N° 564

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2024-2025

Enregistré à la Présidence du Sénat le 30 avril 2025

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur la proposition de loi, modifiée par l'Assemblée nationale, portant reconnaissance par la Nation
et
réparation des préjudices subis par les personnes condamnées
pour
homosexualité entre 1942 et 1982,

Par M. Francis SZPINER,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : Mme Muriel Jourda, présidente ; M. Christophe-André Frassa, Mme Marie-Pierre de La Gontrie, MM. Marc-Philippe Daubresse, Jérôme Durain, Mmes Isabelle Florennes, Patricia Schillinger, Cécile Cukierman, MM. Dany Wattebled, Guy Benarroche, Michel Masset, vice-présidents ; M. André Reichardt, Mmes Marie Mercier, Jacqueline Eustache-Brinio, M. Olivier Bitz, secrétaires ; M. Jean-Michel Arnaud, Mme Nadine Bellurot, MM. François Bonhomme, Hussein Bourgi, Mme Sophie Briante Guillemont, M. Ian Brossat, Mme Agnès Canayer, MM. Christophe Chaillou, Mathieu Darnaud, Mmes Catherine Di Folco, Françoise Dumont, Laurence Harribey, Lauriane Josende, MM. Éric Kerrouche, Henri Leroy, Stéphane Le Rudulier, Mme Audrey Linkenheld, MM. Alain Marc, David Margueritte, Hervé Marseille, Mme Corinne Narassiguin, M. Paul Toussaint Parigi, Mmes Anne-Sophie Patru, Salama Ramia, M. Hervé Reynaud, Mme Olivia Richard, MM. Teva Rohfritsch, Pierre-Alain Roiron, Mme Elsa Schalck, M. Francis Szpiner, Mmes Lana Tetuanui, Dominique Vérien, M. Louis Vogel, Mme Mélanie Vogel.

Voir les numéros :

Première lecture : 864 (2021-2022), 103, 104 et T.A. 23 (2023-2024)

Deuxième lecture : 403 (2023-2024) et 565 (2024-2025)

Assemblée nationale (16ème législ.) :

Première lecture : 1915, 2247 et T.A. 252

L'ESSENTIEL

Adoptée par le Sénat le 22 novembre 2023, la proposition de loi (n° 864, 2021-2022) de Hussein Bourgi et plusieurs de ses collègues portant réparation des personnes condamnées pour homosexualité entre 1942 et 1982 a été adoptée, avec des modifications, par l'Assemblée nationale le 6 mars 2024.

En dépit de l'accord entre les deux assemblées sur la réalité incontestable de la discrimination opérée, pendant près de 40 ans, par la loi pénale française sur le fondement de l'orientation sexuelle comme sur la responsabilité de la République à cet égard, des divergences demeurent entre la position du Sénat et celle de l'Assemblée. Celles-ci ont conduit le rapporteur Francis Szpiner à rétablir, sur plusieurs sujets, des dispositions proches de celles adoptées par la Chambre haute en première lecture.

Les évolutions adoptées par les députés portent, d'une part, sur les modalités de reconnaissance de la responsabilité de la République en raison des lois pénales discriminatoires en vigueur jusqu'en 1982 et, d'autre part, sur la mise en place ou l'abandon d'un mécanisme de compensation financière.

Sur le premier point, la principale divergence porte sur la période au titre de laquelle la responsabilité des pouvoirs publics peut valablement être prise en compte. Le Sénat a en effet considéré qu'il n'était ni opportun, ni fondé au plan historique de traiter de la même manière et dans les mêmes formes la responsabilité de l'État du fait d'une loi mise en oeuvre par le régime de Vichy de 1942 à 1944, puis par la République de 1945 à 1982, étant rappelé que la recherche sociologique elle-même distingue nettement ces deux périodes1(*).

La commission a ainsi, à l'initiative du rapporteur, recentré l'intitulé et l'article 1er de la proposition de loi sur la période s'étendant de 1945 à 1982 (amendements COM-1 et COM-4).

