CONCLUSION

L'accord apporte à la France un cadre juridique robuste pour les RESEVAC, une sécurisation des moyens logistiques via un partenaire stable et une capacité de projection en amont, adaptée aux scénarios les plus dégradés.

Pour Chypre, il marque une reconnaissance de son rôle géostratégique et s'inscrit dans la perspective d'un partenariat renforcé avec la France à l'horizon de sa présidence de l'UE en 2026.

La coopération militaire franco-chypriote se trouve ainsi consolidée par un outil juridique opérationnel, adapté aux réalités du XXIème siècle.

La convention signée entre la France et Chypre constitue une avancée majeure pour la sécurité des ressortissants européens dans la région du Moyen-Orient. En formalisant les conditions de leur évacuation via le territoire chypriote, elle préfigure ce que pourrait être demain une solidarité européenne de protection civile extérieure.

Elle constitue également une pièce essentielle du dispositif diplomatique et militaire français en Méditerranée orientale. Son caractère régional, son extensibilité à d'autres ressortissants alliés et son articulation avec les engagements de la France au sein de l'UE, de l'ONU et de l'OTAN en font un modèle d'accord adapté aux crises contemporaines.

Chypre a d'ores et déjà ratifié cet accord en 2024.

Sa ratification prochaine par la France permettrait d'assurer une continuité opérationnelle entre les différentes composantes de la chaîne d'intervention française en cas de crise.

EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 11 juin 2025, sous la présidence de Mme Catherine Dumas, vice-présidente, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a procédé à l'examen du rapport de M. Christian Cambon sur le projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Chypre sur la coopération lors des opérations d'évacuation à partir de la région du Moyen-Orient via le territoire de la République de Chypre dans le cadre d'une situation de crise.

Mme Catherine Dumas, présidente. - Nous examinons le rapport de M. Christian Cambon sur le projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Chypre sur la coopération lors des opérations d'évacuation à partir de la région du Moyen-Orient via le territoire de la République de Chypre dans le cadre d'une situation de crise, signée le 9 septembre 2022

M. Christian Cambon, rapporteur. - Ce texte a été redéposé au Sénat le 13 février 2025, après l'avoir été une première fois en 2023, puis retiré, à la suite des attaques du 7 octobre. Cet accord mérite une attention particulière au regard de la situation de la région qui traverse des bouleversements sans précédent depuis plusieurs années.

Chypre, qui aspire à jouer un rôle militaire actif dans la région, constitue ainsi un point d'observation essentiel et une base arrière précieuse pour nos armées. Positionnée en Méditerranée orientale à une centaine de kilomètres des côtes syriennes, la République de Chypre est située à l'extrême Est de l'Union européenne. Cinquante ans après le déploiement des premiers casques bleus à la suite de l'invasion par les troupes turques d'une partie de l'île en juillet 1974, la partition de fait de Chypre demeure une donnée fondamentale structurante.

Séparée du sud par une zone démilitarisée orientée sur un axe Est - Ouest sous contrôle des Nations-Unies, Chypre-nord recouvre un territoire de 3 500 km² (36% du territoire), qui se trouve de facto sous le contrôle de l'armée turque et échappe à la souveraineté de la République de Chypre. Proclamée le 15 novembre 1983, la « République turque de Chypre du Nord » (RTCN), n'est reconnue internationalement que par la Turquie. L'armée turque y stationne plus de 35 000 soldats possédant des capacités de reconnaissance et de combat. Face à elle, l'armée chypriote génère de la masse (14 000 hommes) par le recours à la conscription et apparaît numériquement inférieure en personnel et en capacités dans tous les domaines, sans même prendre en compte la capacité turque de projection de force.

À plusieurs égards, la politique étrangère de Chypre diffère de ses voisins en Méditerranée orientale, en particulier du fait de son appartenance à l'Union européenne et de la spécificité de la « question chypriote », qui conduit historiquement la République de Chypre à solliciter le soutien de son proche voisinage contre toute reconnaissance de l'indépendance de la République turque de Chypre du Nord.

