EXAMEN EN COMMISSION
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Mme Muriel Jourda, présidente. - Nous examinons à présent le rapport de notre collègue Olivia Richard sur le projet de loi portant création de l'établissement public du commerce et de l'industrie de la collectivité de Corse.
Mme Olivia Richard, rapporteure. - Ce projet de loi, qui a été déposé sur le Bureau de notre assemblée le 28 avril 2025, constitue l'aboutissement d'un long processus politique de réflexion et de négociation entre les représentants de la collectivité de Corse et l'État. Il a pour objectif principal de permettre le rattachement de la chambre de commerce et d'industrie (CCI) de Corse à la collectivité insulaire.
À cette fin, il prévoit la création d'un établissement public sui generis, qui a vocation à reprendre l'ensemble des missions de la CCI de Corse et serait placé sous la tutelle de la collectivité de Corse.
L'enjeu de cette évolution institutionnelle, pour le moins stratégique, consiste à permettre à la collectivité de confier au nouvel établissement la gestion des ports et des aéroports de l'île, sans mise en concurrence préalable.
Avant d'aborder plus en détail le contenu du projet de loi, permettez-moi d'en retracer la genèse et de rappeler quelques éléments de contexte.
Depuis la loi du 22 janvier 2002 relative à la Corse, la collectivité de Corse dispose de larges compétences en matière de développement économique et de continuité territoriale. En application de cette même loi, elle est également devenue propriétaire des principales infrastructures portuaires et aéroportuaires de l'île.
En 2005 et 2006, elle a fait le choix d'en concéder la gestion - comme l'avait auparavant fait l'État - à la CCI de Corse, et ce pour une durée initiale de quinze ans.
Plus de 90 % des activités de la CCI de Corse sont aujourd'hui liées à la gestion des ports et des aéroports, qui mobilisent la quasi-totalité des plus de 1 000 agents employés par l'établissement.
À compter de 2018, la collectivité de Corse est devenue une collectivité unique exerçant à la fois les compétences des régions et des départements. S'en est suivie une réflexion sur l'évolution institutionnelle du réseau consulaire de l'île, afin qu'il corresponde au mieux aux institutions publiques locales.
L'article 46 de la loi du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises (Pacte) a alors posé le principe d'une telle réflexion politique et juridique, en prescrivant la conduite d'une étude conjointe entre la collectivité, l'État et les chambres consulaires.
Cette étude, publiée en 2022, préconisait à titre principal une « absorption » de la CCI de Corse et de la chambre régionale des métiers et de l'artisanat (CRMA) au sein d'un établissement public placé sous la tutelle de la collectivité de Corse.
Comme me l'ont confirmé les représentants de la collectivité de Corse et l'administration centrale, cette question a fait l'objet de nombreux échanges dans le cadre du fameux « processus de Beauvau » initié par le Gouvernement en 2022 dans la perspective de l'évolution du statut de la Corse vers une plus grande autonomie. L'exposé des motifs du projet de loi présente d'ailleurs ce texte comme « étant issu » de ce processus de Beauvau.
Si, jusqu'alors, la réforme envisagée n'avait pas encore trouvé de traduction législative, une échéance de court terme est venue accélérer le processus : les contrats de concession conclus avec la CCI ont déjà été prolongés à deux reprises : la seconde fois, le 31 décembre 2024, la fin des concessions a été repoussée d'un an, dans l'attente de l'évolution législative permettant l'évolution institutionnelle escomptée. Ils arrivent désormais à leur terme au 31 décembre 2025.
À défaut d'entrée en vigueur du présent projet de loi avant cette échéance, une mise en concurrence deviendra nécessaire pour le renouvellement des contrats de concession, dans un délai extrêmement contraint.
J'en viens donc au contenu du projet de loi.
L'essentiel du dispositif est prévu par l'article 1er qui détermine les missions, les ressources financières, le statut et les institutions représentatives du personnel de l'établissement.
S'agissant des ressources financières et des missions de l'établissement, cet article s'inspire très largement des dispositions du code de commerce applicables à l'ensemble des CCI régionales.
Le nouvel établissement exercera ainsi les mêmes fonctions qu'une CCI classique, à commencer par sa mission générale de représentation des intérêts des secteurs professionnels auprès des pouvoirs publics. L'article 3 confie parallèlement au président de l'établissement la compétence en matière de délivrance des cartes professionnelles d'agent immobilier.
La nouvelle personne morale bénéficiera en outre des mêmes ressources que la CCI de Corse, à commencer par la fraction de la taxe pour frais de chambre, qu'il percevra grâce à son intégration au « réseau CCI France » organisée par l'article 2. Je précise que cette mesure impliquera une modification du code général des impôts (CGI) dans la prochaine loi de finances.