La commission a par ailleurs souhaité rétablir à l'article 1er (amendement COM-1 précité) le texte adopté par le Sénat, qui lui a semblé plus clair dans la mesure où, contrairement à la rédaction adoptée par les députés, il reconnaît explicitement une « responsabilité » de la République française ainsi que les souffrances et les traumatismes que les dispositions concernées ont créés en raison de leur caractère discriminatoire.

La commission a, toutefois, conservé la mention d'une « violation au droit au respect de la vie privée » que l'Assemblée nationale avait souhaité ajouter aux côtés de la reconnaissance, actée par le Sénat, d'une discrimination fondée sur l'orientation sexuelle des personnes indûment condamnées entre 1945 et 1982.

Sur le second point, le Sénat avait, en première lecture, rejeté la création d'un mécanisme de compensation financière au double motif que l'immense majorité des États ayant réhabilité les personnes condamnées pour homosexualité n'avaient pas retenu cette formule2(*) et, surtout, que la réparation financière ne semble pas pouvoir valablement découler, au plan juridique, de l'application directe d'une loi pénale.

Là encore, la commission a fait le choix d'en revenir au texte adopté par le Sénat : elle a, par conséquent, supprimé les articles 3 et 4, relatifs aux modalités de versement d'une réparation financière (amendements COM-2 et COM-3).

L'article 2 de la proposition de loi - qui prévoyait la création d'une nouvelle infraction calquée sur le délit de « négationnisme » afin de réprimer la contestation, la minoration ou la banalisation de la déportation des homosexuels depuis la France pendant la Seconde Guerre mondiale - a à l'inverse fait l'objet d'un accord entre les deux assemblées : celles-ci ont acté sa suppression, en raison à la fois des difficultés juridiques insurmontables qu'une telle création aurait généré et du risque de voir cette évolution perturber des contentieux en cours.

EXAMEN EN COMMISSION

__________

MERCREDI 30 AVRIL 2025

Mme Muriel Jourda, présidente. - Nous en venons à l'examen du rapport de Francis Szpiner sur la proposition de loi, modifiée par l'Assemblée nationale, portant reconnaissance par la Nation et réparation des préjudices subis par les personnes condamnées pour homosexualité entre 1942 et 1982.

M. Francis Szpiner, rapporteur. - Nous sommes saisis en deuxième lecture de la proposition de loi portant réparation des personnes condamnées pour homosexualité, déposée par notre collègue Hussein Bourgi à l'été 2022. Ce texte a été adopté par le Sénat le 22 novembre 2023, puis par l'Assemblée nationale, avec modifications, le 6 mars 2024.

La proposition de loi comporte trois séries de dispositions.

La première concerne la reconnaissance d'une responsabilité de la République du fait de l'application, jusqu'en 1982, de dispositions pénales discriminatoires envers les personnes homosexuelles. Le code pénal pénalisait en effet les relations entre personnes de même sexe dès lors que l'une d'entre elles était mineure sur le plan civil, mais majeure sur le plan sexuel, alors même qu'il s'agissait de relations consenties. Ce régime était différent de celui qui s'appliquait aux personnes hétérosexuelles, libres d'avoir des relations dès lors que leurs protagonistes étaient tous deux majeurs sur le plan sexuel : on mesure l'ampleur de la discrimination qui en résultait.

La recherche récente estime que, jusqu'à leur abrogation en 1982, plus de 10 000 personnes ont été condamnées sur le fondement de ces dispositions discriminatoires.

Un autre facteur de discrimination concernait l'outrage public à la pudeur puisqu'il comportait, jusqu'en 1980, une circonstance aggravante sous l'effet de laquelle les peines étaient renforcées en cas d'outrage envers une personne de même sexe.

Le Sénat a, en première lecture, adhéré à ce dispositif ; la seule modification que nous y avons apportée concernait la période de référence de la responsabilité de la République. Les auteurs de la proposition de loi visaient en effet l'ensemble des lois discriminatoires en vigueur entre 1942 et 1982, c'est-à-dire non seulement des lois républicaines, mais aussi celles du régime de Vichy. Nous avons souhaité retenir un principe différent, fondé sur la responsabilité - indéniable, je le redis avec force - de la République entre 1945 - et non 1942 - et 1982.

