de l'article 42 de la Constitution, la discussion en séance portera en conséquence sur le texte initial de la proposition de loi déposée sur le Bureau du Sénat.

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