N° 697
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2024-2025
Enregistré à la Présidence du Sénat le 4 juin 2025
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission de l'aménagement du
territoire et du développement
durable (1) sur la proposition de loi
visant à mieux
protéger les
écosystèmes
marins,
Par M. Jacques FERNIQUE,
Sénateur
(1) Cette commission est composée de :
M. Jean-François Longeot, président ;
M. Didier Mandelli,
premier vice-président ;
Mmes Nicole Bonnefoy, Marta de Cidrac, MM. Hervé
Gillé, Rémy Pointereau, Mme Nadège Havet,
M. Guillaume Chevrollier, Mme Marie-Claude Varaillas,
MM. Jean-Yves Roux, Cédric Chevalier, Ronan Dantec,
vice-présidents ; M. Cyril Pellevat, Mme Audrey
Bélim, MM. Pascal Martin, Jean-Claude Anglars,
secrétaires ; Mme Jocelyne Antoine,
MM. Jean Bacci,
Alexandre Basquin, Jean-Pierre Corbisez, Jean-Marc Delia, Stéphane
Demilly, Gilbert-Luc Devinaz,
Franck Dhersin, Alain Duffourg,
Sébastien Fagnen, Jacques Fernique, Fabien Genet, Éric Gold,
Daniel Gueret,
Mme Christine Herzog, MM. Joshua Hochart, Olivier
Jacquin, Damien Michallet, Louis-Jean de Nicolaÿ, Saïd Omar Oili,
Alexandre Ouizille, Clément Pernot, Mme Marie-Laure Phinera-Horth,
M. Bernard Pillefer, Mme Kristina Pluchet,
MM. Pierre Jean
Rochette, Bruno Rojouan, Jean-Marc Ruel, Mme Denise Saint-Pé,
M. Simon Uzenat, Mme Sylvie Valente Le Hir, MM. Paul Vidal,
Michaël Weber.
Voir les numéros :
Sénat : |
492 et 698 (2024-2025) |
L'ESSENTIEL
La commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, le 4 juin 2025, n'a pas adopté la proposition de loi visant à mieux protéger les écosystèmes marins, présentée par Mathilde Ollivier et plusieurs de ses collègues, sur le rapport de Jacques Fernique.
Face à l'érosion de la biodiversité marine et des ressources halieutiques, la commission ne peut que partager l'objectif de cette proposition de loi tendant à garantir une protection ambitieuse des écosystèmes marins et à permettre la transition de la pêche française vers des pratiques plus durables. Néanmoins, ce texte interroge à plusieurs titres :
- le remplacement de la notion de « protection forte » - adoptée dans le cadre de la loi « Climat et résilience » en 2021 - par celle de « protection stricte » conduirait à remettre en cause les démarches d'identification de zones sous protection forte sur chaque façade maritime qui sont en cours depuis deux ans. Opérer un tel changement de méthode, alors que le dispositif est en train d'être mis en oeuvre, ne semble pas souhaitable ;
- l'approche retenue par la France en matière de protection dans le cadre de la Stratégie nationale pour les aires protégées (Snap) apparaît plus souple que celle proposée par le texte et, en conséquence, gage d'une meilleure conciliation des usages ;
- l'approche proposée de sortie de la seule activité du chalut de fond aurait une portée incertaine en termes de protection effective des écosystèmes marins, compte tenu d'une acceptabilité potentiellement limitée, mais aurait en revanche des conséquences fortement déstabilisatrices sur la structuration socio-économique de la filière pêche française.
Le rapporteur a proposé d'assouplir le dispositif de manière à assurer une meilleure différenciation territoriale. Pour autant, pour les raisons évoquées précédemment, et en dépit de l'approche constructive du rapporteur, la commission n'a pas adopté le texte. En conséquence, la discussion en séance publique portera sur le texte de la proposition de loi déposée sur le Bureau du Sénat.
I. PROTECTION DES ÉCOSYSTÈMES MARINS : UNE STRATÉGIE FRANÇAISE EN COURS DE DÉPLOIEMENT
A. AIRES MARINES PROTÉGÉES : UNE APPROCHE FRANÇAISE SOUPLE PAR RAPPORT AUX STANDARDS INTERNATIONAUX
1. Des océans soumis à de fortes pressions anthropiques, au détriment des écosystèmes et des ressources halieutiques
Des milieux marins en bonne santé sont nécessaires à l'équilibre des écosystèmes et des réseaux trophiques ainsi qu'à l'approvisionnement en ressources halieutiques. Les océans sont également le principal puits de carbone de la planète - ils absorbent chaque année le tiers des émissions de CO2 provenant des activités humaines - ce qui leur confère un rôle majeur en matière de régulation climatique.