Concernant le statut du personnel, seuls des salariés de droit privé pourront être recrutés par l'établissement, dans les conditions prévues par le code du travail. Toutefois, afin de tenir compte du caractère mixte du personnel qu'emploiera l'établissement - c'est-à-dire à la fois des salariés de droit privé et des agents publics relevant du statut issu de la loi n° 52-1311 du 10 décembre 1952 -, l'article 1er prévoit la création d'un comité social territorial (CST) composé de différents collèges compétents en fonction du statut des personnels concernés.
Je précise, au passage, que l'établissement a vocation à reprendre les 1 026 agents aujourd'hui employés par la CCI de Corse, ce qui portera à près de 7 000 le nombre total d'agents que comptent la collectivité de Corse et l'ensemble des agences et offices placés sous sa tutelle.
En ce qui concerne, enfin, la gouvernance de l'établissement, son conseil d'administration ne pourra compter que deux catégories de membres : des conseillers à l'assemblée de Corse, qui devront y être majoritaires, afin de garantir le contrôle de la collectivité sur son établissement ; et des représentants des professionnels, désignés lors des élections consulaires de droit commun.
Le président de l'établissement sera désigné par le président du conseil exécutif de la collectivité de Corse parmi les membres de ce même conseil exécutif.
Pour finir, l'article 4 du projet de loi comporte des mesures transitoires destinées à sécuriser la mise en place du nouvel établissement, qui devra remplacer la CCI de Corse au 1er janvier 2026. Il prévoit notamment la reprise, par le nouvel établissement, de l'ensemble des personnels, des biens, des droits et des obligations de la CCI de Corse ; un délai de dix-huit mois pour valider ou renégocier les conventions, les accords et les engagements unilatéraux ; ainsi que la présence, jusqu'aux élections consulaires de novembre 2026, au sein du conseil d'administration de l'établissement, des 40 membres actuels de la CCI de Corse.
Comme je vous l'indiquais en préambule, un constat s'est imposé au cours des différentes auditions que j'ai conduites : ce projet constitue l'aboutissement d'un long processus et fait l'objet d'un large consensus parmi les acteurs insulaires concernés.
L'objectif final est, en tout cas, partagé par le plus grand nombre : il s'agit de sécuriser une gestion publique des ports et des aéroports de la Corse, qui constituent des infrastructures hautement stratégiques en raison des spécificités liées à l'insularité.
En raison des caractéristiques économiques et géographiques de la Corse, la gestion de ces infrastructures revêt en effet une dimension stratégique indéniable. Quelques données suffisent à s'en convaincre : le secteur du tourisme représente 40 % du PIB régional, tandis que 95 % des denrées alimentaires consommées sur l'île sont importées.
Le président du conseil exécutif, Gilles Simeoni, estime ainsi « qu'il est inenvisageable que les portes d'entrée de l'île soient gérées par des entités privées ayant pour seul objectif la rentabilité de leur activité ».
Je vous propose donc, chers collègues, d'approuver la création de ce nouvel établissement sui generis, sous réserve de l'adoption de plusieurs amendements visant à en améliorer la gouvernance et à faciliter le dialogue social en son sein.
En premier lieu, je vous proposerai un amendement pour remplacer le CST prévu initialement par un comité social et économique (CSE) de droit commun. Cette modification répond à une demande unanime des représentants de la CCI et de la collectivité de Corse, qui souhaitent préserver leur modèle de dialogue social, lequel inclut l'ensemble du personnel, sans distinguer les agents selon leur statut.
Toujours dans l'optique de garantir les bonnes conditions du dialogue social, je vous propose de prévoir la reprise, par principe, par le nouvel établissement des différents accords et engagements unilatéraux aujourd'hui applicables au sein de la CCI. Ils pourront être remplacés par de nouveaux accords, mais sans le couperet d'une date butoir.
En deuxième lieu, je vous présenterai un amendement visant à permettre aux représentants du personnel de l'établissement d'assister au conseil d'administration, avec voix consultative.
En troisième et dernier lieu, il m'a semblé nécessaire de réduire le nombre d'élus consulaires qui siégeront au conseil d'administration au cours de la période allant janvier à novembre 2026. Initialement fixé à 40, cet effectif serait ainsi réduit à 20. Ce faisant, la collectivité n'aura pas à désigner 41 élus de l'assemblée de Corse, ce qui aurait porté l'effectif du conseil d'administration à plus de 81 membres, avec toutes les difficultés pratiques que cela implique.
Au bénéfice de ces observations et sous réserve des quelques ajustements évoqués, je vous propose donc d'adopter le projet de loi portant création de l'établissement public du commerce et de l'industrie de la collectivité de Corse.
M. Paul Toussaint Parigi. - Je salue le travail de la rapporteure. Alors qu'il a fallu de longues années pour faire aboutir ce projet, nous sommes parvenus à un consensus qui va de l'État aux syndicats, en passant par le monde économique et la collectivité de Corse. Il est important pour l'insularité de gérer ses ports et aéroports, et d'en avoir la maîtrise et la gouvernance.