L'évacuation des ressortissants en situation de crise a réalisée à deux reprises par la France avec la Marine française sur le territoire chypriote : en 2006 avec l'envoi d'un porte-hélicoptères au Liban, puis en 2023, à la suite des attaques du 7 octobre avec l'évacuation de Français d'Israël, soit environ 250 ressortissants et leurs familles.

Or, il n'existait pas alors de cadre juridique pour encadrer de telles opérations. C'est ce que ce texte prévoit de faire.

La relation bilatérale de défense franco-chypriote bénéficie d'une excellente dynamique. Elle est avant tout stratégique. Elle est encadrée par un Agenda stratégique signé entre les ministres des Affaires étrangères le 25 octobre 2016, qui couvre le dialogue politique, la coopération en matière de sécurité et de défense, le dialogue économique et la coopération dans les domaines éducatif et culturel.

En 2024, 36 escales de navires de la Marine française, sans compter les exercices et les vols réalisés sur le territoire. Ce qui en fait la première destination de visite de nos forces dans la région. Non-membre de l'OTAN, Chypre manifeste sa volonté de soutenir l'Europe de la défense, dans la mesure de ses capacités.

Le budget de la défense chypriote s'élève à 588,4 millions d'euros, soit approximativement 1,5% du PIB, en hausse de 3,9 millions d'euros par rapport à 2024 ; le ministère de la défense chypriote a pour objectif de porter le budget de la défense à 2% du PIB d'ici à 2028. La garde nationale chypriote compte 12.000 personnels actifs et 60.000 réservistes.

Chypre est membre de l'UE depuis 2004. Sa participation à la politique de sécurité et de défense commune est principalement concentrée sur trois opérations maritimes : EUNAVFOR ASPIDES, EUNAVFOR ATALANTA et EUNAVFOR IRINI, ainsi qu'une contribution à EUMM Géorgie. Elle s'est récemment renforcée sur EUMAM Ukraine.

Cette convention, assez unique en son genre, a nécessité des années de négociations pour définir des cadres financiers, juridiques et douaniers adaptés.

Signée en 2022, elle prévoit les conditions dans lesquelles l'usage du territoire chypriote pourrait servir à une évacuation des ressortissants français, mais aussi de l'Union européenne et des ressortissants d'États avec lesquelles la France aurait signé un accord en ce sens.

Très complète, elle reprend ce qui avait dû être décidé dans l'urgence en 2006 à travers quinze articles et permettra donc une réaction plus rapide dans un cadre juridique fixé à l'avance. La France s'engage à respecter la législation chypriote, par exemple pour port d'armes par le personnel français ou la mise en place de notre système de communication. L'article 7 porte sur le soutien logistique fourni à titre gratuit par Chypre à la France, la mise en place d'infrastructures, d'espaces publics tels que les ports, les bases militaires, les bases de stockage. Il y a un article sur le régime fiscal, un article sur l'ensemble des soins médicaux que la France peut assurer aux personnels évacués ainsi qu'aux personnels français pendant la durée où ils stationnent sur le territoire chypriote. Un article vise également à mettre en place des mesures de prévention et de traitement de toute incidence de pollution sur le territoire chypriote. Enfin, un article donne aux autorités françaises une compétence en matière de discipline sur les personnels français.

La ratification de cet accord est attendue par les autorités chypriotes, parce qu'il s'inscrit dans un contexte de partenariat tout à fait positif entre nos deux pays pour l'aide que ce pays nous apporte - nous n'oublions pas le rôle que Chypre nous apporte en matière de renseignement.

À l'horizon de la présidence chypriote de l'Union européenne en 2026, la France et Chypre souhaitent approfondir leur relation, ce partenariat inclurait des volets en défense et sécurité, éducation, technologie et recherche, et devrait être conclu d'ici la fin de l'année.

Chypre cherche à se réarmer et se tourne vers la France, dont plusieurs de ses industriels. Je pense ici à Thales avec ses radars, MBDA pour ses missiles Mistral et enfin Airbus avec les hélicoptères.