On ne saurait en effet mettre sur le même plan, d'une part, la « traque » des homosexuels par le régime de Vichy, et, d'autre part, des dispositions qui, sans conteste discriminatoires, ne s'accompagnaient pas d'une politique globale de répression des homosexuels par l'État. Je rappelle à cet égard que la recherche sociologique elle-même distingue nettement ces deux périodes. De plus, j'ai toujours considéré, pour des raisons philosophiques, que le régime de Vichy était un régime de non-droit et que la République n'avait pas à s'excuser pour cette période.

Je vous proposerai par conséquent, par des amendements sur l'article 1er du texte et sur son intitulé, de revenir sur ce point à la rédaction adoptée par le Sénat en première lecture.

Le deuxième volet de mesures concerne la création d'un nouveau délit de « négationnisme » visant à réprimer la contestation de la déportation des homosexuels depuis la France pendant la Seconde Guerre mondiale. Nous avions relevé, en première lecture, que cette innovation soulevait - sans que ce soit la volonté des auteurs de la proposition de loi - des risques juridiques majeurs, notamment parce qu'elle était susceptible de déstabiliser des contentieux en cours : comme le Sénat, l'Assemblée nationale a préféré supprimer les dispositions correspondantes, qui figuraient à l'article 2 du texte et dont on peut penser qu'elles sont déjà couvertes par l'article 24 bis de la loi de 1881 sur la liberté de la presse. C'est un point d'accord dont je me réjouis.

La troisième et dernière série de dispositions concerne la mise en place d'un régime de réparation financière au bénéfice des personnes condamnées. Cette réparation, qui comporterait une part forfaitaire et une part variable en fonction du nombre de jours d'incarcération subis par les personnes condamnées, soulève des enjeux complexes sur le plan juridique, et plusieurs points me semblent faire obstacle à ce qu'elle puisse prospérer.

Tout d'abord, les exemples de réparation financière sont minoritaires à l'étranger et l'immense majorité des États s'est contentée d'une reconnaissance symbolique, doublée d'un effacement des casiers. Ce second point est acquis en France depuis 1981, grâce à une loi d'amnistie qui a rétabli dans leur innocence l'ensemble des personnes précédemment condamnées pour homosexualité.

Une autre difficulté a trait à la prescription, les événements remontant à plus de trente ans. Enfin, l'État serait amené à reconnaître une responsabilité du simple fait que les juges ont appliqué régulièrement la loi pénale, ce qui ouvre la voie à une série de contentieux : des femmes condamnées pour avoir recouru à l'interruption volontaire de grossesse (IVG) pourraient ainsi réclamer une réparation avec ce type de raisonnement, et j'observe que la proposition de loi visant à reconnaître le préjudice subi par les personnes condamnées sur le fondement de la législation pénalisant l'avortement, et par toutes les femmes, avant la loi n° 75-17 du 17 janvier 1975 relative à l'IVG, ne prévoyait aucune réparation financière.

Indemniser les conséquences de l'application de la loi pénale me semble constituer un précédent extrêmement dangereux. Pour toutes ces raisons, le Sénat n'a pas adhéré au principe de la réparation financière. Il a été rétabli par l'Assemblée nationale et je vous propose pour cette deuxième lecture de supprimer, comme nous l'avions fait en première lecture, les dispositions qui fondent cette réparation aux articles 3 et 4 de la proposition de loi.

J'ajoute, enfin, que le Sénat avait adopté le principe d'une reconnaissance par la « République », tandis que l'Assemblée nationale y a substitué le mot « Nation » : si je connais la signification politique de ce terme, j'en ignore le sens juridique et constitutionnel et pense donc qu'il faut revenir au terme de République.

Mme Audrey Linkenheld. - Je m'exprime au nom du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain et d'Hussein Bourgi, auteur de cette proposition de loi. Je réaffirme ici nos divergences avec le rapporteur, regrettant que ses amendements s'éloignent de l'esprit du texte initial et des dispositions adoptées par l'Assemblée nationale : nous préférerions nous rapprocher d'un vote conforme, et notamment conserver la période de référence telle que proposée initialement.