Mes chers collègues, je vous invite à suivre l'avis de la rapporteure, dont le rapport est d'une clarté éblouissante.
M. Éric Kerrouche. - Ce rapport est synthétique et exhaustif de sorte qu'il n'est pas nécessaire de reprendre le détail du texte. Il a fallu du temps pour aboutir à cette solution. L'étude du cabinet « Ernst & Young » sur la transformation de la CCI est pourtant disponible depuis 2022. L'enjeu est stratégique pour le tourisme et pour les importations : plus de 8,2 millions de passagers transitent par les ports et les aéroports de l'île chaque année. Cette organisation spécifique est nécessaire. Nous voterons ce texte ainsi que l'ensemble des amendements qui seront présentés. Je poserai toutefois une question sur le premier d'entre eux.
Mme Muriel Jourda, présidente. - Comme c'est l'usage, il me revient, mes chers collègues, avant d'examiner les amendements, de vous indiquer quel est le périmètre indicatif du projet de loi, en application du vade-mecum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution, adopté par la Conférence des présidents.
Je vous propose de considérer que ce périmètre inclut les dispositions relatives à la création, en lieu et place de la chambre de commerce et d'industrie de Corse, d'un établissement public du commerce et de l'industrie de la collectivité de Corse et aux adaptations, coordinations et mesures transitoires rendues nécessaires par la création de cet établissement.
Il en est ainsi décidé.
EXAMEN DES ARTICLES
Mme Olivia Richard, rapporteure. - Lors des auditions, les représentants de plusieurs syndicats ont souhaité inscrire dans le cadre des missions de la CCI la sûreté et la sécurité des infrastructures aéroportuaires et portuaires. En réalité, cela figure déjà plus ou moins dans le droit existant. Compte tenu de l'importance de cette mission, il fallait la mettre en valeur. Tel est le sens de mon amendement COM-1.
M. Éric Kerrouche. - Le nouvel établissement public devra-t-il gérer cela en propre ou bien de manière externalisée ?
Mme Olivia Richard, rapporteure. - Il le gérera en propre ; il s'agit en réalité de clarifier en droit l'attribution d'une mission que la CCI de Corse exerce d'ores et déjà.
L'amendement COM-1 est adopté.
Mme Olivia Richard, rapporteure. - L'amendement COM-2 concerne la représentation du personnel avec voix consultative au sein du conseil d'administration de l'établissement.
L'amendement COM-2 est adopté.
L'amendement COM-3 est adopté.
Mme Olivia Richard, rapporteure. - L'amendement COM-4 a pour objet de remplacer le CST initialement envisagé par un CSE. Il s'agit là d'une demande unanime de la CCI, de la collectivité de Corse et des syndicats.
L'amendement COM-4 est adopté.
L'article 1er est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Articles 2 et 3
Les articles 2 et 3 sont successivement adoptés sans modification.
Mme Olivia Richard, rapporteure. - L'amendement COM-5 vise à ajuster les modalités de présence, pendant la période transitoire allant de janvier à novembre 2026, des élus consulaires de la CCI de Corse au sein du conseil d'administration du nouvel établissement.
L'amendement COM-5 est adopté.
L'amendement COM-6 est adopté.
Mme Olivia Richard, rapporteure. - L'amendement COM-7 vise à supprimer le délai de dix-huit mois pour la renégociation des accords, conventions et engagements unilatéraux en vigueur.
L'amendement COM-7 est adopté.
L'article 4 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Le projet de loi est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :
Auteur |
N° |
Objet |
Sort de l'amendement |
Article 1er |
|||
Mme Olivia RICHARD, rapporteure |
1 |
Précision concernant les missions confiées à l'établissement en matière de maintien de la sûreté et de sécurité des équipements portuaires et aéroportuaires |
Adopté |
Mme Olivia RICHARD, rapporteure |
2 |
Présence au conseil d'administration des représentants du personnel, avec voix consultative |
Adopté |
Mme Olivia RICHARD, rapporteure |
3 |
Amendement rédactionnel |
Adopté |
Mme Olivia RICHARD, rapporteure |
4 |
Remplacement du comité social territorial (CST) par un comité social et économique (CSE) |
Adopté |
Article 4 |
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Mme Olivia RICHARD, rapporteure |
5 |
Présence au conseil d'administration de l'établissement de 20 représentants élus des professionnels (plutôt que 40) au cours de la période transitoire |
Adopté |
Mme Olivia RICHARD, rapporteure |
6 |
Amendement de coordination |
Adopté |
Mme Olivia RICHARD, rapporteure |
7 |
Reprise par l'établissement des conventions, accords et engagements unilatéraux applicables au sein de la CCI de Corse |
Adopté |