Ils subissent néanmoins de plein fouet les effets du changement climatique (fonte des glaces, élévation du niveau de la mer, vagues de chaleur océaniques et acidification des océans) et des pressions anthropiques. La surexploitation des stocks de poissons est un facteur majeur de déclin des ressources halieutiques : selon les données de l'Ifremer, si 58 % des poissons débarqués en France provenaient de stocks exploités durablement en 2023, la « surpêche »1(*) a concerné près de 20 % des débarquements et la capacité des populations à se renouveler est en baisse pour 31 % des stocks évalués.
« Depuis plusieurs années, la part de populations non surpêchées progresse très peu et on observe une baisse de plus en plus marquée du renouvellement des générations (moins de poissons jeunes et juvéniles), ce qui constitue un risque de déclin de l'abondance de certaines populations. »
Ifremer - Bilan 2024 de l'état des populations de poissons pêchés en France hexagonale
Quelques exemples de populations de poissons en France classées selon leur état
Source : Ifremer - Bilan 2024 de l'état des populations de poissons pêchés en France hexagonale
Les pratiques de pêche non sélectives (chaluts et dragues en particulier) sont particulièrement dommageables pour les écosystèmes marins, car elles conduisent à capturer des poissons juvéniles et des espèces non visées et, s'agissant des engins démersaux, à endommager les habitats des fonds marins.
Selon l'Office français de la biodiversité (OFB), 94 % des habitats marins et côtiers d'intérêt communautaire évalués en métropole sont en mauvais état et 6 poissons migrateurs sur 11 sont menacés dans les eaux douces et marines. Dans les outre-mer, 29 % des récifs coralliens sont en diminution. En outre, sur les 4 732 espèces animales et 56 espèces végétales marines présentes en France et évaluées dans le cadre de la liste rouge mondiale de l'UICN, 336 espèces animales (soit 7 %) sont considérées comme éteintes ou menacées ( MTE, données 2022).
2. Déploiement des aires marines protégées en France : un état des lieux qui reste à apprécier dans la durée
La stratégie de l'Union européenne pour la biodiversité a fixé l'objectif, d'ici 2030, de couvrir 30 % des terres et 30 % des mers d'aires protégées, dont au moins le tiers sous protection stricte. Ces objectifs ont été déclinés au niveau national à travers la Stratégie nationale pour les aires protégées (Snap), publiée en janvier 2021 puis consacrée par la loi « Climat et résilience » du mois d'août de cette même année. La France a néanmoins substitué à la notion de « protection stricte » - préconisée par la Commission européenne - celle de « protection forte », plus souple : tandis que la protection stricte, telle que définie par l'Union européenne et l'UICN, exclut toute activité susceptible de perturber les processus naturels (telles que les activités extractives lourdes), la protection forte retenue par la France prévoit simplement que les « activités humaines susceptibles de compromettre la conservation des enjeux écologiques sont absentes, évitées, supprimées ou fortement limitées ».
Les zones de protection forte sont en cours d'identification sur chaque façade maritime. Leur reconnaissance et la réglementation des activités humaines en leur sein relèvent néanmoins d'une approche « au cas par cas », qui n'exclut aucune activité par principe.
De fait, la France se caractérise par un net décalage entre les résultats chiffrés annoncés en termes de déploiement d'AMP et l'efficacité réelle de ces aires : alors que 33 % de l'espace maritime est désormais couvert, les zones de protection stricte ne concernent que 1,6 % de cet espace, et 0,04 % seulement en hexagone. 97 % des AMP sous protection stricte, au sens de l'UICN, sont dans les TAAF et en Nouvelle-Calédonie.
Couverture des différents niveaux de protection d'AMP en France hexagonale et d'outre-mer2(*)
Source : CNRS
De fait, selon un récent rapport de l'organisation non gouvernementale Oceana, la pêche au chalut de fond est fréquente dans les AMP françaises : en 2024, plus de 100 chalutiers de fond ont passé plus de 17 000 heures à pêcher dans les six parcs naturels marins de la France3(*).
* 1 Selon la définition donnée par l'Ifremer, il y a « surpêche » lorsque la pression de pêche exercée sur un stock est supérieure à celle permettant son exploitation maximale durable. À moyen terme, la surpêche entraîne la surexploitation du stock.
* 2 La protection stricte au sens de l'UICN correspond aux niveaux de protection dite « intégrale » et « haute ».
* 3 Oceana, Marine Paper Parks : Exposing Destruction in France's Iconic Marine Protected Areas, 28 mai 2025.