Je tiens également à souligner que nos services sont déjà prêts dans le cas où une évacuation aurait lieu. À l'automne dernier, en raison de la montée des tensions dans la région, l'ambassade de France à Chypre, forte de ses 25 agents, s'est préparée à l'évacuation de 20 000 ressortissants français en provenance du Liban, en plus des touristes présents. Une évacuation, qui pourrait se faire par voie maritime en cas de blocage de l'espace aérien, nécessiterait la mobilisation de navires civils et militaires. Régulièrement nos forces s'entrainent à travers les opérations de RESEVAC pour ce cas de figure.

De plus, chaque année se tient à Chypre un exercice (Argonaut) multilatéral civil et militaire regroupant différents pays dont la France organisé par les autorités chypriotes, simulant une évacuation du Proche-Orient via Chypre.

Je vous invite donc à approuver cet accord, qui répond aux besoins des deux pays et qui est attendu depuis sa signature en septembre 2022. Cet accord a été ratifié par le Parlement chypriote l'an dernier et son entrée en vigueur est cruciale pour renforcer notre coopération dans la région.

Mes chers collègues, compte tenu de ces éléments, je vous propose d'approuver ce texte, dont le Sénat est saisi en premier. L'examen de ce projet de loi en séance publique est prévu le lundi 23 juin 2025, selon la procédure simplifiée.

Mme Catherine Dumas, présidente. - J'ai eu également l'occasion de me rendre à Chypre, qu'on qualifie parfois de « porte-avions de Méditerranée orientale ». Nous avons grand intérêt à entretenir de bonnes relations avec ce partenaire.

M. Mickaël Vallet. - On peut comprendre que les Chypriotes aient envie de prendre certaines précautions. En 2006, il y a eu une opération de rapatriement de Français vers le continent ou la métropole - je choisis mes mots avec soin en parlant de rapatriement. Il s'agissait de la plus importante opération de ce type depuis les années 1960, cela concernait des milliers de personnes. Cela nécessite de pouvoir agir rapidement et avoir une entente spontanée avec les Chypriotes pour que les choses se déroulent comme prévu. C'est donc un texte important, qu'il est bon d'adopter avant qu'une crise ne survienne - car c'est quand la crise est là qu'on regrette de ne pas s'y être préparé.

M. Philippe Folliot. - Je salue le travail complet de notre rapporteur. Chypre a été une base et un relais pour nos militaires qui revenaient d'Afghanistan.

Une question se pose : le changement de régime en Syrie aura-t-il des conséquences sur la politique chypriote ? Pourra-t-il impulser des éléments positifs ou négatifs par rapport à ce traité et à la façon dont les choses vont s'organiser dans cette partie de la Méditerranée orientale ?

M. Christian Cambon, rapporteur. - Merci d'avoir souligné ce rôle pour nos forces armées, c'est une réalité encore actuelle. Les forces françaises qui se maintiennent dans la région bénéficient d'un soutien logistique très important à Chypre.

Nous avons interrogé nos deux ambassadeurs - à Paris et à Chypre - sur la proximité avec la Syrie. Ils nous ont répondu être dans une phase d'observation, puisque le changement de régime risque d'avoir pour conséquence le retour d'une partie des communautés syriennes vers la Syrie, à partir du moment où des assurances sont données par le gouvernement provisoire du président syrien Ahmed al-Charaa - Chypre est un des points d'observation majeurs sur ce qui se passe en Syrie. Le nouveau président syrien a été reçu par le président Trump, l'idée est de faire en sorte que ce nouveau gouvernement renonce définitivement à ses attaches avec Daesh et avec tous les crimes passés - dont certains ministres ont été les auteurs. Pour l'instant, nous sommes dans une attitude expectative, il n'y a pas de mouvement concret qui solliciterait d'utiliser le dispositif de crise.

En revanche, on peut imaginer que cet accord puisse être répliqué, puisque la France peut avoir à évacuer d'autres régions du monde des Français ou d'autres ressortissants de pays européens. Rappelons-nous de ce qui s'est passé en Afghanistan. Cet accord a été longuement négocié, il est exemplaire - et il concerne un pays très important et très intéressant pour toute la région en particulier pour la France puisque Chypre est le pays au monde où notre Marine a rendu le plus de visites l'an passé.

Le projet de loi est adopté sans modification.

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