En effet, les faits dénoncés se sont produits dès 1942 et, si personne ici n'entend assimiler Vichy et la République, il n'en reste pas moins que c'est bien sur le fondement des lois de Vichy, non abrogées, que des personnes homosexuelles ont été condamnées et blessées dans leur vie sociale, économique et familiale : il s'agit de notre principal point de désaccord.

Le second point d'achoppement porte sur la réparation, qui accompagne, selon nous, la reconnaissance. C'est précisément pour permettre une convergence que l'Assemblée nationale avait proposé de remplacer le terme de « République » par celui de « Nation », car cela permettrait de reconnaître une forme de continuité et de valider le principe d'une réparation qui a pu être retenu en d'autres circonstances.

M. Francis Szpiner, rapporteur. - Vichy ne correspond pas non plus à la Nation, selon moi, et c'est bien la République qui a été responsable de la discrimination et de la répression de 1945 à 1982.

Les réparations ont été très limitées et ont concerné, par exemple, les harkis, dont le cas est très spécifique. S'aventurer dans cette direction me semble dangereux : si l'application de lois, fussent-elles mauvaises, était susceptible d'entraîner des réparations trente à quarante ans plus tard en raison de l'évolution du regard de la société, nous ouvririons la voie à toute une série de demandes qui ne me paraissent pas envisageables dans un État de droit.

EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er

M. Francis Szpiner, rapporteur. - L'amendement COM-1 vise à rétablir une rédaction affirmant expressément la responsabilité de la République et retenant, à ce titre, la période allant de 1945 à 1982.

L'amendement COM-1 est adopté.

L'article 1er est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 3

M. Francis Szpiner, rapporteur. - L'article 3 prévoit d'instaurer un mécanisme de réparation financière au profit des personnes indûment condamnées sur le fondement des lois qui opéraient une discrimination fondée sur l'orientation sexuelle. Je vous propose l'amendement de suppression COM-2.

L'amendement COM-2 est adopté.

L'article 3 est supprimé.

Article 4

M. Francis Szpiner, rapporteur. - L'amendement de suppression COM-3 vise à assurer la coordination avec la suppression de l'article 3.

L'amendement COM-3 est adopté.

L'article 4 est supprimé.

Intitulé de la proposition de loi

M. Francis Szpiner, rapporteur. - L'amendement COM-4 vise à rétablir la rédaction de l'intitulé de la proposition de loi adoptée par le Sénat en première lecture.

L'amendement COM-4 est adopté.

L'intitulé de la proposition de loi est ainsi modifié.

M. Éric Kerrouche. - Je regrette l'attitude du rapporteur, dont la démarche risque d'aboutir à ce que ce texte, qui faisait consensus à l'Assemblée nationale et au Sénat, ne soit finalement pas voté par le Parlement.

La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Le sort des amendements du rapporteur examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

Article 1er

M. SZPINER, rapporteur

1

Rétablissement du texte adopté par le Sénat en première lecture

Adopté

Article 3

M. SZPINER, rapporteur

2

Suppression du mécanisme de réparation financière 

Adopté

Article 4

M. SZPINER, rapporteur

3

Suppression du mécanisme de réparation financière 

Adopté

Intitulé de la proposition de loi

M. SZPINER, rapporteur

4

Rétablissement de l'intitulé adopté par le Sénat en première lecture 

Adopté

LA LOI EN CONSTRUCTION

Pour naviguer dans les rédactions successives du texte, visualiser les apports de chaque assemblée, comprendre les impacts sur le droit en vigueur, le tableau synoptique de la loi en construction est disponible sur le site du Sénat à l'adresse suivante :

https://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppl21-864.html


* 1  Rapport n° 103 (2023-2024) de Francis Szpiner sur la proposition de loi portant réparation des personnes condamnées pour homosexualité entre 1942 et 1982, déposé le 15 novembre 2023.

* 2 Si des exemples de réparation financière existent à l'étranger, ils sont observés seulement dans trois pays (l'Allemagne, l'Espagne et le Canada) dont l'histoire diffère substantiellement de celle de la France et selon des modalités qui ne sont pas comparables avec ce que prévoit le texte adopté par l'Assemblée nationale.

Les thèmes associés à ce dossier

Partager cette page